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23 août 2020 7 23 /08 /août /2020 10:33

Héloïse Gaillard en l'église Sainte-Croix de Marson (Photo ex-libris.over-blog.com)

La saison culturelle 2020-2021 de Rou-Marson s’est ouverte avec brio grâce à la présence de la flûtiste et hauboïste de renom, Héloïse Gaillard. Samedi 20 août, à 16 h 30, dans l’église Sainte-Croix de Marson, sous le regard de la Vierge à l’Enfant et de sainte Catherine, la jeune musicienne a interprété les 12 Fantaisies pour flûte seule de Georg Philipp Telemann (1681-1767), compositeur baroque prolifique, qui jouait lui-même de cet instrument ainsi que du violon, de la cithare et du clavecin.

Avant de commencer son récital, Héloïse Gaillard a dit son attachement à ce musicien qui l’accompagne depuis ses premiers pas musicaux et dont elle ne cesse de revisiter cette œuvre si riche. Il « nous incite à l’audace tout en requérant la rigueur nécessaire à la juste compréhension du discours » précise-t-elle dans la Note de programme.

L’artiste a aussi insisté sur sa joie de retrouver le public pour la première fois après le confinement. Certes, il y a eu beaucoup de vidéos sur internet pendant ce temps d’isolement mais rien ne remplace le spectacle vivant, a-t-elle souligné.

Selon Héloïse Gaillard, pour cette œuvre particulière, Telemann « souhaitait laisser aux interprètes le choix des instruments ». C’est pour cela qu’elle a préféré jouer les 12 Fantaisies pour flûte seule sur quatre flûtes différentes, nous donnant là une superbe occasion de découvrir les possibilités variées de la flûte alto, de la flûte soprano, de la grande flûte de voix, chaleureuse et profonde, et de la petite flûte sopranino, aux sonorités plus aiguës.

Quel plaisir d’écouter ces fantaisies, qui méritent si bien leur nom tant la liberté, la virtuosité (et, on pourrait le croire, l’improvisation), y sont reines ! Si elles sont invitation à la danse et à la gaieté, Héloïse Gaillard précise bien que cette musique a été composée dans ce temps baroque « où la rhétorique jouait un rôle fondamental, ce qui engage à l’humilité et [lui] impose le respect du texte ». J’ai particulièrement aimé la Douzième fantaisie en sol mineur, extraordinaire dans ses couleurs, ses nuances, sa variété.

J’ai été aussi très impressionnée par l’engagement physique de l’artiste, dont tout le corps est sollicité par l’interprétation : l’émotion, la tension y sont palpables. Héloïse Gaillard a joué la première partie de son récital assise puis, après une petite pause de quelques minutes, elle a choisi d’être debout.

En l’écoutant, comment ne pas penser aux vers de Jean Richepin, qui font parler la flûte :

« […] Et depuis, quand sa lèvre aux souffles musicaux

Eveille les chansons au creux de mon silence,

Je tressaille, je vibre, et la note s’élance ;

Le chapelet des sons va s’égrenant dans l’air ;

On dirait le babil d’une source au flot clair ; […] »

Merci à Héloïse Gaillard pour ce moment intense de pureté musicale.

 

Sources : Note de programme.

Photos : ex-libris.over-blog.com

 

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28 avril 2018 6 28 /04 /avril /2018 14:56

Erik Truffaz, Sandrine Bonnaire, Marcello Giuliani 

 

Jeudi 19 avril 2018, au Dôme de Saumur, Sandrine Bonnaire proposait une lecture musicale de deux textes de Marguerite Duras, L’Homme atlantique (1982) et  L’Homme assis dans le couloir (1980). Accompagnée par Erik Truffaz (trompette et clavier) et de Marcello Giuliani  (contrebasse et guitare), la comédienne à la voix chaude et magnétique nous a fait pénétrer dans le domaine cinématographique et amoureux de l’auteur de L’Amant, avec des amours voués à l’échec et tout empreints de violence. C’est Erik Truffaz et l’actrice qui ont mené à bien ce projet atypique. En effet le trompettiste aime à questionner la musique et la manière dont un instrument peut s’associer à un autre. Quant à Marcello Giuliani, son ami de longue date, il est membre fondateur du groupe Erik Truffaz Quartet.

 

Dans ce spectacle inédit, Sandrine Bonnaire, sobrement vêtue de noir, évolue au sein d’une superbe scénographie, tout en lenteur et en clair-obscur. Le plateau est en effet éclairé parfois par un écran cinématographique, de petites lampes orange tombant des cintres, parfois par des projecteurs ou encore par le rectangle d’une porte qui laisse passer la lumière. Dans la lenteur, la diseuse déambulera d’un musicien à l’autre, partant d’un lit, à cour, pour aller d’un fauteuil de cuir blanc à jardin voisinant avec un clavier, ou encore pour passer derrière un fin rideau de toile transparente. Ces déplacements, ces rapprochements, ces fuites d’un homme à l’autre m’ont fait penser au trio que Marguerite Duras forma avec son mari Robert Anthelme et son amant Dionys Mascolo, évoqué récemment dans le film La Douleur avec Mélanie Thierry.

 

L’Homme atlantique est une nouvelle d’une trentaine de pages, une sorte de longue lettre d’amour envoyée par l’écrivain à Yann Andréa qui, de 1980 à 1996, fut son dernier compagnon. Cette lettre dit la douleur de l’amour finissant et les incertitudes de la mémoire. La particularité de ce texte est qu’il est la transcription de la bande-son du moyen métrage éponyme que Marguerite Duras a réalisé en 1981. Le film est constitué des chutes d'un autre film, Agatha ou les lectures illimitées. Yann Andrea en est l’acteur et elle-même la voix off de la femme qui affirme : « Je suis dans un amour entre vivre et mourir. » Le spectateur se fait ici le voyeur de ce qui se passe sur scène, l’emploi du vouvoiement créant quant à lui une forme de mise à distance de l’être aimé qui ne l’est plus et aussi un éloignement du spectateur : « Vous regarderez l'appareil comme vous regardiez la mer, comme vous regardiez la mer et les vitres et le chien et l'oiseau tragique dans le vent et les sables d'acier face aux vagues. » La voix de Sandrine Bonnaire se fait ici injonctive, impérative comme si elle était le metteur en scène. Le texte est aussi une description du déclic qui conduit à  l’écriture. En ce « tragique mois de juin », celui du désamour, la voix off affirme : « Je me suis dit que je vais commencer à écrire pour me guérir du mensonge de l’amour finissant ». Et plus loin : « C’est alors que je me suis dit, pourquoi ne pas faire un film ? Ecrire serait trop dorénavant, pourquoi pas un film ? » Et ailleurs : « Vous êtes resté dans l’état d’être parti. Et j’ai fait un film de votre absence. » Un passionnant constat du va-et-vient du processus de création, tel est encore ce texte.

 Yann Andrea dans le film L'Homme atlantique

 

A cet homme face à l’Atlantique qui regarde la mer « absolument », et qu’elle a entrepris de filmer, celle qui filme dit : « Je l’ai pris et je l’ai mis dans le temps gris, près de la mer, je l’ai perdu, je l’ai abandonné dans l’étendue du film atlantique. Et puis je lui ai dit de regarder, et puis d’oublier, et puis d’avancer, et puis d’oublier encore davantage, et l’oiseau sous le vent, et la mer dans les vitres et les vitres dans les murs. Pendant tout un moment il ne savait pas, il ne savait plus, il ne savait plus marcher, il ne savait plus regarder. Alors je l’ai supplié d’oublier encore et encore davantage, je lui ai dit que c’était possible, qu’il pouvait y arriver. Il y est arrivé. Il a avancé. Il a regardé la mer, le chien perdu, l’oiseau sous le vent, les vitres, les murs. Et puis il est sorti du champ atlantique. La pellicule s’est vidée. Elle est devenue noire. Et puis il a été sept heures du soir le 14 juin 1981. Je me suis dit avoir aimé. » Film expérimental sur le désamour et la mémoire, ce film est une succession de plans où l’on voit Yann Andrea, en profil perdu ou déambulant parmi les piliers du hall d’un hôtel ou assis dans un fauteuil de cuir. Ces plans alternent avec des images de vagues venant lécher une bande de sable et de longs  moments de noirs où l’on entend la voix de Duras. La scénographie du spectacle jouera ainsi sur la présence-absence d’un écran de cinéma en fond de scène.

