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7 avril 2019 7 07 /04 /avril /2019 17:11

 

Le narrateur du Carrousel des Ombres, premier roman de Paul Serey, entraîne le lecteur dans un étrange voyage aux confins de la Russie et de la Mongolie, mais aussi et surtout aux confins de lui-même. Placés sous les auspices d’Armand Robin, un écrivain, poète et libertaire, les quatre vers en exergue nous introduisent d’emblée dans un univers où les repères semblent brouillés :

« En de très vieux temps, où je parus exister,

On prétendit m’avoir rencontré.

Me faufilant à rebours dans les âges,

J’ai empoigné, secoué les années où je fus dit en vie. »

Parenté donc entre celui dont Jacques Chessex disait : « J’avais quelquefois l’impression que Robin sortait avec son propre fantôme » et les ombres que le narrateur fera surgir au fil de sa plume. Parenté aussi entre ce voyageur breton qui découvrit les horreurs de la Révolution russe et le narrateur, lui-même fasciné et horrifié par le personnage du Baron noir, Roman von Ungern-Sternberg qui combattit dans les armées blanches et tient une place capitale dans le livre.

Dans cet ouvrage dont le genre échappe à toute définition – est-ce un journal, une autobiographie, un récit de voyage, une thérapie – le narrateur s’adresse, se raconte, se confesse, se confie à un ami, qu’il appelle son « frère », et qui sera son interlocuteur privilégié tout au long des pages. Une sorte de confident de la « tragédie » qu’il vit et à qui il annonce la couleur, dès la page 13 : « Je te dis tout ça comme je le pense. Je n’en fais pas un système. Je me contredirai, tu verras. Incohérent, je le suis exprès. » On pense à ce qu’écrivait Léon Bloy à propos des Chants de Maldoror : « Quant à la forme littéraire, il n'y en a pas. C'est de la lave liquide. C'est insensé, noir et dévorant. »

Peu à peu, le lecteur va se trouver immergé dans les pensées torturées et contradictoires de celui qui n’est « plus au monde », et qui s’est « exilé » tout au fond de lui-même. De la « petite piaule » de l’asile où le narrateur se morfond aux frimas de l’Extrême-Orient russe qu’il parcourt sur les traces sanglantes d’Ungern, en passant par la promenade amoureuse et ensoleillée du Bout du Monde ou la moiteur des Philippines, le lecteur, sidéré, bousculé dans ses habitude, accompagne les errances hallucinées de cet Œdipe moderne qui cherche à déchiffrer sa propre énigme.

Des pages épiques sur l’aventure du Baron noir alterneront ainsi avec des allusions littéraires à Moby Dick ou des méditations sur la musique du silence, chère à Thelonious Monk, au nom prédestiné. Des récits de bagarre et d’ivresse voisineront avec les expériences angoissantes de la solitude à l’hôpital, des réflexions désabusées sur le monde comme il va cohabiteront avec l’expression d’une intense aspiration spirituelle, tandis que la Femme sera parfois honnie et parfois sublimée. Dans ce livre inclassable, on rencontrera de beaux personnages, magnifiés par un art certain du portrait : ce gars et cette fille, veilleurs rencontrés dans une yourte, « tristes fiancés sur leur paillasse », avec qui le narrateur éprouvera puissamment ce qu’est la solidarité humaine ; Sacha, l’ouvrier sur le pipeline, qui s’émerveille devant l’apparition soudaine d’un ours et qui répète : « Prekrasna… Prekrasna… » (Magnifique) ; Kolia, le Sibérien orgueilleux à la main coupée ou encore Sigrid, « la petite bergère », « hyaline et nébuleuse, unique et dissemblable, énigmatique et indicible ».

C’est en effet une des grandes qualités de Paul Serey de donner une vie puissante à ce qu’il raconte. Et ce que j’ai préféré dans le livre, c’est la geste du baron Ungern, qu’il décrit avec un véritable souffle épique. Une épopée mythique, que le narrateur enrichit par ailleurs grâce à la trouvaille d’un manuscrit arraché de haute lutte à un Bouriate « mystérieux », « à longue natte », lors d’un second voyage en Mongolie. Car ce qui est au cœur de l’œuvre, c’est la fascination du narrateur pour Ungern et c’est aussi l’histoire de l’écriture d’un livre qu’il ne mènera pas à son terme. Vertigineuse mise en abyme d’une histoire impossible à narrer : « Alors que j’essaie de te raconter mon voyage, Ungern s’infiltre et pénètre partout. […] Il s’insinue dans mes souvenirs et je l’aperçois, marchant près de moi sur les routes lointaines où j’ai tant souffert. » Il comprend que « raconter son âme est chose  impossible ». Et pourtant il l’affirme : «  Et moins j’y arrive, plus il m’obsède. Je m’entête et ça me ravage. Il est dans ma tête et c’est un carnage. J’ai beau le chercher, je ne trouve que moi. J’ai beau me chercher, toujours il est là. » A travers le récit impossible de l’entreprise folle d’Ungern, n’est-ce pas sa propre entreprise d’élucidation de soi-même qu’opère le narrateur ? Beau portrait en miroir d’un écrivain et de son double dont il n’est pas sûr - quoi qu’il en dise – qu’il ne soit pas parvenu à en écrire l’histoire…

D’aucuns seront désarçonnés par ce roman qui brasse les sentiments, les angoisses, les affres d’un narrateur qui se sent hors du monde et n’y trouve pas sa place. « L’exil, c’est tout ce qui me reste » dit-il.  Passant d’un extrême à l’autre, de la tentation du suicide, de  l’acédie la plus vive, de la plus terrible souffrance à la plénitude amoureuse, de l’orgueil à l’humilité, du rejet du monde à son désir d’y appartenir, le narrateur entraîne le lecteur dans un maelström d’émotions qui ne laisse pas indemne. Pour ma part, je reconnais n’avoir guère été réceptive aux interrogations sur l’Antéchrist, Satan ou la morale. Je n’adhère pas non plus à cette vision pleine de déréliction d’un monde qui serait « un building rectiligne et vide dans un désert radioactif » et je n’ai sans doute pas envie d’entendre que « le pire est à venir, il est à craindre, il est inéluctable ».

Mais quand le narrateur m’entraîne là « où sont les vents drus les sols gelés, les plaines pelées et les pierres fendues par le froid », quand il évoque cette  « garce » de Daouria, « où dans le chaos de la guerre civile, régna d’une main de fer Roman von Ungern-Sternberg, aristocrate balte de lignée teutonique, officier russe blanc marié à une princesse chinoise ; seigneur bouddhiste, souverain chamaniste, ascète sanguinaire […] moine soldat qui rêvait d’un empire mongol […] gueux famélique traqué par les bolchéviks », quand il me raconte une extraordinaire chasse à l'ours, je l’accompagne sans hésiter sur ces terres russes qu’il a apprivoisées, parmi ces moujiks dévastés par l’alcool mais tellement humains et où, en dépit de tout, il se sent chez lui. Tout comme pour Armand Robin, pour qui « par sympathie pour ces millions et millions de victimes [de la Révolution russe], la langue russe devint [s]a langue natale », pour le narrateur la Russie semble bien être devenue ce pays d’élection, où il pourrait devenir lui-même. C’est d’ailleurs ce qu’a bien compris Sigrid, « la petite bergère des gigantesques pierriers, des mélézins des Hautes-Alpes », rencontrée en Mongolie, et dont le narrateur rapporte les paroles du journal qu'elle tient. Evoquant Ungern, et s’adressant à son ami, elle écrit : « Partout ils fuyaient à l’approche de son nom »… Mais toi, tu cherchais ailleurs… Tu cherchais à l’intérieur d’une angoisse… à la surface d’un feu que ta rencontre avec Ungern avait touchée. Un point où tout se consume. Un point manquant à l’histoire : Baron noir ou bile noire ? Fou ou malade ? Tu avançais vers la source de son mystère, et peut-être vers celle de ton mystère. » Avec son intuition féminine et son amour, mieux que tous les psys, elle avait su le déchiffrer.

Une quête du mystère existentiel, à travers un personnage que le narrateur élit comme double, voilà donc bien ce qu’est Le Carrousel des Ombres. Dans cette parade où l’on croise Don Quichotte, le chevalier à la triste figure, et Corto Maltese, l’aventurier moderne, dans ce manège tournoyant où Benoît-Joseph Labre le saint cède la place à Thelonious Monk le musicien, dans cette sarabande infernale où le Baron noir mène la danse sous l’égide du masque de Makahala, le narrateur cherche son identité, sur la voie de « l’ultime citadelle ». Et, "au cœur des ténèbres", en dépit de tous les errements, de toutes les déchirures, de toutes les douleurs, ne demeure-t-il pas convaincu que cette citadelle est « solide, parce qu’elle est invisible pour les yeux ; [qu’] elle est cette étincelle de divinité que chacun porte en soi » ?

