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10 février 2014 1 10 /02 /février /2014 22:25

 les-vendanges-rouges-vangogh.jpg

      Les vendanges rouges, Vincent van Gogh

 

Au soleil de septembre
Sur le coteau qui penche
Par-delà les rangs verts
Nos deux voix s’appelant
Parmi les sarments noirs 
Nos deux mains se cherchant
Tout au travers des pampres
Nos regards se vrillant

Au soleil de décembre
Dans les années qui penchent
Pour toujours savourer
Cet amour titubant
J'en ai goûté la pulpe
Recraché les pépins

 

Pour le Prix Orange de la saint Valentin, de Short Edition link

 

 

 


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7 février 2014 5 07 /02 /février /2014 18:54

 

Damien du toit

Kolmanskop, Ville fantôme, Damien du Toit, 2006

 

 

Ma vie

Une marche tout au long de couloirs

Blancs

Où des portes  s’ouvrent

Sans bruit

Ma vie

Une déambulation dans des corridors

Sans fin

Où des battants glissent

En silence

Ma vie

Une avancée dans les sables mouvants

Du temps

Comme dans un tableau déchiré

De Vilhelm Hammershᴓi

 

Pour Mil et Une, link

sur un tableau de Damien du Toit, Kolsmankop

 

hammershoi.jpg

      Portes ouvertes, Vilhelm Hammershoi, 1905

 

 

 

 

 


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4 février 2014 2 04 /02 /février /2014 19:20

PR-III.jpeg

Samedi 1er février 2014, les Saumurois retrouvaient (link) le comédien Pierre Richard, seul en scène dans son spectacle intitulé Pierre Richard III, mis en scène par Christophe Duthuron.  Il s’agit de son troisième one man show après Détournement de mémoires (2003) et Franchise postale (2006), vu aussi à Saumur en 2011. Le titre s’explique ainsi parce que c’est le troisième volet d’une trilogie autobiographique racontant les souvenirs du comédien. Quant au personnage de Richard III, le boiteux monstrueux, il est bien sûr emblématique du théâtre, de ses folies et de ses excès.

Le spectacle débute avec l’évocation d’une rencontre entre Pierre Richard et un spectateur qui s’étonne de le voir changé depuis la veille au soir où il l’a vu à la télévision dans Le Grand Blond avec une chaussure noire ou Le distrait : « Eh bien, alors, ça alors, vous avez pris un sacré coup de vieux depuis hier soir, qu’est-ce qui s’est passé ? – Qu’est-ce qui s’est passé ? Quarante ans, abruti ! » Ponctué d’extraits de films, le comédien vif-argent va ainsi égrener ses souvenirs de pierrot lunaire. Il évoluera sur scène entre une série de projecteurs à cour et un bon vieux fauteuil-club avec un poste de radio d’antan à jardin. Vêtu sobrement d’un pantalon et d’un gilet sombre sur une chemise blanche, le comédien à la barbe blanche, à la silhouette toujours alerte, se souvient de ses rencontres, de ses tournages et philosophe sur le temps qui passe.

