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22 octobre 2013 2 22 /10 /octobre /2013 22:13

 

 Antjie Krog et Lory

Antjie Krog et Georges-Marie Lory disant des poèmes extraits de Une syllabe de sang

(Photo ex-libris.over-blog.com, mercredi 16 octobre 2013)

 

Pour sa première action, Lettres sur Loire et d’Ailleurs a invité à l’automne 2013 l’écrivain sud-africain Antjie Krog pour un itinéraire de rencontre en Pays de la Loire. C’est ainsi qu’elle a été accueillie par La Maison des Littératures, mercredi 16 octobre à 20h, à la salle Beaurepaire à Saumur.

Georges-Marie Lory, le traducteur des œuvres de l’écrivain, a d’abord présenté Antjie Krog, selon lui la voix la plus forte de sa génération. Il a insisté sur sa participation capitale à la commission Vérité et Réconciliation, sur l’importance de ses ouvrages sur la société sud-africaine. Il a fait remarquer qu’elle a traduit en afrikaans nombre de poèmes majeurs et notamment des textes de la littérature hottentote. Il a souligné que l’écrivain est entré très jeune en rébellion contre l’apartheid en publiant à seize ans un poème contre la ségrégation entre Noirs et Blancs. Depuis, la poésie est demeurée son arme de combat.

Puis Georges-Marie Lory a évoqué la langue afrikaans (qui signifie « africain »). Il s’agit d’une sorte de créole issu du néerlandais que parlaient les premiers colons néerlandais, les « boers » (« paysans/ agriculteurs »). Ensuite les esclaves, les malgaches, s’approprièrent ce langage simple dans sa grammaire, d’une grande richesse de vocabulaire, et devenu une langue à part entière.

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Antjie Krog et Georges-Marie Lory

(Photo ex-libris.over-blog.com, mercredi 16 octobre 2013)

Devant un auditoire d’une cinquantaine de personnes, debout à jardin, Antjie Krog a dit en afrikaans certains de ses poèmes extraits de son recueil Une syllabe de sang (Le temps qu’il fait, septembre 2013). Les textes étaient traduits vers par vers ou a posteriori par son traducteur Georges-Marie Lory. Ce recueil rassemble la plupart des poèmes publiés en Afrique du Sud sous le titre Verweerskrift (Ecrits de résistance, Umuzi 2006). On y trouve des poèmes anciens (1970, 1980) et des poèmes inédits composés en 2010.)

Antjie Krog a commencé avec le poème « Cela gronde doucement », qui dit comment l’attente de la pluie dans le veld pèse sur la nature et sur les êtres. « Depuis » évoque le passage du temps sur la faune et la flore qui mène vers le néant. « Chant marital » souligne avec lucidité le « survivre ensemble » de deux époux de trente années. « Le taureau de bronze à Lavigny  », « ce taureau en dé-rut » apparaît comme la métaphore du corps vieillissant en déroute. « Dépression » est la déchirante exhortation d’une mère à son fils en proie à la dépression : « c’est terrible. c’est terrible de voir. / de te voir ainsi. » Dans la tranquillité du matin, « Thé matinal », qui clôt le recueil, propose une tonalité plus sereine et plus apaisée. « Serré dénoué » décrit avec lucidité les ravages de la vieillesse sur le corps féminin ménopausé. Antjie Krog a conclu la première partie de cette rencontre avec le deuxième poème du recueil, « C’est vrai ». Un texte noir, sans concession, qui dit l’indifférence de la nature devant celle qui reconnaît qu'elle est « au bord de l’abîme ».

Ce choix de poèmes nous a ainsi présenté la variété de la voix d’un écrivain physiquement et sensuellement attaché à ses racines. Il nous a révélé l’amour d’une femme pour ses proches, la même qui en même temps n’hésite pas à dire les vicissitudes de la vieillesse sur son corps. Georges-Marie Lory, avec qui j’ai parlé un peu après, m’a dit que Antjie Krog est le seul poète qu’il connaisse à parler du corps féminin de cette manière.

Je voudrais ajouter qu’entendre ces poèmes dits en afrikaans a été une expérience très forte émotionnellement. La gutturalité de cette langue, ses [g], ses [r], le rythme des vers, la manière profonde et envoûtante dont l’auteur a dit ses textes, m’ont beaucoup impressionnée. Loin de m’éloigner de cette poésie, cette langue étrangère me l’a inexplicablement rendue proche. Certes, la traduction de Lory nous en a donné le sens, mais, à la limite, j’oserais dire que cela n’était pas nécessaire, tant il est vrai que la poésie est peut-être avant sonorité et musique. Et puis, j’avais eu la chance avec quelques-uns d’avoir lu, la semaine précédente, certains de ses poèmes à voix haute en français, et de m'être ainsi déjà familiarisée avec eux.

Pour conclure ce temps, l’écrivain  a dit en souriant, avec humilité, qu’il est bien difficile de lire de la poésie étrangère. Georges-Marie Lory dira plus tard, au cours de l’entretien, qu’il est impossible de traduire un poème ; parfois on privilégie les sonorités, parfois le rythme ; on est obligé de composer tout le temps.

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Lydiane Stater-West, Cathie Barreau, Georges-Marie Lory, Antjie Krog et son interprète Jérôme Woodford

(Photo ex-libris.over-blog.com, mercredi 16 octobre 2013)

 

Après ce beau moment, Antjie Krog et Georges-Marie Lory ont rejoint à cour Cathie Barreau (directrice de la Maison Julien Gracq), Lydiane Stater-West (coordinatrice de La Maison des Littératures) et un interprète, Jérôme Woodford ; l’entretien a porté sur la participation de Antjie Krog à la commission Vérité et Réconciliation. En journaliste et en poète, elle relate cette expérience dans un ouvrage publié en 2004 chez Actes-Sud, La Douleur des mots.

Elle a d’abord dit le statut particulier de cette commission au cours de laquelle 22000 victimes sont venues témoigner. Sur les 8000 tortionnaires, 1123 ont été amnistiés tandis que les autres n’étaient pas poursuivis pénalement. Ceci ne leur a pas, bien sûr, évité de graves problème psychologiques par la suite. Quant aux victimes, elles ont eu droit à des compensations très faibles, au grand dam de Mgr Desmond Tutu, archevêque du Cap et président de la commission.

Antjie Krog a participé à celle-ci en tant que journaliste pour la Radio Nationale d’Afrique du Sud. Les premiers temps ont été extrêmement difficiles à vivre, marqués par des « images de dévastation […], un vaste paysage aride, inconsolé ». Affrontée au choc des témoignages, contrainte de se remettre à fumer, marquée par l’épuisement physique, en proie aux mêmes symptômes que les victimes, elle a même envisagé de renoncer à sa participation. « Les artères de notre passé saignent à leur  rythme » dit-elle.

Lydiane Stater-West, après avoir évoqué le titre original de l’ouvrage, Country of my skull, traduit par La Douleur des mots (le titre anglais vient d’un poème de l’écrivain et c’est l’éditeur qui a trouvé le titre français), lui a demandé si elle concevait l’écriture comme une lutte. Elle a répondu que, pour la mauvaise mère qu’elle est, écrire est la seule chose qu’elle sache et puisse faire. L'écriture fait partie de l’effort pour décrire les mensonges.

Cathie Barreau a ensuite évoqué la toute jeune fille qui avait pris position contre l’apartheid. Que s’était-il passé ? Antjie Krog a insisté sur le fait qu'alors tout le monde était conscient de l’horreur de la situation mais qu’il était plus facile de ne pas le reconnaître. Pour elle, elle n’a dit à l'époque que ce qui était évident ! Ses professeurs étaient inquiets et elle-même  se sentait très seule. Elle se demandait si elle était vraiment poète et, tous les poètes afrikaners ayant commencé en France, souhaitait venir à Paris. C’est sa mère qui lui a dit qu’il valait mieux écrire sur la vie ordinaire, sur ce qui est autour de soi, et c’est ainsi qu’elle est restée en Afrique du Sud.

Dans la salle, on lui a alors demandé comment, dans la période transitoire actuelle, elle voyait la structure sociale entre les Blancs et les Noirs. Existe-t-il une harmonie à trouver dans le temps ? Elle a répondu que le pays ne peut pas continuer comme aujourd’hui. Il faudra qu’il change bien que les Blancs refusent de perdre l’initiative. Même au Zimbabwe, où il y a eu beaucoup de choses terribles, cela change. Pourtant, la hiérarchie de l’argent demeure, la pauvreté est très importante, l’immigration est massive (2 millions de Zimbabwéens).

Antjié Krog le reconnaît : « Nous sommes un pays riche avec des pauvres ». Le pays possède une bonne constitution mais les jeunes s’impatientent. Selon elle, la sécurité n’est pas un problème majeur. Si elle se félicite que le pays ait évité une grave guerre civile, elle reconnaît qu’il est victime d’un passé où la moralité a été brisée. Les Noirs ont été humiliés, ils se sentent inférieurs aux Blancs mais les uns comme les autres ont été blessés par ce passé où les colons ont gardé la paix certes, mais au prix de moyens violents.

D’une certaine manière, la commission a creusé un autre ravin entre Blancs et Noirs. Les Blancs, s’ils ont été surpris d’obtenir le pardon des Noirs, se sont satisfaits de cet état de choses. Antjie Krog rapporte en exemple une phrase de sa mère (dont elle avoue qu’elle est raciste) : « Les Noirs sont trop paresseux pour détester. S’ils m’avaient fait ce qu’on leur a fait, je les détesterais, comme les Russes savent détester ! »

Antjie Krog conçoit ce pardon d’une tout autre manière qu’elle exprime ainsi  : « Vous avez tué mon enfant parce que vous avez perdu votre humanité. Cette perte même a touché ma propre  humanité. Au lieu de vous tuer, je vous pardonne pour que vous puissiez commencer à changer. C’est à travers votre retour à l’humanité que je peux retrouver la mienne. » Cependant, après 20 ans de démocratie, les Noirs voient que les Blancs ne retrouvent pas leur humanité et l’impatience et la colère se font jour. Les Blancs, ce sont ceux qui sont incapables de partager.

