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6 décembre 2012 4 06 /12 /décembre /2012 22:02

 Cendrars par modigliani

Blaise Cendrars, Modigliani, 1913

 

J’ai vu mardi dernier l’extraordinaire exposition que le musée de La Piscine à Roubaix consacre à Chagall. L’ensemble de plus de 200 œuvres qui y est exposé couvre la vie de l’artiste et tous les champs d’expression auxquels il s’est essayé. On y découvre en effet peintures et dessins, sculptures et céramiques, costumes et collages et les études pour le plafond de l’Opéra que lui commanda Malraux. Intitulée Marc Chagall, L’Epaisseur des rêves, cette rétrospective témoigne de l’importance de la forme et du volume chez l’artiste, l’inventeur du « pays d’apesanteur » ainsi que le qualifia Aragon.

En 1913, Blaise Cendrars consacre à son ami Marc Chagall son quatrième Poème élastique. Nés la même année, en 1887, les deux artistes nouèrent une amitié entre 1912 et 1914. « Les peintres et les poètes, c’était du pareil au même », on vivait tous mélangés », raconte Cendrars. Vivant ensemble la bohème parisienne à la Ruche de Montparnasse, ils étaient liés par l’usage commun du russe mais surtout par un même goût pour la modernité urbaine et les formes artistiques nouvelles.

Le poète est vraiment fasciné par le monde onirique et fantaisiste du peintre. Ses images verbales, ses mots en liberté, seront un écho à la structure des tableaux de Chagall : ne titrera-t-il pas d’ailleurs certaines des toiles de cette époque ? En 1922, à son retour de Russie après la Révolution russe, l’atelier de Chagall aura été vidé et ses œuvres d’avant-guerre revendues. Soupçonnant Cendrars d’y avoir contribué, il rompra avec lui.

Toujours est-il que demeure ce poème. Un texte qui témoigne avec force de leur amitié et de la relation fusionnelle qui peut exister entre les mots et les formes et les couleurs.


 Chagall_Marc_06_autoportrait_max.jpg

      Autoportrait au col blanc, Marc Chagall, 1914

 

 

Marc Chagall

 

Il dort

Il est éveillé

Tout à coup, il peint

Il prend une église et peint avec une église

Il prend une vache et peint avec une vache

Avec une sardine

Avec des têtes, des mains, des couteaux

Il peint avec un nerf de bœuf

Il peint avec toutes les sales passions d’une petite ville juive

Avec toute la sexualité exacerbée de la province russe

Pour la France

Sans sensualité

Il peint avec ses cuisses

Il a les yeux au cul

Et c’est tout à coup votre portrait

C’est toi lecteur

C’est moi

C’est lui

C’est sa fiancée

C’est l’épicier du coin

La vachère

La sage-femme

Il y a des baquets de sang

On y lave les nouveaux-nés

Des ciels de folie

Bouches de modernité

La Tour en tire-bouchon

Des mains

Le Christ

Le Christ c’est lui

Il a passé son enfance sur la croix

Il se suicide tous les jours

Tout à coup, il ne peint plus

Il était éveillé

Il dort maintenant

Il s’étrangle avec sa cravate

Chagall est étonné de vivre encore

 

In Dix-neuf poèmes élastiques

 

 

Autoportrait-a-la-pendule.JPG

      Autoportrait à la pendule, Marc Chagall, 1947

(Photo ex-libris.over-blog.com, mardi 27 novembre 2012)

 

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème libre

 


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5 décembre 2012 3 05 /12 /décembre /2012 22:03

 bohringer-bruce-pierson.jpg

Richard Bohringer (Photo Bruce Pierson)

 

Mardi 04 décembre 2012, au théâtre Beaurepaire à Saumur, Richard Bohringer, éclairé par la poursuite, a tourné inlassablement pendant presque deux heures dans le cercle de ses souvenirs. Son régisseur et lui-même ont compté : il fait 3 kms par soir ! Sous l’aéronef imaginaire de ses compagnons de scène et de comptoir, Philippe Léotard, Jean Carmet, Mano Solo, Bernard Giraudeau et Roland Blanche, avec sa lucidité gouailleuse tempérée par l’humour, il a évoqué leur amitié et il a lu des extraits de ses romans, C’est beau une ville la nuit et Traîne pas sous la pluie.