 

 

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7 avril 2019 7 07 /04 /avril /2019 16:20

 

Pour ce Noël 2018, ma fille m’a offert un livre magnifique : il s’agit de La Princesse de Clèves (1678), le roman de Madame de Lafayette, illustré par le couturier Christian Lacroix. En découvrant cet ouvrage, publié dans la collection Blanche de chez Gallimard, dans un format impressionnant de 32 x 25 cm, ce sont les souvenirs de mon adolescence qui ont ressurgi. J’ai revu le visage parfait de Marina Vlady, l’élégance hiératique de Jean Marais, la beauté juvénile de Jean-François Poron, dans le film éponyme de Jean Delannoy (1961). J’ai pensé aussi au roman de Raymond Radiguet, Le Bal du comte d’Orgel (1924), qui se trouvait dans la bibliothèque de mes parents, et dont le titre me fascinait. Un roman « aussi scabreux que le roman le moins chaste », tel le définissait son auteur. Et c’est en le lisant que j’y avais découvert la parenté avec La Princesse de Clèves, le jeune François de Séryeuse tombant en effet amoureux de Mahaut d’Orgel, l’épouse de son ami Anne d’Orgel. Un triangle amoureux classique, que Madame de Lafayette orchestre avec maestria dans le « premier roman psychologique français » qu’est La Princesse de Clèves, et que Christian Lacroix a illustré.

Marina Vlady, Jean Marais, Jean-François Poron, dans La Princesse de Clèves de Jean Delannoy

C’est Antoine Gallimard, éditeur et aussi collectionneur d’œuvres d’art, et plus particulièrement de tableaux, qui a eu l’heureuse idée d’inviter l’ancien couturier Christian Lacroix à revisiter ce roman novateur. N’en déplaise à un certain Nicolas Sarkozy qui, en 2006, avait bien malencontreusement dénigré ce chef d’œuvre de notre littérature. Le 23 février de cette année-là, à Lyon, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur et candidat à l'élection présidentielle, promettait devant une assemblée de fonctionnaires d' « en finir avec la pression des concours et des examens ». N’avait-il pas affirmé : « L'autre jour, je m'amusais - on s'amuse comme on peut - à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de La Princesse de Clèves. Imaginez un peu le spectacle ! » Outre la balourdise de cette remarque et le mépris pour les guichetières et pour les femmes (!), tout lecteur un peu averti ne pouvait qu’être choqué par l’inculture du futur président. Deux ans plus tard, en juillet 2008, le chef de l'Etat s’en prenait de nouveau à la malheureuse Princesse de Clèves. A l'occasion d'un déplacement dans un centre de vacances en Loire-Atlantique, il faisait l'apologie du bénévolat qui, disait-il, devait être reconnu par les concours administratifs : « Car ça vaut autant que de savoir par cœur La Princesse de Clèves. J'ai rien contre, mais... bon, j'avais beaucoup souffert sur elle », souriait-il.

Un collectif d'enseignants chercheurs et d'étudiants de Paris III n’en a pas souri et a proposé l'idée d'une lecture publique en diffusant un appel au titre assez héroïque: « Il faut sauver La Princesse de Clèves ». Leurs raisons en étaient les suivantes : « Parce que nous désirons un monde possible où nous pourrions, aussi, parler de La Princesse de Clèves, de quelques autres textes, et pourquoi pas d'art et de cinéma avec nos concitoyens quelle que soit la fonction qu'ils exercent. Parce que nous sommes persuadés que la lecture d'un texte littéraire prépare à affronter le monde, professionnel ou personnel. Parce que nous croyons que sans la complexité, la réflexion et la culture, la démocratie est morte, [...] » C’est ainsi que, devant le Panthéon, eut lieu le lundi 15 février 2009 une lecture marathon du roman de Madame de Lafayette. Un engouement qui ne s’est pas démenti depuis, relayé encore par  Elisabeth Badinter, Régis Debray, Régis Jauffret et tutti quanti.

Christian Lacroix au travail

Dans la droite ligne de cette redécouverte de l’œuvre, jusqu’au 24 novembre 2018, la Galerie Gallimard a en effet proposé l’exposition des peintures, aquarelles, collages et dessins du couturier, repris par la suite dans l’illustration de La Princesse de Clèves, dans une édition Gallimard. L’exposition a été inaugurée le 16 octobre 2018, en présence de l’artiste. Celui qui est devenu costumier pour la Comédie-Française explique que c’est « la modernité du texte qui [l’]a touché. « Dès que l’on passe le cap des premières pages – dit-il – que l’on trouve le rythme de ce français, l’on devient addict, comme avec les alexandrins ». Et de préciser que la Princesse de Clèves est « un personnage dont tout le monde a été amoureux » et qu’ « il fait partie des mythes de la littérature ».

En Arles où il habitait, Chris­tian Lacroix,  amoureux des livres depuis toujours, dor­mait près de la biblio­thèque fami­liale. C’est en sou­ve­nir de ses pre­miers livres de poche que le couturier avait, il y a quelques années, des­siné, pour cha­cun des titres, les illus­tra­tions de cou­ver­ture et de jaquette, ainsi que les pages de garde et les rabats. Parmi eux, déjà, La Princesse de Clèves, qu’il aima lire dans la collection Blanche. Et c’est ce même format agrandi, cette même police, le Garamond, que l’on retrouve dans cette magnifique édition. Si, pour lui, illustrer le texte de dessins originaux est une manière picturale de s’approprier l’œuvre, c’est bien sûr aussi une incitation pour tout un chacun de se replonger dans le roman. Ce que confirme Antoine Gallimard : c’est une manière, précise-t-il, « d’embellir et de magnifier le livre, dans sa dimension d’objet pour donner aux gens le goût d’aller découvrir des livres ».

Pour ma part, ce que j’ai aimé dans cet ouvrage, c’est la grande diversité des illustrations, dont les couleurs explosent, comme elles le faisaient dans les collections du couturier. Ah ! le rouge tourbillonnant du cardinal de Lorraine ! (pp. 23 et 156) Page 193, l’on admirera ce visage féminin, de profil, qui emplit toute la page, associant somptueusement oiseau, fleurs, bijoux et motifs ornementaux. Et on ne peut s’empêcher de penser à Arcimboldo. Sur la page d’en face, plus sobrement, une fine silhouette masculine à l’encre noire, celle du duc de Nemours, sous le texte en gros caractères : « Quoi, madame, une pensée vaine et sans fondement vous empêchera de rendre heureux un homme que vous ne haïssez pas ? » Comment pourrait-il comprendre la princesse, celle qui pense : « Si je m’abandonnais à vous, je prendrais le chemin de la souffrance. »

Les scènes de bataille, les tournois de la Deuxième partie, sont illustrés avec une grande puissance. Aux pages 81 et 82, notamment, dans un maelström de gouache verte, bleue, parme et violette, deux cavaliers chargent avec fougue. Et page 84, une fine silhouette noire, à cheval et brandissant sa lance sur un fond rouge, évoque le Don Quichotte de Picasso. Page 87, c’est un chevalier qui surgit bleu d’un océan sur un fond vert. Page 148, le tournoi où Henri II fut blessé à mort par Montgomery est illustré sobrement à l’encre noire : « […] le Roi voulut encore rompre une lance. Il manda au comte de Montgomery qui était extrêmement adroit, qu’il se mît sur la lice. » Quand on évoque le picaresque à propos de ces dessins, Christian Lacroix commente : « Oui, il y a bien quelques chevaux qui se promènent. Comme une sorte d’erratisme. » La corrida alors ? « Oh, ça, je suis né dedans, je l’ai dans les gènes, dans les veines. Je lui dois beaucoup, dans la manière dont j’ai abordé théâtralement le travail des costumes et même pour la mode, consciemment ou non. »

Par le moyen de collages, l’artiste rappelle des tableaux célèbres, et peut-être plus particulièrement Velasquez. Ainsi, à la page  71, en dépit de la mèche tombant sur le front, l’on croit voir un portrait de femme de la Renaissance, la main gauche baguée posée sur une plume, la droite sur les touches d’un instrument de musique. L’ensemble se détache sur un fond de pourpre et de cathédrale vieil or. Il en va de même à la page 183, avec cette femme qui fait songer au modèle d’un  tableau florentin, ici bariolé de traits de pinceaux colorés. On retrouve le procédé à la page 134, qui illustre le mariage du duc d’Albe et de Madame. Sur un patchwork de tissus flamboyants, le Duc se détache sur son cheval caparaçonné et décoré de bijoux.

Quant à la représentation de l’héroïne, elle est multiple. Elle est dessinée en couleurs vives et éclatantes au début du roman, à la page 20 notamment ou encore 56. Puis au fur et à mesure que la tragédie amoureuse se noue, les teintes s’atténuent (pp. 98, 143) : page 170, lors de la scène de la rencontre nocturne à Coulommiers, la princesse est représentée les cheveux dénoués dans une long déshabillé rose pâle. « Qu’elle était belle cette nuit ! Comment ai-je pu résister à l’envie de me jeter à ses pieds ? » se dit le duc de Nemours. Parfois encore, Christian Lacroix suggère l’héroïne sous la forme d’une fine silhouette sombre (pp. 63, 74, 92),  ou la dessine toute vêtue de noir, comme à la dernière page, dessin reproduit sur le marque-page du livre, tant il est vrai que pour madame de Lafayette, l’amour est une passion mortifère, « qui conduit à la folie, qui est meurtrière, qui fait mourir le Prince de Clèves, et qui laisse les êtres calcinés. » (Philippe Sellier)

Avec ce travail inventif et libre, on voit que le couturier a pu laisser libre cours à son amour du théâtre, de la peinture et de la mise en scène. On admire la graphie appuyée, chantournée mais élégante au pinceau, les nombreux profils masculins empreints de caractère, l’association des lavis, des encres, des gouaches, des acryliques, des tissus, et des collages, les quelques dessins abstraits, et les motifs monochromes qui parsèment les pages comme autant de respirations. On reconnaît le trait précis d’un grand couturier, habile à faire naître une silhouette en un trait de crayon. Et Antoine Gallimard de souligner : « Christian Lacroix, c’est l’inventivité des couleurs, des dessins qui semblent vivants, prêts à sortir du cadre et nous parler. Avec beaucoup d’audace et de diversité : il en faut, pour donner une dimension picaresque à La Princesse ». On est enfin sensible à une mise en page choisie et significative du texte de La Pléiade, à un ouvrage dont le grain du papier, Tintoretto Neve, est superbe au toucher.

