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Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.

Se souvenir de l'Armistice de la Grande Guerre : lecture poétique par les Poédiseurs à Rou-Marson.

 

A l’occasion du centenaire de l’Armistice de 1918, la commune de Rou-Marson, où j’habite, a organisé plusieurs manifestations. On a ainsi pu se rendre à une exposition à la mairie, visionner trois films sur la Grande Guerre, assisté à deux conférences, l’une au cours de laquelle j’ai présenté Le Feu de Barbusse, l’autre qui était consacrée au parcours des poilus de la commune, morts pour la France. Le 11 novembre 2018, les habitants de Rou, Riou et Marson se sont retrouvés au monument aux morts pour une cérémonie, pluvieuse certes, mais empreinte d’émotion.

 

Le samedi 10 novembre, le groupe des Poédiseurs auquel j’appartiens a proposé une lecture poétique, composée de poèmes, lettres et chansons de la Guerre 14-18, dont je voudrais ici rendre compte. C’est la chanson « Jaurès » (1977) de Jacques Brel, chantée par Dany, qui a débuté cette prestation. On sait que l’enterrement de l’homme politique, le 4 août 1914, coïncida avec le début du conflit armé. Avec cette chanson le Grand Jacques rend un vibrant hommage aux ouvriers qui participèrent à la Grande Guerre :

 

« […] Si par malheur ils survivaient

C’était pour partir à la guerre

C’était pour finir à la guerre […]

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? »

 

Et pendant que les hommes étaient au front, les femmes les remplaçaient partout. Venait ainsi un texte en patois que j’avais écrit il y a quelques années, intitulé « L’ surcot du Gustave ». J’y mets en scène la Louise, une paysanne, contrainte de mener la ferme à la place de son époux. « Ce qu’elle savait point, la Louise, c’est que six mois plus tard, l’ verrait s’ pointer l’ garde-champêtre à la barrière d’ la ferme. […] Et alors, la Louise, l’aurait point b’soin d’mots. L’ pigerait au quart d’ tour qu’ son homme, i reviendrait point, et qu’ pus jamais l’ verrait sa ch’mise à carreaux et son surcot s’ balader sul’ fil à linge. »

 

C’était au tour d’Edith de lire un extrait, daté du 2 août 1914, des carnets intimes de Maurice Maréchal, un grand violoncelliste. Conscient de l’horreur qu’il va affronter, il écrit pourtant : « Si je ne me battais pas, je souillerais à jamais toutes mes heures futures. […] Car je rougirais d’avoir tremblé pour ma vie ! Pour oser regarder le soleil mourir sur la mer, il faut avoir osé soi-même regarder la mort en face. »

 

Mais, au début de la guerre, la propagande était partout. Le 17 août 1914, ne lisait-on pas dans L’Intransigeant : « Les balles ne sont pas dangereuses. Elles traversent les chairs de part en part, sans faire aucune déchirure » ?

 

Françoise donnait alors la parole à Aragon, engagé comme médecin auxiliaire. Le souvenir de la guerre 14-18 ne l’abandonnera jamais et elle fut un ressort décisif de sa création romanesque. Dans « La guerre et ce qui s’ensuivit », le poète prédit le destin tragique des jeunes engagés :

 

« […] Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit

Déjà vous n’êtes plus qu’un nom d’or sur nos places

Déjà le souvenir de vos amours s’efface

Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri »

 

Puis c’était « La Butte rouge », chantée par Dany, et dont le refrain était repris par notre groupe. Ecrite en 1919, cette chanson anti-guerre évoque « La butte Bapaume », triste épisode de la bataille de la Somme.

 

« […] La butte rouge, c’est son nom, l’baptême s’fit un matin

Où tous ceux qui grimpaient roulaient dans le ravin.

Aujourd’hui y’a des vignes, il y pousse du raisin.