PierreRichardIII

Il évoque avec mélancolie et humour ceux qui furent ses compagnons de route. Il y a d’abord Yves Robert, ce Bébert qui « concevait la création comme une récréation » et qui lui disait : « T’es pas un acteur, t’es un personnage ! » Ne lui fit-il pas  le cadeau de l’inoubliable Grand Blond avec une chaussure noire ? Il rappelle avec exaltation sa première rencontre de plateau avec Mireille Darc, lorsque celle-ci lui tourne le dos dans sa sublime robe noire qui vient mourir jusqu’au bas de la taille. Il nous parle avec émotion de la meilleure comédienne du monde, cette figurante du film Alexandre le Bienheureux, une certaine Augustine, qui n’avait qu’une seule réplique à dire et qui sut trouver le ton juste, dès la première prise. Il reconnaît que Francis Veber, c’était bien « une main de fer dans un gant de crin » ! Il se souvient avec tendresse de Jean Carmet, le copain parti trop tôt, celui qui osait tout : « On rêve toujours de changer le monde ; lui, il le faisait ! » Devant les scènes vidéos du Fugitif, dans lesquelles Gérard Depardieu plein d’énergie ne le ménage guère, il reconnaît que « tourner avec Gérard, ça aussi c’est un sport de l’extrême ! » Commentant une scène particulièrement violente, il ajoute : « Dix-sept prises, on a fait ! Et après, on s’étonne que j’ai des absences ! » A l’occasion d’un tournage mémorable avec Gérard Oury, il se remémore les mésaventures subies avec constance par le metteur en scène, mille fois plus maladroit que lui - et ce n’est pas peu dire -  qui ne se départait jamais de son optimisme foncier. Enfin, il recrée pour nous une représentation pluvieuse et calamiteuse de Richard III avec une Reine, Valentine Tessier, affublée d’un appareil auditif, un Polonius joué par un acteur suffisant et sûr de lui, et un âne improbable.

Seul en scène, pendant une heure vingt, Pierre Richard a ainsi revécu pour nous les personnages gaffeurs et rêveurs de tous ces films burlesques, qui font désormais partie de notre imaginaire cinématographique. A mi-chemin entre Tati et Chaplin, toujours bondissant et armé de son inaltérable bonne humeur, en équilibre entre passé et avenir, le clown timide nous a surtout fait comprendre qu’en dépit du temps qui passe, « on peut toujours rêver » !

 

 

 


 

 

 

 

 

 

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1 février 2014 6 01 /02 /février /2014 10:03

 

 Philomena-c-photo-alex-bailey.jpg

Philomena Lee (Judi Dench) et Martin Sixsmith (Steve Coogan) dans Philomena de Stephen Frears

(Crédit photos, Alex Bailey)

Hier après-midi, dernier jour d’un janvier pluvieux, bien au chaud dans la salle de cinéma, j’ai vu Philomena de Stephen Frears. Sorti en salle le mercredi 8 janvier 2014, ce long métrage raconte l’histoire vraie d’une Irlandaise, Philomena Lee (Judi Dench). En 1952, elle se retrouve enceinte adolescente et elle est internée au couvent de Roscrea. Elle y met au monde son fils Anthony (scène terrible de l’accouchement douloureux imposé comme une punition par les religieuses !) qui lui est arraché alors qu’il a quatre ans pour être donné à l’adoption par une famille américaine. Le jour de l’anniversaire des cinquante ans de ce fils disparu, Philomena délivre son lourd secret à sa fille. Mue par un désir irrépressible, la vieille dame décide de partir à sa recherche, aux Etats-Unis. Elle sera aidée dans sa quête fragile par le journaliste Martin Sixsmith (Steve Googan), ex-reporter pour la BBC. Celui-ci prend fait et cause pour Philomena alors qu’au début il se refusait à faire du journalisme de « l’aventure humaine ».

Philomena-et-anthony.jpg

Philomena jeune (Sophie Kennedy Clark) et son fils Anthony

(Crédit photos Alex Bailey)

Le film est adapté du livre de Martin Sixsmith, The Lost Child of Philomena (édité aux Presses de la Cité, sous le titre de Philomena). L’acteur Steve Coogan et Jeff Pope, les scénaristes, ont un peu infléchi le sens de l’œuvre en faisant de la relation entre la vieille infirmière et le journaliste le fil conducteur de l’histoire. Celle-ci est ici racontée du point de vue de son auteur et présente les faits qui ont mené Sixsmith à écrire son œuvre. C’est en lisant une interview de ce dernier et en voyant une photo de lui, assis à côté de Philomena sur un banc, que Steve Coogan a eu envie d’adapter le livre. Il explique en effet qu’il a été « saisi par […] le duo improbable qu’ils formaient ».

