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13 janvier 2018 6 13 /01 /janvier /2018 22:23

Crédit Photos : Tetsu Maeda, Montoleone, Ida Brenzoni

 

Vendredi soir, 12 janvier 2018, sur le parquet de la scène du Dôme à Saumur, l’atmosphère était « caliente ». Les dix danseurs de la Tango Metropolis Dance Company, accompagnés par le Quintet Daniel Binelli, rendaient un hommage énergique et sensuel à Astor Piazzolla (1921-1992), le Villa-Lobos argentin, avec le spectacle Buenos Aires Tango Suite. Ce compositeur, précurseur et principal représentant du tango d’avant-garde, a marqué de son empreinte cette « musique populaire et contemporaine de la ville de Buenos Aires ». Les danseurs de la compagnie argentine se sont faits admirablement les interprètes de ce musicien exigeant et passionné.

Le spectacle a débuté par un superbe duo (Soledad Rivero et Lucas Páez), éclairé par la poursuite, sur une musique de Juan de Dios Filiberto, qui nous a immédiatement plongés dans l’âme argentine. Puis, le rideau de fond de scène s’est ouvert sur l’orchestre typique du tango argentin : l’extraordinaire Daniel Binelli (digne héritier d’Astor Piazzolla avec qui il collabora pendant quatorze années) au bandonéon, instrument-phare du tango ; Polly Ferman au piano, Martin Keledjian à la contrebasse, Humberto Ridolfi au violon et le guitariste César Angeleri. Le spectacle alternera ainsi les moments musicaux (Piazzolla, Daniel Binelli) avec les séquences dansées (sur des musiques d’Augustin Bardi, India Pavile, Daniel Binelli, Piazzolla, Julio de Caro, Pedro Laurens, Eduardo Rovira, Sebastian Piana) apportant ainsi des pauses bienvenues et permettant des soli d'instrument aux musiciens. L’occasion de créer cette couleur mélancolique et noctambule si particulière au tango, cette danse « à l’esprit baroque, [qui] s’offre des détours délicieux, malicieux ».

Les chorégraphies variées et inventives nous ont permis d’admirer la technique impeccable de ces danseurs (Michaela Böttinger/Cristian Mino, Soledad Rivero/Lucas Paez, Jorgelina Guzzi/Dario Farias, Sabrina Nogueira/Eber Burger), tout en puissance et en fluidité, menés par Claudio Hoffmann et Pilar Alvarez. Les cinq danseuses brunes (vêtues des superbes robes noires ou rouges imaginées par Maria Sanz), parmi lesquelles se détachait une danseuse blonde et élancée au port de tête aérien, nous ont montré toutes les facettes de cette danse. Guidées par le mouvement du buste et le poids du corps de leur partenaire masculin, nous les avons vu le suivre, se refuser, se rebeller, s’abandonner, tout en conservant cette tenue et cette fierté, si particulières au tango argentin, cette « marche, à deux et dans la musique ». Entre colère et désir, entre acceptation et rejet, mêlant des sentiments vibrants et ambivalents, le tango apparaît bien comme une sensuelle valse-hésitation. Dans une autre belle séquence à trois danseurs, la danseuse nous a donné à voir le cabeceo, cette manière discrète d’inviter un partenaire à danser alors qu’elle-même lui a lancé la mirada.

Chez les hommes, vêtus de sobres costumes gris à gilet sur une chemise blanche, nous avons aussi admiré cette manière de guider leur partenaire vers une direction qui semble à chaque fois impromptue. Cet art de créer des formes sculptées qui durent aussi longtemps que dure une danse, à l’origine fondée sur l’improvisation. Cet air de défi, sans doute hérité de l’Espagne, qui confère au tango une allure de lutte où l’homme et la femme s’affrontent dans une sexualité exacerbée. Et quand la danse est achevée, les danseurs ne continuent-ils pas de se poursuivre en se toisant avec orgueil ?

On signalera aussi ces beaux passages où les hommes dansent deux par deux ou ensemble. Moments surprenants certes, mais pas tant que cela quand on sait qu’avant d’entrer dans les bals de Buenos Aires, les hommes s’entraînaient entre eux pour s'assurer de bien danser avec leur cavalière.

Chez ces danseurs aguerris, quelle assurance dans les ruptures de rythme, les étreintes farouches (abrazo), les petits pas très rapides (seguidillas), les mouvements circulaires (bicicleta), les inclinaisons passionnées, les positions symétriques en miroir (espejo), les portés époustouflants, ou encore les castigadas quand le danseur pousse la jambe de sa cavalière vers le haut ou accroche le pied ou la jambe de celle-ci. Dans ces mouvements puissants et d’une précision extrême, où les corps s’étirent, se happent, basculent, s’inclinent, s’apparient, s'assemblent et se désassemblent, la troupe fait merveille, tout en nous entraînant dans ce monde de la nuit,  où naquit cette danse devenue mythique.

En regardant ce beau spectacle, j’avais envie de fredonner la chanson de Léo Ferré, « Le temps du tango » :

Alors c'était plus Valentin'
C'était plus Loulou, ni Margot
Dont je serrais... la taille fine...
C'était la rein' de l'Argentin'
Et moi j'étais son hidalgo
Œil de velours et main câline...
Ah c' que j'aimais danser l' tango !...

Merci donc à ces fabuleux danseurs, sublimés par les éclairages d'Albert Pastor et les couleurs changeantes du fond de scène, à ces musiciens inspirés qui, le temps d’une soirée, nous ont entraînés loin dans une « lente promenade argentine », et nous ont donné l’envie d’apprendre le tango, cette « pensée triste qui se danse ».

 

Sources :

Programme du Dôme

http://www.marseilletango.fr/Vocabulaire%20Tango%20Argentin%202.htm

 

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20 mars 2015 5 20 /03 /mars /2015 16:34

Roméo et Juliette, 

(Photo Allo Ciné)

Le dimanche 8 mars 2015, le cinéma Le Palace à Saumur retransmettait le ballet Roméo et Juliette du Bolchoï à Moscou. Il avait été enregistré en direct le 12 mai 2013, dans une réalisation de Vincent Bataillon. Je crois que c’était aussi la première fois qu’un ballet du Bolchoï était retransmis dans les cinémas de Russie.

Ce ballet est dansé sur une musique de Serguei Prokofiev qui contribua au livret avec Sergueï Radlov et Adrian Piotrowski. Il est célèbre par son thème universel, ses belles mélodies, sa grande variété rythmique, ses nombreuses variations, le foisonnant thème de Juliette et son inquiétante « Danse des chevaliers » qui vient ponctuer l’histoire.

Ce ballet sur le thème de Roméo et Juliette est issu d’une longue tradition. Dès 1785, Giulietta e Romeo d’Eusebio Luzzi est dansé à Venise ; en 1811, Romeo og Giulietta, de Vincenzo Galeotti, l’est à Copenhague. En 1926, Bronislawa Nijinska crée de nouveau un ballet sur ce thème pour les Ballets Russes de Monte-Carlo. Constant Lambert en écrit la musique, Max Ernst et Joan Mirȯ en font la scénographie.

Le ballet de Prokofiev fut composé en trois actes en 1935, après le retour du compositeur en Union soviétique. Il l’avait quittée en 1918 quand la musique d’avant-garde n’avait pas bonne presse. La gestation de cette œuvre unique fut longue et malaisée. En 1934, le Kirov de Leningrad avait passé une commande à Prokofiev qui proposa le thème de Roméo et Juliette. Le Kirov ne fut pas convaincu et le compositeur signa alors un contrat avec le Bolchoï. La malchance continua puisque les danseurs trouvèrent la complexité rythmique du ballet trop difficile à danser. Prokofiev fut contraint de retravailler sa partition en 1936. En résultèrent deux suites pour orchestre symphonique en sept mouvements, une transcription pour piano, et une troisième suite en 1946.