 

Mais ce texte est surtout une leçon de cinéma donnée  par Marguerite Duras. Et l’on n’est pas étonné que la comédienne Sandrine Bonnaire ait eu l’envie de dire ce texte qui explore l’œil de la caméra. On sait que le thème du regard est essentiel chez l’écrivain et ses personnages sont souvent présentés comme étant vus par d’autres ou eux-mêmes en train de voir. Elisabeth Poulet, dans un article intitulé « Marguerite Duras voyante et visionnaire », explique que l’écriture de l’auteur se situe « dans l’excès du regard, dans l’excès du voir ». Le regard doit donc saisir quelque chose mais « regarder quoi ? » s’interroge L’Homme atlantique. Le critique répond que l’essentiel n’est pas là : « Il faut regarder c’est tout, et si c’est possible jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ne plus pouvoir le faire. » C’est bien ce que dit la voix off, celle de Marguerite Duras à Yann Andrea : « Vous regarderez ce que vous voyez. Mais vous le regarderez absolument. Vous essaierez de regarder jusqu’à l’extinction de votre regard, jusqu’à son propre aveuglement et à travers celui-ci vous devrez essayer encore de regarder. Jusqu’à la fin. »

 

Certaines phrases doivent résonner particulièrement à l’oreille de la comédienne. Ne sait-elle pas intensément ce que représente le fait d’être sous le regard d’un metteur en scène, puis ensuite d’être livrée à celui du spectateur ?  « Vous allez passer de nouveau devant la caméra […] Déjà vous avez derrière vous un passé, un plan, déjà vous avez vieilli, vous êtes en danger. Le plus grand danger que vous encourez maintenant, c’est celui de vous ressembler, de ressembler à celui du premier plan tourné il y a une heure […] la salle, elle, est à elle seule le monde entier, de même que vous vous l’êtes à vous seul. » J’ai trouvé particulièrement intéressant ce que dit Marguerite Duras de la relation entre la caméra qui « ne mentira pas » et le comédien. Même si parfois, on entend ces phrases sibyllines dont l’écrivain a le secret ! Ainsi on entend : « Tandis que je ne vous aime plus je n’aime plus rien, rien, que vous, encore. » Ou bien : « Je n’ai plus rien à faire qu’à subir cette exaltation à propos de quelqu’un qui ne savait pas qu’il vivait et dont moi je savais, […]  qu’il ne savait pas quoi faire de ça, de la vie qu’il vivait […] qui ne savait plus quoi faire de soi. » Entre ressassement et mystère, c’est la séduction de l’écriture durassienne qui opère… ou pas !

 

A ce premier texte succédait L’Homme assis dans le couloir, une courte nouvelle de 36 pages.

Une première version de ce récit érotique avait été écrite en 1962 et éditée de manière anonyme. Il trouvera sa mise en forme définitive, une fois que l’auteur y aura introduit ce qu’elle nomme « la troisième personne », pour celle « qui voit et qui raconte ». » L’auteur le publia en 1980 aux éditions de Minuit, sous son propre nom. Elle a précisé à ce propos : « Ce texte, je ne n'aurais pas pu l'écrire si je ne l'avais pas vécu. » Allusion peut-être à la rencontre amoureuse avec le Chinois de L’Amant (1984). Ecrite à l’indicatif et au conditionnel, l’histoire commence en ces termes : « L'homme aurait été assis dans l'ombre du couloir face à la porte ouverte sur le dehors. Il regarde une femme qui est couchée à quelques mètres de lui sur un chemin de pierres. Autour d'eux il y a un jardin qui tombe dans une déclivité brutale sur une plaine, de larges vallonnements sans arbres, des champs qui bordent un fleuve. » L’emploi du conditionnel laisse la porte ouverte à l’imaginaire du lecteur : les faits existent-ils ou sont-ils l’objet d’un fantasme de la narratrice ?

 

Ce texte reprend par ailleurs des thématiques chères à l’écrivain : les paysages font penser à l’Inde du Vice-Consul et on y retrouve le désir amoureux et la violence. Comme dans L’Homme atlantique, c’est encore un trio qui est en jeu tandis que le thème du regard y est aussi essentiel : « Elle n'aurait rien dit, elle n'aurait rien regardé. Face à l'homme assis dans le couloir sombre, sous ses paupières elle est enfermée. Au travers elle voit transparaître la lumière brouillée du ciel. Elle sait qu'il la regarde, qu'il voit tout. Elle le sait les yeux fermés comme je le sais moi, moi qui regarde. Il s'agit d'une certitude. » Tout se passe entre ces trois-là, entre exhibitionnisme de l’homme et de la femme et voyeurisme de la voix qui regarde. L’on pourrait même ici employer l’adjectif obscène, en se référant à l’étymologie controversée ob-scena, devant la scène. On pourrait aussi penser à obscenus, un mot de la langue des augures : il désigne le mauvais signe, le présage fâcheux, l’amour étant ici plutôt du côté de la violence et de la mort.

Dans cette description de l’acte d’amour entre un homme et une femme, la narratrice est en quête d’une forme de connaissance : « Je vois le corps. Je  le vois tout entier dans une proximité violente. Il ruisselle de sueur, il est dans un éclairement solaire d'une blancheur effrayante. » Cette volonté d’aller au-delà des corps semble pourtant vouée à l’échec : « Je crois que les yeux fermés devaient être verts. Mais je m'arrête aux yeux. Et même si j'arrive à les retenir longtemps dans les miens ils ne me donnent pas le tout du visage. Le visage reste inconnu. Je vois le corps. » A propos de cette parole durassienne Roland Barthes a parlé de « corps dans la voix ». Duras précise :  « Je ne peux plus écrire des choses gratuitement sans qu’elles relèvent de quelqu’un, de l’auteur, des témoins, des gens qui passaient et qui ont vu. »

Ce texte très cru laisse une impression de malaise tant Eros y est lié à Thanatos. Le masochisme d’une femme qui dit « Je t’aime » et demande à être battue y est perceptible : « Elle dit : frappée, fort, comme tout à l’heure le cœur. » Et puis ce passage : « Elle est sous lui, attentive de toute sa force, dirait-on, à l'événement en cours. Sans un geste, la bouche mordue à son bras arrêtée à la soie de sa robe, elle en percevrait la progression, la pression du pied sur le cœur. Les yeux auraient été de nouveau refermés sur la couleur verte entrevue. Sous le pied nu il y a la boue d'un marécage, un frémissement d'eau, sourd, lointain, continu. La forme est défaite, molle, comme cassée, d'une terrifiante inertie. Le pied appuie encore. Il s'enfonce, atteint la cage d'os, appuie encore. » A la fin du récit, il est question de l’ « immobilité » de la femme, sous un ciel d’orage. La narratrice dit « ignorer si [elle] dort » tandis que l’homme « pleure couché sur [elle]. » Mais elle dit aussi : « Je vois que d’autres gens regardent, d’autres femmes, que d’autres femmes maintenant mortes ont regardé de même se faire et se défaire les moussons d’été […] » Et j’ai alors pensé à la phrase de Hiroshima, mon amour (1960) : « Tu me tues, tu me fais du bien. »

 

Certes, avec ce texte si particulier, il faut savoir discerner toute l’alchimie de l’écriture que l’écrivain opère à partir d’éléments vécus et qu’elle explique ainsi : « L’homme pour qui j’ai écrit le texte est mort » et de poursuivre : « C’est moi maintenant qui vois ça, qui vois ce que j’ai écrit pour lui, ce que j’avais écrit pour lui… maintenant, je suis intégrée dans le livre, complètement. »  Cependant, à l’heure où l’on dénonce les violences faites aux femmes, on ne pourra s’empêcher de s’interroger sur l’impression de gêne provoquée par cette nouvelle violemment érotique. Sandrine Bonnaire le dit elle-même : c'est "un texte pas facile à dire, pas facile à entendre".

Au demeurant, ce spectacle consacré à Marguerite Duras m’a intéressée. J’ai aimé la fluidité et la maîtrise avec laquelle Sandrine Bonnaire s’empare de cette langue urgente au style minimaliste, tellement évocateur de la passion amoureuse. Cette « écriture vocale » (Barthes) y était par ailleurs superbement soutenue par les musiques lancinantes et obsessionnelles des deux musiciens et les éclairages inspirés de Maël Fabre. Et ce spectacle musical ne me donne qu’une envie : celle de relire Marguerite Duras, pour une plongée « entre le chagrin et le néant ».