Ce duo cinématographique, que tout oppose au départ, fonctionne pourtant à merveille. Martin Sixsmith, issu d’Oxbridge (conjonction d’Oxford et de Cambridge) ainsi que le répète facétieusement Philomena, est un intellectuel athée et blasé mais rendu vulnérable par son licenciement récent qu’il essaie d’accepter avec un humour tout britannique. Au départ, il a bien du mal à faire équipe avec cette vieille Irlandaise, férue de romans à l’eau de rose, qui a conservé la foi du charbonnier en dépit de ce qui lui est arrivé. Petit à petit, ces deux-là vont s’apprivoiser dans un respect mutuel de leurs convictions et de leurs contradictions.

Judi Dench a rencontré plusieurs fois la vraie Philomena et elle précise : « Son souhait était qu’on lui rende justice. Son histoire devait être racontée. Je ne peux pas m’imaginer comme elle dans de telles circonstances même si je crois en Dieu. » On voit bien d’ailleurs dans le film comment évolue Philomena : d’abord elle ne souhaite pas que son histoire, qu’elle considère comme privée, soit publiée ; puis, influencée par les réactions passionnées de Martin Sixsmith, elle finit par y consentir.

Philomena-julie-dench.jpg

Philomena Lee (Judi Dench)

C’est vraiment un magnifique personnage que cette Philomena Lee, dont Steve Coogan dit avec tendresse qu’ « elle a quatre fois vingt ans ». Judi Dench, la grande comédienne de théâtre anglaise l'interprète avec sobriété et tendresse. Et Steve Coogan de préciser : « Dès le début, elle a voulu pardonner. On a un peu de mal à comprendre mais c’est justement ce qui fascine en elle. Même si le film critique l’institution catholique, ce n’est pas une attaque contre l’Eglise, ce serait trop simpliste. » On notera à ce propos le personnage de la jeune religieuse Annunciata qui prend en cachette une photo du petit garçon de Philomena pour la lui donner ; et c’est le seul souvenir concret qu’elle aura jamais de lui. Aucune volonté de vengeance chez la vieille dame qui a gardé ses habitudes de prière quotidienne et qui se refuse à ce que Martin Sixmith fasse un scandale chez les religieuses de Roscrea lorsque le voile aura été levé sur les agissements hypocrites de l’horrible sœur Hildegrade. La scène où celle-ci crie sa haine et sa frustration, contre les filles « pécheresses » est d’une grande cruauté et d’une violence terrible.

C’est beau, aussi, de découvrir une Philomena qui vit dans le souvenir émerveillé de cet instant d’amour, lors de la fête foraine, où elle a succombé entre les bras d’un jeune homme qu’elle n’a pas oublié. Ne dit-elle pas avec une naïveté pleine de franchise : « Pourquoi Dieu nous doterait-il d’un instinct sexuel s’il voulait qu’on y résiste ? » La manière dont est traité encore l’attachement à la terre irlandaise m’a beaucoup plu. Philomena, au cours de sa quête, s’interroge sans cesse : « Anthony parlait-il de l’Irlande ? » La fin du film, contre toute attente,  comblera ses espoirs. On notera que l’Irlande, qu’elle soit verte ou sous la neige, est ici magnifiquement filmée.

Sur le même thème, j’avais aussi beaucoup aimé le film de Peter Mullan, The Magdalena Sisters (2002), plus manichéen sans doute et plus polémique. Le film de Stephen Frears, tout en nuances grâce au jeu des deux personnages, et oscillant sans cesse entre les rires et les larmes, est davantage une invitation au pardon et à la résilience.

philomena-les-deux-2.jpg

Philomena Lee (Judi dench) et Martin Sixmith (Steve Coogan)

(Crédit photos Alex Bailey)

 

 


 

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29 janvier 2014 3 29 /01 /janvier /2014 14:56

utamaro-portrait-d-une-courtisane-fumant-la-pipe.jpg

Courtisane à la pipe, Utamaro

 

La première fois qu’il avait vu Yukiko une cigarette aux lèvres, il était demeuré pétrifié. Cela était en complète contradiction avec la vision qu’il avait de la femme du Japon, d’un blanc de craie, aux yeux mi-clos, et tellement soumise  sous son échafaudage de cheveux aile de corbeau. Non, vraiment, cela offensait son sens de l’esthétique, sa conception de la femme extrême-orientale.