La création du ballet eut finalement lieu en 1938, au théâtre de Brno en République tchèque (sur une chorégraphie d’Ivo Váňa Psota, danseur et chorégraphe tchèque). Elle fut suivie d’une première russe au Kirov en 1940 (dans une chorégraphie de Léonide Lavrovski) et au Bolchoï en 1946. Au Palais Garnier, en février 1978, fut dansée la chorégraphie de Youri Grigorovitch. Une version de Noureev fut créée pour le ballet de l’Opéra de Paris en 1984.

Si la chorégraphie de Lavrovski pour le Kirov, adoptée par le Bolchoï, est la plus célèbre, celle de Grigorovitch retient l’attention. Ce dernier souligne qu’il a souhaité surtout « mettre en évidence les thèmes de l’amour et de la haine qui [lui] paraissent fondamentaux. Et toutes les modifications mettent l’accent sur ces deux forces. « La haine a l’air de triompher mais, bien qu’il périsse, c’est l’amour qui est quand même vainqueur », précise-t-il. Le dernier pas de deux (où les amants se voient vivants avant de mourir), paradoxalement en forme de final heureux, illustre cet amour éternel qui donne sens à la vie ; il a inspiré ainsi de nombreux chorégraphes.

De plus, Grigorovitch cherche à montrer le conflit entre la nouvelle génération et les forces conservatrices. Tout comme Roméo (Alexander Volghkov) et Juliette (Anna Nikulina), Tybalt (Mikhail Lobukhin) et Mercutio (Andrei Bolotin) ont un rôle extrêmement important. Ce qui compte pour le chorégraphe, ce n’est pas tant le réalisme que la tragédie intérieure des héros.

Grigorovitch a par ailleurs réduit le ballet à deux actes de dix-huit tableaux. Les tableaux de mœurs sont écourtés, le personnage du Duc disparaît pour éviter la pantomime, et l’ensemble est placé sous le signe du carnaval, ce que permet notamment la tarentelle de Prokofiev, dansée par des personnages masqués.

Pour conférer de la vivacité au ballet, le décorateur Virsaladzé a conçu un décor des plus conventionnel mais favorisant des changements rapides. Marqué par le classicisme et la sobriété, derrière un fin voile, il présente dans un fond de scène en surplomb un monumental jeu de drapés de velours, qui s’écartent, se lèvent, se déplacent. Ceux-ci encadrent un balcon, des chandeliers, un lit, un crucifix, un tombeau, repères pour les changements de lieux. Le travail sur la lumière est intéressant : la rencontre sous le balcon, tout en légèreté et en exaltation, a lieu dans une aura bleuté ; la scène dans la cellule de frère Laurent, plus hiératique, baigne dans une lumière dorée.

Dans cette distribution, si j’ai admiré la vélocité et la légèreté d’Andrei Lobotin, le blanc Mercutio, j’ai surtout été impressionnée par Mikhail Lobukhin dans le rôle de Tybalt. Dès son entrée sur scène, associée à la sinistre « Danse des chevaliers », on admire la puissance virile de l’ennemi de Roméo, auquel le noir et rouge sied particulièrement bien. La scène de sa mort, en façon de corrida, apparaît aussi très audacieuse. Il devient le taureau que Roméo, qui agite un voile rouge, finira par tuer. Le tableau collectif qui clôt cette séquence en montrant Mercutio et Tybalt morts portés par leur clan respectif, épées brandies, est empreint d’une belle fougue épique.

J’ai été sensible à la beauté des déplacements des danseurs lors du bal, à la violence très expressive de Kristina Karasyova en lady Capulet et à l’interprétation de l’imposant Alexei Loparevich en frère Laurent.

Entre Roméo et Juliette, c’est surtout l’interprétation d’Anna Nikulina que je retiens. Revêtue de robes vaporeuses et transparentes de différentes couleurs selon la tonalité des scènes, cette danseuse, pleine de grâce et de naturel, exprime avec beaucoup de justesse et de passion l’évolution de son personnage.

Cette saison de retransmission du Bolchoï s’est donc achevée sur une chorégraphie, certes assez traditionnelle, mais pleine d’énergie et de théâtralité. Et j’attends avec impatience octobre et le début de la saison 2015-2016 pour admirer de nouveau les danseurs du Bolchoï, non pas « grands à cause de leur technique » mais « grands à cause de leur passion » ainsi que le disait la danseuse et chorégraphe Martha Graham.

 

 

 

Sources :

wikipédia.org

Dansomanie : Dossier Roméo et Juliette, de Psota à Grigorovitch

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15 mars 2015 7 15 /03 /mars /2015 22:53

Texane, (Crédit photo, Brumachon)

 

Jeudi 12 mars 2015, six danseurs de la troupe de Claude Brumachon et de Benjamin Lamarche (CNN de Nantes) dansaient Texane, à La Closerie, à Montreuil-Bellay. Sous une lumière blafarde, dans un décor épuré composé de trois tables disposées en diagonale et de néons verticaux, installés en fond de scène sur des panneaux rectangulaires, les quatre femmes et les deux hommes ont proposé une danse violente et pleine d’énergie, soutenue par la musique oppressante et parfois adoucie de Christophe Zurfluh.

On est frappé par la puissance de ce spectacle de plus d’une heure, dans lequel les danseurs investissent pleinement la force expressive de leur corps. Dansant  sur la musique mais parfois aussi dans le silence, ils sont tout entiers au service d’une histoire qui est un peu celle de l’enfance de Claude Brumachon à Rouen, ainsi qu’il l’explique lui-même : « Texane part de mon enfance ; dans cette pièce je me vois enfant, observateur du monde adulte prolétaire.  J’ai les souvenirs de ceux qui s’aimaient et de ceux qui se battaient. J’ai essayé de les faire danser dans ma mémoire. L’esthétique est la grisaille du quotidien des banlieues HLM. »

Les danseurs sont vêtus sobrement : le « père » et le garçon ont revêtu un « marcel » blanc, un pantalon marron et un jean ; la « mère » porte une robe grise ; quant aux trois filles, elles arborent des robes de petites filles aux couleurs fondues. Au début, c’est le couple de danseurs, censés être les parents, qui s’affronte, se déchire, s’aime, se désaime, s’unit, se désunit. A cour, de dos, les trois filles et le garçon, qui représentent les enfants, demeurent immobiles. Ensuite, ce sera à leur tour, de reproduire sans doute ce qui est au cœur de toute famille : la haine, l’amour, la jalousie, la révolte contre les parents, les rivalités entre les uns et les autres.

Tous sentiments viscéraux, prétextes à des duos ou des trios passionnés, dans lesquels chaque danseur se livre totalement dans la confiance la plus extrême vis-à-vis de ses partenaires et de son propre corps. On les voit en effet faire le grand écart, le "pont", s’arc-bouter, se jeter d'une table dans les bras d’un autre danseur, expression de la générosité stupéfiante de ces danseurs gymnastes  qui se livrent totalement, sans aucune économie d’eux-mêmes. Claude Brumachon l’affirme : « Avec le corps on ne peut pas tricher. Le corps raconte toujours quelque chose. » Et de rajouter : « Les danseurs acquièrent une certaine liberté à la cinquantaine représentation qu’ils n’ont pas aux premières. Ils se laissent totalement aller. » Cela est certes nécessaire avec la gestuelle si complexe et si particulière de ce chorégraphe.