Qui boira d’ce vin-là, boira l’sang des copains. »

 

François avait retenu une lettre de Louis Krémer à son ami de l’arrière, Henry Charpentier, datée du dimanche 13 décembre 1914. Il mourra le 18 juillet 1918, après avoir été touché par un obus devant Compiègne, lors de l’ultime offensive allemande. Il y décrit l’horreur de la vie au front « aux plus extrêmes avant-postes d’une région particulièrement éprouvée ». Et de souligner : « Ma vie ne tient plus qu’à un fil et n’est plus qu’un perpétuel jeu de cache-cache avec la mort, un miracle indéfiniment renouvelé, heure par heure, minute par minute. »

 

Le poème « Durant cette guerre » de Léon Gauthier-Ferrières, retenu par Suzel, fait aussi le tableau des conditions de vie du poilu.

 

…] « [Terré dans la nuit sans rien voir de beau

Je vis dans les trous comme un troglodyte,

Le front sur la pierre et les pieds dans l’eau.

Suis-je pas plutôt la taupe qui rampe

Que l’homme aspirant à l’azur qu’il voit ? […] »

 

On sait que le bleuet est devenu le symbole des combattants français à l’instar du coquelicot pour le Royaume-Uni et les pays du Commonwealth. Choisi par Dany, le poème « Le bleuet » (1916) de Guillaume Apollinaire, combattant lui-même, évoque un jeune soldat, un bleu, qui va sans doute mourir à cinq heures en affrontant le feu de l’ennemi :

 

« […] Jeune homme […]

Il est dix-sept heures et tu saurais

                  Mourir

Sinon mieux que tes aînés

       Du moins plus pieusement

       car tu connais mieux la mort que la vie […] »

 

Avec « La lettre » de R. Verbet, Véronique a rappelé l’importance du courrier, remède contre l’absence et moment d’émotion pour le soldat.

 

« Ce n’est rien, presque rien ; un chiffon de papier.

Pour d’autres sans valeur ; et que pourtant on garde

Avec soin ; que souvent on relit et regarde,

Il semble que, par cœur, on voudrait l’étudier. […] »

 

Avec « Souvenirs », poème élu par Suzel, Maurice Bouignol s’attarde à rêver à la femme aimée. Tandis que « le canon crache », il est tout rempli de son image. Le poète sera tué le 26 avril 1918, à l’âge de 27 ans.

« […] Que tes lèvres m’étaient bonnes !

Que tes bras m’étreignaient bien !

La fusillade résonne,

Tandis que je me souviens.

Les tendresses et les gloires

Aujourd’hui tout est mêlé,

Je vois flotter la victoire

Parmi tes cheveux ailés. […] »

 

Conscient de la précarité de son sort, le poilu rédige son testament. C’est le cas de Georges Gélibert qui sera tué le 13 juillet 1915 à l’âge de 33 ans. Dans leur extrême simplicité ces quelques lignes, écrites le 23 septembre 1914 pour son fils, sa fille et sa femme, sont émouvantes :

 

« Je lègue à mon fils André Gélibert quand il aura 20 ans

ma bague

ma montre

ma chaîne

mes fusils

mes briquets […] »

 

Chômeur en 1916, Eugène Dabit devance l’appel pour s’engager dans l’artillerie. Il connaît l’horreur des carnages en Champagne et participe à l’occupation de la Rhénanie. Son poème « Ecrit pendant la guerre », dit par Edith, est une poignante dénonciation de la guerre.

 

« J’ai été soldat à dix-huit ans

Quelle misère

De faire la guerre

Quand on est un enfant

 

De vivre dans un trou

Contre terre

Poursuivi comme un fou

Par la guerre […]

 

Paul Verlet, simple soldat au 74e d’infanterie, reçut six blessures en Artois en 1915. Retourné au front à Auberive, une balle lui traverse la poitrine. Il repart au combat en 1916 et subit une attaque de gaz. Il mourra en 1922 des complications de ses blessures. Dans son poème, « Bleu, blanc, rouge », choisi par Françoise, il exalte les couleurs du drapeau français à travers les souffrances de ses compagnons d’armes.

 

« […] Par Toi déchiqueté, mon frère aux sept douleurs,

Soudain, j’ai lu le sens écrit des trois couleurs :

Bleu paisible du ciel que raidit ta capote,

Blanc de ton front de marbre, eau pourpre qui clapote !