 

Sources :

Le programme du Dôme

"Le corps dans la voix. . De L’amour à L’homme assis dans le couloir "de Marguerite Duras, Florence de Chalonge
"Marguerite Duras voyante et visionnaire", Elisabeth Poulet

Liens vers mes billets sur Marguerite Duras

http://ex-libris.over-blog.com/article-marguerite-et-moi-par-la-compagnie-metro-mouvance-123158222.html

http://ex-libris.over-blog.com/article-l-amour-en-bleu-blanc-noir-les-yeux-bleus-cheveux-noirs-de-marguerite-duras-123833862.html

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17 février 2018 6 17 /02 /février /2018 18:53

 

 

La source la plus ancienne, qui mentionne en 1605 Le Jardin des délices terrestres de Hieronymus van Aaken, dit Jérôme Bosch (1450 environ-1516), l’évoque sous le titre De la gloire vaine et du goût éphémère de la fraise et de l’arbousier. Le fruit rouge apparaît en effet dans le panneau central mais les historiens de l’art préfèrent le titre plus générique du Jardin des délices terrestres. Dans ce célébrissime triptyque (1503-1504), très apprécié du très catholique Philippe II d’Espagne,  le souverain espagnol lisait « une satire peinte des péchés et des délires des hommes ». Réflexion sur l’humanité, « miroir aux princes » réservé à l’instruction des puissants, « miroir nuptial » montrant aux jeunes mariés la voie à suivre, vision utopique d’un monde non corrompu par le mal, toujours est-il qu’à travers les siècles, on n’a cessé de s’interroger sur le sens et la symbolique complexe de ces trois panneaux : celui de gauche représente la création d’Adam et Eve et le Paradis d'avant la Faute (qui n'est pas représentée) et celui de droite une sorte d’« enfer musical », habité d'instruments et d'objets créés par l'homme ; quant au panneau central, il met en scène le triomphe des délices et des plaisirs de la nudité et de l’amour, dans un monde utopique qui n'aurait pas connu le Péché originel.

C’est ce questionnement passionnant sur le tableau que la troupe circacienne québécoise des 7  Doigts présentait vendredi 16 février 2018 au théâtre Le Dôme à Saumur, dans un spectacle époustouflant de beauté, de poésie et d’inventivité, intitulé Bosch dreams. Détournant l’expression « unis comme les cinq doigts de la main », le nom de la troupe souligne les liens étroits qui unissent les artistes, combinant leurs personnalités et leurs expériences diverses avec « la charmante maladresse d’une inhabituelle main à sept doigts ».

Pourtant de maladresse, on n’en trouve guère dans ce spectacle total qui s’attache à renouveler le cirque tout en explorant le champ de la recherche esthétique et technique. Attachée à promouvoir « une poésie visuelle » et « la magie des formes », pratiquant un art du mélange qui associe les formes hybrides du théâtre, de la danse, de la poésie, de l’acrobatie, visant la pureté du geste et du mouvement, la troupe des sept interprètes (Héloïse Bourgeois, Sunniva Lovlans Byvard, Evelyne Lamontagne, Jorge Petit, Matthias Umaerus, William Underwood, Vladimir Amigo) a trouvé avec le triptyque de Bosch un champ expérimental riches d’infinies possibilités. Héloïse Bourgeois explique ainsi sa manière de concevoir le jeu : « On est vraiment au service d’un concept et non pas le centre du concept. Donc, il faut vraiment mettre son ego de côté et simplement servir le propos artistique. »

Ce dessein artistique original est né en 2016 dans le but  de rendre hommage aux 500 ans de la mort de Jérôme Bosch. Samuel Tétreault, codirecteur des 7 Doigts, et Martin Tulinius, directeur artistique du Theatre Republique du Danemark, ont ainsi imaginé le projet fou d’explorer l’univers « fantastique et métaphysique » du peintre médiéval en le faisant dialoguer avec Salvador Dali et Jim Morrison, tous deux fortement marqués par l’influence du peintre. Le premier avait toujours admiré au Prado Le Jardin des délices et sa toile surréaliste Le Grand Masturbateur (1929) est directement inspirée par les formes du rocher anthropomorphe du panneau de gauche. Une scène le montre ainsi dans une salle du grand musée espagnol déambulant devant le triptyque et accompagné par un gardien qui a l’apparence d’un singe. Quant à Morrison, l’influence de La Nef des fous (1490-1500) se retrouve dans les chansons de rock psychédélique des Doors, avec leur album Ship of the Fools. Le chanteur a d’ailleurs soutenu la thèse d’un Bosch adepte d’une secte libertaire. Passionné du peintre flamand, le frontman des Doors, a même écrit en 1963 un curieux mémoire visant à prouver que le peintre avait fait partie des adamites, mouvement d’hommes libérés qui pratiquaient l'amour libre, rejetaient le mariage ou le labeur et vivaient nus.

C’est le vidéaste Ange Potier qui a été chargé de créer les animations du triptyque de Bosch et il faut dire que le résultat est stupéfiant. En effet outre les mouvements des êtres du bestiaire fabuleux du peintre, la sonorisation avec le chant des oiseaux, on voit Dali et Morrison évoluer au milieu du Jardin des délices. Je retiens le superbe moment où Dali, assis sur un œuf, à gauche de la toile, admire une acrobate blonde qui se meut avec grâce et puissance dans un globe transparent. On le voit encore naviguer sur une moule noire, celle qui abrite les ébats amoureux d’un couple dénudé. On découvre aussi le chanteur des Doors, parvenu au sommet d’une des architectures élancées du panneau central, sautant dans le rond d’une clé, laquelle se transforme en cerceau qui va permettre ensuite de réelles acrobaties. On admire ainsi ces passages subtils entre les vidéos du triptyque et les évolutions sur la scène. On retiendra encore la monumentale roue de fortune présentant les tableaux de Bosch qui tourne à toute vitesse pour s'arrêter sur une toile et en donner la représentation sur scène.

Ces allers et retours constants entre le monde réel et le monde virtuel sont une des grandes réussites du spectacle. Sept artistes interprètent ainsi vingt-quatre personnages, monstrueux ou non, masqués ou non, tel l’escamoteur du tableau du même nom ou encore le charlatan dans L’Extraction de la pierre de folie. A l’avant-scène, dans une semi-obscurité, on verra se mouvoir un être monstrueux, mi-crapaud, mi-homme, qui rampera lentement du côté scène au côté jardin. Deux êtres hybrides bossus et casqués, présents tout au long du spectacle, et arborant un appendice nasal en forme de mince trompette, iront jusqu’à investir la salle et à souffler de la fumée sous le nez des spectateurs. J’ai aimé aussi le mouvement du Chariot de foin, qui perd une roue, laquelle donne l’occasion à un artiste de proposer un magnifique numéro de cerceau. Ce passage du tableau à la scène trouve sans doute son point d’orgue dans la scène « Feu et destruction ». Sur fond d’incendie apocalyptique présent dans le panneau de droite du triptyque, « L’Enfer », au milieu d’un assourdissant bruit de tonnerre, d’explosions, au sein des brasiers jaillissants, au milieu de moulins tournoyants, les acrobates montent aux mâts, sautent, roulent, tombent, exprimant de tout leur corps l’horreur et la sauvagerie de la guerre.

La trame narrative de ce spectacle hors norme est conduite par la petite fille blonde du professeur (celui qui prend la parole de temps à autre à l’avant-scène pour s’interroger sur le sens du triptyque). Tel Le Marchand ambulant, Le Voyageur ou l'homo viator, cheminant sur le chemin de la vie, elle guide le spectateur à travers l'oeuvre de Bosch. On suit donc le parcours imaginaire de cette jeune dormeuse en jupe rouge, en quête d’une balle de la même couleur, peut-être la fraise du panneau central du triptyque, que des personnages nus sont en train de manger… Ainsi, on la verra dans l’atelier du peintre, s’emparer d’une fraise que Bosch finira par lui accorder et qu’elle placera sous son oreiller. Sortie d’une coquille d’œuf à jardin, cette petite Alice au pays des délices invite le spectateur à pénétrer dans le monde mystérieux et inquiétant du peintre. La comédienne explique ainsi son rôle : « On m’a demandé d’être légère, souriante, une bouffée d’air frais » dans cet univers fantasmagorique. A la fin du spectacle, sous le regard de Dali et de Jim Morrison, elle se révèle trapéziste émérite dans un Jardin des délices, parsemé de sphères, de ce bleu et de ce rose si particuliers dans le tableau. A la fin, la fine silhouette aux longs cheveux deviendra partie prenante du triptyque pour s’y fondre totalement.

Je n’aurais garde d’oublier la remarquable et éclectique bande-son qui, des Doors à Dave Brubeck en passant par le générique de Radioscopie, accompagne et soutient de bout en bout cet extraordinaire spectacle. Héloïse Bourgeois reconnaît le plaisir très particulier qu’elle éprouve à réaliser le numéro de cerceau aérien sur la musique inspirante des Doors avec un partenaire qui interprète Jim Morrison, cet artiste mythique, lui aussi à la limite de la folie.