Ce qui m’a par ailleurs frappée dans cette danse, où le corps est porté à son expressivité la plus intense, c’est l’impassibilité des visages. Peut-être est-ce pour signifier que, dans cette pièce, d’une génération à l’autre, tout se répète de manière immuable, comme sous le poids d’une fatalité sociale

Le « bord de scène » instauré après le spectacle avec Benjamin Lamarche, l’alter ego de Claude Brumachon, et les danseurs a été particulièrement intéressant pour "décrypter" ce spectacle. Il a expliqué que Texane est une pièce-culte du répertoire de Claude Brumachon. Créée le 18 mars 1988, elle n’a cessé d’être reprise au fil des années, manifestant à chaque fois sa force émotionnelle explosive. Ainsi Valérie, qui interprète la femme en gris, a joué le rôle de la fille puis celui de la mère. Benjamin Lamarche, qui dansait le jeune homme lors de la création, a encore dansé cette pièce récemment, mais désormais dans le rôle de l’homme mûr. Il a ainsi insisté sur la plasticité de cette chorégraphie qui défie le temps en traversant les âges et les corps.

Il a précisé que les six danseurs, qui avaient dansé Texane l’année dernière, n’avaient disposé que de quelques jours pour la répéter de nouveau et retrouver leurs marques : une véritable gageure. Peut-être est-ce parce que Claude Brumachon a su leur insuffler un esprit de « tribu » que cela est possible.

Benjamin Lamarche a insisté sur l’aspect autobiographique de cette chorégraphie. Elle est issue, a-t-il dit, du « lumpenprolétariat » où voisinent amour, violence et alcool. On n’y est pas dans un salon bourgeois mais dans une cuisine où les tables sont en formica. Bien loin d’une narration comme en propose la danse classique, elle parle plutôt comme un tableau. Ce qui compte ici, c’est la narrativité du geste. Il s’agit d’un art vivant où il est question de violence, de véhémence. Et au terme « brutal » employé par un spectateur, Benjamin Lamarche a dit préférer le terme « brut »

Les collégiens et lycéens, présents en nombre dans la salle, ont questionné les danseurs sur leur formation. Ceux-ci ont expliqué qu’ils viennent d’horizons différents avec des pratiques et techniques diverses : hip-hop, flamenco, salsa, cirque… Si la danse contemporaine est vaste, l’ensemble des danseurs a cependant reconnu que la danse classique demeure une base essentielle, la "barre" étant toujours indispensable pour se « recentrer ». Ils ont dit aussi qu’ils dansent de quatre à huit heures par jour, six jours par semaine. Et à un élève qui leur demandait depuis combien de temps ils dansent, ils ont répondu qu’ils dansent depuis qu’ils sont enfants. Sauf Benjamin Lamarche qui a commencé à danser plus tard.

Je reconnais que l’on sort un peu « sonné » de ce spectacle qui étonne mais en même temps impressionne par son énergie et sa vitalité. Après avoir vu la semaine précédente le Ballet Antonio Gadès très théâtralisé, on est surpris par cette forme de danse contemporaine qui, bien loin d’être intellectuelle, joue sur le toucher et la sensation immédiate. On y prend conscience, et dans cette chorégraphie tout particulièrement, que la mémoire perdure aussi dans le corps. Benjamin Lamarche l'affirme : "Le corps conserve et retient, il cache et peut dire ce que les mots peinent à traduire."

 

Source : Wikipédia : Claude Brumachon

 

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7 mars 2015 6 07 /03 /mars /2015 18:22
Le charme mystérieux du duende : Noces de sang et Suite flamenca, par le Ballet Antonio Gadès.

 

 

Hier soir, vendredi  6 mars 2015, c’est le Théâtre de Saumur tout entier qui a résonné des zapateados enfiévrés et des rauques chants andalous. Sous la direction artistique de Stella Arauzo, le Ballet Antonio Gadès y dansait Noces de sang et Suite Flamenca, deux des cinq grandes chorégraphies créées par Antonio Gadès (1936-2004). En effet, depuis la mort de ce chorégraphe et danseur inspiré, la compagnie s’attache à pérenniser et à transmettre le talent de ce payo (non gitan), qui avait pris le nom de Gadès, en hommage à Cadix, la cité andalouse, dont c’était le nom au temps des Romains.

Avec ce spectacle en deux parties, qui recèle toute l’âme de l’Espagne, les spectateurs ont pu apprécier l’exigence et le sens esthétique de celui qui disait que le flamenco, c’est « la culture du peuple, sa dignité » et qu’il ne faut surtout pas la « prostituer ». On sait que ce style si particulier, marqué par la tension, l’élégance, la rigueur et la sobriété, il le doit à Vicente Escudero, son maître, qu’il rencontra en 1955. Antonio Gadès explique ainsi comment Escudero lui enseigna notamment l’expressivité des bras levés au-dessus de la tête : « Auparavant, on ne tirait pas des bras beaucoup d’effets. On tenait les mains posées à hauteur de ceinture afin d’accorder toute l’attention aux pieds… » Cette précision du geste est essentielle dans ses chorégraphies : « Le geste flamenco de Gadès est toujours tendu par un sens profond et net. »

La première partie du spectacle est composée des six scènes de Bodas de sangre (Noces de sang, 1933), adaptées de la pièce éponyme de Federico Garcia Lorca (1896-1936), sur une musique de Emilio de Diego. Ce ballet-culte de la danse espagnole raconte en de superbes images la tragédie d’une passion amoureuse impossible, dans un village andalou marqué par la tradition. El Novio, le fiancé, y sera le rival de Leonardo. Ce dernier, marié à La Mujer, est amoureux de La Novia, la fiancée. Le soir des noces, il enlève celle-ci. Sous les yeux de la jeune fille éperdue, un duel au couteau entraînera leur mort à tous deux.

Dans les costumes de la création, aux couleurs de brun et de gris, les danseurs proposent une chorégraphie austère, très théâtralisée, dont l’intensité dramatique ne se dément pas. Quelques images me demeurent en mémoire : dans la première scène, quand la Madre, au visage sévère, habille son fils pour la noce, elle déroule en un geste ample, sa longue écharpe violette. Puis elle découvre avec terreur le couteau caché dans le vêtement noir. Dans la scène 2, la femme de Leonardo, tout en tendresse, berce son enfant dans un petit lit d’osier tout en s’affrontant violemment avec son mari, Leonardo.

Noces de sang, scène 3 (Crédit photo Giuseppe Mambretti)

Dans la scène 3, alors que la jeune fiancée a revêtu à contrecœur la blanche robe nuptiale, elle apparaît à Leonardo qu’elle aime et ils expriment la danse de leur amour secret. C’est une superbe chorégraphie, empreinte de douceur et d’élan, dans laquelle les corps s’allongent, s’agenouillent, se frôlent, tandis que les bras se font enroulements, suppliques, appels et désespoir.

Le quatrième tableau, celui des noces, rompt un temps la tension dramatique en mettant en scène dans un bel ensemble le chœur des villageois qui chantent, dansent et font de la musique. On n’oubliera pas non plus l’extraordinaire pas glissé  de la scène 5 qui mime la fuite à cheval de Leonardo et de La Novia et leur poursuite par les hommes du village.

Noces de sang, scène 6 (Crédit photo Javier del Real)

Enfin, le point d’orgue est offert avec la lutte à l’arme blanche qui se joue entre El Novio et Leonardo. Dans un ralenti impressionnant, les danseurs s’affrontent, s’évitent, esquivent les coups, tandis que brillent les lames des couteaux. Devant ce combat farouche, la salle a retenu son souffle dans un silence d’une densité extrême.