Pour les lecteurs qui voudraient redécouvrir la « belle personne », une superbe occasion leur en est offerte avec ce livre qui trouvera une place de choix dans leur bibliothèque.

 

Crédit Photos : Gallimard

Site Gallimard

 

 

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2 avril 2019 2 02 /04 /avril /2019 14:44

La fleur de prunier

Le soleil en son calice

Devin du printemps

Photos ex-libris.over-blog.com

 

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18 mars 2019 1 18 /03 /mars /2019 18:24

Entre deux ondées

Le vert vif des fines herbes

Se hausse du col

Au-delà du mur

Brume d'or du forsythia

Un air de Japon

 

 

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2 mars 2019 6 02 /03 /mars /2019 16:19

 

Le Blaireau et le Goupil

Un Blaireau "paresseux, défiant et solitaire", *

Régnait sur un empire d’anciennes galeries.

De son museau rayé il n’était pas peu fier,

C’était un autocrate, maître en topométrie.

Il souhaita un jour agrandir ses pénates

Afin de mieux loger blaireautins et blairelles ;

Il trouvait son logis telle une casemate

Et entreprit dès lors de manier la truelle.

Fouissant du terreau, du sable et des cailloux,

Il arriva enfin chez un propriétaire

Dont le terrain bientôt fut sens dessus dessous.

Mais le Blaireau déjà y voyait sa tanière,

Faite de corridors et d’infinis couloirs,

Où ses nombreux enfants vivraient en phalanstère,

Protégés par Vesta, dans un doux nonchaloir.

Ces lieux dorénavant seraient héréditaires !

Le maître de céans, alarmé par l’odeur

Des déjections jaunâtres et par les monticules,

Etait désemparé et de méchante humeur

Et ignorait comment défier le noctambule.

Il essaya les pièges, le poison et le feu

Mais le Tesson toujours échappait à ses feintes :

« L’univers est à tous, et même aux culs-terreux ;

Qu’on vienne me quérir dedans mon labyrinthe ! »

Il aurait dû bien plus mesurer ses paroles

Et n’aurait su mieux dire car il fut pris au mot :

Maître Goupil un jour investit son sous-sol

Et s’empara des lieux comme à Fort Alamo.

 

Moralité

 

A malin malin et demi !

Foin de bien mal acquis !

Les griffes et les dents

Sont le fait d’impudents.

Le Blaireau stupéfié

S’en fut tout mortifié.

 

* Définition de l'animal par Buffon

 

 

 

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28 janvier 2019 1 28 /01 /janvier /2019 21:01

Cécile de France étant nominée pour le César 2019 de la meilleure actrice, je saisis cette occasion pour évoquer Mademoiselle de Joncquières, film dans lequel elle joue le rôle de Madame de La Pommeraye. J’avais vu ce film, tourné en Sarthe, dans le beau château de Sourches,  lors de sa sortie en septembre 2018 et l’avais beaucoup aimé. Je me souviens aussi qu'au cours d'un stage de théâtre, j'avais joué le rôle de Madame de La Pommeraye. Le temps était menaçant et nous avions joué dans les écuries du château de Gizeux, avec les comédiens du Théâtre aux Chandelles.

 

Après Les Dames du bois de Boulogne (1945) de Robert Bresson, où brillait le diamant noir qu’est Maria Casarès, il fallait, me semble-t-il, une certaine audace à Emmanuel Mouret pour adapter de nouveau au cinéma le récit enchâssé (et souvent interrompu par des digressions et des parenthèses), d’une quarantaine de pages, de l’œuvre de Diderot, Jacques le Fataliste et son Maître (1796). On se rappelle que c’est lors d’une étape à l’auberge du Grand-Cerf que l’Hôtesse conte à Jacques et à son Maître l’histoire de la vengeance de Madame de La Pommeraye. C’est une sorte de conte moral, l’histoire d’une jeune veuve (Cécile de France) qui cède à la cour du marquis des Arcis (Edouard Baer), « homme de plaisir, très aimable, croyant peu à la vertu des femmes ». Après quelques années de passion réciproque, la jeune femme assiste à son éloignement. Elle se vengera par l’intermédiaire de Mademoiselle d’Aisnon (Alice Isaaz), fille d’une femme répudiée (Natalia Dontcheva) et contrainte à la prostitution. Ange déjà déchu que Mme de La Pommeraye va transformer en dévote, pour qu’elle humilie le marquis. Ne dit-elle pas de lui qu’il « ne résiste pas à ce qui lui résiste » ? En libertin invétéré, le marquis fera tout pour obtenir la jeune fille.

 

De prime abord, quand on pense à ce récit, c’est surtout la vengeance de Madame de la Pommeraye qui vient à l’esprit. En 1785, Schiller avait d’ailleurs traduit cette nouvelle de Diderot sous le titre Exemple singulier de la vengeance d’une femme. Le réalisateur a donc eu l’intelligence de déplacer l’intérêt vers le personnage de la d’Aisnon (ou encore Mademoiselle Duquênoi chez Diderot), devenue ici Mademoiselle de Joncquières, que l’écrivain ne fait apparaître que vers la fin de son récit. Emmanuel Mouret explique ainsi son propos : « C’est pourquoi je me suis non seulement attardé sur les prémisses de l’histoire, mais aussi sur sa fin et son épilogue. Par ailleurs, je souhaitais rester fidèle à Diderot concernant le traitement narratif de Mademoiselle de Joncquières, dont est épris le marquis. Bresson la met très tôt en avant alors que Diderot le fait vers la toute fin : elle est longtemps un personnage en arrière-plan, une silhouette, qui prend subitement une consistance et une profondeur qui éclaire tout le récit. Je voulais essayer de conserver cette  « surprise dramatique » à la fois originale et forte en émotion. » C’est un des intérêts du film. 

Cette « surprise dramatique » est confortée par le fait que c’est ce personnage féminin, apparemment secondaire, qui donne son titre au film, le récit lui-même n’en comportant pas. Soucieux de donner une place nouvelle à la jeune fille, le réalisateur précise : « C’est une façon de préparer la fin, sans la révéler. Le personnage est dessiné en creux, suffisamment mystérieux pour alimenter nos projections, comme celles du marquis. Je crois que, plus cette jeune femme reste insondable à ses yeux, plus on comprend son attirance irraisonnée, et, plus le retournement final peut être poignant et troublant. » La jeune actrice, Alice Isaaz, exprime à merveille le mystère de ce personnage, silencieux, modeste, réduit à la prostitution par un sort contraire, mais profondément sincère. Mme d’Aisnon, sa mère, la décrit ainsi : « Ce n’est pas qu’elle ne soit belle comme un ange, qu’elle n’ait de la finesse, de la grâce ; mais aucun esprit de libertinage […]. » La jeune fille, que le réalisateur compare à un tableau de Fragonard, est la première comédienne à avoir été retenue. Emmanuel Mouret explique ainsi son choix : « Je l’avais remarquée dans La Crème de la crème et ce que j’aime beaucoup chez elle, alors que j’ai vu d’autres jeunes comédiennes, c’est qu’elle n’est pas que jolie et innocente, elle a du caractère. Je trouvais que donner beaucoup de caractère à son personnage était intéressant pour la fin, car elle a une vision forte, elle réfléchit et a du tempérament. » C’est en effet un très beau personnage féminin qui, par sa bonté et sa générosité innées, réduit à néant la vengeance  de Madame de La Pommeraye. Elle est à l’origine d’un retournement psychologique, assez surprenant pour cette époque, et qui fait de cette histoire un véritable « conte moral ». Emmanuel Mouret le confirme : « C’est de loin le personnage le plus vertueux et qui, dans les faits, pourrait être jugée pour celle qui l’est le moins. Cela souligne à la fois la pertinence et la profondeur de la pensée de Diderot : il ne faut jamais juger trop vite quelqu’un, de quelque chose ou de n’importe quelle situation morale. »

 

Quand le producteur Frédéric Niedermayer a proposé à Emmanuel Mouret l’idée d’un film en costumes, le réalisateur a tout de suite pensé à ce récit de Diderot. Il l’avait souvent relu et avait été ému par son épilogue. Il avait été frappé par la modernité de cette histoire, la liberté et la profondeur de ce récit dont les idées, les sentiments, les conflits lui avaient semblé très contemporains. Il précise à ce sujet : « Les questions morales que se pose le XVIIIe siècle sont toujours à l’œuvre de nos jours. »

 