Cette féérie onirique, acrobatique et visuelle, est marquée au sceau de la poésie. Révélant « un cirque d’auteur plus familier et plus intime », elle est une expérience unique qui touche à l’humain. Samuel Tétreault a d’ailleurs dédié Bosch dreams à la mémoire de Martin Tulinius (1967-2016), Il l’explique en ces termes : « Son enthousiasme et sa passion créative ont été essentiels à la naissance de ce rêve artistique. A l’instar de Bosch, Martin était conscient du caractère éphémère de la vie et de l’importance capitale des choix qui nous guident pour le temps qui nous est imparti […] » La fraise, au coeur du tableau et du spectacle,  n’est-elle pas ce fruit éphémère et fragile qui ne se conserve pas longtemps ?

Un spécialiste de l'art flamand et hollandais, Reindert L. Falkenburg, défend l'idée que Le Jardin des délices terrestres a été conçu comme "sujet de discussion" pour le public de la cour de Bourgogne. Miroir à multiples facettes, il invite à la réflexion en jouant avec les traditions picturales et les conventions de l'époque. Et il me semble que la forme novatrice et spectaculaire de Bosch dreams possède magistralement la même fonction.

 

Lien vers mon poème écrit sur un détail du Jardin des délices :

//ex-libris.over-blog.com/article-preadamites-72582054.html

Sources : 

Les plus grands musées du monde, Musée du Prado, Madrid, Edition Groupe Express Expansion, 2017, pp. 44-50.

Le programme du Dôme, Bosch dreams.

Les 7 Doigts, Dossier pédagogique.

A écouter :

France Culture : Dans l'atelier de Jérôme Bosch (2/ 5) : Le Jardin des délices.

 

 

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6 février 2016 6 06 /02 /février /2016 19:05

Night Circus (Photo The Budapest Times)

 

Vendredi 5 février 2016, c’est à rêver au mythique Icare que la Compagnie hongroise Recirquel a invité le public du Théâtre de Saumur, Le Dôme. Dans une mise en scène de Bence Vági, son directeur-chorégraphe, la troupe composée de neuf acrobates hongrois (sept hommes et deux femmes), de la chanteuse et narratrice Judit Czigány et du pianiste Péter Sárik, a proposé Night Circus, un spectacle de cirque original, d’une grande élégance, à l’onirisme envoûtant.

Dans une atmosphère de cabaret d’entre-deux-guerres, sous la baguette d’une longiligne meneuse de revue, coiffée d’un chapeau-claque, et vêtue d’un long gilet de satin rouge sur un pantalon noir, les jeunes artistes ont déployé l’étendue de leurs talents sportifs et chorégraphiques. Passés maîtres dans les disciplines circaciennes que sont la voltige, le trapèze, la contorsion, la corde lisse, le mât chinois, la roue cyr et le funambulisme, ils ont offert à des spectateurs épatés et éblouis une prestation de haute volée.

Ce dernier terme semble particulièrement approprié à ce spectacle qui évoque l’audacieuse envolée d’Icare et sa retombée dans la mer qui porte désormais son nom. Défiant les lois de la pesanteur et de l’équilibre, avec maîtrise et puissance, seuls ou en duo, aspirés par les cintres du plateau, s’enroulant et se déroulant autour de cordes, sangles ou rubans, ils ont multiplié les exercices les plus audacieux, poussé par ce désir irrépressible de l’homme de s’élever vers l’azur. Quelle fascination devant ces corps masculins, jeunes et radieux, en équilibre sur une corde souple, escaladant vivement un mât ou encore prisonniers d’une roue véloce ! Quelle admiration devant ces figures magnifiques requérant précision, force, adresse, souplesse, goût du risque et confiance absolue dans le partenaire !

Je ne saurais dire ce que j’ai préféré parmi toutes ces performances dans lesquelles chaque acrobate, homme ou femme, donne le meilleur de lui-même. Accompagnés par le pianiste Péter Sarik, formé au jazz et aux musiques du monde, ou par la musique puissante de Friedrich Hollaender, qui vient rythmer tel un cœur battant leurs prouesses techniques, les gymnastes-danseurs se succèdent dans un mouvement passionné qui ne faiblit pas.

Photo Eszter Gordon

La mise en scène allie aussi à cette technique irréprochable un sens particulier du burlesque et certains numéros évoquent Charlot ou Buster Keaton. Je pense notamment au duo que forment le funambule à fine moustache et la danseuse rondelette à perruque blanche, tutu et hauts escarpins rouges. L’agilité insensée du jeune homme qui fait du fil sa demeure - il s’y contorsionne, s’y enroule, s’y allonge, y roule en monocycle – cherche à séduire ainsi la demoiselle énamourée. On les retrouvera dans un autre moment, autour d’une cuisine ambulante dans laquelle se cache la jeune femme. S’ensuivra une saynète pleine de fantaisie ludique avec un jeu de jambes féminines des plus réussi.

Photo Xpat Loop

L’élégance de la mise en scène sert particulièrement bien tous les artistes. Ils évoluent en effet dans une économie de couleur – noir, gris, quelques teintes pastel – parfois dans un décor stylisé de hautes maisons étroites, parfois sur un fond de scène blanc ou bleu. Par ailleurs, on notera ici que les artistes, gardant un masque concentré et impénétrable, ne sourient jamais. Cela confère à l’ensemble une tonalité très particulière, teintée de mélancolie.

Deux grandes ailes noires d’oiseau, portées au début par l’un des artistes, seront à la fin déposées sur le devant de la scène, signifiant l’échec du vol d’Icare, tandis que la chanteuse persiste à affirmer l’irrépressible désir de l’homme vers les lointains. Celui-ci s’exprime encore, me semble-t-il, au début et à la fin de ce spectacle éminemment poétique, lorsque de grands rayons et d’innombrables confettis de lumière envahissent l’espace. Une des dernières très belles images du spectacle, c’est l’ombre de l’acrobate dans la poursuite, tel un soleil jamais atteint.

Né de la rencontre entre un chorégraphe plein de talent, formé par le Liverpool Institute of Performing Arts, et une troupe inventive, issue de l’Institut hongrois du cirque Baross, Night Circus m’a enchantée. Son thème mythique et la manière poétique dont il est ici traité m’ont fait penser ce soir-là au poème de Théodore de Banville, « Le saut du tremplin ou le clown » :

 

[…] Il s’élevait à des hauteurs

Telles que les autres sauteurs

Se consumaient en luttes vaines.

Ils le trouvaient décourageant,

Et murmuraient : « Quel vif-argent

Ce démon a-t-il dans les veines ? »

[…]

« Plus haut encor, jusqu’au ciel pur !

Jusqu’à ce lapis dont l’azur

Couvre notre prison mouvante !

Jusqu’à ces rouges Orients

Où marchent des Dieux flamboyants,

Fous de colère et d’épouvante.

[…]

Plus haut ! plus loin ! de l’air ! du bleu !

Des ailes ! des ailes ! des ailes !

[…]

 

Photo Mupa Budapest

 

 

« Le saut du tremplin ou le clown » dit par Gérard Philipe :

https://www.youtube.com/watch?v=wRrFQQcbMyE&list=PLF27F323209ECE779

« Il rêvait de l’éther », un poème que j’ai écrit sur Icare :

http://ex-libris.over-blog.com/article-il-revait-de-l-ether-45335505.html

 

 

 

 

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6 octobre 2014 1 06 /10 /octobre /2014 17:24

  franglaises-tistics-.jpg

 

Samedi  04 octobre 2014, c’était la rentrée théâtrale à Saumur, au théâtre Beaurepaire. Le président de la Communauté d’Agglomération, Guy Bertin, a annoncé la réouverture du théâtre de Saumur, déjà bien retardée, pour le 02 décembre. La présence des nombreux visiteurs en ce lieu lors des Journées du Patrimoine témoigne de l’intérêt des Saumurois pour ce bel édifice et son joli théâtre à l’italienne. Rodolphe Mirande, vice-président de la Communauté d’Agglomération pour la Culture et la Communication, a pour sa part insisté sur la volonté d’une culture ouverte à tous, qui soit invitation à la curiosité de chacun.