Et pourtant, il n’avait rien osé lui dire. Il avait attendu que les jours se passent, que le temps se dévide, qu’il découvre qu’elle n’était pas du tout celle qu’il aimait ou plutôt qu’il avait cru aimer. Et puis, un jour, par hasard, dans une galerie de peinture, il avait vu une composition d’Utamaro, intitulée « Courtisane à la pipe ». Ce moment lui était resté fiché en plein cœur, telle une épingle de chignon en nacre, et il avait su définitivement qu’il ne l’aimait plus.

 

Pour le défi des Croqueurs de mots n°115.

 Choisir des mots dans son livre de chevet : p. 12, le 3, p. 15, le 8, p.20, le 5, p. 35, le 11, p. 38, le 10, p. 45, le 6, p. 53, le 7, p. 67, le 24, p. 78, le dernier, dernière page, le 1.

Les mots ont été choisis dans le roman de Thomas B. Reverdy, Les Evaporés.

 

 

 

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28 janvier 2014 2 28 /01 /janvier /2014 18:28

Dramuscules.jpg

 Judith Magre et Catherine Salviat dans Dramuscules de Thomas Bernhard

 

Dimanche 26 janvier 2014, bravant la pluie fine qui tombait sur Paris, ma fille et moi nous nous sommes rendues au Théâtre de Poche, un tout petit théâtre de 130 places, boulevard du Montparnasse. Nous y avons assisté à Dramuscules, trois courtes pièces corrosives du dramaturge autrichien Thomas Bernhard (1931-1989), traduites par Claude Porcell, dans une mise en scène de Catherine Hiegel. Ce titre est la contraction des mots « drames » et « minuscules », en allemand Dramolette. Ces pièces furent écrites un an avant la mort de l’écrivain et concentrent sa haine de l’hypocrisie ambiante. Elles témoignent également de ses rapports torturés avec son pays d’origine et de sa difficulté à se considérer comme autrichien. Très marqué par son séjour dans un centre d’éducation nazi lors de son adolescence, rongé par une tuberculose pulmonaire, il se sentira toujours étranger à sa terre natale. C’est l’écriture qui lui permettra d’exorciser son mal-être.

Dans un décor d’une extrême sobriété habité de deux praticables, que déplace Antony Cochin, machiniste en culotte de peau (qui jouera aussi le rôle du Fossoyeur et de Kroll), nous assistons aux dialogues entre deux petites dames bien comme il faut. Vêtues de vestes Chanel sur des jupes droites, coiffées, l’une d’un chapeau de velours, l’autre d’un béret de laine, ces personnages lambda n’ont d’ailleurs pas de nom. La grande Judith Magre interprète la Première femme et la Première voisine ; Catherine Salviat, ex-sociétaire de la Comédie-Française, est la Deuxième femme et la Deuxième voisine. C’est peu de dire qu’elles apparaissent monstrueuses dans ces scènes de la vie quotidienne, où se déploient la bêtise et la haine ordinaires, sur fond de musique miliatire teutonne.

Dans Un mort (pour deux actrices et une route), les deux femmes sortent de l’église après le rosaire et découvrent ce qu’elles croient être un corps enveloppé dans du papier d’emballage. Au terme de leurs conjectures et supputations stupides sur la mort, elles se rendront compte que ce paquet ne renferme que des affiches à la gloire d’une idéologie nazie renaissante. A la voix doucereuse et mièvre de la Deuxième femme répond la voix dure et catégorique de la Première femme, plus choquée par le fait que son militant de mari ait perdu les placards que de la présence des croix gammées qui y sont dessinées.