Georges Lory intervient alors pour préciser que cette violence est l’héritage d’un lourd passé colonial, bien difficile à digérer. Il rappelle qu’au cours de la guerre entre les Boers et les Anglais (1880-1881, 1899-1902), le bilan humain fut terrible. Elle occasionna 26000 morts, dont 24000 serviteurs noirs et fut à l’origine des premiers camps de concentration. La violence se perpétue : ceux qui ont été abusés abusent désormais. Le même dessin se répète : les Noirs deviennent racistes.

Le poète Philippe Longchamp a alors demandé à l’écrivain comment, dans une vie percutée par les malheurs de la population africaine, ces événements tragiques avaient modifié son écriture poétique. La forme poétique vient-elle de cette expérience ?

L’auteur avoue qu’elle n’a pas de réponse claire à cette question capitale. Elle explique que son travail est très oral, les gens auxquels elle s’adresse ne sachant pas lire. Eux, ils racontent, ils jouent. Mais comment écrit-on la politique ? Nelson Mandela et Desmond Tutu, pour leur part, sont ceux qui apportent le vocabulaire de la bonté. Ils cherchent à « maintenir en vie l’idée d’un humanisme commun ». Quant à elle, elle écrit des poèmes sur la colère et la culpabilité.

Nelson Mandela et Desmond Tutu sont comme le Roi et son Prophète dans l’Ancien Testament. Et il faut un bon roi et un bon prophète pour que ça aille bien ! Leur philosophie est fondée sur une humanité mutuelle. A Nantes, devant le Mémorial de l’Abolition de l’Esclavage, Antjie Krog a pensé que si les esclaves ne sont pas libres, leurs propriétaires ne le sont pas non plus. On n’est jamais seul, on est toujours lié.

Elle rappelle qu’au moment où les politiques ne savaient pas s’il y aurait une négociation, les militaires ont dit à Mandela : « On peut guerroyer pendant vingt ans. » Il leur a répondu : « Et dans vingt ans ? Pourquoi ne venez-vous pas avec moi dans un nouveau pays en paix ? » Les militaires en fait ne se sentent pas liés à Mandela qui, lui, se sent lié aux Blancs. Et à Obama se félicitant d’avoir tué Ben Laden, on pourrait rétorquer : « Qu’avez-vous appris de Mandela ? » Selon elle, c’est une honte que le pays soit gangrené par la corruption et que personne n’ait suivi les traces de Mandela. Quant à Robert Mugabe, président dictatorial du Zimbabwe, elle considère qu’il n’a pas eu la chance de rencontrer son prophète, ce dernier étant celui qui apporte les vérités les plus simples.

Cathie Barreau remarque que si l’art déstabilise et pose question, il peut aussi unifier et mettre de l’ordre. Elle souligne que lorsqu’elle entend Antjie Krog dire ses poèmes, cela crée du lien. A cela l’écrivain répond qu’elle n’en est pas vraiment persuadée. Dans le tiers-monde, la poésie est élitiste et puis sa langue n’est-elle pas celle de l’oppresseur ? La division du pays est telle qu’elle ne voit pas comment l’art pourrait y être efficace. Il faudrait écrire en zoulou et dans les 11 langues du pays.

Dans la salle, un auditeur précise que la poésie existe pour être écoutée. Il y a une manière de dire avec les mots et entre les mots. Que se produit-il actuellement dans la poésie en Afrique du Sud ? Quelles en sont les grandes tendances ? Antjie Krog lui répond que le plus grand défaut actuel du pays concerne l’éducation. C’est en effet seulement à présent qu’est éduquée la première génération ne parlant pas l’anglais. Pourtant les Noirs, avec seulement une cinquantaine de mots pour exprimer leur vie, ont beaucoup de choses à dire. L’écrivain lit ainsi de la non-fiction et elle y découvre des choses sur son pays qu’elle ne pouvait imaginer. A ce titre, il existe une littérature sud-africaine intéressante, composée de poètes qui n’ont jamais entendu que des hymnes, qui ne sont pas de langue afrikaans ou anglaise, et qui parlent dans leur tradition orale. Antjie Krog considère qu’ils parlent de leur pays d’une manière qu’elle-même ne pourra jamais pratiquer.

Un autre auditeur, ayant été séduit par sa manière de dire ses textes en lien avec son corps, demande alors à l’écrivain si c’est chez elle quelque chose de spontané ou si cela résulte d’un travail. Elle avoue que, lorsqu’elle était jeune, elle refusait de lire à haute voix. A la faveur de la campagne de libération de Mandela, elle a été appelée à parler en public et elle en était terrifiée. Elle a beaucoup réfléchi à la manière d’y parvenir, à la façon de s’habiller. Elle a compris que le respect de l’auditoire est capital et qu’elle se doit de lui proposer une lecture qui soit bien supérieure à ce que chacun peut faire chez soi. C’est ainsi que son écriture a changé, modifiée par cette idée d’un  respect de l’oralité et des sons. La page est venue plus tard, ajoute-t-elle.

Elle raconte qu’au cours d’un festival de littérature au Sénégal, elle a compris que c’est l’émotion qu’on y met qui fait un bon poète. Elle a retenu la leçon de deux poète qui s’y produisaient : « Je suis la mémoire de mon peuple. Quatre-vingt-dix pour cent de ce que je joue, c’est la mémoire de mon peuple », lui a dit le premier. Et l’autre, un Berbère, a renchéri en ajoutant qu’il lui fallait se souvenir des « trous à eau », pour ne pas mourir de soif. S’il existe nombre de façons de devenir un poète, peut-être que la quête des oasis est la plus importante.

Pour finir, Antjie Krog a remercié son traducteur et son interprète. S’il y a onze langues en Afrique du Sud, on ne les traduit jamais. Elle a remercié tous les participants pour ce partage : « Je viens d’un pays où l’on ne partage pas », a-t-elle conclu avec regret et clairvoyance.

Dans cette rencontre, j’ai apprécié la lucidité et l’engagement d’Antjie Krog, celui de toute une vie ; j’ai été saisie par la manière admirative dont elle évoque Mandela et Desmond Tutu, celui qui parle « au nom de tous – et en même temps [exprime]  le chagrin le plus secret de chacun ». Mais c’est surtout l’entendre dire son long combat à travers les poèmes en afrikaans - la langue des victimes et des bourreaux - qui m’a le plus émue.

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 Georges-Marie Lory et Antjie Krog

(Photo ex-libris.over-blog.com, mercredi 16 octobre 2013)

 

 

 

 

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19 juillet 2013 5 19 /07 /juillet /2013 17:40

 

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Sandrine Bonnaire dans le documentaire de Juliette Cazanave

 

Mercredi 17 juillet 2013, j'ai vu pour la troisième fois l'adaptation d'Un coeur simple de Flaubert par Marion Lainé. J'ai de nouveau été impressionnée par la manière dont la réalisatrice s'est emparée du récit de Flaubert pour en donner une vision fidèle à l'ermite de Croisset  et en même temps très personnelle. Sandrine Bonnaire y est remarquable dans l'interprétation d'un personnage inoubliable de la littérature française, dont l'histoire se clôt dans l'extase mystique d'une innocence absolue (Voir le lien vers mon billet sur cette adaptation link).

Le film était suivi d'un documentaire en forme de portrait de Sandrine Bonnaire par Juliette Cazanave : Sandrine Bonnaire, actrice de sa vie. Il montre la métamorphose d'une jeune actrice révélée à quinze ans, qui a illustré avec brio le cinéma d'auteur de Pialat à Depardon en passant par Chabrol et Rivette, en une femme en pleine maturité, désireuse désormais de s'adonner aussi à la réalisation.

Ce documentaire donne à voir le naturel irradiant d'une comédienne qui affirme qu' "être acteur, c'est être". Ainsi, pendant le tournage d'une série à La Réunion, Signature, elle confie qu'elle n'est jamais prisonnière des rôles qu'elle interprète. Le soir,  elle fait relâche devant la mer sur le balcon de sa chambre d'hôtel. "Je prends de la distance, du recul" dit-elle, pour s'offrir à tout ce qu'apporte la vie tout simplement. Elle filme pour elle la mer, les oiseaux, les gens qu'elle rencontre. 

 

sandrine se filmant

 

Certes, elle reconnaît que le cinéma lui a tout appris : "Ce métier m'a éduquée. Moi, j'ai arrêté l'école quand j'avais quinze ans, donc j'ai appris le reste avec les gens de cinéma." On le comprend bien lorsqu'elle emménage en 2010 dans un nouvel appartement et qu'on la voit ranger ses "trésors", tous les scenarii de ses longs métrages, les bobines des tournages de ses films et les métrages d'amateur qu'elle a toujours réalisés. Sous un texte  ("Hérétique, Relapse, Apostate") qui rappelle le souvenir de Jeanne d'Arc qu'elle interpréta pour Rivette, celle qui voulait surtout être danseuse ou chanteuse compare son destin de comédienne à celui de la sainte. N'ont-elles pas toutes deux été choisies, élues ?

La force de Sandrine Bonnaire réside par ailleurs dans une certitude : "J'ai la capacité de prendre ce qu'on me donne" assène-t-elle avec foi. Le hasard a fait que ce sont essentiellement des réalisateurs de cinéma d'auteur qui l'ont formée et, pourtant, elle reconnaît qu'elle n'est pas une intellectuelle. Avec elle, tout passe par le corps, les sensations, plus que par la tête. Et si ce métier lui a appris aussi la maîtrise de soi, la conscience de son image, elle aspire à présent à un certain lâcher-prise.

Ce qui séduit chez elle, c'est ce naturel confondant qui lui appartient en propre. Qu'elle apostrophe gaiement des habitantes de La Grande Borne à Grigny où elle vécut avec ses onze frères et soeurs,  qu'elle danse avec sa soeur Sabine ou bavarde à bâtons rompus avec une autre encore, on la sent inchangée à toutes les époques de sa vie,  sans fard ni pose.