 

Et, seul, j’ai salué par le trou du créneau

Ton corps décomposé, plus vivant qu’un drapeau. »

 

Avec une autre lettre de Louis Krémer à Henry Charpentier, en date du 27 décembre 1914, François rappelait la désespérance des hommes au front. Se remémorant des écrivains chers à son cœur, l’auteur se demande si « cela a jamais existé ». Il y souligne le passage d’un temps qui ne s’écoule pas : « Dans le gel, dans la bise, dans l’eau, les nuits interminables s’écoulent lentement, si lentement, heure par heure, minute par minute, seconde par seconde. Une seconde, c’est un siècle. » Et de se demander s’il peut « encore employer le futur ».

 

La lettre de Gustave Berthier à sa femme du 28 décembre1914, choisie par Véronique, évoque cette incroyable trêve de Noël qui ne se reproduira pas. « C’était le jour de Noël, jour de fête, et ils [les Allemands] demandaient  qu’on ne tire aucun coup de fusil pendant le jour et la nuit, eux-mêmes affirmant qu’ils ne tireraient pas un seul coup. Ils étaient fatigués de faire la guerre, disaient-ils […] » Cet instituteur, qui habitait Sousse en Tunisie, sera tué le 7 juin 1915 à Bully-les-Mines.

 

Pour détendre un peu l’atmosphère, Dany avait choisi de chanter l’ « Ode au pinard » de Max Leclerc. Dès octobre 1914, l’Intendance, afin d’améliorer la vie dans les tranchées, ajouta à l’ordinaire des troupes une ration de vin fort médiocre. Pour toute l’Armée, « le père Pinard [sera] un père de la victoire ».

 

« Salut ! Pinard de l’Intendance

Qu’as goût de trop peu ou goût de rien,

Sauf, les jours où t’aurais tendance

A puer le phénol ou bien l’purin.

 

[…] C’est tout le pays qui vit en toi.

Dès qu’on a bu les premières gouttes,

Chacun  r’trouve en soi son pat’lin…

Et l’on se sent chaud sous les paupières. »

 

C’était alors à mon tour de dire un sonnet, rédigé sur un petit papier plié, et que j’ai retrouvé dans le Carnet de Poésie de ma grand-mère paternelle. Il évoque l’horreur de la prise de La Targette à Neuville-Saint-Waast, le 12 mai 1915, aux abords du cimetière. Je ne sais qui l’a composé et pourquoi mon aïeule l’avait conservé. Toujours est-il qu’il  m’émeut beaucoup. Le second tercet est le suivant :

 

[…] Parfois le sifflement d’un obus, un cratère

Qui s’ouvre, et le couchant qui nimbe de lumière

La face en pleurs du Christ et ses bras étendus. »

 

Françoise se faisait le porte-parole de Giuseppe Ungaretti l’Italien : n’avait-il pas aussi sa place dans cette lecture sur une guerre qui fut mondiale ? Dès le début du conflit, il s’engage volontairement pour partager le destin de ses contemporains. Il combattra au Carso (province de Trieste) et en France. La guerre lui fera côtoyer la couche la plus pauvre de l’humanité, celle de la douleur quotidienne, dont il rendra compte dans son recueil Il porto sepolto.

 

« […] Mais dans le cœur

aucune croix ne manque

C’est mon cœur

le pays le plus ravagé »

 

Un texte tragiquement bref que ponctuait François avec un extrait de son œuvre Infiniment de pluie et d’aube : « L’histoire humaine est l’histoire d’une lueur entravée. Le chemin est à peine éclairé, la nuit à peine soulevée, qu’aussitôt c’est tout un chenil qui retombe et se rouvre et va, fourmillant, aboyer aux lampes. »

 

La lettre du 2 novembre 1914 de Marcel Planquette, retenue par Véronique, nous ramenait dans le quotidien concret des soldats. Le poilu y évoque la fabrication de bagues « taillées dans des fusées d’obus », soulignant avec humour que « les Boches fourniss[ent] la matière première « à l’œil » ». Une autre lettre du 28 novembre 1914 insiste sur la joie des soldats quand ils reçoivent un colis.  L’auteur les compare à « de grands enfants ». « Un rien te contente comme un rien t’attriste » ajoute-t-il.