Le Mois de Marie met en scène deux voisines bigotes, qui font des ragots sur la vie du village. Tandis que le Fossoyeur creuse la tombe de Monsieur Geissrathner (un homme si bien qui récoltait des fonds pour le Sahel !), les deux commères commentent la manière dont est mort ce dernier, dans une chute de vélo, malencontreusement occasionnée par un Turc. Dans un dialogue cruel qui fait frémir, elles éructent leur haine de l'étranger, transformant celui-ci en un être abominable.

Enfin, dans la troisième pièce, intitulée Match, on passe de la sphère publique à la sphère privée. Tandis que son mari, le policier Kroll, regarde un match à la télévision, Maria (Judith Magre) son épouse, vêtue d’un déshabillé jaune, repasse son habit de policier, en bien mauvais état. L’occasion pour elle de crier sa haine contre la jeunesse tandis que son mari invective les joueurs en les traitant de « Pauvres cons ! » Entre eux, par ailleurs, aucune communication ; ils sont murés dans leur détestation et leurs obsessions.

Judith-Magre.jpg

Judith Magre dans Match, la troisième pièce de Dramuscules

Si Catherine Hiegel a choisi ces trois courtes pièces, c’est, bien sûr, d’abord « pour avoir le bonheur de retrouver Judith Magre et Catherine Salviat ». Mais c’est, sans doute, surtout, parce que, explique-t-elle, « la dénonciation du racisme et de la bêtise ordinaire qui traverse toute l’œuvre de Thomas Bernhard […] se trouve ici portée jusqu’à l’incandescence, frôlant la tragédie humaine dans un grand rire salutaire ».

Certes, on rit à ces farces grinçantes, ces anecdotes grotesques amplifiées par le comique de répétition ; on admire comment le dramaturge autrichien insère la phraséologie politique dans ces dialogues cruels ; on est frappé par la réitération des motifs, la scansion, les modulations du texte dont les deux comédiennes jouent subtilement ; on saisit comment une parole banalisée peut devenir mortifère. Et par les temps qui courent, quand certains ne s’avancent même plus masqués, on est sensible à ce second voire troisième degré, et on se dit, avec angoisse, que la "bête immonde" est toujours prête à renaître.

Alors, justement, est-il besoin d’insérer entre la deuxième et la troisième farce, cette interrogation orale que Catherine Salviat soumet aux spectateurs ? Dans la lumière revenue, un petit carnet de citations à la main, elle lance à la volée des phrases racistes et antisémites, prononcées par des personnages célèbres. Avec, à la clé, des places de théâtre gratuites pour celui qui aura donné trois bonnes réponses ! (Pour ma part, je n’aurais répondu qu’à deux questions… et personne ne gagnera.) Le spectateur n’est pas stupide, il comprend le message et point n’est besoin d’en rajouter avec ces phrases sorties de leur contexte, de Voltaire à Gilles Bourdouleix en passant par Giraudoux et de Gaulle. En effet, en procédant ainsi, en citant par exemple la première phrase de « De l’esclavage des nègres », une argumentation éminemment ironique, Montesquieu ne devient-il pas un horrible esclavagiste ? Il me semble qu’il eût été plus judicieux de proposer au spectateur deux ou trois autres  « dramuscules », le recueil complet en comptant je crois une dizaine. Cela aurait d’ailleurs rendu la représentation un peu plus longue, celle-ci durant une heure pile, et les places étant très chères !

