La façade du prieuré du Breuil-Bellay
Alice Cherbonnel, alias Jean de la Brète
Je connaissais la rue Jean de la Brète à Saumur mais je ne m’étais jamais demandé qui était ce personnage ! C’est à l’occasion d’une visite guidée le samedi 16 juin 2018 au prieuré du Breuil-Bellay que j’ai découvert l’existence de la romancière Alice Cherbonnel, alias Jean de la Brète. Née à Saumur en 1858, d’une mère angevine et d’un père normand, et morte en 1945 au Breuil-Bellay, sur la commune de Cizay-la-Madeleine. L’écrivain a vécu dans cet ancien prieuré que sa famille avait transformé en maison d’habitation. Elle y écrivit une grande partie de son œuvre, composée de plus de 35 romans, dont deux furent couronnés par l’Académie française. Il s’agit notamment de Mon oncle et mon curé, qui fut adapté au théâtre en 1935 et au cinéma en 1938 par Jean Nohain. Les visiteurs pouvaient voir ce film projeté à 21 h 30. Ce roman, réédité en 1977, raconte les premiers émois amoureux d’une orpheline impertinente, prétexte à une peinture de la société de la fin du XIXe siècle.
Sophie Sassier, guide de Saumur Ville d'Art et d'Histoire, et M. de Rivière, le propriétaire du Breuil-Bellay
C’est Sophie Sassier, guide de Saumur Ville d’Art et d’Histoire, qui a conduit la visite avec le brio et le savoir impressionnant qu’on lui connaît. Elle était accompagnée par Henry de Rivière, le propriétaire des lieux, et par Anne Faucou, qui a fait des recherches sur Alice Cherbonnel. La déambulation était ainsi entrecoupée avec des textes de la romancière qui aima cette maison.
Nos guides : M. de Rivière, Sophie Sassier, Anne Faucou
Sophie Sassier a d’abord rappelé l’histoire de l’ordre de Grandmont auquel appartenait le prieuré. Cet ordre monastique fut fondé au début du XIIe siècle par les disciples de l’ermite Etienne de Muret, qui avait fondé un ermitage à Muret vers 1076, et qui fut canonisé en 1189. C’est le premier prieuré établi à Grandmont en Haute-Vienne qui donna son nom à l’ordre. Ce dernier fut doté d’une règle approuvée par le pape Adrien IV en 1156. Cette règle était fondée sur la pauvreté et la charité dans un lieu retiré du monde. La pratique exemplaire de la deuxième vertu valut aux Grandmontains le surnom de « Bonshommes ».
La particularité de l’ordre était la cohabitation entre clercs consacrés à la prière et laïcs, dits « convers » qui géraient les maisons annexes avec un « dispensateur » à leur tête. Les clercs, quant à eux, étaient soumis à l’autorité d’un « correcteur ». Les clercs « se trouvèrent par cette institution soumis aux laïques qu’ils auraient dû gouverner entièrement suivant la pratique de tous les autres religieux », d’où les crises dans l’ordre. Les libéralités d’Henri II Plantagenêt permirent l’extension en France de l’ordre. Il s’en servit de base pour contrôler le Limousin et ses vassaux. Lui-même et ses fils participèrent à la construction des bâtiments et à l’essor de l’ordre en Aquitaine, Poitou, Anjou, Normandie, Angleterre. Aux nouvelles implantations Plantagenêt répondent les fondations du roi de France : 159 celles entre 1124 et 1274. Plus de 80 % des actes de fondation se situent entre 1189, date de la canonisation du fondateur, et 1216. A la fin du XIIIe siècle, on dénombrait plus de 140 monastères ou « celles », regroupant près de 900 clercs. En 1317, le pape Jean XXII réforma l’ordre. Le prieuré chef fut élevé en abbaye tandis qu’étaient créés 39 prieurés regroupant plusieurs des anciennes « celles ».
Soumis à la commende (on parle de ces « messieurs de Grandmont »), l’ordre périclita et nombre de « celles » furent transformées en fermes. Les Guerres de Religion furent à l’origine du déclin de l’abbaye chef d’ordre et de plusieurs prieurés et maisons annexes. Au XVIIe siècle, une tentative de réforme de « stricte observance », suscitée par le frère Charles Frémon, ne connut que peu de succès. Au milieu du XVIIIe siècle, l’ordre était très affaibli. Il devint alors la cible de la Commission des Réguliers, réunie en 1765 par Louis XV, dont le but était d’examiner l’état des communautés religieuses. L’ordre de Grandmont en fut la principale victime, à cause de la complicité de son rapporteur l’archevêque Loménie de Brienne. La bulle du pape Clément XIV (1772) ordonna la suppression de l’ordre de Grandmont et l’attribution de ses biens à l’évêché de Limoges. C’est la mort du dernier abbé, Xavier Mondain de la Maison Rouge, en 1787 qui scella définitivement la fin de l’ordre. La nouvelle abbaye de Grandmont, dont la reconstruction s’était achevée en 1768, fut détruite et ses trésors dispersés par l’évêque de Limoges, monseigneur Duplessis d’Argentré.
Réconfort de générations d’hommes par son secours spirituel ou social, le monde grandmontain révèle le pouvoir sur les hommes de cénobites, habiles gestionnaires. S’il séduit par sa règle, souvenir de son origine érémitique, il vit constamment en symbiose avec le contexte politique et économique.