Le décor est minimaliste : une chaise à jardin, un lutrin à l’avant-scène, deux grands cahiers et quatre petites bouteilles d’eau minérale. Le costume l’est tout autant : un sobre pantalon gris dans lequel il rit de se voir flotter désormais (mais attention c’est un pantalon Agnès B. !) et un sweat shirt bleu marine à cagoule. Tout en improvisant (et en se comparant avec dérision aux pros tels Lucchini), il alterne conversations improvisées à bâtons rompus et lecture de ses textes.

Ce « capitaine de tous les bateaux de la mer », tout en instinct, qui est sans cesse en train de « humer » le monde comme ce « grand singe » qui envahit ses rêves, se rappelle les lieux de son enfance marqués par la maladie, « entre Deuil et Berck », comme une vie prédestinée au malheur.

Il songe à son grand-père, lui qui disait : « Pour vivre sans fric, il faut avoir beaucoup de fric. » Il se remémore avec émotion sa grand-mère, sa « Mamie » de la banlieue, celle qui lui avait tricoté son pull-over vert fétiche, aux couleurs de l’espoir, ce chandail qu’il finira par offrir à la putain noire de Harlem, la junkie qui cachait ses bras douloureux sous de longs gants et qui lui avait appris l’humanité.

Il nous crache cette envie viscérale de prendre la vie à bras-le-corps et sa rencontre avec la boxe. Il se souvient de Jean-Baptiste Mendy, qui venait de Saint-Louis du Sénégal et qui, de défaites en victoires, de chutes en sursauts, est devenu champion du monde des poids légers. « Danse, petit, danse ! », lui hurlait son entraîneur et c’est cette leçon que le comédien a retenue de celui qui est devenu son ami, son « ange boxeur ».

Il en appelle aux grands copains, ses vrais potes partis avant lui : Jean Carmet qui lui indiqua la route des vignes de Saint-Nicolas de Bourgueuil ; Philippe Léotard qui contribua à parfaire sa culture en l’initiant à la poésie ; Bernard Giraudeau, le quartier-maître avec qui il tourna Les caprices d’un fleuve (un film que j’avais beaucoup aimé) au Sénégal, pays devenu sa vraie patrie.

Et ce soir-là, il avait choisi d’évoquer plus particulièrement Roland Blanche. A l’occasion de la représentation d’une pièce de Tom Sheppard qu’ils jouaient tous les deux, et après une nuit de folie, voyant que Roland Blanche ne lui donnait pas la réplique, il avait pris le parti de simuler un évanouissement. On avait fermé le rideau et Blanche avait annoncé qu’il avait été victime d’un malaise « va-gu-al ». Il rit encore au souvenir du mètre soixante-sept de Roland Blanche sanglé dans un costume Prince-de-Galles à très grands carreaux, dont il avait même acheté deux exemplaires !

A travers eux, c’est à l’art du comédien qu’il rend hommage : pour lui, c’est un immense privilège que de le pratiquer. Ne va-t-il pas bientôt partir en tournée avec sa fille Romane ? Quel père peut se vanter de goûter ainsi au quotidien à un tel plaisir ? Et d’évoquer l’étonnement de Marcello Mastroianni devant ces acteurs français toujours fatigués, de faire l’éloge de Jean-Pierre Mocky, ce réalisateur d’une cinquantaine de films, toujours passionné malgré ses petits budgets, de fustiger enfin ceux qui ne rêvent que d’être « bankables ».

Car ce comédien, venu de la banlieue, est un écorché vif. Ses amours et ses haines, il les assène sans prendre de gants : de la gauche caviar aux acteurs qui se prennent au sérieux, ils étaient nombreux ce soir-là ceux qu’il n’a pas ménagés. Je dois dire que ce n’est pas ce que j’ai le plus apprécié dans ce spectacle, même si le trait satirique faisait souvent mouche. N’est-ce pas un peu facile de faire rire aux dépens des autres, quand on sait que le public est acquis ?

