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5 juin 2013 3 05 /06 /juin /2013 10:41

la femme à barbe

Portrait de Magdalena Ventura, allaitant son fils, au côté de son époux, Juseppe Ribera, 1631

(Photo ex-libris.over-blog.com, Casa de Pilatos, Séville, le 19 avril 2012)


Jeudi 19 avril 2012, nous étions à Séville et y avons visité la Casa de Pilatos, un merveilleux palais, construit dans les styles mudejar, gothique, renaissance, par la famille des Ribera. On raconte que Fadrique de Ribera aurait reproduit à l’identique le palais de Pilate à Jérusalem. On dit aussi que cette appellation tient à la présence de la première station du Chemin de Croix aux abords proches du palais. Cette étape initiale était en effet la demeure de Pilate et la première étape du chemin du Christ vers la croix.

Casa;de Pilatos

La Casa de Pilatos, l'entrée vers le patio

(Photo ex-libris.over-blog.com, le 19 avril 2012)

Le raffinement de la Casa de Pilatos suscite chez le visiteur une admiration sans cesse renouvelée.  Du patio décoré d’azulejos aux jardins odorants orné de statues, en passant par les salles décorés de stucs et autres colonnes, tout y exalte la profusion, l’élégance, la somptuosité.

Casa-de-Pilatos-Bustes.JPGUn empereur romain et Cicéron voisinent avec Charles-Quint au-dessus des mosaïques

(Photo ex-libris.over-blog.com, le 19 avril 2012)

Parmi les nombreuses œuvres d’art qui y sont exposées, l’une d’entre elles a suscité chez moi un grand étonnement en même temps qu’un intense sentiment de malaise. Placé dans une pièce assez sombre, ce tableau de Juseppe de Ribera (dit le Spagnoletto) est intitulé Portrait de Magdalena Ventura, allaitant son fils, au côté de son mari (1631). Les personnages sont debout, l’époux, vêtu d’un habit noir sur des bas blancs, est sur le côté gauche de la toile ; l’épouse, avec une petite calotte sur la tête, le sein droit dévoilé, porte fièrement son enfant. Tous deux regardent le spectateur d’un regard noir, tandis que la lumière tombe sur la robe claire de Magdalena Ventura, soulignant les détails de la féminité : le col et la broderie de dentelle de la robe, la bague à l’index gauche, les plis de la double jupe. A droite, sur des pierres sculptées marquées d'inscription en latin, on devine un énorme coquillage rosé. Le choc survient quand on se rend compte que cette mère allaitante porte une barbe noire fournie, tout comme son mari ! Les poils de la nourrice tombent sur le sein droit, particulièrement gonflé, produisant ainsi un effet de surprise.

Magdalena Ventura, dite aussi la « mujer barbuda » des Abruzzes, est une Napolitaine qui avait eu trois (ou sept enfants) avec son époux, Felici de Amici, présent à ses côtés sur la toile. Le dernier serait né alors qu’elle avait 52 ans mais son hirsutisme se serait déclaré bien plus tôt, à l’âge de 37 ans. Elle fut invitée au Palais Royal de Naples par le vice-roi de Naples, Fernando Afan de Ribera y Enriquez, duc d'Alcalá III, qui collectionnait des tableaux des « caprices de la nature ». En fait, il devait s'agir d'un cas remarquable d'hypertrichose, dûs à des problèmes hormonaux.

Casa-de-Pilatos-inscription.JPG

Cartouche expliquant le cas de La femme à barbe des Abruzzes, autre titre du tableau

(Photo ex-libris.over-blog.com, le 19 avril 2012)

Etrange image d’une féminité pervertie, représentation d’un être considéré à l’époque comme monstrueux, volonté affichée du peintre de dévoiler les « merveilles » de la nature, suggestion d’hermaphrodisme (souligné par la présence du coquillage), on demeure perplexe devant ce tableau étrange, représentant un "grand miracle de la nature". Il surprend d’autant plus qu’il se trouve dans un lieu où la beauté et l’harmonie sont reines !