 

Edith a souhaité donner la parole à l’Anglais Wilfred Owen, considéré comme l’un des plus grands poètes de la Première Guerre Mondiale. Il fut tué le 4 novembre 1918 lors de la grande offensive finale à Ors près du Cateau-Cambrésis, une semaine presque, à l’heure près, avant l’armistice. Ses poèmes, souvent réalistes, écrivent la banalité horrible de la guerre des tranchées et des attaques au gaz.

 

« Quel glas comme ceux-là qui meurent comme du bétail ?

-          Seule la monstrueuse colère des canons.

Seuls les crépitements rapides des fusils

Peuvent encore marmotter leurs hâtives oraisons. […] »

 

L’humour grinçant était présent avec « Pour un Barrès au petit pied », de L. Vibert, choisi par Suzel. Décoré de la Croix de Guerre, ce poète prit part à plusieurs engagements dans la Somme et en Champagne et participa aux Conférences d’Armistice. Avec ce poème Vibert ironise sur la propagande de guerre dont Barrès fut un acteur important, qui lui valut le surnom de « rossignol des carnages » décerné par Romain Rolland.

 

« […] « On s’amuse dans la tranchée ?... »

M’écris-tu sérieusement.

La question n’est pas tranchée…

Et je souris tout simplement… »

 

Les Chants du désespéré, souvent dédié à des amis, de Charles Vildrac, est composé de poèmes oscillant entre désespoir et renouveau. Edith en avait retenu « Printemps de guerre » qui décrit l’hébétude, l’abattement du soldat, dans une nature à l’unisson de son âme, déjà morte.

 

« J’étais boueux et las

Et le soir dans les bois

M’étreignait la poitrine. […]

 

Je me suis relevé

J’ai regardé, stupide.

L’herbe longue brisée par le poids de mon corps.

Je me suis mis en marche. »

 

Poète et soldat héroïque, Paul Verlet est souvent considéré comme le chantre des poilus de la Première Guerre Mondiale. Par la voix de Suzel, avec le poème « Après », daté de mai 1915, il rappelle que la charge, la boue, le sang n’enlèvent pas aux soldats « la jouissance unique, égoïste, de vivre / Après… ».

 « […] Tes frères qui dès l’aube, en leur élan superbe

Bondissaient, ventre en l’air, sont là, couchés

dans l’herbe.

« - Hélas ! je sais, hélas, mais moi, je vis, moi, Moi !

J’ai là toute mon âme !...

-          A la prochaine fois ! […] »

 

Dans les camps de prisonniers, la moindre chose était joie pour le soldat. C’est ce qu’a rappelé Véronique avec un texte du 1er juillet 1916, « Au camp de Rennbahn ».

 

« Au prisonnier…

Tout est joie et bonheur !

Un portrait, une fleur, une odeur, […]

Tout est bonheur en terre

Etrangère. »

 

C’était alors au tour de Dany de chanter la  célébrissime « Chanson de Craonne », dont le refrain a été repris en chœur par notre groupe. C’est une chanson anonyme recueillie par Paul Vaillant-Couturier. Sous-officier dans l’infanterie en 1914, il terminera la guerre comme capitaine dans les chars d’assaut, non sans avoir été blessé et gazé. Il fut aussi condamné cinq fois pour son action en faveur de la paix. La « Chanson de Craonne » (du nom du village de Craonne) est une chanson contestataire chantée par des soldats français durant la Première Guerre Mondiale, entre 1915 et 1917. Elle fut interdite par le commandement militaire qui la censura en raison de ses paroles antimilitaristes, défaitistes, et subversives, incitant à la mutinerie. Qui n’en connaît le refrain ?

« Adieu la vie, adieu l’amour,

Adieu toutes les femmes,

C’est bien fini, c’est pour toujours

De cette guerre infâme.

C’est à Craonne, sur le plateau,

Qu’on doit laisser sa peau

Car nous sommes tous condamnés,

C’est nous les sacrifiés ! »

 

Avec « La patrie aux soldats morts », le poète belge Emile Verhaeren, exilé en Angleterre, donne la parole à la Patrie pour déplorer la mort prématurée des jeunes soldats, évoquant la douleur des mères et des amantes. Il manifeste la volonté de voir à jamais leur mémoire honorée.