Ce que j’ai particulièrement aimé, ce sont  les moments où Richard Bohringer a évoqué « le vin du solitaire » dont il n’a eu de cesse de se séparer pour éviter à ceux qui l’aiment d’avoir du chagrin. « Si à vingt ans on veut mourir, assure-t-il, à soixante-dix ans on veut rester ! » Magnifique aussi le passage halluciné où il raconte son hospitalisation dans « le cabaret de la dernière chance » à la suite d’une méchante hépatite C. « Je suis arrivé là devant l’hôpital posé à quai comme un cargo dans le nuit. Ses lumières immobiles sous la pluie. J’étais un tout petit homme venu chercher un peu de douceur au milieu de la douleur… »

Car le comédien n’est pas l’homme « de la syntaxe » mais « de la syncope ». Sa langue est dans son corps, dure, crue, violente, viscérale, réaliste autant que poétique, un blues de la transe et de la douleur. Le regard accroché à son public, le visage crispé, le diseur blessé m’a parfois fait penser à cet autre libertaire farouche qu’était Léo Ferré. Tel un boxeur, animé par la force puissante du « grand singe » qui est en lui, il balance les mots comme des coups de poing.

Le spectateur sort de ce spectacle KO debout, assommé mais ravi. Et il se dit que décidément, oui, c’est beau, un Bohringer la nuit.

 


 

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4 décembre 2012 2 04 /12 /décembre /2012 14:34

 

 Rou-8.JPG

Sous le porche (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Cette maison-là

Ici

Et pas une autre

Aperçue pour la première fois par une chaude fin d’été

A travers la bouche bée de la boîte aux lettres

Cette maison-là

Ici

Et pas une autre

Avec son anneau sur le mur où les chevaux encensaient de la tête

Sous le porche aux doux arrondi dans le zig-zag des hirondelles noires

Avec son bassin de pierre ses délicates grenouilles vertes ses fuyants poissons rouges

Cette maison-là

Ici

Et pas une autre


Rou 10

Fenêtres sur le bassin (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Qui regarde avec ses yeux de meneaux dans le tuffeau tendre griffé de signes                                                                                                                 [ mystérieux

Recelant sous leur voûte l'ocre rouge du passé à la semblance des tomettes

Cette maison-là

Ici

Et pas une autre


Rou 11

Roses et lavandins d'été (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Au blond gravier crissant qui nageait dans la Loire et ses méandres paresseux

Avec ses toits bleu aigu ses cheminées de ciel

Où lentes déambulent et roucoulent les tourterelles grises

Et sa pierre moussue si douce sous les semelles

Quand les lavandins les roses et le thym font des mers parfumées


Rou 6

Tourterelles sur le toit (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Cette maison-là

Ici

Et pas une autre

Avec son escalier enroulé dans la tour

Et son haut fût de bois que tant de mains ont caressé

Avec le bruit de l’eau dans ses gros radiants de fonte

Le soleil d'or dansant sous les rideaux de soie

Le vent ronronnant rond au creux des âtres noirs

Cette maison-là

Ici

Et pas là-bas

Je n’en voudrais pas d’autre


Rou 9

      Le jet d'eau dans le bassin (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

 

Pour Le Défi de la Semaine n°91 des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Jill Bill : Mon chez moi, ma maison link

A lire cet autre poème sur ma maison : link

 


 

 

 

 

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4 décembre 2012 2 04 /12 /décembre /2012 00:00

 

Theatre.JPG

La Troupe du Roy dans la cour d'honneur du château de Gizeux

(Photo ex-libris.over-blog.com)

Madeleine Béjart (au premier plan), Marquise de la Gorle dite Mademoiselle du Parc (à gauche au deuxième plan), Marie Claveau dite Mademoiselle du Croisy (à droite au deuxième plan), Catherine Le Clerc dite Mademoiselle de Brie (à gauche au troisième plan), Armande Béjart dite Mademoiselle Molière(au troisième plan à droite), entre elles deux, Charles Varlet dit de La Grange et derrière Guillaume Marcoureau dit Brécourt et François Lenoir dit de La Thorillière

 

C’était dans la soirée du samedi 27 juillet 2002, au plein de l'été, dans le cadre somptueux du château de Gizeux. Le Théâtre aux Chandelles y jouait L’Impromptu de Versailles de Molière (14 octobre 1663), dans une mise en scène de Philippe Bouclet.