Ce ballet exprime à merveille ce que disait Pilar Lopez, celle qui forma aussi Gadès aux nombreuses formes de la danse espagnole : « Il est dans la tradition du flamenco d’exprimer le sentiment. » Nourri de la douleur et de l’ardeur à vivre d’un peuple, il est « à l’origine, l’expression d’un état d’âme ». Et c’est tout l’art d’Antonio Gadès d’avoir compris que le flamenco, tradition venue du fond des âges, est un langage véritable. Ne lui a-t-il pas redonné sa pureté primitive ? Chaque danseur exprime avec ardeur ce mariage du ciel (le haut du corps) et de la terre (les pieds). Dans Noces de sang, ce ballet d’amour et de mort, la relation de séduction, inhérente au flamenco, se calque sur les différents types de chants dans une osmose parfaite entre danseurs, chanteurs et guitaristes.

La seconde partie du spectacle, qui propose la Suite flamenca, est plus fidèle à ce que l’on connaît du flamenco. Les cinq danseurs et les sept danseuses, parmi lesquels deux solistes remarquables, s’y déploient en six séquences d’une folle virtuosité chorégraphique. Les chants populaires des buleria y alternent avec les chants plus graves et plus mélancoliques du Soleá del Guïto, sur des musiques composées par Antonio Gadès et Solera y Freire.

Sur des compás (tempo) variés, les deux chanteurs y déploient aussi toute la puissance de leurs voix tandis que se succèdent duos d’hommes, solos et scènes où hommes et femmes dansent ensemble. Là aussi les membres de la Compagnie Antonio Gadès mettent en pratique le credo du maître : virilité, sobriété, verticalité, calme et stabilité. On a dit très justement que « l’art d’Antonio Gadès, c’est ce qu’il y a entre les pas, quelque chose d’intérieur, de l’ordre de la sensation. »

Au début, deux danseurs, en pantalon noir et gilet violet, s’affrontent fièrement à coups de talons et de claquements de doigts. Duo orgueilleux que vient rompre la danse hautaine d’une soliste en robe bordeaux, au visage d’une expressivité extrême, au port de bras dynamique et aux mouvements de mains à nul autre pareils.

Vêtue d’une robe de velours bleu, on retrouvera ensuite cette danseuse pleine de passion dans un duo avec l’interprète de Leonardo, ce danseur soliste, tout de jaune vêtu, qui interprète avec flamme cette danse aussi virile que sensuelle. Ses brusques mouvements de tête, la vitesse de frappe de ses pieds, ses palmas (claquements de mains) et ses pitos (claquements de doigts), ses punteados (frappes avec la pointe des pieds), ses escobillas (coups de talon) font merveille encore dans un autre solo où il apparaît sanglé dans un pantalon gris à taille haute, qui accentue encore l’étirement du torse. Ce fougueux danseur m'a d'ailleurs fait songer à Antonio Gadès jeune.

Suite flamenca (Crédit Photo Javier del Real)

Je n’aurais garde d’oublier le très beau passage qui voit les quatre danseurs en gris, en totale harmonie masculine, laisser la place aux six danseuses, dont la chevelure au chignon noir est piquée d’une fleur rouge. Elles font mouvoir avec grâce et puissance les souples volants de leur robe grise recouverte d’un très fin châle noir, dans le cliquetis des castagnettes. Puis les hommes les rejoignent pour une danse commune, traversée de changements de rythme très maîtrisés, d’approches et de reculs, d’affrontements et d’abandons.

Le spectacle a pris fin sur une dernière danse commune, intitulée Rumba, où les hommes portent des  gilets brillants de couleurs vives, que l’on retrouve sur les volants des robes blanches des femmes. Danse colorée, énergique, où l’on voit enfin les femmes sourire, et qui illustre cette technique si particulière prônée par Antonio Gadès. Miguel Lara, soliste de la Suite flamenca, ne dit-il pas  que « pour connaître Gadès, il faut se mettre à le répéter, le travailler jusqu’au moment où on finit par comprendre son style » ?

Enfin, c’est avec une grande générosité que les danseurs ont répondu aux nombreux rappels d’un public enthousiaste, envoûté par le charme puissant d’une danse virtuose et du mystérieux duende.

 

 

http://antoniogades.valprod.fr/partenaires/

http://armorflamenco.e-monsite.com/pages/biographies-et-reflexions.html

https://www.youtube.com/watch?v=lWvM2VlRD6k

 

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22 janvier 2015 4 22 /01 /janvier /2015 17:26

ballet-russe.jpg

 

Quel plus bel écrin pour le Ballet de l’Opéra National Tchaïkovski de Perm que les ors et les rouges du théâtre à l’italienne de Saumur récemment restauré ? Mardi  20 janvier 2015, au soir, cette compagnie artistique russe, venue de la ville natale de Serge de Diaghilev (1872-1929) y rendait hommage au fondateur des Ballets Russes en interprétant des pièces-phares du répertoire des grands chorégraphes, Michel Fokine (1880-1942) et Georges Balanchine (1904-1983). L’occasion pour un public charmé et enthousiaste de découvrir ou redécouvrir des ballets célébrissimes dansés par une troupe qui, si elle ne possède pas la renommée du Bolchoï ou du Mariinski, se situe dans la lignée de la grande école du Kirov.

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Apollon musagète par le Ballet de Perm

(Photo Anton Zavyalov)

Faisant revivre la grande histoire de la danse du XX° siècle, la soirée a débuté avec le ballet Apollon musagète (ou Apollo), créé à l’origine, en 1928, en deux tableaux ; le premier évoquant la naissance d’Apollon fut supprimé lors de la reprise de 1978 et la chorégraphie de Balanchine. Igor Stravinski le composa entre 1927 et 1928. On y découvre, Apollon musagète, le « conducteur des arts », enseignant leur art à trois Muses : à Calliope la poésie, à Polymnie la rhétorique et à Terpsichore la danse, chacune étant dotée d’un objet symbolique ; un luth, un masque et un rouleau sur lequel écrire. Chaque personnage joue sa « variation » qui précède le « pas de deux » d’Apollon et Terpsichore, puis la « coda » d’Apollon et des Muses, pour terminer par une apothéose au cours de laquelle le dieu grec conduit les Muses vers le Parnasse.

La chorégraphie est très épurée : sur un fond de scène d’un éclatant bleu ciel, se détache un simple escalier de fer, symbolisant le mont Parnasse ; les Muses sont vêtues d’un léger justaucorps blanc prolongé par une courte tunique tandis qu’Apollon porte de simples collants blancs et un haut de la même couleur, ajusté en diagonale. Pour ce dernier, un seul accessoire : un instrument de musique à cordes. Tout en sobriété et en élan, ce premier ballet est bien représentatif du néo-classicisme. Et dans L’Ame et la Danse, Paul Valéry écrit : « Ma présence s’égare dans ce dédale de grâces où chacune se perd avec une compagne, et se retrouve avec une autre. » A cet égard, j’ai été impressionnée par la performance d’une des trois Muses, une danseuse longiligne et racée, dont le fin visage porte un grain de beauté à droite au-dessus des lèvres.

