Vendredi 17 juin 2022, à 18h, bravant la canicule, plus d’une vingtaine de courageux marcheurs se sont retrouvés sur la place du château de Marson pour une Balade contée, le Nez en l’air. Organisée par les bénévoles de la Bibliothèque de Rou-Marson (dont je fais partie) et Renée Monnier des Sentiers botaniques, elle a conduit les promeneurs, casqués de chapeaux de paille, entre les deux villages, parmi de petits champs, petits bois, petits sentiers, dans une nature où l’on se sent loin de tout. Grâce à Renée Monnier, experte ès botanique, ils ont été attentifs aux nombreux acacias, à la rondeur d’un vieux châtaignier, à la chondrille à tige de jonc venue du Midi, à la viccia cracca à la jolie fleur mauve et au sable si fin des chemins, issu des pierres gréseuses.
Quatre haltes bienvenues dans le sous-bois leur ont permis d’écouter des poètes, chantres de Dame Nature. De Ronsard à Colette, en passant par Chateaubriand, George Sand ou encore Charles Cros, ils ont savouré le plaisir d’être seuls dans la forêt et de rêver à ses nymphes et à ses sylvains. D’une halte à l’autre, les promeneurs ont fredonné la chanson célèbre de Mireille, « Ce petit chemin qui sent la noisette ».
Devant la rondeur d’un vieux châtaignier, nous avons débuté la promenade avec un de mes poèmes célébrant l’utilité ancienne et la belle longévité de cet arbre : « [… A l’ancre de la terre/ Il nourrissait les pauvres/ Et surveillait les bêtes/ Il faisait les tonneaux/ Et devenait charpente en sa virilité […] »
Auguste Lacaussade, né à L’Isle Bourbon, nous a accompagnés en chantant « Les Jours de juin », en nous invitant à « aller au bois » et à fuir la ville. L’« épaisse ramure » de la « forêt de Meudon ou d’Auteuil » lui aura fait oublier [s]on île et [s]es vertes savanes ».
Cinq distiques de Charles Cros (« Les Quatre saisons ») ont souligné le pouvoir parfumé des fleurs du printemps dans le sentiment amoureux : « […] Nous n’aurions rien dit, réséda/ sans ton parfum qui nous aida. » Et avec Rimbaud, le poète aux semelles de vent, nous avons goûté à la « sensation » « par les soirs bleus d’été » d’« aller dans les sentiers ».
Théophile Gautier nous a bercés de sa ballade, « Quand à peine un nuage », dans laquelle il célèbre le petit peuple de l’herbe, couleuvres, lézards, taupes, araignées, fourmis, papillons et tutti quanti : « […] Qu’il fait bon ne rien faire, / Libre de toute affaire, / Libre de tous soucis, / Et sur la mousse tendre/ Nonchalamment s’étendre, / Ou demeurer assis ; […]
Ce fut ensuite le temps d’écouter la première partie d’une nouvelle de Maupassant, « Au bois ». Un petit récit dans lequel on découvre M. et Mme Beaurain, des commerçants d’un âge respectable, surpris par le garde champêtre en « flagrant délit de mauvaises mœurs », « à la frontière d’Argenteuil ».
A l’abri d’un sous-bois, nous avons retrouvé Pierre de Ronsard et son ode célèbre « A la forêt de Gastines » : « Couché sous tes ombrages verts,/ Gastines, je te chante/ Autant que les Grecs, par leurs vers/ La forêt d’Erymanthe ; […] » Et son poème « Contre les bûcherons de la forêt de Gastines » a résonné à nos oreilles de façon très moderne : « […] Forêt, haute maison des oiseaux bocagers, / Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers/ Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière, / Plus du soleil d’été ne rompra la lumière. […]
Forêt, célébrée encore par Chateaubriand avec « La Forêt », un poème extrait des Tableaux de nature. Il y chante son « aimable solitude », son « ombrage ignoré » et termine ainsi : « D’autres vous rediront des amours étrangères ; / Moi de vos charmes seuls j’entretiens les déserts. »
C’était ensuite au tour de Colette de dire son amour des bois avec un extrait de Claudine à l’école, « Dans les bois de Saint-Sauveur ». Elle y raconte ses « frayeurs suffocantes » lors de la rencontre avec des serpents ; ses préférences à s’y promener seule plutôt avec ces « petites grandes filles » qui ont peur de « se déchirer aux ronces » et s’effrayent devant les « petites bêtes ».