Casa de Pilatos 2

      Les merveilleux jardins de la Casa de Pilatos à Séville

(Photo ex-libris.over-blog.com, le 19 avril 2012))

 

Sources :

La Fondation Medinaceli, Séville

link

 

Pour Le Cas-Tête de la Semaine,

Thème proposé par Sherry : la barbe

 

 


 

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3 février 2012 5 03 /02 /février /2012 19:03

 Francois-bonvin-le-verre-d-eau.jpg

Le verre d'eau, François Bonvin, quatrième quart du XIX° siècle,

Musée des Beaux-Arts de Grenoble

 

 

 

Derrière le verre dur et cassant

La fraîche limpidité de l’eau

 

Sous l’abat-jour blanchi du soir

La douceur d’or de la lumière

 

Sous la goutte de rosée matinale

Le vert naissant de la feuille

 

Sous le voile léger du coton

La rondeur ravie du sein maternel

 

Sous la peau claire et diaphane

Le sang solitaire qui sinue

 

Sous le verre bombé de la montre

Les minutes tueuses du temps

 

Sous l’œil curieux du microscope

Les mille insoupçonnés de l’univers

 

Derrière la glace sans tain toute ternie

Les longs mensonges des êtres

 

Et

 

Dans ton regard de devin translucide

Pour moi enfin l’épiphanie du monde

 

Pour Le Casse-Tête de la Semaine,

Thème : en transparence

 

 

 

 

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29 avril 2011 5 29 /04 /avril /2011 18:01

  foujita le petit écolier en blouse noire 1918

Le petit écolier en blouse noire, 1918, Tsuguharu Foujita

 

 

Il est bien loin déjà le parfum de l’école

Des dictées annonées des leçons rabâchées

Des jours où l’on jouait aux billes à pigeon-vole

Le cœur empanaché

 

Il ne reviendra plus le ciel de la marelle

On sautait sur un pied les genoux écorchés

Les garçons et les filles en belle ribambelle

Le cœur amouraché

 

Il s’est enfui le temps de la petite enfance

Quand on jouait aux barres et puis à chat-perché

Dans les rires et les cris d’une douce innocence

Le cœur effarouché

 

Mais il roule en moi comme une ronde toupie

Qui tourne infiniment sans en être empêchée

Un petit écolier dont j’ai la nostalgie

Dans mon cœur écorché

 

 

Pour le Casse-Tête de la Semaine de Lajémy,

Thème : Chat-perché

 

 

 

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22 avril 2011 5 22 /04 /avril /2011 15:13

  Miroir delvaux 2

Femme au miroir, Paul Delvaux.

 

 

Au miroir du silence

Factice transparence

Fallacieuse présence

Je me suis contemplée

Je me suis reflétée

Je me suis égarée

 

Etang de vains mirages

Une eau un marécage

Où j’ai cherché en vain

Le sens et le chemin

 

J’ai voulu déchiffrer

Les signes les secrets

Au tain divinatoire

Y lire mon histoire

 

Persévérant Narcisse

J’ai frôlé les abysses

Et naïve Psyché

Je fus illusionnée

 

Dans son tain imprécis

Mon âme inassouvie

Mon image inversée

Toujours il m’a dupée

 

J’aurais dû l’ignorer

J’aurais dû le cacher

Cet insolent miroir

Muet comme un grimoire

 

Et quand je m’en irai

Là-bas vers je ne sais

De moi ne restera

Qu’un visage en éclats

Une effigie défaite

Dans un miroir en miettes

 

Vendredi 22 avril 2011,

Pour le Casse-Tête de la Semaine de Lajémy,

Thème : le miroir

 

 

 

 

 

 

 

 

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 11:20

  Printemps rocaille-copie-1

Les fleurs de rocaille dans le jardin

 

J’ai vu

Le jaune fou du forsythia

Effarant le soleil

Tout par-dessus le mur

Les fines herbes fébriles

Qui se haussent du col

Dans les deux pots jumeaux

Celles qu’on dit mauvaises

Têtues de vouloir-vivre

Et trouant le gravier

Le prunus rosé

Comme un Japon ancien

Dans le fond du jardin

 

printemsp prunus p

  Le prunus en fleur dans le fond du jardin

 