Elle demeure la même que celle qui reçoit des mains de Carole Bouquet, aux côtés de Gainsbourg admiratif ("La bella ragazza !" murmure-t-il), le césar du Meilleur Espoir Féminin pour A nos amours. La même que celle à qui est remis le césar de la Meilleure Actrice pour Sans toit ni loi et qui dit  humblement dans un sourire : "J'ai l'impression d'avoir progressé."  La même que celle qui, attentive, écoute Frédéric Mitterrand brosser un tendre portrait de la jeune fille simple et joyeuse que chacun aimerait rencontrer. La même jeune femme modeste, enfin, à qui Ariane Ascaride remet une récompense pour Elle s'appelle Sabine, le film qu'elle a réalisé sur  (et pour) sa soeur atteinte d'une forme d'autisme infantile.

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    Sabine Bonnaire

Parvenue à une nouvelle étape de sa vie et suivant en cela l'exemple de Pialat, Sandrine Bonnaire aspire maintenant à faire de sa propre vie la matière de ses films. Comme elle l'avait fait en 2007 avec ce documentaire sur sa soeur Sabine âgée d'un an de moins qu'elle, elle réitère cette expérience avec une fiction, cette fois-ci. J'enrage de son absence retrace un épisode amoureux essentiel de la vie de sa mère, cette mère courage de onze enfants. Le documentaire les rencontre toutes les deux à Houlgate, en conversation sur l'orientation du film. La mère se demande comment la fille va "remonter dans ses traces" et peut-être l'aider à dénouer l'écheveau d'une vie qu'elle-même n' a pas su décrypter. "Créer, dit Sandrine Bonnaire, c'est assembler les choses essentielles de sa vie." C'est ainsi que ce film sur son héroïne de mère, elle n'a pas hésité à le tourner avec son premier compagnon, l'acteur américain William Hurt, qui joue le rôle de ce Guy, amour inoublié de sa mère. Père de sa première fille, Jeanne, il compte toujours beaucoup pour elle.

Sandrine Bonnaire possède en effet au plus haut point cet esprit de famille qui lui a donné l'occasion de faire accéder les siens à un autre statut social. Mais elle-même n'a jamais renié ses origines populaires : quand on sait d'où on vient, on n'a que de la reconnaissance pour tout ce qu'on a obtenu et la comédienne a pleinement conscience de la chance dont elle a bénéficié.

L'actrice a souvent joué des rôles empreints de gravité, interprété des personnages border line et elle s'en étonne elle-même. Maintenant elle se lance dans la réalisation avec un regard concentré et  intense porté sur ses acteurs, que Juliette Cazanave a bien restitués. La comédienne-réalisatrice avoue ne pas savoir quoi dire exactement à ses interprètes, leur demandant surtout d'être eux-mêmes au plus juste. Quand elle sourit aux autres de cet extraordinaire sourire sans artifice, on ne peut que la croire lorsqu'elle affirme ce qui est sans doute au plus profond d'elle-même : "J'aimerais beaucoup raconter le bonheur !"

 

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 Sandrine Bonnaire et une autre de ses soeurs

 

 

 

 

 

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28 octobre 2012 7 28 /10 /octobre /2012 22:54

 

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Raphaël Enthoven et Paola Raiman à la 100ème de Philosophie

(Photo DR)

 

 

Aujourd’hui, dimanche 28 octobre 2012, sur ARTE, de 13h à 13h 30, c’était la 100ème de l’émission de Raphaël Enthoven, Philosophie. A cette occasion, le philosophe avait invité une élève de Terminale, Paola Raiman, afin de réfléchir avec elle sur la question : « A quoi sert la philosophie ? » Une idée qui s’est révélée passionnante, tant leur dialogue a été ouvert et s’est déroulé dans un climat d’écoute mutuelle vraiment remarquable.

Pour commencer, la jeune fille avait choisi un texte de Vladimir Jankélévitch, insistant sur l’idée que la philosophie se situe « quelque part dans l’inachevé ». Son inutilité fait justement  sa plus grande utilité. Elle se situe à rebours des idéologies du progrès et de la science, allant à l’encontre d’un régime de l’utile. A la question fréquente : « A quoi ça me sert ? », on répondra : « A rien ! » et c’est bien pour cela que la philosophie est indispensable. Quand on s’adonne à la philosophie, celle-ci ne fait pas de promesses et on ne signe pas un contrat puisqu’il s’agit surtout de "mieux vivre".

Enthoven évoque à ce propos le Gorgias de Platon, ce beau dialogue aporétique, dans lequel Platon s’entretient avec Gorgias, Polos et Calliclès. Selon ce dernier, "le philosophe ignore les lois qui régissent la cité ; il ignore la manière dont il faut parler aux autres dans les affaires privées et publiques; il ne sait rien des plaisirs ni des passions, et, pour tout dire d'un mot, sa connaissance de l'homme est nulle". Cette critique de la philosophie ne cessera d’être reprise à travers les siècles.

Une autre objection avance aussi l’idée qu’elle éloigne du monde, qu’elle fait de celui qui la pratique un solitaire. Dans l’Eloge de la philosophie, Merleau-Ponty répond qu’elle n’éloigne pas des hommes mais que, bien au contraire, elle fait "s’enfoncer dans la condition humaine" pour mieux repartir. Avec elle, il s’agit moins d’appréhender un réel utile que de découvrir « un homme en amont dans l’homme », ce que Sartre appelait « un monde sans les hommes ».

Dans un monde de plus en plus politisé, qui éprouve le besoin de croire à tout prix, « la philosophie proclame le doute ». Le doute est bien la seule chose utile et il est « le credo de la philosophie ». Et d’ailleurs, la croyance est toujours entachée de doute. Lors du duel Sarkozy-Royal, certains partisans de celle-ci disaient : « J’y crois encore ! » Une manière de faire savoir qu’ils commençaient à douter sérieusement de sa victoire. Et c’est bien là toute la différence entre le savoir et la croyance.

Quant au vrai philosophe, il est clair qu’il ne se situe pas dans l’actualité ; on peut même dire qu’il est « inactuel ».

Pour évoquer la naissance de son intérêt pour la philosophie, Paola Raiman emploie les termes d’ « éclosion », d’ « ouverture », d’ « ébranlement ». Elle reconnaît le rôle essentiel du professeur de philo, qui permet à l’élève d’exprimer « des choses qu’il avait silencieusement en soi ». Il possède cette responsabilité considérable de lui donner à appréhender des choses qu’il savait déjà, de lui transmettre cette joie de comprendre qu’il appartient à la condition humaine.

Ce lien si particulier existe aussi avec certains philosophes. Paola Raiman l’éprouve ainsi avec Jankélévitch, mort en 1985. Elle avoue qu’il a écrit des choses qui la touchent particulièrement et qui l’ont « traversée ». Elle reconnaît qu’ « une sorte de fil d’or » la rattache à lui. Son « écriture aérienne » lui fait des « confidences », il est devenu son « ami intime ».

Les devisants passent devant les portraits d’Epicure, de Merleau-Ponty, de Bergson, d’Hannah Arendt, de Nietszche. La jeune fille s’arrête devant ce dernier, représenté à la fin de sa vie, en 1884, alors qu’il était devenu aphasique. C’est après avoir embrassé un cheval sur les naseaux qu’il s’était effondré en l’appelant « Mon frère ! » Enthoven lit alors cet admirable passage, le Fragment 29 de Par-delà le Bien et le Mal, qui définit le philosophe : « Etre indépendant est l’affaire d’un très petit nombre ; c’est un privilège des forts. Et qui en prend le risque prouve sans doute qu’il n’est pas seulement fort mais téméraire jusqu’à l’extravagance. Il s’enfonce dans un labyrinthe, il multiplie par mille les périls déjà inhérents à la vie, dont le moindre n’est pas celui-ci : que nul ne voit de ses yeux comment et où il s’égare, dans quelle solitude il se fait déchirer morceau par morceau, par quelque Minotaure tapi dans la caverne de la conscience. Un tel homme vient-il à périr, sa défaite a lieu si loin de la compréhension des hommes, que ceux-ci ne ressentent rien, n’éprouvent aucune compassion. Et lui ne peut plus retourner en arrière ; il ne peut plus même retourner vers la compassion des humains. »

Ainsi la pratique de la philosophie vous modifie, vous condamne à "cet amour-là", à voir différemment le monde, à aimer malgré les souffrances. Et dans Généalogie de la morale, Nietszche  affirme que la souffrance nous apprend beaucoup sur le non-sens de la souffrance. Aussi la philosophie est-elle le pire ennemi d’un dolorisme rédempteur. Elle ne sert à rien mais il faut la pratiquer et si le philosophe est le médecin, il est aussi le malade.

Paola Raiman évoque ensuite Bergson. Elle souligne son image austère, "comme celle d’un pasteur", dit-elle, tellement opposée à sa manière d’écrire tout en souplesse. Elle évoque un passage d’un de ses textes qui l’a marquée et qui se termine par le mot « joie ». La philosophie ne promet pas la joie et pourtant elle nous l’offre. Philosopher, c’est chercher un sens à la vie mais quel est le sens de cette quête de sens ? "Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l'homme n'ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. » (L’Energie spirituelle)

Oui, c’est bien à force d’être inutile que la philosophie est essentielle. Elle invite à une « anarchie intime » que chacun doit trouver. Alors que certains pensent qu’elle ne s’adresserait qu’à une élite, il faut plutôt reconnaître qu’il s’agit d’ « un élitisme collectif ». Nécessitant un lexique, un vocabulaire particulier, la philosophie se travaille et « ce qu’elle dit, chacun, en lisant, en fait l’expérience ».