J'y étais Mademoiselle du Croisy, "peste doucereuse", selon la didascalie initiale. Celle-ci avait pris ce nom de scène en se remariant avec Philibert Gassot, dit du Croisy. Elle était entrée dans la troupe de Molière en 1659.

Me revient en mémoire ce que Molière disait à  sa comédienne :

« Pour vous, vous représentez une de ces personnes qui prêtent doucement des charités à tout le monde, de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seraient bien fâchées d’avoir souffert qu’on eût dit du bien du prochain ; je crois que vous ne vous acquitterez pas mal de ce rôle. »

Et comme, elle se rebiffait, arguant qu'elle n'était pas ainsi, il reprenait :

« Cela est vrai ; et c’est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne, de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur. Tâchez donc de bien prendre, tous, le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous représentez. »

Une pièce qui est une grande leçon de théâtre !

 

Pour la communauté de Hauteclaire, Entre Ombre et Lumière,

Thème : Théâtre

 

 

Theatre-2.JPG


 

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1 décembre 2012 6 01 /12 /décembre /2012 12:55

Dans le train

      Dans le train

(Photo ex-libris.over-blog.com, Effet HDR, 27 novembre 2012)

 

 

 

De Saumur à Angers

Finement dessiné

Le visage  fermé

Harmonieux magnifique

D’un profil contre la vitre

Une jeune femme

Erythréenne Egyptienne

Je ne sais

Mais une reine de Saba

Sûrement

Perdue dans les brumes ligériennes

Sous son capuchon de laine noire

Impassible indifférente

Elle rêve inlassablement

Aux sables du désert

 

Mercredi 21 novembre 2012, au matin, entre  Saumur et Angers

 Dans-le-train-3.JPG

Dans le train

(Photo ex-libris.over-blog.com, Effet HDR, octobre 2012)

 

Entrés dans le compartiment

Ces deux-là

D’une beauté évidente

Indubitable et souveraine

Suivie d’une petite fille

Huit ans peut-être

Elle blonde lumineuse

Des yeux immenses et maquillés

Je vois ses cils grassement noircis

Se mouvoir derrière le haut du siège

Lui très grand très mince

Un hidalgo

Une allure d’archange noir

Un regard sombre

Intense et sans fond

Je le saisis à l’improviste

La petite fille

(Petite sœur)

Longiligne avec des cheveux nattés

Aux couleurs de châtaigne

Et la tache coquette

D’un nœud rouge

Minuscule qui danse

Petite souris grise

Qui saute d’un siège à l’autre

J’entends une langue

Etrange et étrangère

Des consonnes qui chuintent

Des Portugais des Lisboètes

Des Brésiliens ensoleillés

Des éclairs des clics

On se prend en photo

Pour garder le souvenir

Unique irremplaçable

De leur jeunesse rayonnante

Dans ce train qui les emporte

Vers le Nord

 

Mercredi 21 novembre 2012, dans la matinée,

Entre Angers et Lille

 

Je la vois qui entre dans le wagon

Avec ses deux chiens en laisse

Elle

Très jeune avec des cheveux blonds

Qui ondulent

Sur des épaules gonflées par l’anorak

Voyageuse étudiante SDF

Qui peut le dire

Eux des chiens jumeaux

Calmes et attentifs

A elle

Qui se recroqueville

Contre la portière froide

Je n’aperçois que sa main

Qui apaise ses compagnons

Le contrôleur casquetté

De gris

Homme de loi

Ô combien respectable

Lui dit de museler ses bêtes

« Sinon Vous descendez ! »

Elle obtempère

Je vois sa petite main blanche

Qui attache maladroitement

La muselière noire

Ainsi

Souvent

Silencieusement

La vie nous musèle

 

Mardi 27 novembre 2012, dans le train entre Dunkerque et Lille,

entre 12h 35 et 13h 07

 

Dans-le-train.JPG

Dans le train

(Photo ex-libris.over-blog.com, Effet HDR, 27 novembre 2012)   

 


 

 

 


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20 novembre 2012 2 20 /11 /novembre /2012 22:26

 

 Etang.JPG

Etang de Marson

(Photo ex-libris.over-blog.com, Efet Orton, Dimanche 11 novembre 2012)

 

 

A l’infini le ciel tout en azur

Dans les bambous, un vent léger, presque froid, telle une caresse,

Sur l’onde limpide, un voile de brume,

Dans l’embrasure, le clair de lune.