Dans un poème en forme de petite comptine, extrait de Au clair de la lune, Maurice Carême a conté les mésaventures du chasseur. Quand il jette son fusil, tous les animaux lui apparaissent ; quand il le reprend, ils ont disparu : « Et soudain plus de loup/ Plus de renard surtout/ Plus de pie, de faisan/ Lui tout seul comme avant »
Cette troisième halte s’est achevée avec un autre de mes poèmes, « Feuilles et fées ». Les demandes réitérées d’une petite fille aux membres de sa famille pour savoir « Où s’en vont les fées et les dames vertes/ Quand l’automne est là, les forêts désertes ». Sa grand-mère finit par lui répondre : « Fillote, je le sais, mais c’est un secret ! / En habits de deuil/ Elles sont endormies/ Dans leur lit de feuilles. »
La quatrième halte, à la croisée de deux chemins, était consacrée davantage à la marche et au sentiment de solitude dans la nature. Gilbert d’Ahuy aime à marcher sur les « petits sentiers lumineux » : « Petits sentiers de balade, / Même sans faire de grande distance, / Où tranquillement on avance […] »
Sabine Sicaud, dans « La Solitude », nous a donné à rêver sur la couleur verte : « Solitude… pour vous cela veut dire seul, / Pour moi – qui saura me comprendre ? / Cela veut dire : vert, vert dru, vivace tendre, / Vert platane, vert calycanthe, vert tilleul […]
George Sand nous a dit sa félicité à « contempler la sérénité des grosses pierres au clair de lune ». Et d’ajouter : « Je m’identifiais tellement au mode d’existence de ces choses tranquilles, prétendues inertes, que j’arrivais à participer à leur calme béatitude ».
Avec « Voyageur, il n’y a pas de chemin », Antonio Machado nous a appris que, pour le Voyageur, « le chemin/ C’est la trace de [s]es pas », qu’« il n’y a pas de chemin » et que « Le chemin se fait en marchant ».
Sarah Marquis, quant à elle, affirme que « le lien avec la nature est le seul moyen pour l’être humain de sauver sa peau ». « Après tout », dit-elle, « il s’agit simplement de retrouver la condition originelle de l’être humain : mettre un pied devant l’autre, au cœur de l’immensité de la nature. »
Et Jacques Lanzmann de conclure : « Marcher, est-ce que cela ne serait pas, en définitive, tourner avec ses pieds, au pas à pas, page après page, le grand livre de la vie ? »
Notre balade s’est achevée avec humour sur la seconde partie de la nouvelle de Maupassant. Mme Beaurain y explique comment ses rêveries romantiques et un retour de flamme pour son mari les ont conduits à s’aimer de nouveau sur les lieux de leur première rencontre. « Le maire était un homme d’esprit. Il se leva, sourit et dit : « Allez en paix, madame, et ne péchez plus… sous les feuilles. »
Cette balade par un soir chaud de juin s’est achevée dans la fraîcheur de la cave communale de Marson. Gâteaux au chocolat, aux noix et au café, à la mélisse et à la framboise, accompagnés de cakes salés faits-maison, les y attendaient. Et en dégustant bulles roses et blanches, les promeneurs ont encore partagé des citations sur la marche, bien persuadés que « le but, ce n’est pas le bout du chemin, c’est le cheminement » ainsi que l’écrit Eric-Emmanuel Schmitt.
Photos : Dominique Lenfantin, Catherine Thévenet, Marie-Christine Barbot