 

« Vous ne reverrez plus les monts, les bois, la terre,

Beaux yeux de mes soldats qui n’aviez que vingt ans

Et qui êtes tombés, en ce dernier printemps […]

 

Je recueille en mon cœur votre gloire meurtrie,

Je renverse sur vous les feux de mes flambeaux

Et je monte la garde autour de vos tombeaux,

Moi qui suis l’avenir, parce que la Patrie. »

 

Je célébrai ensuite « Saint Poilu », de Gabriel Pierre-Martin. Un texte plein d’humour qui convoque le Bon Dieu et toute l’Histoire de France pour rendre un vibrant hommage à la piétaille martyre.

 

« […] Saint Poilu… C’est un et tout maigre et tout boueux,

Hirsute et pas rasé, mais d’une telle allure,

Qu’il dépasse Saint Louis, Charlemagne et ses preux,

Et que Français jamais n’eut si noble figure. »

 

Au milieu de tous ces poèmes écrits par des acteurs de la Grande Guerre, Françoise proposait alors un bref  poème de Thomas Chaline (né en 1983) stigmatisant la guerre.

 

« Et le soleil se couche, rouge de honte

D’avoir illuminé des armées entières,

D’avoir participé aux guerres. […]

 

Venaient ensuite trois textes, dits par Véronique et François, annonçant l’armistice du 11 novembre 1918. D’abord une lettre d’Achille Marius Maillet à sa femme Maria :

 

« Le 11 novembre 1918

11 heures du matin

11e compagnie

Ma chère bien-aimée pour la vie,

Tout est fini, la paix est signée – on ne tue plus – le clairon sonne le cessez-le-feu. » […] »

 

Puis une lettre  d’un anonyme à sa mère :

 

« […] Te dire notre joie à tous est impossible. Ma première pensée a été pour ceux que j’aime, pour toi, ma chère vieille maman, qui va retrouver ton pays redevenu français ; les deux versants en sont français maintenant, et pour toujours !!! »

 

Et enfin, le communiqué à la presse (rédigé par le sous-lieutenant de Pierrefeu) du 11 novembre 1918, à 21 heures, par Philippe Pétain. :

 

« Au 52e mois d’une guerre sans précédent dans l’histoire, l’armée français avec l’aide de ses Alliés a consommé la défaite de l’ennemi. […] Toutes les conditions exigées pour la suspension des hostilités ayant été acceptées par l’ennemi, l’armistice est entré en vigueur, ce matin, à onze heures. »

 

Le 28 septembre 1915, Cendrars perd la main droite au combat et devient dès lors « le poète à la Main Gauche ». Dans « Le jour de la victoire », extrait du long poème narratif La Guerre au Luxembourg (1916),  il se démarque des discours sur la guerre de 1914 en transformant, avec une certaine ironie tragique, le regard sur une victoire future :

 

« […] Dans l’après-midi

Les blessés accrocheront leurs médailles à l’Arc-de-

Triomphe et rentreront à la maison sans boiter.

Puis,

Le soir

La place de l’Etoile montera au ciel

Le Dôme des Invalides chantera sur Paris comme une

immense cloche d’or

Et les mille voix des journaux acclameront la Marseillaise

Femme de France »

 

Dans cet ensemble de textes, on ne pouvait oublier ceux qui disent le douloureux retour du soldat auprès des siens. François, dans un superbe texte de sa composition, a dit le désarroi de ces hommes à jamais hantés par l’horreur :

 

« Je suis de retour de guerre, de retour des tranchées. Je reviens chez moi, âme luxée, cœurbalafré. Je reviens chez moi mais je suis  toujours dans la guerre, ivre du cri, du tournoiement du néant. A la hampe du drapeau, le rouge de mon sang, mon ombre titubante. […]

 

Je titube jusque chez moi. Jusque. Je n’ai plus pied sur cette terre, le verger du voisin m’enlace, je ne sais plus la douceur. Comment vais-je lui parler ? La chique dans les dents, le rauque dans la gorge, je n’ai rien à dire.