Ces réserves faites, je n’ai pas boudé mon plaisir et j’ai admiré Judith Magre, cette comédienne passionnée qui hante les planches depuis soixante ans. Son jeu excessif et cruel se met excellemment ici au service de Thomas Berhnard qui se définissait ainsi : « Je suis l’artiste de l’hyperbole et ma tâche est de choquer, de secouer les gens dans leur confort moral. »

 

Sources :

Le programme de Dramuscules

 

 

 

 

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23 janvier 2014 4 23 /01 /janvier /2014 18:45

 

Apollinaire-et-annie-Playden.jpg

Annie Playden et Guillaume Apollinaire

 

La tzigane

 

La tzigane savait d’avance

Nos deux vies barrées par les nuits

Nous lui dîmes adieu et puis

De ce puits sortit l’Espérance

 

L’amour lourd comme un ours privé

Dansa debout quand nous voulûmes

Et l’oiseau bleu perdit ses plumes

Et les mendiants leurs Ave

 

On sait très bien que l’on se damne

Mais l’espoir d’aimer en chemin

Nous fait penser main dans la main

A ce qu’a prédit la tzigane

 

Cette suite de trois quatrains d’octosyllabes aux rimes embrassées appartient au cycle rhénan du recueil Alcools d’Apollinaire. Le poète, alors précepteur de la fille de la vicomtesse de Milhau en Rhénanie, y chante son amour malheureux pour la gouvernante de la maison, Annie Playden. Commencé à l’automne 1901 et après maints atermoiements, leur amour verra sa fin en mai 1904, quand Annie émigrera aux Etats-Unis.

Dans ce poème,  j’aime l’association de l’image surprenante de l’amour comparé à « un ours privé » (on remarquera l’absence de complément de l’adjectif) à celle plus classique de « l’oiseau bleu ». Le lexique péjoratif et privatif, les nombreuses assonances en [i] contribuent à créer une sorte de plainte dolente qui demeure sans écho. Le personnage de la tzigane, qui ouvre et clôt le poème, connote le thème du destin mais aussi celui de l’errance amoureuse.

Suspendu entre folle espérance et sentiment d’échec, ce poème est bien l’ « expression à la fois moderne et sans âge » du destin d’un poète qui demeure à jamais le Mal-Aimé.


Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de mots :

Thème : hasard ou destin

 

 

 


 

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20 janvier 2014 1 20 /01 /janvier /2014 16:45

 

alice-et--le-chat-de-Chester.jpg

 Alice et le Chat du Cheschire

 

Samedi 18 janvier 2014, à 20h 30, l’espace événementiel du Breil à Saumur accueillait le Cirque de Chine de Tianjin dans une adaptation d’Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll. En une quinzaine de tableaux féériques, les vingt-cinq artistes chinois ont revisité pour nous les aventures de la petite Anglaise mythique.

Tout comme Alice à la poursuite du Lapin blanc et qui se retrouve dans un monde inconnu, les sept cents spectateurs se sont retrouvés dans une Chine lointaine et circassienne grâce à des numéros traditionnels virtuoses : rubans, monocycles, antipodisme, contorsion, jonglage, diabolo, cerceaux, jeux de jarres, équilibre, acrobatie, maniement des drapeaux…


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Alice et le Lapin blanc


Ce « cirque-poème » débute avec la célèbre promenade en barque sur la rivière Isis que fit Charles Lutwidge Dogson, alias Lewis Carroll, avec Alice Liddell, en 1862. C’est au cours de cette balade que le mathématicien conteur raconte à la petite fille une histoire de son invention, Alices’s Adventures Underground, qui deviendra Alices’s Adventures in Wonderland. On sait que l’héroïne était accompagnée de ses deux sœurs : Lorina Charlotte (13 ans) et Edith (8 ans). La mise en scène présente ainsi Alice à travers trois artistes, d’âges différents, vêtues d’un tutu bleu et chaussées de ballerines. Ce trio symbolise le passage à l’adolescence que fut pour la petite fille ce voyage initiatique, commencé par une descente au fond d'un terrier. Celle-ci est rendue par une voltige sur deux rubans, le long desquels la jeune artiste glisse avec souplesse et vélocité.