C’est ce que souligne Epicure sans sa Lettre à Ménécée : « Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l’exercice philosophique. Il n’est jamais trop tôt, qui que l’on soit, ni trop tard pour l’assainissement de l’âme. Tel, qui dit que l’heure de philosopher n’est pas venue ou qu’elle est déjà passée, ressemble à qui dirait que pour le bonheur, l’heure n’est pas venue ou qu’elle n’est plus. Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux. »

Pour finir, la jeune élève raconte comment elle a hésité à lire Simone Weil, craignant d'aborder un philosophe qui parle de Dieu. Elle reconnaît que ses craintes étaient vaines : « J’avais tort, dit-elle, elle m’a prise à la gorge. » Elle, Simone Weil, cette philosophe morte de faim à trente-quatre ans par solidarité pour ses concitoyens, et qui écrivait : « Un homme qui serait seul dans l’univers n’aurait aucun droit  mais seulement des obligations. » Paola Raiman admire cette femme exigeante, éprise d’absolu, dont la philosophie n’est nullement désincarnée. Ne place-t-elle pas l’infini dans le fini ?

J’ai beaucoup apprécié cette demi-heure passée à philosopher, au beau milieu de la journée. Il m’a semblé qu’il y avait là, non pas un maître et un élève, mais deux esprits qui se rencontraient en toute liberté et humilité. Paola Raiman partait en quête des idées qui l'avaient marquée tandis que Raphaël Enhoven les reformulait ou les précisait. Et j’ai trouvé que c’était là une véritable leçon de maïeutique, que Socrate eût aimée.

 

 

 


 

 

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17 septembre 2012 1 17 /09 /septembre /2012 12:06

Les poétiques 6

Didier Sandre lors de la lecture de textes des éditions La Dragonne

(Photo ex-libris.over-blog.com)

Les 7, 8 et 9 septembre 2012, les amoureux de la poésie s’étaient de nouveau donné rendez-vous à Saumur, au jardin des Plantes, pour la 6ème édition des Poétiques. Accompagnée de ses deux guitaristes, Grégory Natale et Eric Rathé, l’artiste pluridisciplinaire québécoise Sylvie Laliberté a ouvert le festival avec ses chansons faussement naïves, tristes et pas tristes, sur l’amour et le monde actuel.

Les rencontres de l’année dernière avaient été consacrées aux éditions Zulma ; cette année, c’était les éditions La Dragonne, créées en 1998, qui étaient à l’honneur. D'autres éditeurs étaient aussi présents : Potentille, Approches, Entre deux, Les Ateliers Rougier, La revue Ficelle, Dernier Télégramme, Les Prestigieux Etablissements Frichtre, la Médiathèque de Saumur et bien sûr la librairie indépendante Le Livre à Venir animée par Patrick Cahuzac.


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Le stand de la librairie indépendante Le Livre à Venir à Saumur

(Photo ex-libris.over-blog.com)

Le samedi 8, leur créateur, Olivier Brun, est venu évoquer la variété d’un catalogue, où se côtoient Philippe Claudel, Bernard Noël ou Florent Kieffer. La demi-douzaine de collections de la maison  propose romans, récits, poèmes, plus ponctuellement des livres d’artistes. Souhaitant une proximité avec ses lecteurs, La Dragonne « s’attache, de manière artisanale, à faire découvrir- ou redécouvrir- des livres qui savent prendre leur temps ». « Chaque livre, réalisé avec soin, se voudrait le prolongement d’une aventure humaine autant que littéraire ».

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L'Ecole de Musique de Saumur au jardin des Plantes

Ce même samedi, on pouvait aussi assister à une lecture-rencontre avec la peintre et poète, Caroline Sagot-Duvauroux. Elle était accompagnée de Cathie Barreau, écrivain et responsable de la Maison Julien-Gracq à Saint-Florent-le-Vieil. Née en 1952, elle vit à Crest dans la Drôme où elle s’occupe d’un marché annuel de petits éditeurs. Depuis 2002, elle publie chez José Corti. Selon Antoine Emaz, c’est « l’énergie, la pulsion de langue, le continuel en avant de parole, le goût de la matière verbale », qui caractérisent son écriture. Une « écriture de l’élan », qui se collette avec les mots et leur redonne vie. « Je dissone. Vous ignorez qu’outre mesure un chant bat… » 

Cette première journée s’est achevée avec une lecture dansée, proposée par le poète Antoine Mouton (publié à La Dragonne) et la danseuse et chorégraphe Carole Bonneau, qui enseigne au CNDC d’Angers. Intitulé Un qui s’en va, un qui reste, le spectacle met en scène « des objets usuels, des sensations où les mots sont reliés entre eux par le mouvement et sollicités de manière inhabituelle ».

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Bibliothèque d'Urcée, une série gravures au carborundum, de Gérard Titus-Carmel

(Photo ex-libris.over-blog.com)

Le dimanche 9 septembre au matin avait lieu un atelier, animé par Pierre Bodériou, artiste et enseignant à l’Ecole d’Art. Il a permis à une huitaine de participants de se sensibiliser à la technique et à l’art de la gravure. Celle-ci était par ailleurs superbement représentée par une exposition d’œuvres originales de Gérard Titus-Carmel (peintre, dessinateur et poète), la série de gravures, intitulée Bibliothèque d’Urcée. Avec cette œuvre, l’artiste utilise une technique de gravure mise au point par Henri Goetz, la gravure au carborundum. Celui-ci est une poudre dont on se sert dans l’industrie de rodages divers, le travail du verre, de la fonte, le polissage des pierres, mélangée avec des vernis ou des résines qui durcissent au séchage. Le thème du livre devient, sous les doigts de l’artiste, prétexte à un travail géométrique et coloré. « Une méditation plastique sur le fil du rasoir : à la fois construite et buissonnière... »

Gérard Titus-Carmel, illustrateur notamment d’Yves Bonnefoy et de Philippe Jacottet, était par ailleurs l’interlocuteur du poète Antoine Emaz, auteur d’une trentaine de recueils de poèmes. Leur entretien a porté sur la réalité du livre d’artiste, dont j’aimerais rendre compte ici.

Les poétiques

Entretien de Gérard Titus-Carmel et Antoine Emaz sur le livre d'artiste

(Photo ex-libris.over-blog.com)

Je suis arrivée alors que la rencontre avait déjà commencé. Gérard Titus-Carmel disait que, dans cette délicate entreprise, l’illustrateur doit s’adresser à la personne idoine qui a écrit le texte qu’il fallait. Pour Antoine Emaz, il s’agit toujours d’un travail de relation, que l’on parte d’un travail plastique ou de poèmes. Ainsi, pour le livre intitulé Vagues, il a écrit un texte né de la forme prévue par l’artiste, tout un système de pliages. Il ne faut surtout pas être prisonnier de l’image proposée par l’artiste et l’échange doit se faire dans les deux sens.

Le livre d’artiste est bien plus qu’un travail à quatre mains. Gérard Titus-Carmel évoque l’auteur, l’artiste, l’éditeur, le façonnier, le distributeur. De plus, s’il faut certes rentrer dans une forme, il faut aussi penser à la façon dont l’artiste entrevoit la collaboration en différé, à l’écart qui existe entre les deux formes. Il importe de tenir compte de la nature même du travail de chacun, le peintre dans son atelier et l’auteur dans sa bibliothèque.

A propos du travail d’imprimerie, Gérard Titus-Carmel regrette la disparition des véritables imprimeurs. Il évoque avec mélancolie un imprimeur de ses amis, à L’Haye les Roses, survivant d’une époque qui ne connaissait pas encore le jet d’encre.

Selon Antoine Emaz, la « part insubmersible » qui demeure, c’est le rapport entre l’artiste et l’écrivain. Il souligne cette zone d’amitié, de correspondances, qui permet encore la réalisation d’une œuvre qui sera tirée à cinq ou six exemplaires, dans une perspective qui n’est pas marchande. C’est ce que Daniel Leuwers appelle les « livres pauvres ». Constituant des collections hors commerce, ce sont de petits ouvrages où l’écriture manuscrite d’un poète rejoint l’intervention originale d’un peintre. Publiés depuis une dizaine d’années chez Gallimard, ils ont déjà atteint le cap des mille livres.

En ce qui concerne l’importance des affinités électives, est évoquée ici la rencontre du sculpteur et peintre Antonio Segui avec Alberto Manguel. Tous deux Argentins, tous deux exilés en France, ils ont publié plusieurs livres ensemble ( Sombras de Segui, Il Ritorno…)

Puis Gérard Titus-Carmel rappelle la traduction de Pétrarque par Yves Bonnefoy, qu’il a illustrée (Je vois sans yeux et sans voix je crie, chez Galilée, « Lignes fictives », 2011). Est-ce l’auteur italien qu’il illustre ou le poète français, se demande-t-il. Il lui faut "trouver l’interstice", dit-il, considérant que c’est plutôt la traduction de Bonnefoy qui illustre Pétrarque. Quant à lui, il lui faut découvrir une autre façon d’entrer dans les mots.

Pour ce qui est des contraintes technique, elles sont parfois selon lui, et paradoxalement, le prix de la liberté. Ainsi, le fait de lui imposer deux couleurs, par exemple, lui permet de ne pas avoir à hésiter sur la troisième ! A ce propos, Antoine Emaz se souvient de sa collaboration avec Marie Alloy pour le recueil intitulé D’une haie de fusains hauts (Editions Le Silence qui roule).  A côté des lavis de couleur verte, le poème, souligne-t-il, doit pouvoir tenir tout seul, et l’artiste doit pouvoir se voir en soi : « Quelque chose comme une ventilation lente d’être ». Et si l’on n’est pas satisfait, reprend Antoine Emaz, la question se règle vite : ou l’on se remet au travail, ou l’on écrit un autre texte.

Il précise par ailleurs que, pour sa part, il n’écrit quasiment plus de poèmes, « ça ne marche plus ». C’est ainsi qu’il est en train de réaliser l’anthologie de son œuvre poétique. Caisse claire (chez Points) rassemble ses textes de 1990 à 1997. Sauf, avec des encres de Djamel Meskache (chez Tarabuste), réunit les poèmes de 1986 à 2001. Il lui reste un dernier ouvrage à faire pour la période 2000-2010. Après, « j’aurais fini », assure-t-il.