 

Après avoir écouté un texte de Silvio Pacitto, le directeur artistique de la saison théâtrale, évoquant les difficultés et les joies de son métier, la diffusion des bandes-annonces nous a mis l’eau à la bouche avec la diversité des spectacles à venir : la danse avec Pietragalla et Derouault ou les Ballets russes,  le théâtre avec Les Jumeaux vénitiens ou le duo Bohringer père et fille, les marionnettes avec la Compagnie Emilie Valentin et le Quatuor Debussy, la chanson contemporaine avec Juliette ou Lhomé, les spectacles de Mômes en Folie, l’opéra avec Barbe-Bleue de Jacques Offenbach, les musiques d’ailleurs avec Bratsch et sans nul doute les points d’orgue avec le Ballet Antonio Gadès et les concerts de  La Folle Journée en région.

 

Ensuite, c’est le spectacle, Les Franglaises, joué par la compagnie Les Tistics, qui a lancé la saison. Cette troupe de dix artistes, chanteurs, comédiens, danseurs et musiciens polyvalents, a entraîné le public dans un rythme effréné et endiablé. Le principe de leur spectacle se fonde sur la traduction littérale des grands tubes anglophones qui confère à ces chansons, que tout le monde a fredonnées, une nouvelle vie complètement loufoque et décalée. La traduction automatique (telle que Google la pratique) fait ainsi de ces chansons mythiques des « cadavres exquis » à la manière des surréalistes.

 

Emmenée par un meneur déjanté à l’humour ravageur, Yoni Dahan, la troupe revisite à sa manière burlesque et folle ces airs que tous, de 7 à 77 ans, peuvent reconnaître.  La traduction mot à mot met en lumière la pauvreté et l’inanité de ces textes pourtant si musicaux auxquels les Tistics donnent une nouvelle vie. Chaque chanson devient en effet prétexte à une véritable saynète permettant à chacun de faire valoir son talent propre.

 

Si les Garçons de la Plage (les Beach Boys) affirment : « Je reste au bar. De ville en ville, je garde l’esprit tranquille. Je fais du très bon pain  », Michel-fils-de-Jacques (Michael Jackson) hurle : « Tu es le un ! » et les Scarabées (les Beatles) n’en finissent pas de nous dire « bonjour » et « au revoir ». Franck et Nancy Sinatra nous offrent un duo amoureux à désespérer de l’amour même quand les Gens du Village (Village People) nous invitent en une folle sarabande à devenir recrue dans la Marine. Peggy Lee (« Fever »), pour sa part, entre en transe à travers trois chanteuses fiévreuses et hystériques, tandis que les Filles de la Météo (les Weather Girls) s’émerveillent quand  « l’humidité augmente, [que] le thermomètre explose et [qu’] il pleut des hommes ».  « Hôtel Californie » par les Aigles (les Eagles) devient un lieu inquiétant en proie aux fantômes et « A man after midnight » d’Abba se transforme en western échevelé. En dépit du refus du meneur de donner la parole aux Filles Epicées (les Spice Girls), celles-ci réussiront à faire entendre leur voix et à faire ce qu’elles veulent : « Et je veux, je veux… » Enfin, c’est un troisième rappel avec « Sois ma meuf, sois ma meuf ! » (« Are you gonna be my girl ? » de Jet) qui clôturera ce spectacle totalement déjanté qui associe humour, hommage et absurde en un savant dosage.

 

Les dix artistes présents sur scène composent une troupe homogène qui pratique une forme de création collective.  Ils sont issus d’ateliers d’impros et du théâtre de rue, ce dont témoignent leur vivacité, leur réactivité et leur manière d’entrer en contact avec le public. Ils revendiquent un « art scènement textuel » en donnant libre cours à leur inventivité et à leur fantaisie. Le tout dans une chorégraphie impeccable qui ne laisse pas de place à l’à peu près. De la pépinière Théâtre à Bobino, leur prochaine étape, en passant par la Suisse et la Belgique, les Tistics explorent avec bonne humeur et grande vitalité un répertoire familier. Grâce à eux, désormais, « on connaît la chanson ! »

 

 

 

Sources :

 

Châteauvallon Musique. Les Franglaises par les Tistics, PDF

 

 

 

 

 

 

 

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8 août 2014 5 08 /08 /août /2014 21:29

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Le château de Saumur vu du quai du Marronnier

(Photo ex-libris.over-blog.com, jeudi 7 août 2014)

 

 

Jeudi 7 août 2014, c’était les Grandes Tablées à Saumur mais j’avais préféré des nourritures plus spirituelles en me rendant à l’invitation d'amis, un sculpteur et une pianiste, qui nous recevaient pour un concert privé, quai du Marronnier. Dans leur haute maison de brique et de tuffeau, face à la Loire et au château, nous avons eu la chance d’écouter trois artistes de très grand talent : le guitariste français Jean-François Reille, et deux Autrichiens, la pianiste Johanna Horny-Neumann et le corniste Roland Horvath, qui composent le Duo Wiener. Ces trois musiciens aiment ainsi à se retrouver chez des particuliers, pour jouer en privé dans une atmosphère conviviale qui leur permet de rencontrer leur public de manière plus intime et plus personnalisée.

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Jean-François Reille (Photo Saumur Kiosque)

C’est Jean-François Reille le Marseillais, désormais Saumurois d’adoption, qui a entamé ce récital. Cet « enfant de la musique » ainsi qu’il se définit (son grand-père était chef d’orchestre, son père violoniste et sa mère pianiste), dont Andrès Segovia détermina la vocation, nous a d’abord expliqué que l’ancêtre de la guitare, c’est l’arc, devenu cithare puis guitare. En guise d’entrée en matière, il nous a proposé avec un brin de malice un morceau de musique contemporaine. Son goût personnel le porte vers cette musique mais il n’en joue guère en public car cette « salade mal assaisonnée » est souvent peu - ou mal - appréciée. Toujours est-il que le morceau choisi m’a semblé très accessible et que mes oreilles n’en ont point été heurtées.

Ensuite, entrecoupant son récital d’anecdotes choisies et de remarques techniques, le guitariste nous a donné à entendre  une « musique romantique », ainsi qu’il qualifie celle qu’il compose et aime à interpréter. Appréciant particulièrement  les morceaux qui ont « un sens mélodique », Jean-François Reille nous a offert un aperçu de la richesse des œuvres des compositeurs d’Amérique du Sud. Antonio Lauro (1917-1986) le Vénézuélien était ainsi présent avec Trois valses. Celui qui fut emprisonné sous la junte du général Jiménez ne disait-il pas que, dans une vie de Vénézuélien, il y a toujours un passage obligé par la prison ?

Le guitariste nous a aussi proposé l’Eloge de la danse du cubain Leo Brouwer. Né en 1939 à La Havane, c’est un compositeur majeur pour la guitare classique, mais aussi pour le cinéma et de nombreuses formations musicales. Puis Jean-François Reille a joué Mes Ennuis du compositeur espagnol Fernando Sor (1778-1839). Cette œuvre fut inspirée au musicien à l’occasion de ses prises de position pro-napoléoniennes lors de la guerre d’Espagne. Il quitta en effet son pays et s’exila à Paris.

Au cours de cette balade harmonieuse au pays de la guitare classique, Jean-François Reille a ainsi interprété de nombreux airs dont je n’ai, hélas, pas retenu tous les titres. J’ai aimé la concentration extrême avec laquelle il joue et la sensibilité qui émane de son doigté. J’ai apprécié la simplicité avec laquelle il nous a donné quelques clés pour approcher la guitare, cet instrument dont il dit qu’il requiert exigence et ténacité.

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Johanna Horny-Neumann au piano et Roland Horvath au cor

Le soleil éclairant de ses derniers rayons le salon où nous nous tenions, Jean-François Reille s’est effacé pour laisser la place au Duo Wiener. Après un court entracte qui a permis au corniste Roland Horvath de préparer ses lèvres, une de leurs amies, altiste à l’Orchestre National de France, les a présentés. Elle a remercié nos hôtes pour leur accueil et pour les « bonnes ondes » émanant de leur maison en bord de Loire.  Johanna Horny-Neumann, la pianiste, est une soliste internationale qui joue dans de très nombreux pays et a reçu des prix prestigieux. Professeur de piano, elle enseigne à des enfants surdoués. Roland Horvath, le corniste, joint l’enseignement des mathématiques à celui de la musique et a été membre de l’Orchestre Philarmonique de Vienne. Ils ont créé le Wiener Duo en 2008. Pratiquant notre langue avec aisance, Roland Horvath a présenté leur programme d’une manière très détaillée et très vivante, non dénuée d’humour.