Pendant tout le spectacle, l’écrivain, qui joue avec une boule magique, accompagne Alice et entretient avec elle un dialogue tout fait de compréhension, d’inquiétude et de surprise. Ainsi, j’ai beaucoup aimé le tableau très poétique où il converse avec sa création, enfermée dans un immense rond transparent. A la fois proche et lointaine, elle semble lui échapper, tout comme Viviane échappa à Merlin.


alice-et-lewis.jpg

Alice et Lewis Carroll

 

Il n’était pas évident de transposer ce conte anglais célébrissime dans l’Empire du Milieu. Mais Alice elle-même ne s’interroge-t-elle pas : « Suis-je en Nouvelle-Zélande ou en Australie ? » ? On reconnaîtra que la mise en scène inventive de Fabrice Melquiot, assisté de Petros Sevastikoglou, Julie Vilmont pour le jeu de l’acteur et Guo Xingli pour les acrobaties, a su déjouer les écueils de cette adaptation. On le doit aussi et surtout à de jeunes artistes étonnants dont l’énergie et la poésie ont fait notre admiration.

Au cours de sa déambulation dans des rues bordées de gratte-ciel aux lumières électriques, dans des bars bruyants, en quête de l’éventail et des gants, la petite Alice découvre la course folle du Lapin blanc, les fascinantes contorsions du Chat du Cheshire, les ascensions de Pat et de Bill sur l’échelle à l’assaut de la petite maison où elle est emprisonnée. Le chapitre du « thé chez les fous » en compagnie du Chapelier devient une folle soirée dans une rougeoyante discothèque où l’on rencontre des équilibristes, costumées en barmaids, qui jouent avec des chandeliers allumés, une magicienne au masque chinois qui fait voler une table ou encore des jongleuses qui font tournoyer de multiples assiettes sur des bâtons.


alice-discotheque.jpg

Dans la discothèque chinoise

 

On pénètre encore dans la cuisine de la Duchesse et du Bébé qui se transforme en petit cochon. Les cuisiniers, armés de grands poivriers et éternuant sans discrétion, y mélangent la soupe avec énergie, et y plongent êtres humains et animaux. On y rencontre le Chien, interprété par deux artistes, sous la forme des célèbres dragons chinois. Ce chapitre donne lieu encore à un exceptionnel jeu de jarres. Ce mélange de fantaisie et de cauchemar, un des traits caractéristiques de l’œuvre de Lewis Carroll, est ici particulièrement bien rendu.

Le metteur en scène fait encore un clin d’œil à la situation politique de la Chine. On sait en effet que le conte de Lewis Carroll peut être lu comme une remise en cause d’un ordre victorien corseté et qui brima les enfants. Sur l’affiche qui représente la Reine de Cœur (Queen Mao !), celle qui répète sans cesse « Qu’on lui coupe la tête ! », des opposants viennent placarder une affiche avec le mot « Democraty ». C’est l’occasion d’un affrontement chorégraphié entre les soldats et les courtisans de la Reine de Cœur vêtus de rouge, et les manifestants habillés de noir. Puis les champions de chaque parti, costumés en catcheurs, s’opposeront à travers un beau numéro de voltige sur rubans. Enfin, la Reine de Cœur, dressée sur un pavois constitué d’une carte à jouer, proposera un remarquable jeu avec les cartes, sorte de magistral feu d’artifice, qui les enverra jusque parmi les spectateurs.


Alice-la-reine-et-le-lapin-blanc.jpgAlice, la Reine de Coeur et le Lapin blanc


Ce défi permanent à l’espace, à l’équilibre, que pratiquent avec maestria ces jeunes artistes chinois, est au service de la provocation du langage, chère à Lewis Caroll. Les couleurs, le mouvement perpétuel, l’occupation permanente de la scène, la musique rêveuse ou rythmée,  exaltent au plus haut point la fantaisie du texte de l’écrivain anglais. On regrettera peut-être une musique un peu trop envahissante parfois, qui nuit à une bonne écoute de la voix off.