C’est aussi, bien sûr, le langage si particulier de cette époque qui l’a encore incité à faire le choix de cette histoire. Il explique qu’il a essayé de garder le plus de dialogues du récit, en conservant, pense-t-il, « peut-être un quart ou un tiers ». Mais il a dû « broder » autour de nombreuses scènes esquissées, tout en en créant d’autres. Travail difficile qui a reçu l’aval d’une spécialiste de la littérature du XVIIIe. Et de souligner : « La véracité nous importe peu au final, c’est plus la véracité sentimentale qui compte. Je crois que le plus important c’est cette notion de saveur. »

 

On reconnaîtra qu’Emmanuel Mouret a parfaitement réussi ce pari, en restituant avec brio l’élégance de la langue de Diderot. Son film nous apparaît comme une « mise en scène des mots » et du discours amoureux. Il le souligne : « Car ce qui est intéressant quand la parole est abondante, c’est qu’elle est porteuse de complexité, de contradiction. » Le metteur en scène précise encore à ce propos qu’il s’agit de réunir la distribution la plus à même de porter ce texte avec le maximum de naturel. On n’oublie pas certaines répliques de Madame de La Pommeraye, le personnage qui a la partition la plus ample : « Vos jamais ne durent jamais plus longtemps que vos toujours. Je suis bien placée pour l’avoir observé. » Ou encore : « Vous avez, Marquis, mis mon cœur en lambeaux. Acceptez qu’en retour j’emprisonne le vôtre dans un jeu d’intrigue au risque de nous perdre. »

 

Pour mettre en scène ce badinage cruel, le réalisateur use beaucoup du plan-séquence : on y a « ce plaisir du jeu, on est quasiment en direct de la réplique et de la relation qui se noue, d’où cette idée de circulation dans l’espace, de hors champs, de près, de loin, de dos. » Tout ne doit pas être donné au spectateur et il faut qu’il ait à démasquer, à deviner le personnage derrière ses paroles. On pense notamment à la très belle scène où Madame de La Pommeraye annonce à son amie et confidente (Laure Calamy) le complot ourdi contre son amant infidèle. Au milieu des tapisseries, des bouquets, des vases de porcelaine démultipliés, se déploie un marivaudage subtil que reflète la glace de la cheminée. Nous y voyons la Némésis vengeresse, de dos, se regardant dans la glace, alors que l’abandon a fait qu’elle n’est plus que le reflet d’elle-même. Elle avoue : « Mon entreprise est au-delà de ma douleur et au-delà du coup que le marquis m’a porté. » Une autre scène m’apparaît exemplaire à cet égard, celle où Madame de La Pommeraye reçoit à dîner Mademoiselle de Joncquières et sa mère. Placée au milieu de la table entre les deux femmes, elle distribue la parole à chacune, et ensuite au marquis, qui fait son entrée à l’improviste. Quel plaisir secret pour Madame de La Pommeraye de voir son libertin d’amant infidèle contraint de parler dévotion et quiétisme ! « C’était un amusement secret bien plaisant pour ces trois femmes, que le scrupule du marquis à ne rien dire, à ne rien se permettre qui pût les effaroucher » écrit Diderot. 

Edouard Baer et Cécile de France se sont emparés avec jubilation de cette langue du XVIIIe, tout en finesse et en sous-entendus. Les deux comédiens ont trouvé un accord parfait pour jouer ce marivaudage amoureux. Edouard Baer est entré aisément dans la peau du libertin qu’il joue avec un grand naturel. J'ai regretté seulement qu'il ait souvent la main dans la poche, geste bien peu XVIIIe ! C’est en voyant le comédien jouer dans Un Pedigree de Modiano (cf mon billet ci-dessous) qu’Emmanuel Mouret a pensé à lui pour le rôle. Il explique que son choix est dû à deux raisons : « Cette façon un peu recherchée de s’exprimer, avec cette élocution qui lui est absolument naturelle, et le personnage. Car après avoir lu le scénario, il m’a dit : « C’est moi ! » » Le réalisateur a laissé peu de place à l’improvisation des deux comédiens, « sauf pour la façon de lancer la parole et dans les mouvements ». Cependant, c’est dans la scène du dîner, dont j’ai déjà parlé, qu’il lui a laissé toute latitude pour faire apparaître l’Edouard Baer, facétieux et amusant, que le public connaît.

Quant à Cécile de France, qui s’est beaucoup préparée pour le rôle, elle surprend par la qualité de son jeu fin et subtil. Disons aussi qu’avec son beau port de tête, la grâce avec laquelle elle porte les merveilleuses robes pastel conçues par Pierre-Jean Larroque, elle est une Madame de La Pommeraye très convaincante. Même Emmanuel Mouret, au départ, ne l’imaginait pas dans ce rôle de maîtresse délaissée et machiavélique. Pour finir, ce côté solaire et sympathique qu’elle affiche au début, lors du temps heureux avec le marquis, contraste avec cette détermination infaillible dans la réalisation de sa vengeance. Derrière un sourire de façade, c’est une femme blessée à mort qui utilise deux femmes dans la misère pour abattre l’amant infidèle. Ne leur dit-elle pas : « Mais surtout soumission, soumission absolue, illimitée à mes volontés, sans quoi je ne réponds de rien pour le présent, et ne m’engage à rien pour l’avenir. » J’ai particulièrement aimé la scène où elle fait avouer au marquis son infidélité en lui faisant croire qu’elle-même ne l’aime plus : « La marquise de La Pommeraye, moi, moi, inconstante ! Légère !... » Et quand le marquis lui répond : « Il ne nous reste qu’à nous féliciter  réciproquement d’avoir perdu en même temps le sentiment fragile et trompeur qui nous unissait », elle en éprouve un « dépit mortel », à l’origine de sa vengeance. Cécile de France a aimé interpréter ce personnage d’une femme qui s’oppose au joug masculin et refuse d’être victime dans une société patriarcale. Selon elle, Mme de La Pommeraye est « une femme libre ». Comme en Madame de Merteuil aussi, « on peut retrouver cette même volonté de se libérer de cette société machiste et de ses contraintes », dit-elle. (Voir ci-dessous mon billet sur la Lettre 81 des Liaisons dangereuses)

 

Dans ce film, tous les comédiens sont justes et je ne voudrais pas omettre Laure Calamy, qui interprète le rôle de l’amie de Madame de La Pommeraye. Cet autre beau personnage féminin est une invention judicieuse d’Emmanuel Mouret. Devant la démesure des sentiments de son amie, la confidente « incarne une idée du raisonnable ».  Elle permet par ailleurs de recueillir les sentiments et les pensées secrètes de Madame de La Pommeraye. Vive, intelligente, elle essaie de ramener son amie sur le terrain de la modération. Voici ce qu’en dit le réalisateur : « C’est en outre un personnage auquel je me suis beaucoup attaché. Son amitié pour la marquise est vraie, attentionnée, délicate… et petit à petit elle voit son amie s’éloigner comme un bateau sur la mer. J’ai dit à Laure Calamy que ce personnage aurait pu être l’auteur ou le narrateur de ce récit. J’ai beaucoup apprécié l’élégance et l’inventivité de son interprétation. » Vivacité et subtilité sont les atouts du jeu de la comédienne.

 

Avec le récit de Diderot, dans le film d’Emmanuel Mouret, on est proche de l’atmosphère de libertinage des Liaisons dangereuses (1782). Celle du roman certes mais aussi du film éponyme de Stephen Frears (1988) . La robe jaune de Cécile de France ne fait-elle pas penser à celle de Glenn Close dans le film anglais ? La scène d’exposition chez le philosophe français, dans laquelle le marquis offre à Madame de La Pommeraye un pacte mondain d’amitié et de complicité, ne peut que nous ramener à celui que le vicomte de Valmont proposera à la marquise de Merteuil au début des Liaisons dangereuses. Et Mademoiselle de Joncquières et Madame de Tourvel ne sont-elles pas toutes deux des dévotes, seules femmes dont l’innocence soit capable de raviver les sens d’un libertin blasé ? 

Madame de La Pommeraye est encore la jumelle de Madame de La Carlière, une autre héroïne de Diderot, présente dans la nouvelle du même nom (1772). Après avoir longtemps refusé les avances de l’inconstant chevalier Desroches, elle accepte de l’épouser à condition qu’il ne lui soit pas infidèle. Il ne tiendra pas ses promesses et elle lui infligera une humiliation publique. Chez ces deux personnages féminins, tout comme chez Madame de Merteuil, la vengeance s’enracine dans l’amour-propre blessé et dans l’orgueil social. Elles incarnent d’une manière exacerbée – et j’oserais dire dévoyée - le sens de d’honneur aristocratique. Emmanuel Mouret explique en quoi ce thème de la vengeance l’a intéressé : « Ce qui m’intéresse dans les récits de vengeance, c’est non seulement l’énergie que La Pommeraye déploie et l’imagination, l’esprit et une certaine forme d’intelligence dont elle fait preuve. Mais pour nous, spectateurs, c’est la façon de se projeter dans ce qu’on ose bien rarement ou même jamais faire. Le film est un peu un spectacle de ce qu’on ne se permettrait pas de faire. » Et d’ajouter : « Je suis évidemment attaché à Madame de la Pommeraye parce qu’elle est à la fois diabolique, fascinante et très touchante. Elle a cette blessure amoureuse dans laquelle on peut tous se reconnaître. » 

La marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, Dans Les Liaisons dangereuses de Stephen Frears