Cette seconde partie a débuté de façon magistrale avec la Sérénade  « Ständchen » de Schubert, extraite du Schwanengesang. La pianiste nous a donné des frissons avec cette partition au merveilleux lyrisme élégiaque. Puis, nous avons pu apprécier son jeu puissant et sûr lorsqu’elle a interprété un air de Liszt, ce musicien à la belle stature, dont les grandes mains et les très longs doigts ont influencé les choix techniques. Amoureuse de l’Egypte où elle aime aller jouer, Johanna Horny-Neumann nous a aussi offert une composition toute empreinte de mélancolie, Der Alleinreisende, œuvre d’un compositeur de ce pays, Abed El Whab. Ce moment a été véritablement une invitation au voyage et l’écouter jouer en solo a été un instant privilégié.

Ensemble, et parmi d'autres oeuvres, elle et Roland Horvath nous ont proposé un extrait de  Aïda de Verdi. On sait que l’opéra fut commandé  à ce dernier par Ismaïl Pacha, pour l’inauguration du canal de Suez. La France, étant alors en guerre, la première n’eut lieu que le 24 décembre 1871. Les deux musiciens avaient choisi l’air « Devant les portes de Thèbes », qui se situe, me semble-t-il, à l’acte II. Le corniste nous a montré l’étendue de son talent à jouer de cet instrument réputé difficile et qui requiert des lèvres et des poumons puissants. Avec élégance il a souligné combien la force du jeu de sa partenaire remplaçait ici tout l’orchestre.

Ces deux artistes autrichiens ne pouvaient certes pas manquer de faire la part belle à Johann Strauss. Ils nous ont ainsi donné à entendre deux valses parmi les plus célèbres : « Wein, Weib und Gesang », op. 333 et, bien sûr, « An der schönen  blauen Donau », op. 314. Roland Horvath, toujours disert, nous a expliqué les circonstances de la composition de cette valse par Johann Strauss fils. Elle fut au départ mal perçue, les paroles en ayant été jugées ridicules. C’est en 1867, à l’occasion de l’Exposition Universelle, qu’invité à l’ambassade d’Autriche, il lui sera demandé d’ajouter une valse à son programme. Il choisit alors « An der schönen blauen Donau » qu’il réarrange pour orchestre seul et qui obtiendra un succès qui ne s’est jamais démenti. La valse la plus célèbre du monde n’est-elle pas considérée comme l’hymne national autrichien ?

La pianiste et le corniste ont achevé de manière impériale ce concert privé avec la marche « La Favorite », créée à l’intention de Marie-Thérèse d’Autriche. La Favorite était le nom d’une des résidences des Habsbourg qui fut transformée en académie impériale sous le règne de Marie-Thérèse ; le Theresianum devint ainsi l’école de l’élite.

Pour clôturer ce beau concert, Roland Horvath a remercié le public et la qualité de son écoute. Il a dit combien, en ce beau soir d'été, le terme de Hausmusik ou Kammerspiel prenait ici tout son sens : n'est-ce point une musique d’agrément avec des auditeurs disponibles, dans une atmosphère intime et amicale, pour un concert domestique et quasi-familial ?

 

                                  La Sérénade "Ständchen" de Schubert
 

 

 

 

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20 janvier 2014 1 20 /01 /janvier /2014 16:45

 

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 Alice et le Chat du Cheschire

 

Samedi 18 janvier 2014, à 20h 30, l’espace événementiel du Breil à Saumur accueillait le Cirque de Chine de Tianjin dans une adaptation d’Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll. En une quinzaine de tableaux féériques, les vingt-cinq artistes chinois ont revisité pour nous les aventures de la petite Anglaise mythique.

Tout comme Alice à la poursuite du Lapin blanc et qui se retrouve dans un monde inconnu, les sept cents spectateurs se sont retrouvés dans une Chine lointaine et circassienne grâce à des numéros traditionnels virtuoses : rubans, monocycles, antipodisme, contorsion, jonglage, diabolo, cerceaux, jeux de jarres, équilibre, acrobatie, maniement des drapeaux…


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Alice et le Lapin blanc


Ce « cirque-poème » débute avec la célèbre promenade en barque sur la rivière Isis que fit Charles Lutwidge Dogson, alias Lewis Carroll, avec Alice Liddell, en 1862. C’est au cours de cette balade que le mathématicien conteur raconte à la petite fille une histoire de son invention, Alices’s Adventures Underground, qui deviendra Alices’s Adventures in Wonderland. On sait que l’héroïne était accompagnée de ses deux sœurs : Lorina Charlotte (13 ans) et Edith (8 ans). La mise en scène présente ainsi Alice à travers trois artistes, d’âges différents, vêtues d’un tutu bleu et chaussées de ballerines. Ce trio symbolise le passage à l’adolescence que fut pour la petite fille ce voyage initiatique, commencé par une descente au fond d'un terrier. Celle-ci est rendue par une voltige sur deux rubans, le long desquels la jeune artiste glisse avec souplesse et vélocité.

Pendant tout le spectacle, l’écrivain, qui joue avec une boule magique, accompagne Alice et entretient avec elle un dialogue tout fait de compréhension, d’inquiétude et de surprise. Ainsi, j’ai beaucoup aimé le tableau très poétique où il converse avec sa création, enfermée dans un immense rond transparent. A la fois proche et lointaine, elle semble lui échapper, tout comme Viviane échappa à Merlin.


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Alice et Lewis Carroll

 

Il n’était pas évident de transposer ce conte anglais célébrissime dans l’Empire du Milieu. Mais Alice elle-même ne s’interroge-t-elle pas : « Suis-je en Nouvelle-Zélande ou en Australie ? » ? On reconnaîtra que la mise en scène inventive de Fabrice Melquiot, assisté de Petros Sevastikoglou, Julie Vilmont pour le jeu de l’acteur et Guo Xingli pour les acrobaties, a su déjouer les écueils de cette adaptation. On le doit aussi et surtout à de jeunes artistes étonnants dont l’énergie et la poésie ont fait notre admiration.

Au cours de sa déambulation dans des rues bordées de gratte-ciel aux lumières électriques, dans des bars bruyants, en quête de l’éventail et des gants, la petite Alice découvre la course folle du Lapin blanc, les fascinantes contorsions du Chat du Cheshire, les ascensions de Pat et de Bill sur l’échelle à l’assaut de la petite maison où elle est emprisonnée. Le chapitre du « thé chez les fous » en compagnie du Chapelier devient une folle soirée dans une rougeoyante discothèque où l’on rencontre des équilibristes, costumées en barmaids, qui jouent avec des chandeliers allumés, une magicienne au masque chinois qui fait voler une table ou encore des jongleuses qui font tournoyer de multiples assiettes sur des bâtons.


alice-discotheque.jpg

Dans la discothèque chinoise

 

On pénètre encore dans la cuisine de la Duchesse et du Bébé qui se transforme en petit cochon. Les cuisiniers, armés de grands poivriers et éternuant sans discrétion, y mélangent la soupe avec énergie, et y plongent êtres humains et animaux. On y rencontre le Chien, interprété par deux artistes, sous la forme des célèbres dragons chinois. Ce chapitre donne lieu encore à un exceptionnel jeu de jarres. Ce mélange de fantaisie et de cauchemar, un des traits caractéristiques de l’œuvre de Lewis Carroll, est ici particulièrement bien rendu.

Le metteur en scène fait encore un clin d’œil à la situation politique de la Chine. On sait en effet que le conte de Lewis Carroll peut être lu comme une remise en cause d’un ordre victorien corseté et qui brima les enfants. Sur l’affiche qui représente la Reine de Cœur (Queen Mao !), celle qui répète sans cesse « Qu’on lui coupe la tête ! », des opposants viennent placarder une affiche avec le mot « Democraty ». C’est l’occasion d’un affrontement chorégraphié entre les soldats et les courtisans de la Reine de Cœur vêtus de rouge, et les manifestants habillés de noir. Puis les champions de chaque parti, costumés en catcheurs, s’opposeront à travers un beau numéro de voltige sur rubans. Enfin, la Reine de Cœur, dressée sur un pavois constitué d’une carte à jouer, proposera un remarquable jeu avec les cartes, sorte de magistral feu d’artifice, qui les enverra jusque parmi les spectateurs.


Alice-la-reine-et-le-lapin-blanc.jpgAlice, la Reine de Coeur et le Lapin blanc


Ce défi permanent à l’espace, à l’équilibre, que pratiquent avec maestria ces jeunes artistes chinois, est au service de la provocation du langage, chère à Lewis Caroll. Les couleurs, le mouvement perpétuel, l’occupation permanente de la scène, la musique rêveuse ou rythmée,  exaltent au plus haut point la fantaisie du texte de l’écrivain anglais. On regrettera peut-être une musique un peu trop envahissante parfois, qui nuit à une bonne écoute de la voix off.