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Les Sylphides par le Ballet de Perm

(Photo Anton Zavyalov)

Après un entracte de vingt minutes, le spectacle a repris avec Les Sylphides, ballet chorégraphié par Michel Fokine, ancien premier danseur et maître de ballet du Mariinski, sur une musique de Chopin. Présenté dans un premier temps en 1907 au Théâtre Mariinski, il s’appela d’abord Chopiniana. Créé le 2 juin 1909 sous sa forme définitive au Théâtre du Châtelet, faisant l’objet d’une dilection particulière de la part de Diaghilev, ce ballet demeura longtemps au répertoire de sa troupe. Il s’agit ici d’une nouvelle version créée en 2003 pour le ballet de Perm. Cette pièce éminemment romantique innova en son temps par le caractère abstrait de sa danse, d’où toute intrigue est bannie. Tout au plus peut-on y reconnaître le poète entouré de créatures légères et diaphanes, adonné à des rêveries qui s’incarnent dans une suite de danses.

Spectre de la rose karsavina and nijinsky 1911

Vaslav Nijinski et la Karsavina dans Le Spectre de la Rose

Après un nouvel entracte, nous avons pu admirer le ballet en un acte, Le Spectre de la Rose. Il fut créé pour les Ballets Russes le 19 avril 1911 à Monte-Carlo, sur une chorégraphie de Michel Fokine et sur la musique orchestrée par Berlioz de l’Invitation à la valse de Carl Maria von Weber. Les rôles étaient dansés par Tamara Karsavina et Vaslav Nijinski. C’est pour ce dernier que Michel Fokine inventa la variation masculine où le danseur affichait des ports de bras qu’on avait toujours réservés aux ballerines. Quant au livret de Jean-Louis Vaudoyer, il lui fut inspiré par un poème du même titre de Théophile Gautier. On y entend une rose parler à une jeune fille :

Soulève ta paupière close

Qu’effleure un songe virginal ;

Je suis le spectre d’une rose

Que tu portais hier au bal.

Tu me pris encore emperlée

Des pleurs d’argent de l’arrosoir

Et parmi la fête étoilée

Tu me promenas tout le soir.

 

Ô toi qui de ma mort fus cause,

Sans que tu puisses le chasser

Toute la nuit mon spectre rose

A ton chevet viendra danser.

Mais ne crains rien, je ne réclame

Ni messe, ni De Profundis ;

Ce léger parfum est mon âme

Et j’arrive du paradis.

 

Mon destin fut digne d’envie :

Pour avoir un trépas si beau,

Plus d’un aurait donné sa vie,

Car j’ai ta gorge pour tombeau,

Et sur l’albâtre où je repose

Un poète avec un baiser

Ecrivit : « Ci-gît une rose

Que tous les rois vont jalouser. »

Nijinsky, Vaslav (1890-1950) - 1913 - Barbier, George (1882

 Dessin de Barbier pour Le Spectre de la Rose

L’argument du ballet reprend le poème et montre une jeune fille, de retour d’un bal, endormie dans son fauteuil. La rose qu’elle tient tombe à terre et se métamorphose en spectre de la fleur, sous la forme d’un sylphe. Ce ballet est célèbre car, pour la première fois, on voyait un danseur en solo alors que, dans la danse classique, le danseur n’est bien souvent que le faire-valoir de sa partenaire. Ce pas de deux mémorable est une étape décisive dans l’histoire de la danse, tout comme le costume créé par Léon Bakst, qui demeure une référence. Cette pièce est remarquable par son alliance de romantisme et de modernité. L’énergie sensuelle du danseur s’y harmonise avec la fragilité et la grâce de la danseuse, et c'est cette pièce que j'ai préférée dans tout le spectacle.

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Anna Pavlova dans La Mort du Cygne, au Kirov

A succédé à ce ballet-culte un autre morceau célébrissime : La Mort du Cygne. C’est la grande danseuse Anna Pavlova, inspirée par « The Dying Swan » de Tennyson, qui, avec le chorégraphe Michel Fokine, contribua à créer ce fameux ballet solo en 1905. La première eut lieu au Théâtre Mariinsky le 22 décembre 1907 sur une musique de Camille Saint-Saëns, intitulée « Le Cygne », et extraite du Carnaval des animaux. Le sens en fut infléchi puisque le musicien n’envisageait pas la mort du cygne. Dans le ballet, la danseuse, vêtue du tutu de plumes si reconnaissable, exprime avec une passion très expressive la douleur du cygne blessé, son agonie et sa mort.

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Les Danses Polovtsiennes, par le Ballet de Perm

(Photo Anton Zavyalov)

La prestation des Ballets de Perm a connu son point d’orgue avec les Danses polovtsiennes, d’Alexandre Borodine. A l’origine, il s’agit d’un ensemble de danses accompagné d’un chœur et situé au deuxième acte de l’opéra, Le Prince Igor. Sur cette musique violente, Michel Fokine conçoit encore un ballet en un acte, créé pour les Ballets Russes en 1909, et dont la première eut lieu le 18 mai 1909 au Théâtre du Châtelet. En rupture totale avec la tradition du XIX° siècle qui faisait du corps de ballet une sorte d’écrin pour les solistes, Fokine utilise ce dernier en lui conférant le premier rôle, et en lui attribuant une gestuelle spécifique sur la base du « pas de caractère ». Stylisé et adapté à la technique académique, ce dernier est un pas de danse traditionnelle, venu de la Russie et des peuples d’Europe.

Les Danses polovtsiennes sont censées être celles d’une tribu nomade du XII° siècle des bords de la Mer noire. Bien loin d’être la recréation de danses authentiques, elles sont nées de l’imagination de Fokine qui, lors de l’élaboration de sa chorégraphie, affirmait qu’il « visualisait tout clairement ». On dit aussi que ce ballet a pu être inspiré par le témoignage du peintre américain George Catlin qui avait illustré ses souvenirs de huit années passées chez les Sioux. Il y évoque notamment la « Danse du scalp » dont « aucune description ne pourrait donner plus qu’une faible idée de l’impression terrifiante de ces danses, qui se déroulent au cours de la nuit sombre, au flamboiement des torches ».

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Costume pour les Danses polovtsiennes du Prince Igor

Alternant les danses glissées des jeunes filles et les danses sauvages des hommes, pour ensuite danser tous ensemble, le corps de ballet de Perm a proposé cette danse spectaculaire slavo-orientale avec une fougue qui a électrisé le public. Dans une harmonie de jaune, d’orange et de mauve, dans le chaos des arcs brandis par les hommes, le bondissement des impressionnants sauts si typiques de la Russie, au milieu des voiles légers des hétaïres en babouches, c’est toute la folie slave qui s’est exprimée avec émotion et frénésie sur une musique puissante et déchaînée.

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Portrait de Serge de Diaghilev par Valentin Alexandrovich Serow, 1909

Avec cette soirée en hommage à Diaghilev, on comprend bien le rôle essentiel que joua ce grand créateur et mécène. C’est en effet après avoir fait découvrir la musique russe à Paris en 1906 qu’il créa en 1909 la troupe des Ballets Russes. Son génie fut d’y recruter les plus grands danseurs russes comme la Pavlova et Nijinski et de collaborer avec des chorégraphes inspirés, tels Leonid Massine ou Balanchine. Mais il sut aussi rassembler autour de lui les talents des plus grands artistes de l’époque. Il fut ainsi à l’origine de chorégraphies novatrices, sublimées par les décors de Picasso, Derain, Braque, Matisse et les costumes de Bakst ou de Coco Chanel, transcendées par les musiques des musiciens du Groupe des Cinq ou encore de Stravinsky ou Manuel de Falla. Avec eux, Diaghilev révolutionna l’art de la danse et créa des spectacles complets, réalisant ainsi le syncrétisme des arts.

Ainsi, grâce aux qualités d’un corps de ballet superbement synchronisé et lyrique, à la technique académique mais légère, le Ballet de Perm nous a donné d’approcher ce soir-là l’âme de la danse.