Cependant, Madame de Merteuil, qui veut se venger de Valmont à travers Madame de Tourvel, semble beaucoup plus cynique que Madame de La Pommeraye. Celle-ci a vécu dans la durée une véritable histoire d’amour avec le marquis des Arcis. Dans le film, cette période fait l’objet d’une ellipse, symbolisée par la présence des deux fauteuils cabriolets cannés devant un étang et par la croissance d’un arbre. Alors que chez Madame de Merteuil, l’entreprise semble calculée, c’est une terrible douleur amoureuse qui est à l’origine de la vengeance de Madame de La Pommeraye. De même, si l’on compare Valmont et le marquis des Arcis, ce dernier n’est ni calculateur ni menteur comme le héros de Laclos. Il fait montre d’une véritable sincérité dans sa démarche et, dit Edouard Baer, « il séduit parce qu’il est séduit ». Quant à son geste final, qui accorde le pardon à Mademoiselle de Joncquières, il ne ternit pas son nom mais, bien plutôt, « lave » son épouse de son existence de prostituée en lui offrant un nom honorable : « Levez-vous, je vous en prie, ma femme, levez-vous et embrassez-moi ; madame la marquise, levez-vous, vous n’êtes pas à votre place ; madame des Arcis, levez-vous… »

 

Certains critiques émettent l’idée qu’Emmanuel Mouret a réalisé un film féministe. A quoi le réalisateur rétorque : « C’est un film qui aime ses personnages féminins, qui n’est ni sexiste ni anti sexiste. Je laisse à chacun juger car le mot féministe est tellement large. » Cécile de France pour sa part aime la complexité de son personnage. Celui d’une veuve, une femme libre, qui s’affranchit du jugement de la société en vivant avec un libertin, puis en décidant de se venger de lui. Comme Madame de Merteuil, elle fait montre d’une volonté sans faille dans la réalisation de sa vengeance, allant jusqu’à venger son sexe au détriment d’autres femmes. Emmanuel Mouret souligne la force de ces deux personnages : « Diderot comme Laclos font des portraits de femmes dont l’intelligence surpasse celle des hommes et ce n’est pas un trait courant dans la littérature d’antan. En outre elles sont toutes les deux des femmes indépendantes car nobles et veuves. Il ne faut pas oublier que les veuves nobles et les riches courtisanes sont les premières femmes qui ne dépendent pas de l’autorité d’un mari. » 

Dans le roman de Diderot, l’antinomie du déterminisme et de la liberté est un des  thèmes essentiels. Et ce qui est intéressant dans le récit et le film, c’est que les personnages vont au-delà du déterminisme social. Madame de La Pommeraye s'affirme en femme indépendante ; Mademoiselle de Joncquières n'est pas la prostituée qu'on croit, et le marquis des Arcis adopte une attitude surprenante pour un homme de son rang. Par ailleurs, si le film ne juge aucunement ses personnages, on admettra pourtant que Diderot finit par se ranger du côté de Mademoiselle de Joncquières. L’on assiste en effet à une sorte de conversion, de rédemption du libertin. Et si, à la fin, Madame de La Pommeraye ne voit son affront qu’à moitié réparé, le libertin apparaît, quant à lui, bel et bien « corrigé ».

 

Mon billet sur Un Pedigree dit par Edouard Baer : http://ex-libris.over-blog.com/article-parce-que-c-etait-lui-parce-que-c-etait-moi-edouard-baer-dit-patrick-modiano-37514169.html

Mon billet sur la Lettre 81 des Liaisons dangereuses : http://ex-libris.over-blog.com/article-un-manifeste-feministe-la-lettre-81-des-liaisons-dangereuses-68884304.html 

Sources :

Diderot, Jacques le Fataliste et son Maître, p. 137 à 184, GF Flammarion

Allo-Ciné, Mademoiselle de Joncquières, Secrets de tournage

La Grande Table Culture, Les Liaisons amoureuses d'Emmanuel Mouret

Interview d'Emmanuel Mouret par Sylvie-Noëlle

https://gallica.bnf.fr/essentiels/diderot/jacques-fataliste/mme-pommeraye-marquis-arcis 

https://www.espace-1789.com/sites/default/files/film_files/zdcmademoiselledejoncquieres.pdf

 

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6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 15:03

 

Le soir s’éteint bleu

Par-dessus les choses

En tapis soyeux

Et métamorphose

 

 

Le soir s’éteint rose

En doux camaïeu

Et la nuit se pose

Voile vaporeux

 

 

Dans mon cœur frileux

Mon âme morose

Le soir est un feu

En apothéose

 

Vendredi 04 janvier 2019

 

Photos ex-libris.over-blog.com, le 4 janvier 2019

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1 janvier 2019 2 01 /01 /janvier /2019 14:52

 

 

Belle année 2019 à tous mes lecteurs ! 

Que ce poème soit une invitation à vivre chaque instant avec intensité et à en découvrir la beauté ainsi que nous y invite François Cheng :

"Chaque expérience de la beauté, si brève dans le temps, tout en transcendant le temps, nous restitue chaque fois la fraîcheur du matin du monde." (Cinq méditations sur la beauté)

 

 

Je la vois la couseuse

Assise à ma fenêtre

La brodeuse impassible

La tisseuse impavide

Qui ourle et qui déroule

Le tapis des années

Qui file et qui dévide

Les milliards de secondes

Les minutes myriades

Et l’infini des heures

De sa main implacable

Aux doigts inéluctables

 

Et du temps que j’écris

 Tout s’est déjà enfui

Mais au-dedans de moi

Comment garder la trace

De la durée qui passe

Et m’enserre au passé

 

 

En cette année nouvelle

Il faut qu’en moi demeurent

Les matins d’incendie

Quand le soleil levant

Signe des ombres roses

Sur les murs blancs de chaux

 

Et qu’en mes yeux perdure

Le rouge des poissons

Bullant dans le bassin

Parmi les nénuphars

Ou le chat blanc et roux

Déambulant au mur

Ou le gros pigeon gris

Au collier bleu et vert

Au pas de sénateur

Sur le gravier de Loire

 

 

Et que toujours résonnent

La cloche claire du portail

Et les abois des chiens

Dans la nuit solitaire

La déchirure aiguë

Du violon de Renaud Capuçon

Et les vers d’Aragon

 

 

Oh ! ne pas oublier

La senteur de l’hamamélis

Dans mon salon d’hiver

Et le parfum subtil

De mes roses anciennes

 

Pour jamais éprouver

La douceur de la peau

De mes petits-enfants,

Leurs regards émouvants

Leurs gestes pleins d’élan

Les grâces infinies

 De mes petites-filles

Et les promesses belles

De mes deux petits-fils

 

Quelle que soit cette année

Il faudra que j’en vive

Sa dureté de caillou

Sa beauté étrangère

 

 

Au fil du sablier

Au cœur battant des jours

Au clair d’une rencontre

Au feuilleté des pages

Surgira bien un mot

Règnera un sourire

Luira une étincelle

Pour dilater le temps

Et le faire éternel

 

Le 1er janvier 2019

 

Photos : ex-libris.over-blog.com 

 

 

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23 décembre 2018 7 23 /12 /décembre /2018 18:55

 

A l’occasion du centenaire de l’Armistice de 1918, la commune de Rou-Marson, où j’habite, a organisé plusieurs manifestations. On a ainsi pu se rendre à une exposition à la mairie, visionner trois films sur la Grande Guerre, assisté à deux conférences, l’une au cours de laquelle j’ai présenté Le Feu de Barbusse, l’autre qui était consacrée au parcours des poilus de la commune, morts pour la France. Le 11 novembre 2018, les habitants de Rou, Riou et Marson se sont retrouvés au monument aux morts pour une cérémonie, pluvieuse certes, mais empreinte d’émotion.

 

Le samedi 10 novembre, le groupe des Poédiseurs auquel j’appartiens a proposé une lecture poétique, composée de poèmes, lettres et chansons de la Guerre 14-18, dont je voudrais ici rendre compte. C’est la chanson « Jaurès » (1977) de Jacques Brel, chantée par Dany, qui a débuté cette prestation. On sait que l’enterrement de l’homme politique, le 4 août 1914, coïncida avec le début du conflit armé. Avec cette chanson le Grand Jacques rend un vibrant hommage aux ouvriers qui participèrent à la Grande Guerre :

 

« […] Si par malheur ils survivaient

C’était pour partir à la guerre

C’était pour finir à la guerre […]

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? »

 

Et pendant que les hommes étaient au front, les femmes les remplaçaient partout. Venait ainsi un texte en patois que j’avais écrit il y a quelques années, intitulé « L’ surcot du Gustave ». J’y mets en scène la Louise, une paysanne, contrainte de mener la ferme à la place de son époux. « Ce qu’elle savait point, la Louise, c’est que six mois plus tard, l’ verrait s’ pointer l’ garde-champêtre à la barrière d’ la ferme. […] Et alors, la Louise, l’aurait point b’soin d’mots. L’ pigerait au quart d’ tour qu’ son homme, i reviendrait point, et qu’ pus jamais l’ verrait sa ch’mise à carreaux et son surcot s’ balader sul’ fil à linge. »

 

C’était au tour d’Edith de lire un extrait, daté du 2 août 1914, des carnets intimes de Maurice Maréchal, un grand violoncelliste. Conscient de l’horreur qu’il va affronter, il écrit pourtant : « Si je ne me battais pas, je souillerais à jamais toutes mes heures futures. […] Car je rougirais d’avoir tremblé pour ma vie ! Pour oser regarder le soleil mourir sur la mer, il faut avoir osé soi-même regarder la mort en face. »

 

Mais, au début de la guerre, la propagande était partout. Le 17 août 1914, ne lisait-on pas dans L’Intransigeant : « Les balles ne sont pas dangereuses. Elles traversent les chairs de part en part, sans faire aucune déchirure » ?