Le bois dur des rosiers

Frémissant de leurs feuilles

Résillées et pointues

Dans le cœur des palmiers

La dague dégainée

Droite et qui s’éploiera

L’efflorescence bleue

Arrondissant les angles

De la rude rocaille

Les arbres à papillons

Mûrissants leurs senteurs

Pour leurs hôtes futurs

 

Printemps poisson P

Les poissons rouges dans le bassin

 

Les poissons remontés

Des tréfonds du bassin

Que je ne peux compter

La jacinthe très bleue

Au parfum capiteux

Dans la terra cotta

  

Printemps jacinthe p

  La jacinthe bleue

 

Sous l’écorce grattée

Des très vieux althéas

Du vert à volonté

Les pigeons gris et blancs

Aux ronds roucoulements

Que je n’entendais plus

Désormais revenus

La mouche qui trottine

Au hasard musardine

Sur le tuffeau chauffé

De silencieux félins

Les chats de mes voisins

Marquant leur territoire

De leurs excréments noirs

 

Printemsp chat p

  Un chat dans les herbes

 

Le coq orange

Et arrogant

Ressuscité dans le regain

 

 Printemps le coq p

Le coq indifférent

 

Refusant son regard

Au tapis blanc des plumes

Eparpillées éparses

De la poule ventrue

De la poule perdue

Violentée

Par le renard roué

Et qui ne verra pas

L’éclatement ardent

De son mortel

Printemps

   

Printemps plumes P

  Le renard est passé

 

 

 

 

 

 

 

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19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 08:53

  Redon Sita 1893

Sita, 1893, Odilon Redon

 

 

Où m’en vais-je ainsi

Quand je rêve

Et que je m’ensommeille

Enfin abandonnée

Aux mirages flottants

Qui courent sous mon front

Comme des fils de la Vierge

 

Quel est donc ce pays que je ne connais pas

Où je suis délivrée de mon corps pesant

De l’espace et du temps

De la griffe et du vent

Du sang et des grimaces

De l’homme qui s’en va

Et qui ne revient pas

 

Je crois redevenir

Cet éternel enfant

Qui riait vaguement

Dans les eaux maternelles

Et dont les mouvements

Harmonieux et dansés

Etaient un friselis sur un rond ventre blanc

 

Et je sais que c’est là

Dans l’œuf originel

La matrice amoureuse

Le mystérieux Graal

Que je retournerai

Y rêver pour jamais

Mon songe éternité

 

 

 

Pour Le Casse-Tête de la Semaine de Lajémy,

Thème : Rêve Party

 

 

 

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11 mars 2011 5 11 /03 /mars /2011 09:59

  Ange Fra Angelico

Ange, du Frère Giovanni en religion, dit Fra Beato Angelico

 

 

Au cloître du silence

Fra Beato Angelico

Le vieil enfant

Peignait à fresque

 

Candide et extatique

Il voyait au lointain

Les violons, les lyres

Les anges aux blanches plumes

 

Une petite Vierge

Les mains croisées sur la poitrine

Un tendre messager

Aux cheveux blonds et pâles

 

Sous le ciel de Toscane

Aux collines étagées

Parmi les champs de fleurs

Aux printemps lumineux

 

Fra Beato Angelico

Illustrait sa prière

C’était une légende

Dorée dans un vieux livre

 

Le monde y était frais

Et les voix cristallines

Les maisons vives et roses

Et les cieux pleins d’étoiles

 

Au-dessus des candides

Des chastes et des purs 

Tournoyait en soleil

L’auréole des saints

 

Eux les êtres charmants

Dans leurs robes brodées

Au regard mystique

Au visage étoilé

 

Rêvaient du Paradis

Où résonnent les harpes

Et où la main de l’ange

Est Caresse et Douceur

 

les mains de l ange detail de l annonciation 

L'Annonciation, Fra Angelico, Détail des mains de l'Ange

 