Sur la haie, des grappes de fleurs, comme l’an passé-

Au fond de l’air, le cri d’une oie sauvage. De quel pays vient-elle ?

Le cœur tout inspiré, je voudrais prendre le pinceau-

Mais rougis à l’idée de me comparer au maître Dao !

 

Nguyen Khuyen (1835-1909),

in Mille ans de littérature vietnamienne, Une anthologie, Picquier poche

 

 

Blog en pause

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

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20 novembre 2012 2 20 /11 /novembre /2012 18:51

feu.JPG

 Tas de bois fumant aux lisières des bois de Rou

(Photo ex-libris.over-blog.com, Jeudi 08 novembre 2012)

 

Devant le rideau vert des arbres épargnés

Le grand feu de l’automne a mangé les racines

Les branchages vieillis et les troncs foudroyés

Pauvres arbres humiliés par les fourches caudines

Du feu dévorateur et purificateur

Qui laissera bientôt dans l’air froid et atone

De ce grand tas de terre monter comme un fantôme

L’asphyxiante senteur de la  fumée qui meurt

 

Pour la communauté de Hauteclaire, Entre Ombre et Lumière,

Thème proposé par Joëlle : le feu

 

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19 novembre 2012 1 19 /11 /novembre /2012 23:25

 

 Amour.jpg

Georges (Jean-Louis Trintignant) et Anne (Emmanuelle Riva)

 

Vendredi 16 novembre, je suis allée voir Amour, Palme d’or à Cannes en 2012. C’est la deuxième fois, après Le Ruban blanc, que le metteur en scène autrichien Michael Haneke reçoit cette distinction recherchée. Alors que j’avais trouvé la récompense du second amplement méritée, je suis plus sceptique pour Amour. Je trouve cependant, comme beaucoup bien sûr, que Jean-Louis Trintignant y est remarquable. D’ailleurs, Haneke avoue que sans sa participation, il n’aurait jamais réalisé ce film.  S’il l’a choisi, c’est parce qu’il considère que, à l’instar des très rares grands comédiens, l’acteur « garde un secret qui ne sera jamais déchiffré ».

Le film raconte l’enfermement volontaire de Georges (Jean-Louis Trintignant) auprès d’Anne (Emmanuelle Riva) son épouse, que des accidents  vasculaires successifs transforment peu à peu en un être qu’il ne reconnaît plus. Reclus dans son grand appartement, il la soigne avec patience et amour, mais l’amour peut-il tout ?

Il me semble que ce film réaliste et dérangeant pose le problème des limites de la souffrance, qu’elle soit celle du malade ou celle du conjoint. Il interroge aussi sur les capacités de résistance à la maladie qui transforme les êtres, les amoindrit, les conduit à la déchéance physique. Il pose la question de savoir si on a le droit de choisir sa mort, si on a le droit d’aider quelqu’un à mourir.

Haneke explique ainsi son propos : « Ce n’est pas la fin de vie qui m’intéressait, mais l’incapacité dans laquelle nous sommes […] de combattre les souffrances, la solitude, le désarroi des gens que nous aimons […], cette mauvaise conscience créée par cette impossibilité à aider ». Chaque personnage, muré dans sa solitude et sa souffrance, est ici une île, que rien ni personne ne peut secourir.

Pour aborder ce douloureux problème, Haneke a donc choisi le huis clos, expliquant que « cette forme était essentielle » pour être à la hauteur du sujet. Pour ce faire, dans un souci de précision extrême qui le caractérise, il a recréé en studio un endroit qu’il connaissait bien et qui est l’appartement de ses parents à Vienne. Il était ainsi parfaitement à l’aise pour y faire évoluer ses deux protagonistes.

Très peu de lumière donc dans cet espace où la vie extérieure ne pénètre que rarement. Seul les interventions du concierge espagnol (Ramón Aquirre), de sa femme (Rita Branco), d’Eva, la fille de Georges (Isabelle Huppert) viennent rompre l’obscurité de cet univers dans lequel Georges s’est reclus volontairement pour soigner son épouse très aimée. En dépit des nombreux tableaux de nature qui tapissent les murs, des livres qui garnissent la bibliothèque, du grand piano à queue qui animait autrefois le salon, l’Art et ses échappées ne servent plus de rien, les liens  familiaux ne sont plus d’aucun secours.