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      Diaghilev, Nijinski, Stravinski, vers 1911

Sources :

 

 

 

 

 

 

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13 décembre 2014 6 13 /12 /décembre /2014 17:52

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Maria Alexandrova (Gamzatti) et Svetlana Zakharova (Nikiya la Bayadère) dans la scène 3 de l'acte II de La Bayadère

Dimanche 7 décembre 2014, le cinéma Le Palace à Saumur retransmettait le ballet La Bayadère, enregistré au Bolchoï de Moscou, le 27 janvier 2013. L’occasion de voir ce merveilleux ballet en trois actes et sept tableaux dont la création eut lieu le 23 janvier 1877 au Théâtre Bolchoï Kamenny de Saint-Pétersbourg, sur un livret de Marius Petipa (1818-1910) et Sergueïv Khudekov et une musique de Léon Minkus. Celui-ci fut le principal collaborateur de Petipa et il était titulaire du poste officiel de Compositeur de Ballet des Théâtres Impériaux de Saint-Pétersbourg. Si la chorégraphie originale revient à Marius Petipa, la version enregistrée que nous avons vue est celle de Youri Grigorovitch.

On se perd en conjectures sur l’origine de ce ballet, dont le thème remonte à une légende indienne. En 1839, Théophile Gautier avait fait le portrait d’Amani, la principale danseuse d’une troupe de bayadères hindoues qui s’étaient produites à Paris. Puis il écrivit en son honneur le livret du ballet Sakountala qui sera interprété par le ballet du Théâtre Impérial de l’Opéra. Les spécialistes pensent que cette œuvre serait la véritable source de La Bayadère de Marius Petipa. Cependant, on sait que le tout jeune Marius Petipa avait assisté à l’opéra-ballet de Philippo Taglioni, Le Dieu et la Bayadère ou la Courtisane amoureuse, le 13 octobre 1830. Son œuvre pourrait en être aussi une réminiscence.

Ce ballet, composé ici de trois actes (mais qui en compta quatre), raconte l’histoire de l’amour tragique de la bayadère Nikiya (Svetlana Zakharova) et du guerrier Solor (Vladislav Lantratov). Le grand brahmane, également amoureux de Nikiya, a surpris le secret de cet amour interdit qu’il révèle à Dugmanta, le Rajah de Golconda. Celui-ci, qui a décidé de donner en mariage sa fille Gamzatti (Maria Alexandrova) à Solor, fera disparaître la bayadère. Le troisième acte est connu sous le titre du Royaume des ombres, et il est souvent dansé sans les deux premiers actes.

En effet, cette « rêverie en blanc » de Solor, est conçue comme un « grand pas classique ». Sous l’effet de l’opium, Solor revoit en rêve Nikiya, qu’il finira par rejoindre. Le lien dramaturgique avec l’action précédente y est suspendu et cette chorégraphie lyrique, raffinée, préfiguratrice du ballet symphonique, alterne « pas de deux » et « variations » par le corps de ballet, vêtu de tutus blancs et les bras recouverts de voiles légers.

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Nikiya (Svetlana Zakharova) et Solor (Vladislav Lantratov) dans l' "Acte des ombres" (Acte III)

L’« entrée » du corps de ballet se fait par une planche inclinée située sur le côté droit de la scène. Chaque danseuse avance tout en libérant la place pour l’ombre suivante en occupant progressivement la scène. Réalisant de simples adages, le corps de ballet se déploie en un long ruban jusqu’à ce que la dernière ballerine soit descendue. Puis elles se disposent sur huit rangs de quatre ballerines (elles étaient beaucoup plus nombreuses à l’origine) avant de se scinder en deux rangs, répartis de part et d’autre de la scène. Toute cette chorégraphie est un vrai défi  technique pour le corps de ballet.

Cet acte III transporte le spectateur dans un monde épuré et stylisé, porte ouverte au rêve et à la beauté. Demeuré longtemps inconnu du public occidental, c’est par cet « acte des ombres » que les Français et les Anglais découvrirent La Bayadère lors de la tournée du Kirov à l’Ouest. L’occasion aussi d’admirer pour la première fois Rudolf Noureev, qui montera plus tard sa version personnelle du ballet à l’Opéra de Paris, et qui fut une des plus belles incarnations du guerrier Solor.

La version originale comportait en réalité trois actes et une apothéose (le quatrième acte). Celui-ci mettait en scène, à la faveur d’un orage, la vengeance de la bayadère avec l’écroulement du palais et la mort des protagonistes. Les deux amants accédaient alors au paradis des félicités. Cet acte fut abandonné en 1919 car il réclamait beaucoup trop de moyens techniques et de machinistes.

La Bayadère est une œuvre-clé du répertoire classique : décor exotique, vêtements somptueux, scénario mélodramatique, tout concourt à faire de cette œuvre un ballet grandiose avec ses danses spectaculaires et ses scènes mimées. Ainsi le rôle du Grand Brahmane et du Rajah sont essentiellement mimés. Le premier, vêtu de rouge et mu par la jalousie, et le second, tout en blanc et argent, imbu de son pouvoir autoritaire, sont les agents de la catastrophe finale.

Le premier acte met en scène le noble guerrier Solor qui revient de la chasse au tigre et jure sa foi à Nikiya, une des danseuses bayadères, gardiennes du feu sacré, tandis que le Grand Brahmane les épie. Dans un somptueux décor de cascade et de montagnes, dominé par un immense banyan, brille au fond d’un temple, la statue d’une idole dorée (les décors sont inspirés ici de la première production en 1877). Dans cette scène 1, j’ai aimé la fête du feu sacré, dansée avec une fougue violente par les bruns gardiens du feu, à la longue chevelure et vêtus d’un pagne rouge. La danse de l’eau sacrée, ou danse de la cruche, le « pas de deux » de Solor et Nikiya, y sont d’intenses moments de grâce.

La scène 2 nous transporte dans un palais des Mille et Une nuits, celui du Rajah de Golconda. On y voit le prince offrir à Solor la main de sa fille Gamzatti. Celle-ci, qui a surpris la révélation du Grand Brahmane à son père, fait venir Nikiya pour lui annoncer son infortune et  cette dernière tente de la menacer avec un poignard. Dans le rôle de Gamzatti, on découvre ici la belle danseuse Maria Alexandrova, tout en puissance et en passion. C’est Youri Grigorovich qui a imaginé  la confrontation dansée entre les deux héroïnes, qui s’exprime avec force à coups de grands jetés.

L’acte II est celui des fiançailles. Devant le palais aux portes fermées que gardent deux éléphants de pierre, siègent à cour le Rajah et le chef des archers. Soldats hiératiques, hétaïres aux robes légères, petits esclaves noir, composent la suite fabuleuse du prince. Cet acte, par sa variété, est une pure merveille, avec sa grande procession, accompagnée par une marche grandiose, ses divertissements multiples composés de danses pour les esclaves et de danses de caractère.

Lors de l’entracte, la présentatrice a insisté sur plusieurs passages. Il y a d’abord la « Danse de Manu », l’idole dorée, ou « Danse de l’idole de bronze », dans laquelle le danseur, enduit d’une teinture or, déploie toute sa puissance ; la « Danse des Eventails » effectuée avec grâce et légèreté par le corps de ballet ; la folle « Danse des Tambourins » dite aussi la « Danse infernale » des gardiens du feu ; la « Danse de la Cruche », tout en précision et habileté gracieuse. Toutes ces danses confèrent faste et puissance à cette célébration des fiançailles.