 

Françoise donnait alors la parole à Aragon, engagé comme médecin auxiliaire. Le souvenir de la guerre 14-18 ne l’abandonnera jamais et elle fut un ressort décisif de sa création romanesque. Dans « La guerre et ce qui s’ensuivit », le poète prédit le destin tragique des jeunes engagés :

 

« […] Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit

Déjà vous n’êtes plus qu’un nom d’or sur nos places

Déjà le souvenir de vos amours s’efface

Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri »

 

Puis c’était « La Butte rouge », chantée par Dany, et dont le refrain était repris par notre groupe. Ecrite en 1919, cette chanson anti-guerre évoque « La butte Bapaume », triste épisode de la bataille de la Somme.

 

« […] La butte rouge, c’est son nom, l’baptême s’fit un matin

Où tous ceux qui grimpaient roulaient dans le ravin.

Aujourd’hui y’a des vignes, il y pousse du raisin.

Qui boira d’ce vin-là, boira l’sang des copains. »

 

François avait retenu une lettre de Louis Krémer à son ami de l’arrière, Henry Charpentier, datée du dimanche 13 décembre 1914. Il mourra le 18 juillet 1918, après avoir été touché par un obus devant Compiègne, lors de l’ultime offensive allemande. Il y décrit l’horreur de la vie au front « aux plus extrêmes avant-postes d’une région particulièrement éprouvée ». Et de souligner : « Ma vie ne tient plus qu’à un fil et n’est plus qu’un perpétuel jeu de cache-cache avec la mort, un miracle indéfiniment renouvelé, heure par heure, minute par minute. »

 

Le poème « Durant cette guerre » de Léon Gauthier-Ferrières, retenu par Suzel, fait aussi le tableau des conditions de vie du poilu.

 

…] « [Terré dans la nuit sans rien voir de beau

Je vis dans les trous comme un troglodyte,

Le front sur la pierre et les pieds dans l’eau.

Suis-je pas plutôt la taupe qui rampe

Que l’homme aspirant à l’azur qu’il voit ? […] »

 

On sait que le bleuet est devenu le symbole des combattants français à l’instar du coquelicot pour le Royaume-Uni et les pays du Commonwealth. Choisi par Dany, le poème « Le bleuet » (1916) de Guillaume Apollinaire, combattant lui-même, évoque un jeune soldat, un bleu, qui va sans doute mourir à cinq heures en affrontant le feu de l’ennemi :

 

« […] Jeune homme […]

Il est dix-sept heures et tu saurais

                  Mourir

Sinon mieux que tes aînés

       Du moins plus pieusement

       car tu connais mieux la mort que la vie […] »

 

Avec « La lettre » de R. Verbet, Véronique a rappelé l’importance du courrier, remède contre l’absence et moment d’émotion pour le soldat.

 

« Ce n’est rien, presque rien ; un chiffon de papier.

Pour d’autres sans valeur ; et que pourtant on garde

Avec soin ; que souvent on relit et regarde,

Il semble que, par cœur, on voudrait l’étudier. […] »

 

Avec « Souvenirs », poème élu par Suzel, Maurice Bouignol s’attarde à rêver à la femme aimée. Tandis que « le canon crache », il est tout rempli de son image. Le poète sera tué le 26 avril 1918, à l’âge de 27 ans.

« […] Que tes lèvres m’étaient bonnes !

Que tes bras m’étreignaient bien !

La fusillade résonne,

Tandis que je me souviens.

Les tendresses et les gloires

Aujourd’hui tout est mêlé,

Je vois flotter la victoire

Parmi tes cheveux ailés. […] »

 

Conscient de la précarité de son sort, le poilu rédige son testament. C’est le cas de Georges Gélibert qui sera tué le 13 juillet 1915 à l’âge de 33 ans. Dans leur extrême simplicité ces quelques lignes, écrites le 23 septembre 1914 pour son fils, sa fille et sa femme, sont émouvantes :

 

« Je lègue à mon fils André Gélibert quand il aura 20 ans

ma bague

ma montre

ma chaîne

mes fusils

mes briquets […] »

 

Chômeur en 1916, Eugène Dabit devance l’appel pour s’engager dans l’artillerie. Il connaît l’horreur des carnages en Champagne et participe à l’occupation de la Rhénanie. Son poème « Ecrit pendant la guerre », dit par Edith, est une poignante dénonciation de la guerre.

 

« J’ai été soldat à dix-huit ans

Quelle misère

De faire la guerre

Quand on est un enfant

 

De vivre dans un trou

Contre terre

Poursuivi comme un fou

Par la guerre […]

 

Paul Verlet, simple soldat au 74e d’infanterie, reçut six blessures en Artois en 1915. Retourné au front à Auberive, une balle lui traverse la poitrine. Il repart au combat en 1916 et subit une attaque de gaz. Il mourra en 1922 des complications de ses blessures. Dans son poème, « Bleu, blanc, rouge », choisi par Françoise, il exalte les couleurs du drapeau français à travers les souffrances de ses compagnons d’armes.

 

« […] Par Toi déchiqueté, mon frère aux sept douleurs,

Soudain, j’ai lu le sens écrit des trois couleurs :

Bleu paisible du ciel que raidit ta capote,

Blanc de ton front de marbre, eau pourpre qui clapote !

 

Et, seul, j’ai salué par le trou du créneau

Ton corps décomposé, plus vivant qu’un drapeau. »

 

Avec une autre lettre de Louis Krémer à Henry Charpentier, en date du 27 décembre 1914, François rappelait la désespérance des hommes au front. Se remémorant des écrivains chers à son cœur, l’auteur se demande si « cela a jamais existé ». Il y souligne le passage d’un temps qui ne s’écoule pas : « Dans le gel, dans la bise, dans l’eau, les nuits interminables s’écoulent lentement, si lentement, heure par heure, minute par minute, seconde par seconde. Une seconde, c’est un siècle. » Et de se demander s’il peut « encore employer le futur ».

 

La lettre de Gustave Berthier à sa femme du 28 décembre1914, choisie par Véronique, évoque cette incroyable trêve de Noël qui ne se reproduira pas. « C’était le jour de Noël, jour de fête, et ils [les Allemands] demandaient  qu’on ne tire aucun coup de fusil pendant le jour et la nuit, eux-mêmes affirmant qu’ils ne tireraient pas un seul coup. Ils étaient fatigués de faire la guerre, disaient-ils […] » Cet instituteur, qui habitait Sousse en Tunisie, sera tué le 7 juin 1915 à Bully-les-Mines.

 

Pour détendre un peu l’atmosphère, Dany avait choisi de chanter l’ « Ode au pinard » de Max Leclerc. Dès octobre 1914, l’Intendance, afin d’améliorer la vie dans les tranchées, ajouta à l’ordinaire des troupes une ration de vin fort médiocre. Pour toute l’Armée, « le père Pinard [sera] un père de la victoire ».

 

« Salut ! Pinard de l’Intendance

Qu’as goût de trop peu ou goût de rien,

Sauf, les jours où t’aurais tendance

A puer le phénol ou bien l’purin.

 

[…] C’est tout le pays qui vit en toi.

Dès qu’on a bu les premières gouttes,

Chacun  r’trouve en soi son pat’lin…

Et l’on se sent chaud sous les paupières. »

 

C’était alors à mon tour de dire un sonnet, rédigé sur un petit papier plié, et que j’ai retrouvé dans le Carnet de Poésie de ma grand-mère paternelle. Il évoque l’horreur de la prise de La Targette à Neuville-Saint-Waast, le 12 mai 1915, aux abords du cimetière. Je ne sais qui l’a composé et pourquoi mon aïeule l’avait conservé. Toujours est-il qu’il  m’émeut beaucoup. Le second tercet est le suivant :

 

[…] Parfois le sifflement d’un obus, un cratère

Qui s’ouvre, et le couchant qui nimbe de lumière

La face en pleurs du Christ et ses bras étendus. »

 

Françoise se faisait le porte-parole de Giuseppe Ungaretti l’Italien : n’avait-il pas aussi sa place dans cette lecture sur une guerre qui fut mondiale ? Dès le début du conflit, il s’engage volontairement pour partager le destin de ses contemporains. Il combattra au Carso (province de Trieste) et en France. La guerre lui fera côtoyer la couche la plus pauvre de l’humanité, celle de la douleur quotidienne, dont il rendra compte dans son recueil Il porto sepolto.

 

« […] Mais dans le cœur

aucune croix ne manque

C’est mon cœur

le pays le plus ravagé »

 

Un texte tragiquement bref que ponctuait François avec un extrait de son œuvre Infiniment de pluie et d’aube : « L’histoire humaine est l’histoire d’une lueur entravée. Le chemin est à peine éclairé, la nuit à peine soulevée, qu’aussitôt c’est tout un chenil qui retombe et se rouvre et va, fourmillant, aboyer aux lampes. »

 

La lettre du 2 novembre 1914 de Marcel Planquette, retenue par Véronique, nous ramenait dans le quotidien concret des soldats. Le poilu y évoque la fabrication de bagues « taillées dans des fusées d’obus », soulignant avec humour que « les Boches fourniss[ent] la matière première « à l’œil » ». Une autre lettre du 28 novembre 1914 insiste sur la joie des soldats quand ils reçoivent un colis.  L’auteur les compare à « de grands enfants ». « Un rien te contente comme un rien t’attriste » ajoute-t-il.

