Portrait de Joseph Denais, amateur passionné
Visiter le musée Joseph Denais, à Beaufort-en-Vallée, petite cité endormie du Val de Loire, à l’ombre de l’église Notre-Dame, c’est pénétrer dans le rêve d’un homme. Celui de Joseph Denais (1851-1916), un journaliste philanthrope, qui aspira à vulgariser la connaissance de son temps auprès de ses concitoyens.
C’est ainsi qu’au fil de ses nombreux voyages (Europe centrale, Turquie, Scandinavie…), il constitua une fabuleuse collection d’objets, où l’Art voisine avec la Science et l’Histoire. Ce faisant, ses découvertes se métamorphosent en un extraordinaire cabinet de curiosités, tel que le conçoivent la Renaissance et les Lumières.
Ce sont en effet les princes mécènes de la Renaissance qui sont à l’origine de ce lieu insolite. Studiolo ou cabinet d’étude pour les Italiens, Wunderkammer (chambre des merveilles) en Allemagne, cabinet de curiosités ou « magazin du monde » chez les Français, c’est un endroit dévolu à l’étude ou à la lecture voire un laboratoire d’alchimiste. Cependant, en exposant des objets rares, issus aussi bien de la Nature que de la main de l’homme, il se veut surtout miroir du monde.
Ancêtre du musée moderne, le cabinet de curiosités connaît son heure de gloire au XVIII° siècle et décline au XIX° siècle avec la spécialisation des collections. La diffusion de l’instruction publique à la fin de ce même siècle lui redonne un certain lustre avec la volonté de démocratiser la connaissance et les aspirations philanthropiques, qui seront celles de Joseph Denais.
Fondé sur le principe de comparaison, le cabinet d’amateur du Beaufortain a pour moteur la curiosité, mot-clé pour ce chercheur invétéré que fut ce collectionneur passionné. Reflet de l’état de la connaissance à un moment donné de l’Histoire, il est en même temps une fabuleuse porte ouverte sur l’imaginaire. Des empreintes de dinosaures aux impedimenta du soldat de la guerre de 1970, en passant par le miel du tombeau de Napoléon ou une taupe albinos, le visiteur évolue de la Science à l’Histoire par les chemins les plus improbables. Chaque salle, restaurée depuis peu dans son installation d’origine, recèle son lot de surprises et chacun peut y butiner à sa guise selon ses goûts, ses envies, ses caprices.
Ainsi, j’ai souri devant la canne, agrémentée d’une gourde et d’une sonnette, que le poète angevin, Emile Joulain, le « Gas Mile », avait inventée pour lui-même. Devant rouets et navettes, j’ai aimé imaginer la vie travailleuse des Beaufortains, à qui Jeanne de Laval, seconde épouse de René d’Anjou, avait octroyé les prés communaux qui firent leur richesse. Spécialisés dans la culture du chanvre, ils confectionnèrent pendant longtemps les voiles pour la batellerie de Loire. J’ai admiré la finesse extrême des plaques d’émaux du XVI° siècle, représentant des scènes mythologiques, et les formes végétales, utilisant mats et brillants et flammés rouges, de la manufacture de Sèvres à la fin du XIX° siècle.
J’ai été séduite par l’atmosphère élégante d’un pastel de Giuseppe de Nittis (de 1883), illustrant le salon mondain de Mathilde Bonaparte. J’ai frémi en retrouvant une épreuve en bronze noir de La petite châtelaine aux cheveux tout à jour de Camille Claudel, qui voisine avec un merveilleux arbre aux oiseaux taxidermisés. J’ai été particulièrement émue par un rustique sarcophage d’enfant en terre cuite, d’époque thébaine (1 500-1 200 av. J-C), et par ces ouchebis, serviteurs fidèles des morts égyptiens, pour qui ils assurent les tâches quotidiennes dans l’éternité. J’ai rêvé devant cette naïve et mystérieuse Vierge de Nuremberg, qu’affectionnait particulièrement Joseph Denais : dans une aura d’écritures cyrilliques, elle porte le Saint-Esprit brodé sur sa robe.
Perdue dans cet océan d’objets rares et surprenants, venus du fond des âges, et pour conclure cette visite passionnante, j’aimerais céder la parole au collectionneur Antoine de Galbert. Ses acquisitions voisinent jusqu’au 02 novembre 2011 avec celles de Joseph Denais (Exposition, Joseph et moi, Galbert-Denais, Portrait croisé de deux collectionneurs). J’adhère en effet à ce qu’il dit avec sagesse : « Collectionner ne sert à rien […] Il s’agit simplement d’une utopie qui nous fait supporter la perspective du jour où il faudra de toute façon traverser le fleuve sans femme sans amis, sans enfants, sans chiens, et bien sûr sans objets, lesquels, eux… nous survivront. » Cette collection unique nous le rappelle à bon escient.
Voir les vidéos :
http://www.dailymotion.com/video/xk5bpg_lemusee-joseph-denais-rouvre-ses-portes_news
http://www.ot-saumur.fr/MUSEE-JOSEPH-DENAIS
Sources :
Plaquette informative du Musée Joseph Denais.