Ensuite, Gérard Titus-Carmel  parle des repentirs. Après avoir peint un tableau, on se dit qu’il est là, qu’il ne bouge pas, et puis, un jour, il apparaît désastreux. Et l’on se met à repeindre dessus. Il se remémore ainsi cette grande toile violette, aux teintes vineuses, dont pendant six mois il avait été très satisfait. Un jour, soudain, il s’est dit que c’était "un désastre" et il l’a repeinte au jaune de Naples. Une femme visitant son atelier lui a dit : « J’aime beaucoup la jaune. » Revue et corrigée, la toile violette avait disparu. Il rappelle encore l’anecdote de Pierre Bonnard qui visitait les musées une boîte de couleurs à la main et retouchait les toiles de maître.

Dans la réalisation d’un livre d’artiste, subtile alliance d’un poète et d’un illustrateur, le peintre est-il « appelé à filer doux » ? En fait, il s’agit plutôt pour chacun de se placer dans sa « belle et voisine solitude » et de faire en sorte « qu’une autre voix se joigne à la sienne ». Le peintre tentera de « donner forme au mystère », en approchant « l’indénouable secret des mots », en prêtant l’oreille au « chant d’un écho ». Tout est dans la qualité du partage, « comme l’ombre et la colonne, le prince et l’architecte ».

Il semblerait par ailleurs qu’il n’y ait pas de loi en ce qui concerne le format de l’ouvrage. Selon Gérard Titus-Carmel, qui a illustré une quarantaine de livres, aux formes les plus variées, seul compte « le beau geste ». Il avoue que l’illustrateur est « presque de trop mais que ce trop est demandé ». Le livre réussi sera celui que l’on referme en disant : « C’est bien ! »

Quant à s’attaquer aux « grands textes », le peintre qu’il est n’y songe guère. S’il reconnaît les réussites de Daumier avec La Divine Comédie ou de Granville avec La Fontaine, il déplore ce que fit Dali par exemple avec l’Evangile de Jean. Dans ce genre d’entreprise, n’est-il pas en effet très malaisé de « tenir la longueur » ? Il préférera se préoccuper de la structure d’un texte en l’illustrant au début avec le frontispice, au milieu et à la fin. Une manière discrète de dire : « Je suis toujours là ! »

Antoine Emaz rappelle alors son travail (Obstinément peindre, davantage « étude » ou « note sur ») avec  Monique Tello, peintre et graveur, publié Au Temps qu’il fait. Après lui avoir donné à visiter son atelier, le peintre a envoyé au poète des gravures de tigres et de feuilles de figuiers. Il les a eues longtemps sous les yeux dans « un continu de regard » ; il a voisiné avec elles. Il ne parlera pas de construction mais bien plutôt de « prises de vue sur un travail ». Cherchera-t-il « quelque chose qu’il ne voit pas » ? Sera-t-il attiré par une couleur ? En l’occurrence, dans ce cas-précis, Antoine Emaz n’a d’abord perçu qu’un fouillis de lignes puis, peu à peu, dans ces œuvres à la limite du figuratif et de l’abstrait, il a « vu » les tigres. De même, les feuilles de figuier lui sont apparues davantage comme des motifs décoratifs sans référent réel. C’est alors que « du texte finit par s’écrire » et que « le texte essaie d’ouvrir le regard ».

C’est ce « regard long et attentif » que Gérard Titus-Carmel a provoqué chez lui quand le poète a admiré la série des Nielles, « presque effrayants d’énergie », dans lesquels le peintre a décliné l’image du torse de Christ de Matthias Grünewald. Dans le mouvement de cette série de cinq nielles gravés, il a décelé « quelque chose de fantastique ». Gérars Titus Carmel explique alors cette légère rotation du tronc du Christ qui fait qu’il tourne sur lui-même. « Tout en rendant hommage à Grünewald, cette série extrêmement raffinée offre par la superposition de deux gravures et dans un jeu subtil de transparences, une double lecture de la vision du thorax et une démultiplication de plans, qui accentuent l’effet d’asphyxie et de torture infligées au corps supplicié. » Des vingt-huit cuivres d’origine, il n’en a retenu que cinq, donnant à voir « la présence-absence d’un corps rêvé ». Antoine Emaz, dit-il, a su parler de cette vie-là, qui pouvait assurer la série. Antoine Emaz lit alors des extraits de ce qu’il a écrit sur les 150 dessins de La Suite Grünewald (en téléchargement sur le site de François Bon). 

Mais Gérard Titus-Carmel est aussi un peintre qui écrit. Voilà pourquoi il évoquera son recueil de poèmes intitulé Ressac. Ce sont trente poèmes, quasiment identiques, qu’accompagne une sorte de voix off comme dans un chœur antique, une manière de Variations Goldberg sur la mer. Antoine Emaz le présente ainsi chez Poezibao : « Livre strictement d’une seule situation : une personne immobile regarde les vagues se briser sur une plage de galets. […] une écriture du flux rythmique autant que de l’émotion et de la mémoire. Mais c’est tout aussi bien une écriture de la contrainte, du cadre, de la composition. J’ai déjà dit la situation unique tenue sur cent pages ; il faut ajouter l’organisation quasi arithmétique de l’ensemble. » Un recueil que j'ai acheté et dont j'aime le titre des trois mouvements : " Oppresse du loin montant", "Variations sur le ressac" et "Oppresse du loin descendant".

Antoine Emaz renchérit qu’il aurait aimé être peintre. Il apprécie de travailler avec eux car ils lui « apprennent des choses ». Picasso disait que « Reverdy à ses yeux écrivait comme un peintre ». Les deux artistes évoquent alors les illustrations de Picasso pour Le Cocu magnifique de Fernand Crommelynck (1966), un ouvrage à la « beauté d’estran », marqué par l’écart entre le texte et l’image. Ils admirent encore le travail à quatre mains de Picasso et de Reverdy sur Le Chant des morts, du second.

Cet entretien passionnant s’est donc achevé sur cette idée capitale qu’on ne sera jamais un bon illustrateur si on le fait d’une manière servile. Poète et peintre travaillent ainsi en toute liberté.

Les Poétiques 5

Lecture par Didier Sandre de textes édités à La Dragonne 

(Photo ex-libris.over-blog.com)

Le point d’orgue de cette sixième édition des Poétiques a été donné par une lecture de textes des écrivains publiés à La Dragonne par le grand comédien Didier Sandre. Celui qui a reçu en 1996 un Molière pour le rôle de Lord Arthur Goring dans Un mari idéal d’Oscar Wilde est un grand liseur de textes et un marathonien des mots qui participe à de nombreux festivals.

Albane Gellé l’a remercié de sa venue qui clôture de belle manière le festival. Elle a salué l’Ecole de Musique qui a animé le week-end et tous ceux qui ont contribué à la réussite de ces trois jours en poésie.

Le comédien avait choisi des textes de tonalités diverses. Il a d’abord lu une nouvelle, intitulée « Chelsea Hôtel », extraite du recueil de Fabien Sanchez, Ceux qui ne sont pas en mer. L’histoire d’un écrivain, le narrateur, partagée entre une femme réelle et une autre fantasmée, sur qui flotte d’ombre d’un père qu’il n’égalera jamais. Entre réalisme et humour grinçant, le narrateur se demandera à la fin « comment [son père] avait fait pour vivre et être à la hauteur ». Le comédien a su rendre cet univers noir de Fabien Sanchez, qui lui a valu parfois d’être comparé à Raymond Carver. Tout comme le nouvelliste doit « trouver sa propre musique », Didier Sandre a trouvé la sienne pour mettre en voix la tonalité mélancoliquement amère de Fabien Sanchez.

Il a ensuite lu deux textes, extraits de Un bâton de l’écrivain belge Pascal Leclercq.  Dans "Mauve et l’enfant", il a fait renaître la poésie d’une écriture imagée qui, ainsi que l’explique Marie-Clotilde Roose, se nourrit du végétal, de l’animal, qui « confronte l’humain à ses limites, à ses terreurs et ses absurdités, mais aussi à ses tendresses et à ses pudeurs ». Au milieu des phalènes, dans « la ville appauvrie », parmi la chélidoine et la sauge, Mauve a « surgi de nulle part », avec ses mollets vêtus de « bas blancs tachés de fruits rouges ». Une « texture aérienne » pour une nouvelle poétique.

Du même ouvrage, le comédien nous a donné à entendre un autre texte, « Sur la Transcévenole ». Chemin faisant, il nous a appris à marcher au pas et à renaître dans la marche : « Je deviens ma besogne/ me cambre sous le garrot. » Une route qui est plutôt celle des origines, une sorte de métaphore cahoteuse de la vie : « Je ne suis plus que le chemin, je caresse et chloroforme. » Et comme l’écrit justement Jack Keguenne, « L’inévitable contrainte de la fin n’exclut pas le choix des chemins que l’on décide de sceller en soi. » Ces deux textes à l’écriture « très physique » ont fait l’objet d’installations sonores en direct avec Jack Vitali.

Enfin, Didier Sandre n’a jamais été aussi meilleur, me semble-t-il, que dans la lecture de La Manifestation, d’Antoine Choplin, une histoire à la lisière du réalisme et de la fable. Grâce à ses mimiques, ses intonations, ses hésitations, ses rares mouvements de mains, ses sourires entendus, nous avons suivi et « vu » ce Monsieur Bobbie, un petit vieux encore enfant, peut-être un malade ou un retraité, qui fait tous les jours la même promenade « trigonométrique ». Cette silhouette à la Monsieur Hulot est happée un jour dans une manifestation qui lui donne enfin l’occasion d’Exister. Ni la bousculade, ni les coups des « saucisses d’ébène » n’auront raison de ce dernier sursaut de vie qui se manifeste par le cri : « Liberté! Exister ! Crever !… » Trois mots qui « sonn[ent] sacrément ! » Le petit homme mécanique se verra sans doute sauvé à la fin : « Des larmes, Monsieur Bobbie, des larmes ! »

Chaudement applaudi par l’auditoire des Poétiques, Didier Sandre a lu encore deux texte très brefs : « On partira sans doute… on restera peut-être… on sera un garçon comme un autre… à mille lieues du but qu’on se sera fixé. » Puis, discret et souriant, il nous a quittés avec un geste amical de la main.