 

 

Pour Le Casse-Tête de la Semaine de Lajémy,

Thème : La douceur

 

 

 

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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 09:19

  Bogdany yakab nature morte avec cochon d'inde

Nature morte avec oiseaux et cochon d'Inde,(1660) Bogdany Jakab,

Hungarian National Gallery, Budapest 

 

 

 

Je devais avoir une dizaine d’années et mes parents m’avaient promis un cochon d’Inde. J’avais longtemps rêvé sur ce nom, imaginant un animal avec la queue en tire-bouchon et, pourquoi pas, un œil au milieu du front, comme j’en avais vu sur le front des Indiennes de mon livre de géographie. Aussi, quand on m’avait donné l’animal, avais-je été un peu déçu, trouvant qu’il ressemblait plus à un chat qu’à un cochon, et qu’il n’avait d’indien que le nom.

Très vite pourtant, je m’étais attaché à lui. J’avais été conquis par ses quatre dents de devant, grandes comme des touches de piano, ses yeux noirs comme des raisins de Corinthe, la douceur de sa fourrure blanche et brune, sous laquelle je sentais battre un petit cœur affolé.

Je pensais alors à tous les petits cobayes dont on m’avait parlé et qui mouraient dans les cages transparentes des laboratoires. Notre voisine, une vieille Anglaise, originale et fantasque, qui venait souvent nous rendre visite parce qu’elle avait habité notre maison dans son enfance, faisait campagne contre la vivisection. Malgré les rires sous cape dont elle était la victime consentante, bravant la pluie et les frimas, avec abnégation, elle animait un stand sur les marchés dominicaux des villages avoisinants et ne ménageait pas sa peine pour défendre les animaux sans défense. Je l’entends encore me dire avec son inimitable accent anglais : « Tu sais, papillon, les bêtes aussi iront en paradis ! » Je revois sa haute silhouette dégingandée, quand elle arpentait les vignes, grande déesse sauvage, accompagnée de sa chienne Khâli, son « vilain chien noir », ainsi qu’elle l’appelait avec tendresse.

A mon cochon d’Inde, j’avais aussi donné un nom indien. Mais, moi, j’avais choisi celui de Gandhi, l’apôtre de la non-violence. J’aimais l’idée qu’il avait filé le rouet comme une femme et avait offert sa poitrine squelettique aux fusils anglais. Et puis, je rêvais que mon petit Gandhi était peut-être la réincarnation d’un maharadjah aux yeux noirs car maman m’avait parlé de la métempsycose et de la migration des âmes.

Le rongeur était ainsi devenu pour moi une sorte d’ « animal sacré », objet d’une vénération comme seuls les enfants peuvent en avoir, grâce à la force rebelle de leur imagination. Certes, je m’en occupais avec soin, lui nettoyant sa litière plus proprement que ne le furent jamais les écuries d’Augias, le nourrissant des carottes les plus rouges, des feuilles de salade les plus vertes, de l’eau la plus claire. Mais, surtout, je le regardais ; enfin, c’est peu dire que je le regardais, je le détaillais, je le considérais, je l’examinais, je m’abîmais dans sa  contemplation. Et chaque jour, j’étais toujours plus émerveillé par la dextérité avec laquelle ses petites pattes agiles s’emparaient de la nourriture que je lui avais déposée. Je suivais avec attention la manière dont ses dents actives la croquaient avec vivacité. Il me semblait alors que je percevais le monde au rythme de ses fines vibrisses, qui faisaient de minuscules ondes tactiles et vibrantes au-dessus de son museau tendrement rose comme un bonbon anglais.