 

Je suis seulement de retour. »

 

Un texte de Henri de Régnier, « Imagerie », choisi par Edith, donnait la parole à un blessé de guerre. L’académicien le fait ici dans un style plutôt cocardier et patriotique ;

 

« Je reviens de la grande guerre,

La grande guerre des poilus,

Aussi ma jambe ne va guère

Ou pour mieux dire ne va plus ;

 

[…] C’est ainsi qu’a fini la guerre,

Pour moi, mais qu’importe, bons Dieux,

Que ma jambe n’aille plus guère

Si la France s’en porte mieux ! »

 

Dans cette lecture poétique, il ne fallait pas oublier notre ennemi, l’Allemand, tout aussi victime que le soldat français de la folie guerrière. J’ai dit alors le poème que j’avais écrit en 2011, après avoir visité le cimetière allemand de Mongoutte, à Sainte-Marie-aux-Mines, en Alsace. 

 

« [… ] Au flanc de la montagne sous un tapis de feuilles blondes

Dorment mille-cent-soixante-quinze soldats allemands

Et le baron Fitz-James de Berwick colonel de la garde impériale de Russie

 

[…] Savent-ils si leur casaque est bleue ou verte

Soupirent-ils pour l’Allemagne, songent-ils à la France

Murmurent-ils Alsace appellent-ils Elsass

Leurs rêves sont-ils français ou bien sont-ils allemands

 

Maintenant

Je crois qu’ils n’en ont cure ceux-là qui dorment éternellement indifférents

Dans le compagnonnage serein et universel des morts »

Enfin, pour conclure sur une note d’espoir cette lecture, Suzel avait retenu « Tout n’est peut-être pas perdu » de René Arcos. Réformé pendant la Première Guerre Mondiale, René Arcos fut le correspondant de guerre du journal américain Chicago Daily News. De France en Italie, de Grèce en Egypte, il finira par s’établir en Suisse, non pas « au-dessus de la mêlée », comme l’accusèrent ses détracteurs, mais au contraire pour mieux la ressentir et en dénoncer toutes les souffrances.

 

« Tout n’est peut-être pas perdu

Puisqu’il nous reste au fond de l’être

Plus de richesse et de gloire

Qu’aucun vainqueur n’en peut atteindre ;

 

[…] Rien n’est perdu puisqu’il suffit

Qu’un seul de nous dans la tourmente

Reste pareil à ce qu’il fut

Pour sauver tout l’espoir du monde. »

 

Espoir dans cette Europe toujours à construire – et sans doute plus maintenant que jamais !

C’est ainsi que nous avions choisi de terminer cette évocation de la Grande Guerre sur l’Hymne Européen.

 

Nous avons enfin remercié le maire de Rou-Marson et son équipe municipale de leur accueil toujours aussi chaleureux. Nous avons encore ajouté combien nous avons tous  été émus par ces lettres et ces poèmes  exprimant l’indicible de la guerre. Si les lettres des poilus sont désormais relativement bien connues, la poésie de guerre l’est beaucoup moins, sauf bien sûr celle de Péguy, Apollinaire, Aragon et Cendrars. En effet, la poésie de guerre a longtemps été considérée comme de la non-poésie. Elle est pourtant la voie qui permet d’approcher au plus près les émotions de ces hommes qui, poètes professionnels ou non, pacifistes ou nationalistes, majoritairement résignés ou patriotes, ont chanté, raconté, crié ce qu’ils ont vécu. Et parodiant Homère, on a envie de dire : « Chante, poète, la vie et la mort de ces hommes qui ont enduré la guerre… »

 

 La Lettre, Mathurin Meheut

 

 

Bibliographie

 

  • Poèmes de poilus, Anthologie de poèmes français, anglais, allemands, italiens, russes, 1914-1918, Poésie Points, avril 2014.
  • Paroles de poilus : Lettres et carnets du front (1914-1918), Sous la direction de Jean-Pierre Gueno et Yves Laplume, Librio, octobre 2013. 
  • Le Livre épique, Anthologie des poèmes de la Grande Guerre, E. Prévost, C. Dornier, Chapelot, 1920.
  • Une seule pensée, liberté, Anthologie de poèmes de prisonniers de la Grande Guerre, Michel Reynaud, Ed. Tirésias, 2004.
  • Anthologie des poètes de la Grande Guerre, Choix de Jacques Bréal, Le Cherche-Midi.

 

 

 

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