Ainsi, grâce à ces jeunes Chinois qui paraissent éternellement jeunes, ce spectacle enlevé et ludique fait la part belle à l’imaginaire enfantin. On relira alors à propos l’épilogue du conte de Lewis Caroll dont la conclusion est laissée à la sœur d’Alice : « Elle était certaine que, dans les années à venir, Alice garderait son cœur d’enfant si aimant et si simple ; devenue femme, elle rassemblerait autour d’elle d’autres petits enfants, ses enfants à elle, et ce serait leurs yeux à eux qui deviendraient brillants et avides en écoutant mainte histoire extraordinaire, peut-être même cet ancien rêve du Pays des Merveilles. » Et, devant les merveileux artistes du Cirque de Chine, les spectateurs ébahis sont vraiment redevenus de tout-petits enfants.


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Alice et les jongleurs de chapeaux

 

 


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15 juin 2013 6 15 /06 /juin /2013 18:00

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Le conteur Jérôme Aubineau

(Photo ex-libris.over-blog. com, vendredi 14 juin 2013)

 

Vendredi 14 juin 2013, à la Maison des Associations, la bibliothèque de Rou-Marson recevait le conteur vendéen Jérôme Aubineau. Une quarantaine de personnes, dont une majorité d’enfants, était là tout ouïe pour l’écouter. Ils n’ont certes pas été déçus, tant la verve et la fantaisie du jeune conteur sont communicatives.

Dans le chaud décor d’un théâtral rideau rouge, accompagné de son guitariste Basile Gahon, Jérôme Aubineau a raconté quatre histoires de son cru inventif. Avec lui, « Cric-Crac, le conte sort du sac » et les enfants trépignent.

Il a d’abord revisité Le Petit Chaperon Rouge, transformé sous sa plume en Petit Chaperon Bleu, avec l’histoire intitulée Même pas peur. Eh oui, la célèbre petite fille s’appelle ici Marinette, habite en forêt de Mervent et, qui l’eût cru, sa grand-mère de 82 ans est le vrai Petit Chaperon Rouge. Chargée de lui apporter des pelotes de laine, Marinette va crever avec son vélo et se retrouver au zoo devant la cage du loup. On ne vous dira pas comment c’est la grand-mère qui s’est retrouvée dans la cage mais si vous le demandez aux enfants, ils vous le diront ! Et puis, tout se termine bien puisque le loup retourne en Sibérie et devient, devinez quoi, raconteur d’histoires. Pour Jérôme Aubineau, « une salade d’histoires, c’est pas compliqué » et avec lui on ne s’étonne pas que les loups fassent cui-cui.

Aubineau 3

La deuxième histoire, c’est celle de Sylvain, un petit garçon comme tous les autres, qui a peur du noir. Jérôme Aubineau le met en scène, une petite bougie à la main, dans J’veux pas dormir ! Quelle inventivité dans les questions qu’il pose à sa grand-mère pour éviter qu’elle ne le laisse seul dans la chambre : « La lune est pleine mais pleine de quoi ? », « Les sourds-muets, comment font-ils pour se dire un secret ? », « Et un chauve jusqu’où il va quand il se lave le visage ? » Et les enfants sont ravis quand le conteur leur demande les moyens qu’ils utilisent eux-mêmes pour trouver le sommeil. S’ensuivra une rocambolesque histoire de naufrage dans un chaudron de ratatouille, un plat que Sylvain (et les petits spectateurs) détestent. Ils reprendront avec entrain : « Touille la ratatouille ! J’aime pas la ratatouille, j’aime pas ! » Sauvé par une séduisante aubergine, Sylvain échappera à Simone la sorcière, sortie du ventre de la grand-mère « qui s’est ouvert comme un rideau de théâtre ». Il finira par s’endormir en comptant les moutons.

Puis Jérôme Aubineau revisitera l’histoire des Trois Petits Cochons, métamorphosées sous sa plume en trois petites poulettes, noire, rouge et multicolore. Orphelines de père (mangé au coq au vin) et de mère (devenue poule au pot), sans maison dans la forêt, comme elles ont peur du grand méchant loup ! Elle échapperont au prédateur qui a un total look et qui porte des talonnettes. Il finira ébouillanté dans le chaudron de la cheminée et sera découpé au couteau électrique. « Petit, petit, peta… », le spectacle s’achève mais les enfants ne sont pas encore rassasiés d’histoires. « Tu peux en faire d’autres ? » entend-on.

Le conteur s’exécute de bonne grâce et met alors en scène la Mère Misère, avec une histoire plus tragique et plus poétique. C’est celle d’une pauvre vieille que la Mort même se refuse à emmener. Elle appelle au secours le beau génie doré qui se trouve dans la bouteille de Monsieur Propre et qui lui fait don d’une graine magique. Après de multiples péripéties qui lui feront rencontrer la bande d’Abel le rebelle et la Mort elle-même, demeurera cependant  une fleur : « C’est l’Espoir ! »

Avec ces quatre histoires, Jérôme Aubineau a enchanté ses jeunes spectateurs, dans une salle chauffée à blanc. Son attention à leurs réactions, sa proximité avec eux, son âme d’enfant ont fait merveille. Je n’aurais garde non plus d’oublier la complicité avec son guitariste, Basile Gahon, dont la musique soutient et rythme à propos les folles histoires d’un conteur jubilatoire.

 

Aubineau-guitare.JPGBasile Gahon à la guitare

(Photo ex-libris.over-blog.com, vendredi 14 juin 2013)

 

Le site de Jérôme Aubineau : link

 

 

 


 

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23 mars 2013 6 23 /03 /mars /2013 15:03

La-voix-est-libre-les-trois.JPGDe gauche à droite  : Michel Miramont, Silvio Pacitto, Jean Lespert

 

Vendredi 22 mars 2013, dans le cadre du festival saumurois des 1001 Voix, La voix parlée, la voix chantée… la voix imaginée, son directeur artistique, Silvio Pacitto, proposait 45 minutes consacrée à la poésie, à l’heure où le ventre crie famine. Sous les grands lustres hollandais et les lambris vernissés de la salle des mariages de l’Hôtel de Ville, devant un public d’une trentaine de personnes, les comédiens Jean Lespert, Michel Miramont et lui-même ont fait résonner les mots d’une petite dizaine de poètes de leur choix.

En un subtil dosage des textes, tour à tour, ils nous ont donné à entendre des tonalités variées. Jean Lespert a d’abord proposé la définition provocatrice de la démocratie par Romain Gary, en lutte contre le totalitarisme des idées :

« Je suis a priori contre tous ceux qui croient avoir absolument raison […] Je suis contre tous les systèmes politiques qui croient détenir le monopole de la vérité. Je suis contre tous les monopoles idéologiques. Je vomis toutes les vérités absolues et leurs applications totales. Prenez une vérité, levez-la prudemment à hauteur d’homme, voyez qui elle frappe, qui elle tue, qu’est-ce qu’elle rejette, sentez-la longuement, voyez si ça ne sent pas le cadavre, goûtez en gardant un bon moment sur la langue- mais soyez toujours prêt à recracher immédiatement. C’est cela, la démocratie. C’est le droit de recracher. »

Avec les alexandrins charpentés de Victor Hugo, Silvio Pacitto a rappelé le grand rêve de son  poème « Fraternité »: 

« Je rêve l’équité, la vérité profonde,

L’amour qui veut, l’espoir qui luit la foi qui fonde,

Et le peuple éclairé plutôt que châtié.

Je rêve la douceur, la bonté, la pitié,

Et le vaste pardon. De là ma solitude. […] »

L’absurde était aussi au rendez-vous quand Michel Miramont et Silvio Pacitto ont entamé le « Dialogue sur un palier », extrait du Gobedouille et autres diablogues de Roland Dubillard. Comment, à partir d’un banal pied qui craque, on en vient à s’interroger sur l’existence d’un petit oiseau, ampoule ou gobedouille. Extraordinaire inventivité d’un auteur qui a l’art de métamorphoser une situation simple en imbroglio poétique.

Quant à Michel Miramont, il a proposé à notre sagacité les « Petits problèmes et travaux pratiques » du Professeur Froeppel de Jean Tardieu, lesquels nous ont laissés perplexes :

« I. L’espace.

Etant donné un mur, que se passe-t-il derrière ?

Quel est le plus long chemin d’un point à un autre ?

II. Problème d’algèbre à deux inconnues.

Etant donné qu’il va se passer je ne sais quoi je ne sais quand, quelles dispositions prenez- vous ?