Ainsi, grâce à ces jeunes Chinois qui paraissent éternellement jeunes, ce spectacle enlevé et ludique fait la part belle à l’imaginaire enfantin. On relira alors à propos l’épilogue du conte de Lewis Caroll dont la conclusion est laissée à la sœur d’Alice : « Elle était certaine que, dans les années à venir, Alice garderait son cœur d’enfant si aimant et si simple ; devenue femme, elle rassemblerait autour d’elle d’autres petits enfants, ses enfants à elle, et ce serait leurs yeux à eux qui deviendraient brillants et avides en écoutant mainte histoire extraordinaire, peut-être même cet ancien rêve du Pays des Merveilles. » Et, devant les merveileux artistes du Cirque de Chine, les spectateurs ébahis sont vraiment redevenus de tout-petits enfants.


alice-jongleurs-chapeaux.jpg

Alice et les jongleurs de chapeaux

 

 


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20 janvier 2014 1 20 /01 /janvier /2014 11:54

 

 arbre-aux-corbeaux-friedrich.jpg

L'arbre aux corbeaux, Caspar David Friedrich, 1822

 

Mes envies

un défi

Ma douleur

un corps écorcé

Et l’arbre que je suis

sculpté par la mort

 

Textoésie envoyé le 19 janvier 2014 à 12h 05,

en réponse au textoésie de Suzâme reçu le 18 janvier  2014 à 11h 39 link

 

 

 

 

 


 

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16 janvier 2014 4 16 /01 /janvier /2014 22:15

pasolini-et-son-frere.jpg 

      Pier Paolo Pasolini et son frère Guido

 

Ma fille m'a offert pour Noël un recueil de poèmes de Pier Paolo Pasolini, intitulé Adulte ? Jamais, dans une belle édition bilingue. Ces poèmes, choisis, présentés et traduits de l'italien par René de Ceccaty, sont pour moi une véritable découverte, ignorante que j'étais de cet autre pan de l'oeuvre du cinéaste italien au destin tragique. Ce sont pour la plupart des textes inédits qui n'avaient jamais été traduits.

Je vous propose ici un court poème, "Le miroir", extrait de Le Cose (Les choses, 1943-1947). Le projet ne fut pas publié du vivant de Pasolini. En 1962, il publiera un roman intitulé Il sogno di una cosa (Le Rêve d'une chose, Gallimard, 1965), écrit à son arrivée à Rome en 1950.


Le miroir


Nu le miroir contemple

La solitude en lui-même,

Un ciel blanc et immense

Qui scintille dans le néant.

C'est le plafond. C'est l'ennui

De mon enfance.

Oui, là, sur l'argent lisse

Il y a la main très ancienne

D'Abel petit garçon.


Lo specchio

 

Nudo lo specchio garda

in sé la solitudine,

un cielo bianco e immenso

che scintilla nel nulla.

E il soffitto. E la noja

della mia fanciullezza.

Si, li nel liscio argento

c'è la mano antichissima

d'Abele fanciullino.

 

En quelques vers, à travers cet objet ô combien symbolique qu'est le miroir, le poète nous fait ressentir la solitude extrême de son enfance. Dans le miroir, aucun visage humain, mais une étendue vaste, désertée, sans couleur. Seul la traverse (comme un appel au secours, un geste de défense ou une invite) la main d'un petit Abel, dont le nom évoque toutes les violences du monde. On sait que les deux frères Pasolini mourront assassinés, Guido par des partisans titoistes, Pier Paolo par Pino Pelosi mais celui-ci n'était sans doute pas seul.

 

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Jeanne Fadosi : concret

 

 

 

 

 

 


 



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Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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