La-Bayadere Svetlana-Zakharova2

Nikiya (Svetlana Zakharova) dans la danse du Serpent, dans l'Acte II, dit des Fiançailles

Mais ce qui est le plus beau dans cet acte, ce sont les danses de caractère effectuées par Nikiya. Svletana Zakharova, svelte, longiligne, gracile et tout en grâce, y est sublime dans l’expression de son amour malheureux pour Solor. Son fin visage, ses magistrales arabesques, sa grande liberté rythmique, ses portés impressionnants, transfigurent son personnage. Sa danse avec le panier de fruits et de fleurs, où se cache le serpent qui va la tuer, est superbe d’émotion. Quant à la danseuse Maria Alexandrova, interviewée dans la coulisse, elle a dit combien elle était heureuse de cette version chorégraphiée qui suggère que Gamzatti n’a pas prêté la main à la mort de sa rivale.

On ajoutera que Vladislav Lantratov, qui interprète Solor, ne démérite pas face aux deux danseuses. Mince et élégant, avec ses grands jetés, il est ici bien loin d’être un faire-valoir et sa danse très lyrique lui confère une grande présence scénique.

En cette fin d’après-midi pluvieuse, La Bayadère nous a transportés bien loin de notre hiver dans un monde merveilleux. Mais je voudrais dire que si Svetlana Zakharova, admirable interprète de Nikiya, sait nous faire rêver, c’est aussi une artiste qui ne reste pas indifférente aux problèmes du monde. Ainsi, à son initiative, ce même dimanche soir, des danseurs russes, ukrainiens et français "unissaient leurs entrechats sur la scène du Bolchoï, lors d'un gala de charité au profit de l'Ecole chorégraphique de Kiev" où la danseuse-étoile avait appris l'art de la danse…

 

Sources :

La Bayadère – Wikipedia

http://www.ladepeche.fr/article/2014/12/07/2006631-russie-theatre-russe-bolchoi-danseurs-etoiles-mobilisent-ukraine.htm

 

 


 

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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 12:37

 Esméralda et sa chèvre

Esméralda et sa chèvre Djalil

 

Qui ne se souvient d’Esméralda, la gitane à la chèvre, créée par Victor Hugo ? Depuis plus d’un siècle, l’héroïne de Notre-Dame de Paris (1831) ne cesse de hanter les imaginations. Le romancier fera mourir sur le gibet l’Andalouse, la belle qui chante et danse au milieu de la Cour des Miracles, la femme qui épouse par compassion le poète Pierre Gringoire, la beauté que convoite l’archidiacre de Notre-Dame, Claude Frollo, l’amante qui aime d’amour vrai le beau capitaine des archers, Phoebus de Châteaupers, au nom de soleil.

Elle reprendra vie très vite sur la musique de Cesare Pugni, dans un ballet en cinq tableaux de Jules Perrot, La Esméralda, créé au Her Majesty’s Theatre de Londres, le 9 mars 1844. Fanny Essler et Fanny Cerrito créeront le ballet en Russie. Pour le livret, Perrot s’inspirera de l’adaptation, un poème en quatre actes, que Victor Hugo avait faite de son roman pour l’opéra de Louise Bertin, Esméralda (1836). Les principaux interprètes en étaient alors Carlotta Grisi, Jules Perrot et Arthur Saint-Léon.

La chorégraphie fut maintes fois revue, notamment par Perrot lui-même ,en résidence au Théâtre Impérial de Saint-Pétersbourg. Ensuite, c'est Cesare Pugni qui revoit sa partition, le 2 janvier 1849. En 1872, Petipa intègre un nouveau pas de dix sur une musique de Juli Gerber puis, en 1886, introduit un nouveau pas de deux pour Claudia Cucchi qui devient le Pas Cucchi. En 1899, c'est un nouveau pas de deux sur une musique de Ricardo Drigo et un pas de deux au tambourin, appelé Pas de Deux d'Esméralda, qui sont ajoutés pour Mathilde Ksechessinkaya. En 1931, Agrippina Vaganova révise la chorégraphie en intégrant un nouveau pas d'action pour Galina Oulanova et Vaktang Chabukianin sur une musique de Ricardo Drigo (J'y reviendrai plus bas).

D’autres adaptations suivront, dont on a certes perdu la mémoire : celles de Alexandre Dargomyškij, Fabio Campana, Goring Thomas, Poniatowski, Fry, Manuel Giró…

La fin du ballet est moins tragique que dans le roman : en effet, au moment où Esméralda va mourir sous les yeux d'Olivier Le Daim, l’exécuteur des basses oeuvres de Louis XI, et devant Frollo et tous ses amis de la Cour des Miracles, Phoebus réapparaît et la sauve in extremis, tandis que Quasimodo poignarde l’archidiacre.

C’est ce ballet, avec les solistes et le corps de ballet du Théâtre Académique d’Etat Bolchoï, qui était retransmis en live, dimanche 09 octobre 2011 à 17 heures, et que j’ai vu au cinéma Le Palace, à Saumur, en HD. Succédant à la chorégraphie originale de Marius Petipa, la nouvelle version chorégraphique est celle de Yuri Burlaka et de Vassily Medvedev (2009), dans l’esprit conservé de Petipa. La direction musicale est assurée par Pavel Klinichev. Les décors sont de Alyona Pikalova, les costumes de Yelena Zaytseva. L’ensemble est éclairé par Damir Ismagilov.

C’est la danseuse étoile, Maria Alexandrova, qui tient le rôle d’Esméralda. Si elle est longiligne et gracieuse, il m’a semblé qu’elle était un peu en retrait au début du ballet et qu’elle gagnait en intensité au fur et à mesure que se déroule l’action. Sur un air de violon, qui nous rappelle que Pugni fut un virtuose de cet instrument, elle exprime admirablement la passion de son amour pour Phoebus dans le superbe pas de deux du début du dernier acte.


Esméralda dernier acte

La Esméralda, acte III, Bolchoï 2009

(Photo Marc Haegeman)

 

Son jeu et sa danse atteignent une grande force émotionnelle dans la dernière scène quand, les cheveux dénoués, vêtue d’un gris mélancolique et léger, sur le point de monter au gibet, elle tournoie au milieu des badauds. Tournoiement symbolisé par cette écharpe grise, brodée de fleurs de lys scintillantes, que Phoebus lui a offerte, et qui est un des motifs essentiels du ballet.

En ce qui concerne les rôles de caractère, Claude Frollo (Alexei Loparevich) est particulièrement impressionnant. Avec un visage cireux, drapé dans son froc noir, arborant une croix qu’il ne cesse de blasphémer par ses actions, il apparaît tel un grand inquisiteur, menaçant et impitoyable. Igor Tsvirko, dans le rôle de Quasimodo, ne démérite pas, avec sa démarche alourdie par une jambe disproportionnée et son faciès boursouflé. Son arrivée en Roi des Fous au dernier acte, sous le costume du pape, est très réussie. Quant au doux poète  Gringoire (Denis Savin), on admirera la précision de sa technique, claire et nette.


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Quasimodo en Roi des Fous, acte III, La Esméralda, Bolchoï 2009

(Photo Marc Haegeman)

 

L’acte deux de ce ballet est célèbre par plusieurs passages, devenus des morceaux d’anthologie. Il prend place lors du bal donné en l’honneur des fiançailles de Phoebus (Rouslan Skvortsov) et de la jeune Fleur-de-Lys (Ekaterina Krysanova), dans la maison Gondelaurier.


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Le bal des fiançailles de Fleur-de-Lys et de Phoebus, acte II, La Esméralda, Bolchoï 2011

 

Il y a d’abord la pièce très populaire du pas de deux, avec la fameuse Variation Tambourin. Esméralda (Maria Alexandrova), y danse en costume de gitane, blanc, vert et rouge, avec des sequins d’or en coiffure et en collier, accompagnée d’autres ballerines vêtues comme elle : une merveille de vélocité et de grâce.