Haneke précise qu’il a lui-même vécu une situation similaire avec une de ses tantes ; s il ne l’avait pas connue, dit-il, il n’aurait sans doute pas abordé ce sujet universel, auquel chacun se voit confronté un jour ou l’autre. Il le fait avec délicatesse et pudeur, même s’il ne nous épargne rien  des détails matériels pénibles qui sont inévitables dans toute longue maladie. On a beaucoup dit combien les deux comédiens de quatre-vingts ans sont admirables de retenue tout en ayant accepté d’être mis à nu, comme rarement on a pu le voir au cinéma. Le metteur en scène dit avoir voulu « saisir » le spectateur mais « ne pas l’étouffer » en lui laissant « la liberté de penser par lui-même ».

Cela est sans doute vrai puisque la scène finale est vue par certains comme un acte d’amour alors que d’autres y lisent un geste de désespoir. On demeure dans l’ignorance des motivations de Georges qui, reclus dans sa petite chambre, emporte son mystère avec lui. Certains diront que le symbolisme du pigeon emprisonné puis relâché est synonyme de délivrance ; tout comme le sont les dernières images qui montrent Georges et Anne, revêtant leur manteau comme s’ils sortaient pour aller à un concert, ainsi qu’ils en avaient l’habitude avant la maladie d’Anne.

Pourtant si Haneke assure ne rien proposer au spectateur, l’impression générale du film demeure d’un grand pessimisme. Les tentatives d’aide des concierges n’ont aucun écho. La visite de l’ancien élève pianiste  d’Anne, Alexandre (Alexandre Tharaud), la fait souffrir plus qu’elle ne lui fait plaisir, quoi qu’elle en dise. Les liens familiaux de Georges, enfermé dans sa souffrance, avec sa fille, isolée dans son incompréhension et son égoïsme, se distendent ; l’incompréhension les sépare et, comme le père le dit à sa fille, son inquiétude ne lui est d’aucune utilité. Quant à l’admirable musique de Schubert, elle sera impuissante elle aussi à apaiser Anne, ce professeur de piano qui ne vivait que par et pour la musique.

Ainsi, dans ce beau film, à la mise en scène sobre et froide, voire distante, j’ai cherché en vain un petit pan de ciel. Et en sortant de la salle de cinéma, j’ai pensé à la phrase qu’on attribue à Goethe au moment de sa mort : « Mehr Licht ! »

 

Sources :

Allo-Ciné

Ciné Obs : Michael Haneke : « Sans Trintignant, je n’aurais pas fait Amour », par Pascal Mérigeau

L’Express : « Il faut saisir le spectateur, pas l’étouffer »

 

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19 novembre 2012 1 19 /11 /novembre /2012 14:45

 

william-Dyce-1837-national-galleries-of-scotland-edimbourg.jpg

      Francesca da Rimini, William Dyce, 1837,

        National Galleries of Scotland, Edimbourg

 

 

 

Tendre et  ténu

Chaste et charmant

Pudique et pur

Elan fugace des lointains

Balbutiement et bégaiement

Hésitation aimantation

Comme un frémissement d’ailes

Tel un frisson venu de l’âme

Toujours

Je me ressouviendrai

Du goût de ton premier baiser

 

Pour Mil et Une,

Thème : le baiser

link

 


 

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19 novembre 2012 1 19 /11 /novembre /2012 08:00

 

 Magritte-les-amants.jpg

      Les Amants, René Magritte, 1928

 

 

Il y a peu de l’amour à la haine

Du paradis vers la géhenne

De la passion à l’aversion

De la tendresse à l’abandon

Il n’est qu’une lettre à changer

Un son fragile et étranger

Toi que j’adore et que j’abhorre

Rien que le temps du never more

 

 

Pour le Défi de la Semaine des Croqueurs de Mots n°90,

Thème proposé par Suzâme : écrire un texte en utilisant deux paronymes

 

 


 

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Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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