III. Deux mots de mécanique rationnelle.

Une bille remonte un plan incliné. Faites une enquête. […] »

 La Voix est libre Miramont

Michel Miramont

Nous avons encore souri avec amertume avec « La complainte de l’homme exigeant » du même Jean Tardieu, toujours choisi par Michel Miramont. Mélancolique complainte d’un homme qui « veu[t] faire la lumière/ sur « la sale affaire de [sa] vie ». Ainsi, à cors et à cris, il « réclamait le soleil/ Au milieu en plein milieu/ De la nuit (voyez-vous ça ?) » :

« Or malgré tous nos efforts

Nous n’avons pu lui donner

La plus petite parcelle

De la lumière solaire

Au milieu de la nuit noire

Qui le couvrait tout entier.

Alors pour ne pas céder

Alors les yeux grands ouverts

Sur une toute autre lumière

Il est mort. »

 La voix est libre pacitto

Silvio Pacitto

Avec « La Cigale et le Renard », fable moderne retenue par Silvio Pacitto, la plume sarcastique d’Anouilh, nous a rappelé le pouvoir de l’argent roi : une fable où le dupeur se  voit dupé par plus malin que lui dans un monde impitoyable pour les petits.

[…]

« «  Oui, conclut la cigale au sourire charmant,

On dit qu’en cas de non-paiement

D’une ou l’autre des échéances,

C’est eux [les pauvres] dont on vend tout le plus facilement. »

Maître Renard qui se croyait cynique

S’inclina. Mais depuis, il apprend la musique. »

Jean-Pierre Siméon, l’animateur passionné du Printemps de Poètes, était aussi présent avec deux textes. Le premier, dit par Silvio Pacitto, « La secrète nuance de la vie », nous a proposé une définition de la poésie, celle qui « veut tenir la mer dans ses mains » et pour laquelle « comprendre, c’est étreindre ». Les poètes ne sont-ils pas indispensables ? « On aura toujours besoin d’idiots dans le village… »

L’autre texte, empreint d’un humour ravageur, et modulé par Jean Lespert, a stigmatisé les méfaits du jeunisme qui contraint chacun à « jouer le jeu du jeune jusqu’à ce que la peau lui tombe », tout en exaltant les beautés du « vieuxisme » :

« J’aime la beauté demeurée autre dans les rides […] J’aime la grande patience de ceux-là très proches d’être morts ».

Les grands classiques n’avaient pas été non plus oubliés. Michel Miramont nous a ainsi bercés avec le pentamètre de Louis Aragon, dans « Au bout de mon âge ». Merveilleux quatrains tout en légèreté, qui disent l’éphémère du destin d’un homme, ce « chant égaré » en équilibre entre hasard et poésie : 

« […]

Tant pour le plaisir

Que la poésie

Je croyais choisir

Et j’étais choisi !

 

Je me croyais libre

Sur un fil d’acier

Quand tout l’équilibre

Vient du balancier

 

Au bout de mon âge

Qu’aurais-je trouvé

Vivre est un village

Où j’ai mal rêvé. »

Michel Miramont nous a rendu un instant l’enfance avec « Jeanne était au pain sec », extrait de L’Art d’être grand-père de Victor Hugo. Qui n’a pas en mémoire la chute du poème, avec la réplique de la petite-fille à son grand-père trop indulgent :

« Eh bien, moi, je t’irai porter des confitures ! »

 La Voix est libre lespert

Jean Lespert

Et Jean Lespert nous a remémoré les aspirations contradictoires de l’homme avec les quatre quatrains de « L’homme et la mer » de Baudelaire. Si la mer est son propre miroir, si elle révèle son aspiration à l’infini, elle est aussi appel au néant et à la mort.

« Homme libre, toujours tu chériras la mer !

La mer est ton miroir, tu contemples ton âme

Dans le déroulement infini de sa lame

Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. […] »

Mais ce petit intermède poétique a surtout été pour moi l’occasion de découvrir un poète dont j’ignorais tout, Jehan Jonas, dont Jean Lespert a lu un texte. Celui-ci, tout rempli d’ironie tragique et d’humour noir, est le monologue d’un homme qui a tué sa femme et qui ne comprend pas pourquoi on l’arrête :

« Je l’ai tuée, je l’ai tuée […] Tout de suite, les grands mots ! », dit-il sans sourciller.  « La vie, c’est sacré, surtout quand on l’a plus […] » reconnaît-il. Il se trouve même des circonstance atténuantes : « C’était une emmerdeuse, pas une imbécile », allant jusqu’à se faire plaindre : « Je suis veuf, maintenant, qu’est-ce que je vais devenir ? »

Jehan Jonas est passé comme un météore dans le ciel de la poésie. Né à Paris en 1944, il est mort en 1980, à 35 ans, d’une maladie qui l’a emporté en un mois. Cet ancien électricien- ajusteur de formation écrit ses premiers textes dès 1961 et il composera plus de 250 chansons, dont « Comme dirait Zazie ». Il chantera aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés, à la Contrescarpe, au Don Camillo, produira plusieurs 33 tours, créera deux spectacles, fera des récitals à travers l’Europe et participera à des émissions de télévision. Autodidacte doué, il laisse une œuvre multiple, pleine de gouaille, de cynisme, de révolte et de poésie.

Merci donc à ces trois passeurs en poésie, dont les textes choisis feront peut-être l’objet d’un prochain spectacle. Grâce à leurs trois voix libres, cette journée du vendredi 22 mars nous aura semblé printanière.

 

Voir le site consacré à Jehan Jonas : link

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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14 octobre 2012 7 14 /10 /octobre /2012 17:55

caroline-vigneaux-quitte-la-robe-au-petit-palais-des-glaces

 

 

Samedi 13 octobre 2012, j'étais avec ma fille, avocate de son état, au Petit Palais des Glaces, rue du Faubourg du Temple. Dans son spectacle intitulé Caroline Vigneaux quitte la robe (un titre et une affiche incitatifs pour la gent masculine !), l'humoriste, qui fut avocate pendant sept ans, nous y a raconté son parcours, de l'avocature à la scène. C'est avec distance, truculence et dérision qu'elle évoque les souvenirs  des péripéties d'un choix atypique. "C'est un peu ma vie que je raconte", dit-elle en souriant.

Ce seront d'abord ses démêlés avec les clients pour lesquels, toute jeune avocate, elle fut commise d'office, le portrait au vitriol d'une boss tyrannique, une satire sans concession de ce monde de la basoche qu'elle quittera au grand désespoir de ses parents, catholiques vosgiens bon teint. "Ma mère a bien réagi... Elle a réanimé mon père."  Le show se poursuivra avec  le souvenir de son passage éclair à Pôle Emploi au contact d'une employée incapable, l'évocation de sa relation amoureuse tragi-comique avec son Roméo vert écologique et les perspectives publicitaires au service d'un club de rugbymen que lui offre sa nouvelle existence...

Vêtue d'une courte robe-ballon noire sur des bas à résilles, chaussée de fins escarpins, la blonde comédienne au visage mobile et expressif, au jeu décoiffant et déjanté, a prouvé à son public  qu'elle avait eu bien raison de jeter aux orties son froc noir et son rabat blanc.

En effet, qu'elle prenne l'accent d'un petit caïd de banlieue, qu'elle rape sur le néant de sa vie sexuelle, qu'elle interpelle sa tête de turc masculine du premier rang, son petit Cui-Cui, elle fait mouche à tout coup et l'on rit sans vergogne. Au souvenir de son kilt long et de son serre-tête en velours,  c'est toute son adolescence de jeune  fille sage et bien rangée qui ressurgit, quand elle chantait dans une chorale pour un public de sourds-muets ou qu'elle dansait solitaire en boîte de nuit, une bouteille d'eau minérale à la main.

Le sexe et l'écologie ne sont pas en reste. A propos des femmes qui simulent le plaisir, la comédienne instaure un dialogue savoureux avec son public qui se retrouve bien malgré lui pris à son propre piège. On n'oubliera pas non plus le potacon (potager sur le balcon)  et  Roméo, l'amoureux écologiste, écrasé par la chute de son éolienne !

Avec son regard vert inquisiteur, ses mimiques improbables, son naturel confondant, la brillante ex-avocate a sans doute eu raison de choisir d'exercer désormais sa faconde non plus dans les prétoires mais sur les planches. Et tant il est vrai que nul n'est censé ignorer le rire, celle qui fut Maître Caroline Vigneaux nous le rappelle haut et fort,et avec quel brio !

 

carolione-vigneaux.jpg

 

 

 

 

 


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La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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