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La Variation Tambourin avec Natalia Ossipova, acte II,  (2008 ?)


On peut y applaudir aussi le Pas de Deux de Diane (Anastasia Stashkevich) et Actéon (Vyacheslav Lopatin). Dans la version de Petipa, le Pas de Diane était un pas de caractère, pour les personnages mythologiques de Diane, la déesse de la chasse, Endymion le chasseur, un Satyre et huit nymphes. Le Pas de Diane était alors un  classique pas de trois, pour les trois solistes et les huit nymphes, avec une entrée, un grand adagio, une danse pour les huit nymphes et le Satyre, les variations de Diane et Endymion et une coda grande.

En 1931, la grande Agrippina Vaganova ressuscite le Pas de Diane. Pour des raisons inconnues, le personnage d’Endymion est alors changé en celui d’Actéon, et le pas de trois devient le Pas de deux de Diane et Actéon, tandis que le nombre des nymphes passe de huit à douze. Toujours est-il que les deux solistes du Bolchoï nous ont offert dimanche un somptueux pas de deux (sans les nymphes). Venus de derrière une tapisserie de haute lice, la danseuse, vêtue de rouge, un petit arc à la main, et le danseur, à la belle musculature, habillé à la grecque, ont dansé avec une fougue intense et une élévation pleine d’élan les amours sauvages de Diane et de son amant. On sait que ce dernier sera métamorphosé en cerf et dévoré par les chiens de la déesse, pour avoir eu l’audace de la regarder.


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Le Pas de Deux de Diane et Actéon, La Esméralda, acte II, Bolchoï 2009

(Photo Marc Haegeman)

 

Tout au long de ce spectacle, l’attention ne faiblit pas. D’emblée, l’on est séduit par les scènes de pantomime de l’acte I, colorées, vives et enjouées. La beauté et la diversité des costumes, style troubadour, que l’on doit à Yelena Zaitseva, sont un enchantement pour l’œil. Certes, les décors sentent un peu le carton-pâte mais conviennent tout à fait à l’atmosphère romantique et « gothique » de ce ballet.


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La pantomime du premier acte, La Esméralda, Bolchoï 2009

(Photo Marc Haegeman)

 

On saura enfin gré au ballet du Bolchoï d’accepter ainsi le principe de la retransmission cinématographique. Celle-ci est extrêmement exigeante et met à nu les éventuelles lacunes et failles de la technique des danseurs. Pas de deux, pas de corbeille, pas de castagnettes, pas de bourrés, fouettés, portés, rien n’échappe à son regard scrutateur. Avec le spectacle de dimanche, on a pu ainsi découvrir au plus près la technique impeccable des danseurs du Bolchoï, alliée à ce respect de la tradition dont on ne saurait se plaindre.

Mais, pour moi qui ne suis pas une spécialiste du ballet, j'ai surtout aimé retrouver la Esméralda, celle qui « dansait, […] tournait, […] tourbillonnait sur un vieux tapis de Perse..."


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 La Esméralda avec Jules Perrot (Gringoire)

et Carlotta Grisi (Esméralda), Paris, 1836



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      Esméralda (Fanny Cerrito), Londres, 1844

 

 

Sources :

www.danser-en-france.com

http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Esmeralda 

Article "Le pas de deux de Diane et Actéon" 

 

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22 juin 2010 2 22 /06 /juin /2010 13:48

 

michèle Anne-De-Mey neige

 

 

Alors que l’été tarde à arriver, vendredi 18 juin 2010, Le Bateau feu à Dunkerque nous immergeait de nouveau dans l’hiver. Le ballet de Charleroi/Danses présentait la chorégraphie de Michèle-Anne de Mey intitulé Neige, sur des musiques de Beethoven (7ème Symphonie, II mouvement/ Allegretto), Robert Schumann (Beethoven Etudes) et Jonathan Harvey (Mortous Plango).

Depuis le 1er juillet 2005, la chorégraphe belge est la principale directrice artistique de Charleroi/Danses. Celle qui a fait partie de l’école de Maurice Béjart, Mudra, de 1976 à 1979, et a participé à plusieurs créations d’Anne Teresa De Keersmaecker, explique ainsi son œuvre, « pendant lunaire » de sa Sinfonia Eroica (1990). Ce ballet est né de plusieurs désirs ou fantasmes : il s’est agi pour elle de travailler sur une création météorologique, en l’occurrence la neige, et de trouver des mouvements traduisant les tempêtes de neige. Sa rencontre avec la décoratrice Sylvie Olive et l’éclairagiste Nicolas Olivier a été ainsi déterminante : « Nous nous sommes mis à rêver de la façon dont on parviendrait à faire se déchaîner des éléments naturels dans le cadre clos et artificiel de la scène. » 

 

Michèle Anne de Mey

Michèle Anne de Mey

 

Il faut reconnaître que le dispositif scénique est impressionnant. Derrière le quatrième mur du théâtre matérialisé par une fine cloison transparente en plexiglas, le spectacle s’ouvre sur une fumée qui envahit la scène. Le deuxième tableau, par le biais d’un jeu de projection ingénieux, fait naître les personnages sous la forme d’ombres évoluant sur des flots concentriques, préludes au ballet qui va se dérouler sous une neige tombant de manière ininterrompue et qui ira jusqu’à ensevelir les danseurs. Une prouesse technique qui fait se déverser chaque soir sur les danseurs 500 kgs de papier de soie ! Nicolas Olivier souligne la difficulté du travail sur la lumière afin de donner aux corps le maximum de contrastes.

Au sein de cette neige enveloppante, incessante, aveuglante, trois femmes (Michèle Anne de Mey, Gala Moody, Kyung Hee Woo) et quatre hommes (Grégory Grosjean, François Brice, Leif Federico Firnhaber, Adrien le Quinquis), vêtus de noir, blanc et gris, évoluent sur le fin tapis blanc dans la semi-obscurité ou les trouées de lumière. Une mention spéciale pour Kyung Hee Woo au corps souple et musclé, au visage de sphinx, et à Gala Moody, au corps blanc des femmes de Leonor Fini.

 

Neige

 

Nés dans l’immobilité puis la lenteur, leurs mouvements prennent forme sur un fond musical lancinant et obsédant, la 7ème Symphonie de Beethoven étant déclinée à l’envi (pour quatuor à cordes, un piano, deux pianos etc) au fil des tableaux de la chorégraphie. « Plus qu’un conte, c’est une invitation au voyage car il n’y a pas vraiment d’histoire, de trame narrative », précise Michèle Anne de Mey.

Les corps se prennent et se déprennent, s’aiment et se désaiment, s’attirent et se repoussent, en double ou renvoyés à leur solitude. Sous une neige qui tombe à l’infini, se déploie une chorégraphie lente, démultipliée comme dans un cauchemar qui ne veut pas finir. La neige est doux manteau mais elle est aussi piège. C’est la Nature et la Mort qui auront le dernier mot, alors même que l’on songe par instants aux vers d’Apollinaire :
 « Ah ! tombe la neige

Tombe et que n’ai-je

Ma bien-aimée entre mes bras »

On peut entrer dans la fascination de ce spectacle à l’onirisme inquiétant ou  demeurer complètement étranger à cette mise en scène d'une lente blancheur. On regrettera cependant que le dispositif scénique ait ici pris le pas sur la matière même du spectacle, à savoir la danse.

 

 

neige 3

 

 

 

 

Mardi 22 juin 2010

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Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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