 

Edith a souhaité donner la parole à l’Anglais Wilfred Owen, considéré comme l’un des plus grands poètes de la Première Guerre Mondiale. Il fut tué le 4 novembre 1918 lors de la grande offensive finale à Ors près du Cateau-Cambrésis, une semaine presque, à l’heure près, avant l’armistice. Ses poèmes, souvent réalistes, écrivent la banalité horrible de la guerre des tranchées et des attaques au gaz.

 

« Quel glas comme ceux-là qui meurent comme du bétail ?

-          Seule la monstrueuse colère des canons.

Seuls les crépitements rapides des fusils

Peuvent encore marmotter leurs hâtives oraisons. […] »

 

L’humour grinçant était présent avec « Pour un Barrès au petit pied », de L. Vibert, choisi par Suzel. Décoré de la Croix de Guerre, ce poète prit part à plusieurs engagements dans la Somme et en Champagne et participa aux Conférences d’Armistice. Avec ce poème Vibert ironise sur la propagande de guerre dont Barrès fut un acteur important, qui lui valut le surnom de « rossignol des carnages » décerné par Romain Rolland.

 

« […] « On s’amuse dans la tranchée ?... »

M’écris-tu sérieusement.

La question n’est pas tranchée…

Et je souris tout simplement… »

 

Les Chants du désespéré, souvent dédié à des amis, de Charles Vildrac, est composé de poèmes oscillant entre désespoir et renouveau. Edith en avait retenu « Printemps de guerre » qui décrit l’hébétude, l’abattement du soldat, dans une nature à l’unisson de son âme, déjà morte.

 

« J’étais boueux et las

Et le soir dans les bois

M’étreignait la poitrine. […]

 

Je me suis relevé

J’ai regardé, stupide.

L’herbe longue brisée par le poids de mon corps.

Je me suis mis en marche. »

 

Poète et soldat héroïque, Paul Verlet est souvent considéré comme le chantre des poilus de la Première Guerre Mondiale. Par la voix de Suzel, avec le poème « Après », daté de mai 1915, il rappelle que la charge, la boue, le sang n’enlèvent pas aux soldats « la jouissance unique, égoïste, de vivre / Après… ».

 « […] Tes frères qui dès l’aube, en leur élan superbe

Bondissaient, ventre en l’air, sont là, couchés

dans l’herbe.

« - Hélas ! je sais, hélas, mais moi, je vis, moi, Moi !

J’ai là toute mon âme !...

-          A la prochaine fois ! […] »

 

Dans les camps de prisonniers, la moindre chose était joie pour le soldat. C’est ce qu’a rappelé Véronique avec un texte du 1er juillet 1916, « Au camp de Rennbahn ».

 

« Au prisonnier…

Tout est joie et bonheur !

Un portrait, une fleur, une odeur, […]

Tout est bonheur en terre

Etrangère. »

 

C’était alors au tour de Dany de chanter la  célébrissime « Chanson de Craonne », dont le refrain a été repris en chœur par notre groupe. C’est une chanson anonyme recueillie par Paul Vaillant-Couturier. Sous-officier dans l’infanterie en 1914, il terminera la guerre comme capitaine dans les chars d’assaut, non sans avoir été blessé et gazé. Il fut aussi condamné cinq fois pour son action en faveur de la paix. La « Chanson de Craonne » (du nom du village de Craonne) est une chanson contestataire chantée par des soldats français durant la Première Guerre Mondiale, entre 1915 et 1917. Elle fut interdite par le commandement militaire qui la censura en raison de ses paroles antimilitaristes, défaitistes, et subversives, incitant à la mutinerie. Qui n’en connaît le refrain ?

« Adieu la vie, adieu l’amour,

Adieu toutes les femmes,

C’est bien fini, c’est pour toujours

De cette guerre infâme.

C’est à Craonne, sur le plateau,

Qu’on doit laisser sa peau

Car nous sommes tous condamnés,

C’est nous les sacrifiés ! »

 

Avec « La patrie aux soldats morts », le poète belge Emile Verhaeren, exilé en Angleterre, donne la parole à la Patrie pour déplorer la mort prématurée des jeunes soldats, évoquant la douleur des mères et des amantes. Il manifeste la volonté de voir à jamais leur mémoire honorée.

 

« Vous ne reverrez plus les monts, les bois, la terre,

Beaux yeux de mes soldats qui n’aviez que vingt ans

Et qui êtes tombés, en ce dernier printemps […]

 

Je recueille en mon cœur votre gloire meurtrie,

Je renverse sur vous les feux de mes flambeaux

Et je monte la garde autour de vos tombeaux,

Moi qui suis l’avenir, parce que la Patrie. »

 

Je célébrai ensuite « Saint Poilu », de Gabriel Pierre-Martin. Un texte plein d’humour qui convoque le Bon Dieu et toute l’Histoire de France pour rendre un vibrant hommage à la piétaille martyre.

 

« […] Saint Poilu… C’est un et tout maigre et tout boueux,

Hirsute et pas rasé, mais d’une telle allure,

Qu’il dépasse Saint Louis, Charlemagne et ses preux,

Et que Français jamais n’eut si noble figure. »

 

Au milieu de tous ces poèmes écrits par des acteurs de la Grande Guerre, Françoise proposait alors un bref  poème de Thomas Chaline (né en 1983) stigmatisant la guerre.

 

« Et le soleil se couche, rouge de honte

D’avoir illuminé des armées entières,

D’avoir participé aux guerres. […]

 

Venaient ensuite trois textes, dits par Véronique et François, annonçant l’armistice du 11 novembre 1918. D’abord une lettre d’Achille Marius Maillet à sa femme Maria :

 

« Le 11 novembre 1918

11 heures du matin

11e compagnie

Ma chère bien-aimée pour la vie,

Tout est fini, la paix est signée – on ne tue plus – le clairon sonne le cessez-le-feu. » […] »

 

Puis une lettre  d’un anonyme à sa mère :

 

« […] Te dire notre joie à tous est impossible. Ma première pensée a été pour ceux que j’aime, pour toi, ma chère vieille maman, qui va retrouver ton pays redevenu français ; les deux versants en sont français maintenant, et pour toujours !!! »

 

Et enfin, le communiqué à la presse (rédigé par le sous-lieutenant de Pierrefeu) du 11 novembre 1918, à 21 heures, par Philippe Pétain. :

 

« Au 52e mois d’une guerre sans précédent dans l’histoire, l’armée français avec l’aide de ses Alliés a consommé la défaite de l’ennemi. […] Toutes les conditions exigées pour la suspension des hostilités ayant été acceptées par l’ennemi, l’armistice est entré en vigueur, ce matin, à onze heures. »

 

Le 28 septembre 1915, Cendrars perd la main droite au combat et devient dès lors « le poète à la Main Gauche ». Dans « Le jour de la victoire », extrait du long poème narratif La Guerre au Luxembourg (1916),  il se démarque des discours sur la guerre de 1914 en transformant, avec une certaine ironie tragique, le regard sur une victoire future :

 

« […] Dans l’après-midi

Les blessés accrocheront leurs médailles à l’Arc-de-

Triomphe et rentreront à la maison sans boiter.

Puis,

Le soir

La place de l’Etoile montera au ciel

Le Dôme des Invalides chantera sur Paris comme une

immense cloche d’or

Et les mille voix des journaux acclameront la Marseillaise

Femme de France »

 

Dans cet ensemble de textes, on ne pouvait oublier ceux qui disent le douloureux retour du soldat auprès des siens. François, dans un superbe texte de sa composition, a dit le désarroi de ces hommes à jamais hantés par l’horreur :

 

« Je suis de retour de guerre, de retour des tranchées. Je reviens chez moi, âme luxée, cœurbalafré. Je reviens chez moi mais je suis  toujours dans la guerre, ivre du cri, du tournoiement du néant. A la hampe du drapeau, le rouge de mon sang, mon ombre titubante. […]

 

Je titube jusque chez moi. Jusque. Je n’ai plus pied sur cette terre, le verger du voisin m’enlace, je ne sais plus la douceur. Comment vais-je lui parler ? La chique dans les dents, le rauque dans la gorge, je n’ai rien à dire.

 

Je suis seulement de retour. »

 

Un texte de Henri de Régnier, « Imagerie », choisi par Edith, donnait la parole à un blessé de guerre. L’académicien le fait ici dans un style plutôt cocardier et patriotique ;

 

« Je reviens de la grande guerre,

La grande guerre des poilus,

Aussi ma jambe ne va guère

Ou pour mieux dire ne va plus ;

 

[…] C’est ainsi qu’a fini la guerre,

Pour moi, mais qu’importe, bons Dieux,

Que ma jambe n’aille plus guère

Si la France s’en porte mieux ! »

 

Dans cette lecture poétique, il ne fallait pas oublier notre ennemi, l’Allemand, tout aussi victime que le soldat français de la folie guerrière. J’ai dit alors le poème que j’avais écrit en 2011, après avoir visité le cimetière allemand de Mongoutte, à Sainte-Marie-aux-Mines, en Alsace. 