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Au stand de la librairie Le Livre à Venir, mon recueil de poèmes, Vers rêvés, à l'ombre de Césaire !

 

 

 


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19 juin 2012 2 19 /06 /juin /2012 22:31


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Jérôme Garcin  au milieu des chevaux

(Photo Vincent Josse, 2011, Radio-France)

 

Vendredi 15 juin 2012, au Jardin des Plantes de Saumur, l’écrivain et journaliste Jérôme Garcin était l’hôte de La Maison des Littératures, qu’anime la poétesse Albane Gellé. Depuis 2008, il est en effet le parrain de cette association qui promeut romanciers et poètes.

Dans la présentation de son invité, Albane Gellé a rappelé le parcours d’un écrivain aux multiples facettes qui, depuis son premier récit autobiographique, La Chute de cheval (1998), ne cesse de « creuser l’intime ». Selon elle, il serait vain de vouloir classifier une œuvre dans laquelle le roman se fait document, l’essai, roman ou l’entretien, récit. Ce que cherche surtout Jérôme Garcin, l’écrivain cavalier, c’est à « se rassembler » comme on le fait à cheval. Il s’agit pour lui de « tirer un fil », de redonner vie à des oubliés, en écrivant des livres qui sont à la fois hommage et remerciement.

Mais dans cette vie très remplie, qui se partage entre journalisme et écriture, comment Jérôme Garcin concilie-t-il le temps éphémère de l’actualité et un temps plus durable dont il faudrait retrouver la qualité ?

En remerciant Albane Gellé de sa présentation exhaustive, l’auteur d’Olivier a reconnu assumer sa schizophrénie.  Il est bien conscient du paradoxe qu’il y a à courir sans cesse après l’actualité pendant quatre jours et demi, pour ensuite disparaître pendant deux jours et demi en Normandie, pour passer d’une vie horizontale à une vie verticale, celle du cavalier qu’il est. Mais pour lui, monter et écrire sont deux activités inséparables, indissociables depuis l’écriture de La Chute de cheval. Il en est convaincu, sans les chevaux, il n’aurait jamais écrit. S’il existe une impudeur à parler de soi, c’est bien le cheval qui l’a pourtant autorisé à le faire. Et il évoque cette première fois où, après avoir fait une balade à cheval, il se mit à recopier ce qu’il avait écrit dans sa tête pendant sa promenade. Ainsi la selle est devenue son divan  et « c’est fou ce qu’on peut se raconter sur le dos d’un cheval » !

S’il s’autorise ainsi à se confier au cheval, c’est parce que le cheval est l’animal qui l’a privé de son père de quarante-cinq ans alors que lui en avait dix-sept. Et pourtant, longtemps, il a considéré le cheval comme un voleur et s’en est tenu farouchement éloigné. Il affirme à présent que monter et écrire sont deux choses très proches. Quand on a trouvé la phrase juste, on ne voit plus le travail qu’elle a demandé et c’est la même chose en équitation. Jérôme Garcin avoue d’ailleurs qu’il a presque failli « basculer » et tout abandonner pour les chevaux. Dorénavant, il est cependant parvenu à trouver un équilibre précaire dans ses multiples activités.

Ne doit-il pas en effet lutter contre la folie de cette accélération du temps journalistique qui oblige à tout vivre en temps réel et à pratiquer au Masque et la Plume le contraire de ce pourquoi lui-même écrit ? Il sait que le public de ces « jeux du cirque » n’attend qu’une chose : que les critiques s’y transforment en « monstres carnivores », et disent le plus de mal possible des œuvres. Si c’est amusant à faire, c’est cruel. Auteur lui-même, il  vit mal cette situation. Pourtant il reconnaît que ce jeu permanent, cette comédie, a l’Histoire pour elle. En dépit de tout, on le sent en effet fier et heureux de travailler depuis vingt-cinq ans pour cette émission créée en 1955, qui possède le plus grand studio de France-Inter et qui est la plus vieille émission en Europe.

Puis Jérôme Garcin évoquera avec la pudeur qui le caractérise la publication tardive de son dernier récit autobiographique, Olivier (2011), qui remémore la mort de son frère jumeau à l’âge de six ans. En écrivant, sans plaisir, précise-t-il, cette œuvre douloureuse, il a tenté de répondre à des questions qu’il ne s’était jamais posé. Quand on perd son frère jumeau, devient-on un jumeau amputé ?  Quelle est la part de culpabilité ? Il a compris soudain que sa passion pour le cheval lui rendait les quatre jambes de la gémellité perdue. Et s’il est aussi boulimique d’activités, n’est-ce point parce qu’il travaille désormais pour deux ? Une façon toute personnelle de trouver un équilibre à sa vie.

Olivier paraîtra en Folio en septembre 2012 et l’auteur a accepté de faire figurer une photo de son frère disparu sur la première de couverture. Jérôme Garcin lit alors la très belle postface qu’il a rédigée pour cette nouvelle parution. La mort de son frère, de celui qui était « [s]on secret », explique son « goût fétichiste pour les années soixante », sa peur qu’on lui manque. Il y revendique d’être jugé sur « ce qu’on fait et non sur ce qu’on est ». S’il a écrit ce livre sur Olivier « [sa]force et [sa] faiblesse », c’est par crainte qu’on ne l’oublie l’âge venant. Dans ce « mélange de douleur et de bonheur », il éprouve le « devoir de désigner l’invisible ». L’écriture des deux prénoms, Olivier et Jérôme, a restitué intact le couple qu’il formait avec son frère. Et « l’attendrissant sourire » de leur mère lui a parlé de son frère. Quant au rosier de juillet 1962, planté sur la tombe de son jumeau, il s’étonne de sa stupéfiante vitalité.

Jérôme Garcin aura vécu six ans avec son frère et plus d’un demi-siècle sans lui. Ils auront aussi vécu neuf mois ensemble, de cette vie intra-utérine dont parle la psycho-thérapeuthe allemande, Bettina Austermann. C’est elle qui a fait part de cette découverte étonnante de l’observation d’un fœtus de jumeau mettant le bras autour de son frère, alors que le cœur de celui-ci est en train de cesser de battre.

Sur le bureau de l’écrivain, deux photos : celle de son père à cheval, une autre de son frère prise devant Notre-Dame. Depuis, lui dit-il, « tu ne m’a jamais quitté ».

A Albane Gellé qui lui demande quels sont ses « prochains galops arrière » en écriture, Jérôme Garcin répond qu’après Olivier, il a du mal à reprendre quelque chose. Quand on a écrit « ça », y-a-t-il autre chose à dire ? Pourtant il a repris son bâton de pèlerin littéraire avec un nouveau roman, celui qu’il est en train d’écrire sur Jean de la Ville de Mirmont, jeune Bordelais ami de Mauriac, mort au Chemin des Dames. Il s’emploie ainsi à le réinventer.

C’est déjà ce qu’il avait fait lorsqu’il avait écrit sur Héraut de Séchelles, dans C’était tous les jours tempête. Il avait beaucoup aimé écrire sur cet avocat et ami de Louis XVI, cas exemplaire de palinodie politique qui, à la Révolution, avait participé au Comité de Salut public et était lui-même mort guillotiné. Au bourreau, qui avait voulu le séparer de Danton au moment ultime, il avait lancé : « Bourreau, tu n’empêcheras pas nos têtes de s’embrasser dans le même panier ! » Il avait réinventé à sa manière la brève vie de ce cynique et il se demande encore comment il a pu se mettre « dans la peau d’un type pareil » !

Puis Jérôme Garcin a récidivé ce genre d’entreprise avec Etienne Beudant (1886-1949), le grand théoricien de l’art équestre, personnage bouleversant et d’un caractère très au-dessus de la moyenne. Dans L’écuyer mirobolant, Il a conservé son parcours, de Saumur au Maroc en passant par l’Algérie, et son retour brisé à Dax, le corps en charpie. Les deux versants d’un vie, dont la seconde moitié de son existence sur une chaise roulante.

Jérôme Garcin évoque ici le texte magnifique de Beudant, arrêtant de monter et confiant sa jument Vallerine dont il se sépare pour jamais. Véritable vademecum qui précise comment il faut s’en occuper, comme si elle était un être humain. On sait que cette jument, mise dans un pré près de la Loire pendant l’exode de 1940, disparut sans laisser de traces. Le privilège du romancier est de lui prêter une seconde existence en lui faisant rencontrer un jeune cavalier du nom de Philippe.

L’écrivain explique comment il a réinventé ce personnage (qui avait assisté à un spectacle de Buffalo Bill), en imaginant pour lui une rencontre avec Calamity Jane. Il a aussi imaginé une amitié (hautement improbable dans la réalité) avec le maréchal Lyautey.

Jérôme Garcin lit alors le chapitre 14 de son roman L’écuyer mirobolant (Dax, 12 janvier 1949) qui raconte la mort d’Etienne Beudant. Admirable passage dans lequel le superbe cavalier d’autrefois « psalmodie » les vers du Madrid de Musset et évoque son passé devant son vieux palefrenier René. Par un matin de janvier, le serviteur fidèle retrouvera son maître mort dans son fauteuil roulant, « dans une position qu’il ne lui avait jamais vue, un peu faraude, ridicule, impudique, inhumaine », une badine dans la main droite, une rêne de bride dans la gauche, deux éperons portugais accrochés à ses « charentaises informes ». « Il venait de faire sa dernière reprise. Une de ses plus belles reprises, docteur… », dit René au médecin qu’il appelle pour venir constater le décès.

Quelqu’un demande ensuite à Jérôme Garcin pourquoi il écrit. Il répond que, pour lui, l’idée de transmission est capitale. Il a toujours écrit avec l’idée de transmettre (Théâtre intime, 2003, par exemple). Dans cette démarche personnelle et égoïste, dit-il, il a voulu raconter  à ses trois enfants qui est leur mère, Anne-Marie Philipe, la fille de Gérard et Anne Philipe. Leur dire les combats qu’elle a menés pour monter à son tour sur scène, leur révéler ce que certains ont besoin de savoir pour continuer à vivre.