Les vestiges du cloître sur les murs
Après cette présentation de l’ordre de Grandmont, les visiteurs ont pu découvrir les vestiges de l’ancien prieuré du Breuil-Bellay, devenu maison d’habitation. La forme en U du bâtiment permet de comprendre qu’il s’agit de l’ancien cloître dont la partie sud a été démolie. On peut l’imaginer en voyant sur les murs les traces des arcatures et de l’ancienne porte qui menait au dortoir des moines. C’est au sud que se trouvait l’hôtellerie. Les façades de droite et du centre présentent de nombreuses fenêtres en trompe-l’œil, peintes en gris, comme c’était la mode au XIXe siècle.
La chapelle grandmontaine du Breuil-Bellay
On a ensuite un grand choc lorsqu’on pénètre dans l’immense chapelle, située à l’ouest de cet ensemble. De l’extérieur, on ne devine guère qu’il s’agit d’une chapelle puisque le bâtiment est surmonté d’un fronton triangulaire à l’antique, qui fait pendant à la partie droite. D’une hauteur spectaculaire (mais le sol devait être bien plus haut autrefois), elle offre au regard les vestiges d’un grand retable baroque, dont on ne sait exactement s’il est de la main de Biardeau ou de Charpentier.
Eléments du retable baroque
La Vierge à l'Enfant au sommet du retable
Il est encore surplombé d’une Vierge à l’Enfant. Alors que Marie est décapitée, l'Enfant-Jésus a la tête qui penche dangereusement. De nombreux vestiges sculptés sont posés à terre.
Photo de la statue de saint Etienne qui a disparu
C’est dans cette chapelle que se trouvait une belle statue de saint Etienne, vraisemblablement saint Etienne le diacre (dit le protomartyr) et non saint Etienne de Muret, le fondateur de l’ordre. Cette sculpture, dont Sophie Sassier a fait circuler la photo, avait été mise en dépôt au musée du Mans. Par un malencontreux hasard elle a été vendue à un collectionneur et on ignore actuellement où elle se trouve.
Le second lavabo sur la façade est et le pressoir dans le fond de la nef
Le retable vu du fond de la nef
Sophie Sassier nous a fait remarquer la disposition du chœur, plus large que la nef unique, une particularité des chapelles de l’ordre de Grandmont. M. de Rivière nous a aussi montré le second lavabo dans le fond de la chapelle sur le mur est. En effet, les prêtres de l’extérieur qui venaient dans ce prieuré n’avaient pas le droit de célébrer dans le chœur. Au fond de la chapelle, on remarque un ancien pressoir, décrit par Alice Cherbonnel dans ses souvenirs. On donne des concerts dans cette chapelle où l'accoustique est excellente.
A l’ouest, où se trouve l’entrée du lieu saint, les visiteurs étaient protégés par un auvent monumental.
Anne Faucou devant l'entrée ouest de la nef
Détail du tympan du portail d'entrée
La bibliothèque de Jean de la Brète
Ensuite, M. de Rivière nous a conduits dans une sorte de corridor, dont j’ai cru comprendre qu’il avait été le cimetière des moines, devenu la bibliothèque d’Alice Cherbonnel. Ses livres ont été conservés, vestiges émouvants des lectures variées de la romancière disparue.
Le chevet de la chapelle côté nord
La façade nord du prieuré
Vestige d'une fenêtre du dortoir des moines
Ensuite, en passant par l’entrée ouest, nous nous sommes rendus à l’arrière du prieuré pour une autre lecture. Celle-ci nous a rappelé que, sur le toit de la chapelle, Alice Cherbonnel avait fait construire un belvédère qui n’existe plus et dont témoignent les cartes postales anciennes. Il en subsiste l’escalier d’accès dans les combles du bâtiment est. Elle y venait lire et écrire dans le calme et en hauteur. Par ailleurs, il y avait sans doute autrefois un clocher-peigne, attesté par la trace du cordon des cloches sur un des murs de la chapelle.
La voûte de la salle capitulaire
Dans la salle capitulaire
Notre visite s’est achevée avec la salle capitulaire qui présente une belle arcature dite Plantagenêt (typique de l’Anjou), d’une remarquable harmonie. M. de Rivière souhaiterait la restaurer et enlever l’affreux badigeon gris XIXe qui la recouvre. Contrainte de partir à cause d'un impératif vespéral, j'ai regretté de ne pouvoir assister au récital donné par le groupe saumurois Les Chats noirs, dont fait partie Anne Faucou. Ces chanteurs sont spécialisés dans un répertoire de chansons contemporaines de l'époque d'Alice Cherbonnel. Ce sera pour une autre fois !
J’ai beaucoup aimé cette balade dans un endroit tout proche de mon village de Rou-Marson et dont j’ignorais tout. A noter qu’Anne Faucou présentera Alice Cherbonnel lors d’une conférence qu’elle fera au Breui-Bellay le samedi 15 septembre 2018, à l’occasion des Journées du Patrimoine.
Sources :
Les panneaux informatifs sous l’auvent monumental de la chapelle
Les commentaires de Sophie Sassier
Wikipedia.org
Crédit photos :
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