 

« [… ] Au flanc de la montagne sous un tapis de feuilles blondes

Dorment mille-cent-soixante-quinze soldats allemands

Et le baron Fitz-James de Berwick colonel de la garde impériale de Russie

 

[…] Savent-ils si leur casaque est bleue ou verte

Soupirent-ils pour l’Allemagne, songent-ils à la France

Murmurent-ils Alsace appellent-ils Elsass

Leurs rêves sont-ils français ou bien sont-ils allemands

 

Maintenant

Je crois qu’ils n’en ont cure ceux-là qui dorment éternellement indifférents

Dans le compagnonnage serein et universel des morts »

Enfin, pour conclure sur une note d’espoir cette lecture, Suzel avait retenu « Tout n’est peut-être pas perdu » de René Arcos. Réformé pendant la Première Guerre Mondiale, René Arcos fut le correspondant de guerre du journal américain Chicago Daily News. De France en Italie, de Grèce en Egypte, il finira par s’établir en Suisse, non pas « au-dessus de la mêlée », comme l’accusèrent ses détracteurs, mais au contraire pour mieux la ressentir et en dénoncer toutes les souffrances.

 

« Tout n’est peut-être pas perdu

Puisqu’il nous reste au fond de l’être

Plus de richesse et de gloire

Qu’aucun vainqueur n’en peut atteindre ;

 

[…] Rien n’est perdu puisqu’il suffit

Qu’un seul de nous dans la tourmente

Reste pareil à ce qu’il fut

Pour sauver tout l’espoir du monde. »

 

Espoir dans cette Europe toujours à construire – et sans doute plus maintenant que jamais !

C’est ainsi que nous avions choisi de terminer cette évocation de la Grande Guerre sur l’Hymne Européen.

 

Nous avons enfin remercié le maire de Rou-Marson et son équipe municipale de leur accueil toujours aussi chaleureux. Nous avons encore ajouté combien nous avons tous  été émus par ces lettres et ces poèmes  exprimant l’indicible de la guerre. Si les lettres des poilus sont désormais relativement bien connues, la poésie de guerre l’est beaucoup moins, sauf bien sûr celle de Péguy, Apollinaire, Aragon et Cendrars. En effet, la poésie de guerre a longtemps été considérée comme de la non-poésie. Elle est pourtant la voie qui permet d’approcher au plus près les émotions de ces hommes qui, poètes professionnels ou non, pacifistes ou nationalistes, majoritairement résignés ou patriotes, ont chanté, raconté, crié ce qu’ils ont vécu. Et parodiant Homère, on a envie de dire : « Chante, poète, la vie et la mort de ces hommes qui ont enduré la guerre… »

 

 La Lettre, Mathurin Meheut

 

 

Bibliographie

 

  • Poèmes de poilus, Anthologie de poèmes français, anglais, allemands, italiens, russes, 1914-1918, Poésie Points, avril 2014.
  • Paroles de poilus : Lettres et carnets du front (1914-1918), Sous la direction de Jean-Pierre Gueno et Yves Laplume, Librio, octobre 2013. 
  • Le Livre épique, Anthologie des poèmes de la Grande Guerre, E. Prévost, C. Dornier, Chapelot, 1920.
  • Une seule pensée, liberté, Anthologie de poèmes de prisonniers de la Grande Guerre, Michel Reynaud, Ed. Tirésias, 2004.
  • Anthologie des poètes de la Grande Guerre, Choix de Jacques Bréal, Le Cherche-Midi.

 

 

 

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Published by Catheau
21 octobre 2018 7 21 /10 /octobre /2018 17:55

 

Début septembre 2018, un important dégât des eaux s’est produit dans la cage de scène du théâtre Le Dôme à Saumur. Plusieurs beaux spectacles ont été annulés, tels celui d’Arturo Brachetti, The Beggar’s Opera, Art de Yasmina Reza et des opéras. Les autres spectacles sont ainsi contraints d’investir des  lieux de la communauté d’agglomération.  C’est ainsi que mardi 16 octobre 2018, nous nous sommes rendues, mes amies et moi, au théâtre Philippe Noiret de Doué-la-Fontaine (désormais Doué-en-Anjou) pour voir le premier spectacle de notre abonnement : Hôtel Paradiso.

La troupe berlinoise de la Famille Flöz nous a proposé un spectacle burlesque et déjanté, ludique et distrayant. Composé d’artistes internationaux, ce collectif a été créé en 1994 par Markus Michalowski, Hajo Schüler, deux étudiants de mime à la faculté d’Essen, et Michael Vogel. Il est composé de comédiens, metteurs en scène, musiciens, danseurs, facteur de masque, éclairagiste, costumière et scénographe. Leur originalité tient à ce qu’ils créent un langage singulier à partir d’une écriture essentiellement visuelle et dramatique.

Hotel Paradiso, créé en 2008, s’est joué pour la première fois à Paris début 2018, bien que le spectacle ait fait sensation à Avignon en 2013. Dans une petite auberge de montagne au décor désuet, dominée par des sommets bleutés enneigés, se passent des choses étranges. La grand-mère, bossue et contrefaite, mène tout le monde à la baguette avec sa canne, sous le portrait du père fondateur à qui l’on rend hommage ; le tenancier à lunettes en gilet jacquard se dispute avec sa sœur et rêve à une dulcinée ; la sœur elle-même essaie tant bien que mal de rénover les lieux ; le cuisinier, au tablier blanc maculé de rouge, trafique on ne sait quoi avec sa scie électrique tandis que hurle son petit roquet, Cerbère de la cuisine ; la serveuse kleptomane se bat avec son aspirateur et fait les yeux doux au patron. En même temps, tous aimeraient bien qu’il y ait plus de clients  à venir déguster l’eau thermale qui coule à la vieille pompe… De nombreux autres personnages animent la scène : un randonneur, une élégante, un petit groom à la Spirou, un inspecteur du guide Michelin qui enlèvera ses étoiles à l’hôtel, un duo de policier émules de Colombo, tous clients hauts en couleurs. Chacune de ces apparitions donnent lieu à une prestation originale pleine d’inventivité. Et quand on découvre à la fin que cette quinzaine de personnages n’est jouée que par quatre comédiens (de grande taille), le spectateur applaudit.

Dans cette troupe, on admire la manière dont les comédiens combinent jeu d’acteur, masque, mime, acrobatie, danse, clownerie, magie et improvisation. Le masque est bien sûr un des éléments essentiels de leur travail. En dépit de l’aspect figé et grotesque du masque en latex disproportionné, le jeu du corps permet de faire croire aux différents sentiments éprouvés par les personnages. Il est frappant de voir comment le masque « décupl[e] les dimensions du personnage et le dilat[e] tout en le rendant attachant et familier ». « Un masque qui « fonctionne » ouvre en chaque acteur et en chaque spectateur l’espace de la mémoire, de l’intime et du comique. " Hajo Schüler, un des créateurs de la troupe, précise : « D’une certaine façon, les masques sont notre outil – ce sont eux qui nous racontent l’histoire et pas l’inverse. » Et d’ajouter : « Ne plus avoir de visage, c’est déclencheur d’une grande liberté. L’interprète peut s’alléger de sa propre identité et le masque va l’aider à se transformer. Il met son corps et son imagination au service du masque. Clairement, le masque est toujours meilleur que l’interprète. Il trouve ses origines chez les dieux, les idoles et les fous. »

Forts de cette folie permise par le masque, au son de vieilles chansons mélancoliques en allemand de l’entre-deux-guerres, les comédiens s’en donnent à cœur joie. Le spectacle démarre ainsi sur les chapeaux de roue avec l’inénarrable numéro de la grand-mère s’efforçant de grimper sur une chaise pour épousseter le portrait de son époux. Elle finira d’ailleurs par le rejoindre dans le tableau ! Et bien souvent, c’est le comique de répétition qui est à l’œuvre : le spectacle gymnique du groom sur un tapis rouge, son corps décapité qui ne cesse d’ouvrir la porte derrière laquelle on l’a caché ; sa main qui réapparaît au-dessus de l’assise du banc-coffre dans lequel on l’a ensuite dissimulé ; entre la serveuse et le cuisinier, le jeu avec l’aspirateur qui ne fonctionne pas ; la tablette du bureau d’accueil rabattue sans ménagements sur les doigts des clients, ; la rotation fantaisiste de la porte à tambour ; le roquet qui aboie chaque fois qu’un personnage entre dans la cuisine ; les gobelets qui s’animent lors que le cuisinier veut les prendre… Autant d’éléments pleins de surprise qui confèrent beaucoup de vivacité et de drôlerie à l’ensemble.

Alors que l’on sait que ce spectacle muet s’est créé à partir d’improvisations, on en admire la scénographie millimétrée qui  ne laisse aucune place à l’à peu près. Entre poésie et comique, entre mélancolie et burlesque, Hôtel Paradiso, en dépit de quelques baisses de rythme, suscite un rire bon enfant que la magie du masque contribue à amplifier.

 

http://youtu.be/G1vjEAEKNJs

Sources :

Collège au théâtre, Saison 2014/2015, Fiche Pédagogique n°6, Association Bourguignonne Culturelle

Crédit Photos Michel_Vogel_hr

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La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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