Il y a sans doute aussi dans la démarche d’écrire le souci de se décharger un peu, de faire le clair avec soi-même. On croit qu’on peut vivre sans exprimer ce que l’on a en soi et Jérôme Garcin, après notamment la mort de son père, avoue avoir été psycho-rigide et avoir longtemps intériorisé ses sentiments. Dans le silence, il dit avoir toujours envié « le culot des comédiens qui se racontent ». Il s’étonne d’ailleurs d’avoir attendu si tard pour raconter oralement la scène de l’accident de son jumeau. N’est-ce pas en effet plus confortable de ne pas se poser de questions ?

Jérôme Garcin a bien conscience qu’il écrit surtout sur des « vies arrêtées ». Son premier livre en 1994, Pour Jean Prévost, évoquait Jean Prévost, cet écrivain de l’entre-deux guerres, fou de Stendhal. Parti en 1942 pour le Vercors, devenu le capitaine Goderville dans la Résistance, il continua à écrire. Mitraillé par les Allemands lors de la chute du maquis en 1944, il écrivait encore sur Baudelaire.

L’admirateur de Jean Prévost considère que « beaucoup de destins pleins sont brefs », une équation certes puérile qui ne vaut que pour lui mais qui est en parfaite adéquation avec le destin fracassé de Gérard Philipe. Et après la mortelle chute de cheval de son père, Jérôme Garcin avait retrouvé les derniers mots d’une étude qu’il rédigeait sur Charles Péguy. Ils évoquaient ce « Charles Péguy qui rêvait d’une mort bien fauchée ».

Pour l’écrivain, « tout tourne autour de ce sentiment de précarité ». Et il a bien conscience qu’en le reportant sur les siens, il génère ainsi un état d’angoisse illégitime, pas toujours très sain. Et lorsque son fils a eu six ans, il s’est étonné de ce miracle. Son père étant mort à quarante-cinq ans, lorsqu’il a eu le même âge, un jour, à cheval, il a éprouvé trois minutes d’effroi intense. « Je devenais le père de mon père », dit-il.

A une auditrice qui lui demande si ce sentiment proche de la pathologie n’est pas trop lourd à porter, l’écrivain reconnaît que son épouse Anne-Marie Philipe a « le pouvoir inouï d’avancer sans regarder en arrière ». Cavalière elle aussi, elle va de l’avant et lui a rendu une légèreté à laquelle il n’était pas disposé, lui dont « le passé colle aux bottes ».

Puis quelqu’un lui demande encore si passer du silence absolu à la publication n’est pas passer d’un extrême à l’autre. Il répond qu’en écrivant Olivier, il a toujours eu la conviction qu’il irait jusqu’au bout. Il s’est bien sûr demandé si publier ce récit n’était pas une manière d’abîmer le souvenir de son jumeau,  si cela ne représentait pas une forme de vulgarité ou d’outrecuidance. Mais il a en fait compris que, dans une famille où l’on considère qu’on ne se raconte pas, cela faisait partie de son auto-thérapie, et que c’était un processus dont il avait besoin.

A cette occasion, il a reçu de nombreux témoignages de lecteurs et son frère Olivier est ainsi devenu « le petit ami de gens qu’ [il ne conna[ît] pas ». Il s’agit là d’un processus de mort et de résurrection qui préserve le bonheur des vivants tout en percevant la présence des morts.

Une auditrice rapproche ensuite son récit de celui d’Annie Ernaux, L’autre fille. Jérôme Garcin reconnaît une forme de parenté entre les deux ouvrages, tout en faisant remarquer qu’Annie Ernaux n’a jamais connu sa sœur disparue alors que lui a vécu six ans avec son frère. Il affirme que, dans les deux cas, l’écriture est cicatrisation de la douleur et qu’elle est toujours une forme de réparation.

Enfin on évoque Boris Cyrulnik et le processus de résilience. Jérôme Garcin cite la belle phrase de Hölderlin : « L’art et la philosophie, c’est l’hôpital des âmes blessées. » Il précise par ailleurs que les livres dont il parle dans son récit, Olivier, font partie de sa vie et qu’il les a lus alors qu’il avait dix-sept, dix-huit ans. Il n’a pas lu de livres spécialement pour l’écrire. Ce n’est qu’après notamment qu’il a lu Le Syndrome du Jumeau perdu d’Alfred R. et Bettina Austermann.

Pour terminer la soirée, il souhaite que quelqu’un lui pose une dernière question, mais plus gaie. On lui demande de parler de ses liens avec la chanteuse Barbara (Barbara, Claire de nuit, 1999). Il raconte alors les circonstances de leur rencontre, lors d’une de ses dernières tournées en 1990, au festival de Ramatuelle. Elle était en répétition par 35° au milieu du chant des cigales, tandis que Jérôme Garcin se trouvait dans la coulisse avec son jeune fils Gabriel. Celui-ci lui a échappé et, se plantant devant le micro, a demandé à la chanteuse pourquoi elle était toujours en noir. Après lui avoir dit : « Tu me vois, habillée en rose ? », elle a confié le petit garçon  à son chauffeur en le chargeant de lui acheter un cadeau. De retour de Saint-Tropez avec un polaroïd, il a photographié Barbara, elle qui détestait cela. Le soir, elle a dédié son récital au petit garçon rencontré l’après-midi. C’est de là qu’est née une amitié triangulaire entre Barbara, Gabriel et Jérôme Garcin. La chanteuse, qui n’avait jamais eu d’enfant, a ainsi noué une amitié merveilleuse avec ce petit garçon avec qui elle mangeait des pots de bébé dans sa loge après le spectacle. « Elle avait adopté le père en même temps », ajoute avec humour Jérôme Garcin, à qui elle téléphonait presque quotidiennement. L’écrivain garde un souvenir impérissable de cette femme, souvent portraiturée en veuve, qui était en fait très drôle : « On riait beaucoup » avec elle. Et il se rappelle comme elle était « sublimement bouleversante » quand elle chantait, même quand sa voix commença à la quitter.

C’est sur cette évocation de la « grande dame brune » que s’est terminé cet entretien avec Jérôme Garcin, l’écrivain cavalier, qui a ensuite dédicacé ses livres, en dégustant une coupe de Méthode champenoise.

 

 

Lire ma critique d'Olivierlink

 

 

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 16:56

  lIVRE ET VIN 6

  Etablissements Bouvet-Ladubay, Le hall d'été (Auteurs et vignerons)

 

Dimanche 1er mai 2011, 130 écrivains étaient rassemblés en Saumurois, à Saint-Hilaire-Saint-Florent, dans les locaux de Bouvet-Ladubay, pour la 16 ème édition des Journées Nationales du Livre et du Vin. Un rendez-vous des plus éclectiques, qui fait se côtoyer amoureux des livres et amateurs de vin.

On pouvait y rencontrer des romanciers, des poètes, des philosophes, des politiques, des critiques, des cinéastes, des comédiens. Il y avait les habitués comme Irène Frain, Macha Méril, Nadine Satiat, Régine Desforges, Jean-Pierre Mocky, Claude Brasseur ou Denis Tillinac. Bernard Weber  rivalisait dans les dédicaces avec les frères Bogdanov ou Christophe Lambert pour son premier roman. La philosophie était présente avec Raphaël Enthoven et Malek Chebel, la télévision et la radio avec Alain Duault, Philippe Lefait, Jean-Yves Clément et Claude Villers. Françoise Chandernagor y présentait Les enfants d’Alexandrie (Grand Prix Palatine du Roman historique 2011). Jean-Louis Debré (Il paraît que Fontevraud était le nom de résistant de son père) était venu présenter en avant-première son livre à venir, illustré par Philippe Lorin, sur les 23 présidents de la République française. Le grand écrivain américain, Jim Fergus, auteur du succès  Mille femmes blanches, s’était lui aussi déplacé sur les bords du Thouet pour promouvoir son dernier opus, Marie Blanche. Les écrivains du cru étaient représentés par le poète Yves Leclair, l’historien Jacques Sigot, Nicolas Jolivot, Gino Blandin.

Placés sous le signe de l’ivresse fantastique, les jurés de l’édition 2011 ont décerné les prix suivants : le prix Jean-Claude Brialy, Esprit Bacchus à Charles Dantzig (Pourquoi lire ?) ; le Prix du Conseil général de Maine-et-Loire à Françoise Cruz (Eaux lentes sur Venise) ; le Prix Jean Carmet des vignerons de Bourgueil à Jean-Pierre Gauffre (Petit dictionnaire absurde et impertinent de la vigne et du vin) ; le Prix Epicure à Philippe Alexandre et Béatrix de l’Aulnoît  (Des fourchettes dans les étoiles, Brève histoire de la gastronomie) ; le Prix Infiniti à Ollivier Pourriol (Eloge du mauvais geste) ; le Prix Calude-Chabrol à Christophe Lambert (La fille porte-bonheur), avec mention spéciale à Olivia Elkaïm pour Les oiseaux noirs de Massada ; le Prix Omar Khayyam à Zéno Bianu (Le désespoir n’existe pas).

On pouvait déambuler d’un endroit à l’autre, au sein de chez Bouvet-Ladubay. Les cafés littéraires et l’exposition Chabrol, Merci Monsieur Chabrol, avaient lieu dans le très bel espace avec verrière début du siècle, qui est devenu Centre d’art contemporain. Les interludes musicaux, dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Liszt, avec Louis Lancien au piano, ainsi que  certaines tables rondes, se tenaient dans le ravissant petit théâtre XIX° siècle, créé par les fondateurs de la maison de vins.