Mon cochon d’Inde était ainsi devenu au fil des mois une sorte de double de moi-même et le confident de mes lectures. C’est à lui que je posais à voix haute les questions du Petit Prince, c’est à lui que je racontais les aventures d’Huckelberry Finn, en radeau avec son copain noir sur le Mississipi. Et je lui disais qu’un jour j’aurais le courage d’ouvrir sa prison à barreaux et qu’il pourrait s’en aller. Mais je ne savais pas quand. Tard le soir, quand maman venait dans ma chambre pour m’embrasser, elle me trouvait à moitié endormi, accoudé à ma table de travail, le menton sur mes bras croisés, les yeux flous, rivés sur la cage de mon cochon d’Inde. Elle la prenait du bout des doigts avec le petit anneau qui la surmontait, la déposait sans ménagements dans un coin de la pièce, et me conduisait titubant jusqu’à mon lit. Dans un demi-sommeil, je l’entendais dire en maugréant : « C’est pas de l’amour, c’est de la rage ! », et je sombrais dans ma nuit enfantine.

Un jour, je crois que c’était à l’automne, quand je suis rentré de classe, maman était dans la cuisine. Elle m’a fait asseoir sur un des bancs de bois, elle s’est essuyé les mains plusieurs fois sur son tablier et elle m’a dit tout à trac en me caressant la main : « Il ne faut pas que tu pleures mais Gandhi s’est sauvé dans le grenier. Papa a essayé de le rattraper mais il n’y arrive pas. Ne t’en fais pas, il reviendra sans doute. »

Curieusement, cette nouvelle ne m’a rien fait. Je crois que j’étais plutôt content que Gandhi ait pris sa liberté puisque je lui avais toujours dit que ça arriverait. Seulement je ne pensais pas que ça serait si tôt. J’ai senti comme un grand trou qui se creusait dans mon ventre, j’ai fermé les yeux très fort ; ils picotaient un peu mais je n’ai pas pleuré.

Le soir, dans mon lit, j’ai pensé à mon animal. Je l’ai vu déambulant par petits sauts parmi les vieux cours de Littérature de maman, les bottes d’équitation racornies de papa, les piles d’assiettes de porcelaine ébréchée. Etait-ce cela la liberté dont j’avais rêvé pour lui ? Comment ferait-il pour descendre jusqu’au jardin, gagner les vignes, y retrouver les rats des champs ou rejoindre en contrebas les ragondins de la Loire ?

C’est à ce moment-là que mon grand-père, qui habitait dans la même maison que nous, est tombé malade. Cela a duré un certain temps, un mois ou deux, je crois. Il avait beaucoup de fièvre et restait toute la journée dans son lit. Ma grand-mère lui faisait des rigolos ; quand j’entrais dans sa chambre, un peu sombre à cause du grand if qui l’ombrageait, je sentais la moutarde de ses cataplasmes, mêlée à la senteur de la poudre de ma grand-mère. Très vite, mon grand-père a commencé à raconter qu’il entendait des bruits dans le grenier et on a cru que la température le faisait délirer. Quand on le lui a fait comprendre, il s’est fâché tout rouge et on n’a plus rien osé dire.

Un jour, papa, qui voulait en avoir le cœur net, est monté dans le grenier, qui était juste au-dessus de sa chambre. Il y est resté un certain temps et il en est redescendu un peu pâle. Je l’ai vu faire à maman une sorte de signe de dénégation avec la tête puis il est retourné auprès de mon grand-père. Moi, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai pensé à Gandhi. Est-ce qu’il était toujours là-haut ? Est-ce qu’il avait réussi à s’enfuir ? J’ai suivi papa à pas de loup et j’ai collé mon oreille tout contre la porte de la chambre de grand-père. J’ai entendu le parquet grincer : papa avait dû s’asseoir au bord du lit, là où les lattes sont cassées. J’ai tendu l’oreille. Papa  disait en riant : « Vous n’étiez pas fou, père ! C’est le cochon d’Inde qui faisait tout ce ramdam. Figurez-vous qu’il a mangé une grande partie des noix entreposées dans le grenier et qu’il est devenu monstrueux. J’ai eu peine à le reconnaître tellement il avait grossi. Un cochon d’Inde obèse, c’est quelque chose d’hallucinant ! »