 

Livre et vin

Igor Bogdanov (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Dans la première salle de signatures déjà chauffée à blanc, je renoue bien vite avec mes vieux souvenirs de Temps X, quand mes fils s’enthousiasmaient pour les jumeaux en combinaison d’astronaute. Grischka et Igor Bogdanov s’y prêtent en effet avec bonne grâce aux photos et aux dédicaces. Puis, je rencontre Françoise Chandernagor, installée quasiment en face d’eux, et vue récemment à La Grande Librairie pour Les enfants d’Alexandrie. Dans ce récit, elle fait revivre un des trois enfants d’Antoine et Cléopâtre, Séléné, « petite reine oubliée par la « grande Histoire » », ainsi qu’elle le mentionne dans la dédicace qu’elle m’a écrite. L’occasion pour l’écrivain de me dire qu’elle considère François Busnel, comme le digne représentant de Bernard Pivot. De préciser aussi que certains écrivains, auteurs de « romans historiques », prennent des libertés coupables avec la vérité, quand ils ne « s’inspirent » pas très largement de textes déjà publiés…

 

LIVRE ET VIN 4

Françoise Chandernagor (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Le temps de dévaler un escalier parmi la verdure jusqu’au niveau inférieur et je retrouve Yves Leclair, mon ancien collègue de lycée, venu avec son dernier opus, Orient intime, que suivra bientôt sa traduction-adaptation de Jaufré Rudel, Chansons pour un amour lointain, aux éditions Fédérop. Une belle occasion pour redécouvrir les mots du troubadour de Blaye à travers la voix d’un poète contemporain. Après le roman de Françoise Chandernagor, je continue à remplir mon cabas avec un ouvrage du poète angevin que je ne possédais pas, un petit exemplaire numéroté de la Suite du voyageur sans titre. J’y ai retrouvé ce regard aigu et tendre sur l’instant précieux qui ne reviendra plus, cette qualité d’émerveillement sur les humbles qui n’appartient qu’à lui et dont témoigne ce poème, intitulé « Arabesque » :

 

tombant sur la fête foraine

j’entre dans la cour des miracles

elle aurait bien pu être reine

d’Egypte la fille qui racle

la crêpe parmi la friture

les chichis la barbe à papa

dans son collant tout blanc si pur

avec perles et falbalas

- tombée du paradis d’Allah

 

Je poursuis mon tour des tables et m’arrête auprès d’Alain Duault, qui est présent avec ses biographies de Schumann et de Chopin chez Actes Sud. C’est pourtant avec le troisième tome de sa trilogie que je repartirai, Ce qui reste après l’oubli, Une hache pour la mer gelée, III (Gallimard). A travers des textes disposés en carrés réguliers, par le biais d’un prose poétique et musicale, le poète musicologue se propose de répondre à Kafka, qui invite à briser cette « mer gelée qui est en nous ». Les « Entrées » de la table des matières sont de belles promesses qui m’incitent à lever le voile sur « la part de l’inquiétude », « cet obscur comme une étreinte », où je pourrai rêver « à la beauté violente ». Et je sais déjà que j’aimerai cette langue ardente et violente. Nous parlons un peu d’opéra ; je lui dis que je me constitue ma culture opératique en assistant aux retransmissions du Met, que j’ai aimé les scènes de chœur conçues par Eric Génovèse dans Anna Bolena de Donizetti, retransmis sur Arte. Il me fait remarquer que le défaut majeur des mises en scènes actuelles, c’est cette demi obscurité, qu’il regrette. Lui qui fut comme moi professeur de Lettres dans une autre vie m’écrit une dédicace pour ces poèmes « tissés à [ses] passions dont la musique n’est pas la moindre ».

 

lIVRE ET VIN 5

Raphaël Enthoven (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

C’est avec Raphaël Enthoven que j’achèverai ma balade parmi les livres. A propos de son émission du dimanche sur Arte, Philosophie, dans laquelle il pratique la déambulation (« Les bonnes idées viennent en marchant » écrivait Nietzsche), je lui dis que je la trouve très pédagogique. Il me répond que c’est une gageure pour lui de rendre simple et accessible un domaine de pensée aussi complexe. J’évoque aussi le petit groupe de philosophie que nous avons créé à quatre amies, ce qui me vaudra une autre dédicace sur mon « bel enthousiasme philosophique qui réchauffe le cœur de ses intercesseurs ». Mon cabas est désormais plein puisqu’il vient encore d’accueillir L’endroit du décor et Le philosophe de service et autres textes. Il me faut être raisonnable !

 

livre et vin 2

  Table ronde : L'ivresse fantastique dans la littérature

(Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Sous la belle verrière du Centre d’Art contemporain, j’assisterai encore à une dernière table ronde sur L’ivresse fantastique dans la littérature avec Bernard Werber, Henri Loevenbrück, Catherine Dufour et Laurent Genefort, et animée par Philippe Lefait (Petit lexique intranquille de la télévision). Attention, parfois, quand on écrit des choses qui paraissent invraisemblables, elles surviennent, met en garde Bernard Werber.

Et je clôturerai cet après-midi parmi les livres avec la très riche exposition Chabrol, consacrée à la carrière de cet entomologiste aigu de notre société. Explorant toutes les facettes du grand metteur en scène, cette rétrospective très complète nous a présenté les nombreuse sources littéraires de ses films, sa prédilection pour les fous et les folles, les personnages hors-normes. Elle a particulièrement mis en valeur ses actrices fétiches, de Bernadette Laffont à Isabelle Huppert en passant par Stéphane Audran. Elle nous a dit encore son amour de la famille, totalement intégrée à la fabrication de ses films. Elle nous a rappelé enfin le caractère bon vivant, amateur de bonne chère et de bon vin, de celui qui avait acheté une maison sur les bords de la Loire.

 

Livre et vin 3

  Isabelle Huppert et Claude Chabrol (Photo de l'exposition)

 

En ce beau dimanche 1er mai, il fallait choisir entre boire ou lire. Et, malgré le verre de vin offert à l’entrée, j’avais définitivement choisi de lire !

 

                       

 

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22 septembre 2010 3 22 /09 /septembre /2010 13:54

  Poétiques 1

  La poésie au jardin des Plantes

 

Pour la quatrième fois, le salon des Poétiques de Saumur, organisé par Albane Gellé et Patrick Cahuzac (Librairie Le Livre à Venir), s’est déroulé en plein air, par un beau soleil de septembre, au Jardin des Plantes, les 10, 11 et 12 septembre 2010.

Un moment que les amateurs de poésie attendent puisqu’il leur permet de rencontrer des éditeurs, de découvrir ce qui se passe en poésie à travers les tables rondes et d’écouter des voix singulières à l’occasion des lectures. Les rencontres ont été inaugurées avec un concert d’Olivia Nicosia, une chanteuse polyglotte, qui a attiré un public nombreux, le vendredi 10 septembre.

 

Poétiques 6

L'exposition des photos d'écrivains

 

Les journées étaient animées cette fois-ci par les Anj’ôleurs qui murmuraient des poèmes à l’oreille des visiteurs dont les yeux étaient bandés. La plasticienne Coco Texèdre a été à l'initiative d'un atelier d’écriture le dimanche matin tandis qu’une yourte invitait les enfants à rêver autour d’histoires contées par Mathilde Grolleau. Une belle exposition photographique de Michel Durigneux présentait les portraits des écrivains qui ont été invités à Saumur par l’association Littérature et Poétiques.

 

Poétiques 3

  Un Anj'ôleur sussurrant un poème à l'oreille d'une visiteuse

 

Le samedi 11 septembre, à 16h 30, Marie-Céline Siffert a lu des extraits de Encore (Editions Contre-Pied, 2007), de son œuvre  en travail et de Monsieur en extase sur la couverture (Editions Jacques Brémond, 2008), recueil pour lequel elle a reçu en 2007 le Prix Ilarie Voronca, qui distingue le manuscrit d’un auteur ayant peu publié.

De sa voix claire, douce et posée, elle a étonné son auditoire avec un texte qui fouille la réalité, la fouaille, la pénètre, dans une opiniâtreté à vouloir dire ce qui échappe sans cesse. Une écriture du suspens et de la fuite qui surprend lorsqu’on la découvre sur le papier, tant elle apparaît alors ponctuée et structurée en paragraphes, qui se dissolvent à la lecture à voix haute.

 

Poétiques 2

  Marie-Céline Siffert disant Monsieur en extase sur la couverture

 

A 18h 30, Emmanuel Adely, quant à lui, a lu des extraits de Cinq suites pour violence sexuelle (Editions Argol). Avec ce texte, il s’est employé à démonter, puis à reconstruire, les cinq discours de campagne de Nicolas Sarkozy, du 22 avril au 06 mai 2007. Jouant de la répétition, de l’énumération, du rapprochement, du raccourci, il fait ainsi apparaître la racine d’une pensée politique, qui joue sur l’exhortation, l’incitation, le volontarisme, où un moi s’exalte de ses propres mots. Si l’on sourit au début, on est vite gagné par l'inquiétude devant une logorrhée qui tourne à vide.

 Poétiques 4

  Emmanuel Adely disant Cinq suites pour violence sexuelle

 

Le lendemain, dimanche 12 septembre, Jacques Bonnaffé a lu des extraits des Sermons joyeux de Jean-Pierre Siméon.  Pleine de vie, la parole de ce dernier est une invitation, une harangue à « oser la poésie » afin « qu’elle exerce chacun/ au doute/ à l’obscur/ à l’incertain/ à la frayeur/ à l’étrange/ à la fureur/  au déni/ comme au désir… »

 

Jean-Pierre%20Simeon

Jean-Pierre Siméon (Photo Littérature et Poétiques)

 

Ces rencontres m’ont donné l’opportunité de découvrir, en flânant à travers les tables des quatorze éditeurs présents, les très beaux textes de Françoise Hàn, éditée chez Jacques Brémond. Dans un élégant recueil gris au format long et étroit, intitulé Un été sans fin, dédié « à  Claude/ au-delà du 9 décembre 2006 », elle dit la douleur de la perte. Onze poèmes d’une déploration vécue cependant dans la lumière et qui invite à aller « Vers » la « Clarté » :  « irruptions de lumière/failles dans le mur orbe/ de la mort »

Ce furent deux belles journées pour rendre hommage à tous ceux qui aspirent à « révéler un monde en attente d’être nommé », ainsi que le dit Françoise Hàn.

 

  Poétiques 5

 

  Albane Gellé présentant Marie-Céline Siffert

 

 

 

Mercredi 22 septembre 2010

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Des blancs ruisseaux de Chanaan

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La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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