Je n’ai pas entendu la réponse de grand-père parce qu’à ce moment-là, notre chien Sosthène a aboyé contre un passant dans la rue. Quand le silence est revenu, la voix de mon père n’était plus qu’un murmure : « Vous savez, père, il pouvait être dangereux. J’ai dû le tuer avec la vieille pelle à pain et autant vous dire qu’il ne s’est pas laissé faire. Il s’est démené comme un beau diable. On ne le croirait pas mais ce sont vraiment de sales bêtes, ces rongeurs ! »

Moi, j’en avais déjà trop entendu. Il me suffisait de savoir que je ne verrais plus mon petit Gandhi et qu’il ne me regarderait plus jamais de ses yeux curieux et rieurs. Il avait échappé à la décérébration des laboratoires, il avait connu la prison dorée de ma cage, il n’avait vécu la liberté que dans l’indigestion d’un festin de noix, il était mort sous les coups assassins de mon père. Pour moi, c’en était trop : j’ai glissé le long de la porte et je me suis évanoui.

   

Pour Le Casse-Tête de la Semaine de Lajémy,

Du 28 février au 06 mars 2011,

Thème : Rongeurs

 

 

 

 

 

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 08:23

  cabines de plage calais (wikimédia commons

Cabines de bains sur la plage de Calais

(Photo Wikipédia commons)

 

 

 

Sur la plage de Malo

Mes amours n’ont plus d’écho

 

Et j’y ai cherché en vain

Les vieux kiosques de bains

 

En  robe bleue et rayée

Tels des cubes alignés

 

Jeu de construction d’enfant

Qui ne veut pas être grand

 

Ils regardaient la mer

Et ses vagues moutonnières

 

Ils abritaient nos retours

Dans un demi contre-jour

 

Quand la peau soudain frissonne

Du sable qui la sillonne

 

Et du salé picotant

Que la mer va déposant

 

C’est là qu’on jouait souvent

Quand il fait froid et grand vent

 

Et c’est là qu’entre cousins

On parlait d’un ton badin

 

On se faisait confidence

On se confiait nos romances

 

Les cheveux échevelés

Dans nos vieux maillots mouillés

 

Où s’en sont-ils donc allés

Les kiosques que j’aimais

 

Ribambelle désuète

Instant du temps qui s’arrête

 

Cubes de bois disparus

Ton baiser sur ma peau nue

 

Sur la plage de Malo

Mes amours n’ont plus d’écho

 

 

Pour Le Casse-Tête de la Semaine de Lajémy,

Thème : le kiosque

 

 

 

 

 

 

 

 

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24 novembre 2010 3 24 /11 /novembre /2010 18:37

  Potiche

 

 

Une vieille potiche

Qui son mystère affiche

Héritée d’un grand-père

Amoureux du désert

 

J’aime à la regarder

Dessus le vaisselier

Dans son dessin oblong

Son col étroit et rond

 

Son glacis vernissé

Son blanc qui est cassé

Et ses dessins naïfs

Combien décoratifs

 

Tracés par le pinceau 

Des fleurs et des oiseaux

Autant de taches bleues

Dansant devant mes yeux

 

Par quelle âme inventés

Par quelle main dessinés

Parvenus jusqu’à nous

Tels de vrais bijoux

 

Elle me fait rêver

Son fond d’un blanc de lait

Ses fines craquelures

Fragiles meurtrissures

 

Sa courbe sinueuse

Silhouette harmonieuse

Où mon esprit se perd

Intrigant univers

 

Quel est cet artisan

Ce roi ou cet amant

Qui l’offrit à sa belle

Au regard de gazelle

 

Quel est donc ce potier

Par l’amour inspiré

Qui créa cette jarre

Au comble de son art

 

Ornement d’un palais

Vase pour des secrets

Récipient pour un baume

Jarre aux subtils arômes

 

Jamais je ne saurai

Mais toujours j’aimerai

Cette belle sultane

Dans sa robe ottomane

 

Pour Le Casse-Tête de la Semaine de Lajémy

du 22 au 28 novembre 2010

Thème : les potiches

Communauté : Les Croqueurs de Mots

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Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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