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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 07:00

  Jasante de la Vielle 1902 C 43 collection of the art in

  La "Jasante de la Vieille", illustrée par Steinlen (1902), deuxième état,

Institute of Art of Chicago

 

 

C’est dans une langue populaire et argotique, le « jaspin du pauv’ monde », que Jehan Rictus (1867-1933) a décrit la condition des mal-aimés de la vie. De son vrai nom, Gabriel Randon de Saint-Amand, celui qui était le fils naturel d’un gentilhomme professeur de gymnastique et d’une artiste ratée, y exprime avec une tonalité douce-amère, drôle et cruelle, sa compassion vis-à-vis des gueux, des « Ecrasés d’la Muflerie contemporaine ». Son art, c’est de faire parler le pauvre hère, les « fan-fans » morts et la mère dont le fils a été guillotiné.  Ainsi, dans la « Jasante (prière) de la Vieille », extraite des Cantilènes du Malheur, on est à l’écoute de cette vieille « moman d’mère », en quête de la tombe de son assassin de fils, au cimetière d’Ivry, dans le carré des « Condamnés ». Jehan Rictus, avec de nombreux détails justes et touchants, évoque la vie de misère et de tribulations de cette mère abandonnée, qui avait œuvré pour que son fils  réussisse  (« Tu promettais… Tu promettais… »).

Et au-delà de cette langue du « populo », certains n’ont sans doute pas tort qui ont vu dans cette poésie à fleur de peau un lointain écho religieux. Dans cette « jasante », il semble que se dessine en creux le portrait de toutes les mères du monde, parties « dans l’angoisse à la recherche de [leur] enfant », ainsi que les décrit Gertrude von Le Fort dans La Femme éternelle. L’écrivain ne souligne-t-elle pas que « tôt ou tard, en secret ou au grand jour, toute mère laisse transparaître le visage de la Mère des douleurs, l’image de la Pietà » ?

 

 

 

Jasante de la vieille

 

Tu ne tueras point

 

Bonjour… c’est moi… moi ta m’man.

J’suis là… d’vant toi… au cimetière.

Aujord’hui y aura juste un an,

Un an passé d’pis ton affaire.)

 

Louis ?

Mon p’tit… mentends-tu seul’ment ?

T’entends-t-y ta pauv’ moman d’mère,

Ta « Vieille », comm’ tu disais dans l’temps ?

 

Ta « Vieille » qu’alle est v’nue aujord’hui

Malgré la bouillasse et la puïe

Et malgré qu’ça soye loin… Ivry !

 

Alorss… on m’a pas trompée d’lieu ?

C’est ben ici les « Condamnés » ?

C’est là qu’tes d’pis eun’ grande années ?

Mon dieu mon dieu ! Mon dieu mon dieu !

 

Et où donc ? Où c’est qu’on t’a mis ?

D’quel côté ? Dis-moi… mon ami ?

C’est plat et c’est nu comm’ la main :

 

Y a pas eun’ tombe… pas un bout d’croix,

Y a rien qui marqu’ ta fosse à toi…

 

Pas un signe…pas un nom d’baptême

Et rien non pus pour t’abriter !

 

(J’dis pas qu’tu l’as point mérité,

Mais pour eun’ mèr’, c’est dur tout d’même !)

 

Louis… tu sais ?… Faut que j’te confesse,

Depis un an…d’pis… ton histoire,

J’suis pus tournée qu’aux idées noires

Et j’ai l’cœur rien qu’à la tristesse :

 

Aussi présent j’suis tout’ sangée.

J’suis blanchie… courbée… ravagée

Par la honte et par le tourment.

(Si tu pourrais m’voir à présent,

Tu m’donnerais pus d’quatre-vingts-ans !)

 

Et pis, j’ai eu ben d’la misère…

(Ca m’a fait du tort, tu comprends !)

Quand on a su qu’j’étais ta mère,

J’ai pus trouvé un sou d’ouvrage,

On m’a méprisée dans l’quartier,

Et l’a fallu que j’déménage.

Depis… dans mon nouveau log’ment

J’vis seule et j’peux pas dir’ comment,

Comme eun’ dormeuse, eun’ vrai’ machine.

J’cause à personn’ de mon malheur,

J’pense à toi, et tout l’jour je pleure,

Mêm’ quand que j’suis à ma cuisine.

 

L’matin, ça m’prend dès que j’me lève,

J’te vois… j’te cause… tout haut… souvent

Comm’ si qu’tu s’rais encor vivant !

 

J’mange pus… j’dors pu, tant ça m’fait deuil

Et si des fois j’peux fermer l’œil,

Ca manqu’ pas… tu viens dans mes rêves.

 

C’te nuit encor j’tai vu plein d’sang :

Tu t’nais à deux mains ta pauv’ tête

Et tu m’faisais : « Moman… Moman ! »

Mais mois j’pouais rien pour t’aider ;

Moi… j’étais là à te r’garder,

Et j’te tendais mon tabellier !

 

Pense, Louis… dans l’temps… quand t’étais p’tit,

Qui qu’aurait cru… qui m’aurait dit

Qu’tu finirais comm’ ça un jour,

Et qu’moi on m’verrait  v’nir ici ;

Quand t’étais p’tit, t’étais si doux !

 

Présent… je r’vois tout not’ passé

Lorsque t’allais su’ les trois ans,

Et qu’ton pepa m’avait quittée

En m’laissant tout’seule à l’él’ver.

 

Comme ej’ t’aimais…comme on s’aimait !

Qu’on n’était heureux tous les deux,

Malgré souvent des moments durs

Quand y avait rien à la maison !

 

Comme ej’ t’aimais… comme on s’aimait §

C’était toi ma seul’ distraction,

Mon p’tit mari… mon amoureux !

 

C’est pas vrai, est-ce pas ? C’est pas vrai

Tout c’qu’on a dit d’toi au procès ?

Su’ les journaux c’qu’y avait d’écrit,

Ca n’était ben sûr qu’des ment’ries ?

 

Mon p’tit à moi n’a pas été

Si mauvais qu’on l’a raconté…

(Sûr qu’étant môme… comm’ tous les mômes

T’étais des fois ben garnement,

Mais pour crapule on peut pas l’dire.)

 

T’étais si doux… et pis… si beau,

Mignon peut’-êt… mais point chétif,

A caus’ que moi j’t’avais nourri.

 

T’étais râblé, frais et rosé ;

T’étais tout blond et tout frisé

Comm un n’amour… comme un agneau…

 

J’ai cor de toi eun’ boucle ed’tifs

Et deux quenott’s comm’ deux grains d’riz.

Mon plaisir… c’était, l’soir venu,

Avant que d’te mette au dodo,

De t’déshabiller tout « entière »,

Tant c’étai divin d’te voir nu.

 

Et j’t’admirais… j’te cajolais,

J’te faisais « proutt » dans ton p’tit dos,

Et j’te bisais ton p’tit derrière.

(J’t’aurais mangé si j’aurais pu !)

 

Et pis t’étais si caressant,

Et rusé, et intelligent !

Oh ! intelligent… fallait voir.

Pour c’qui regardait la mémoire,

T’apprenais tout c’que tu voulais,

Tu promettais… tu promettais…

 

(Et dir’ qu’tes là d’ssous à présent,

Par tous les temps qu’y neige ou pleuve !

Ah ! qué crèv’-cœur ! Qué coup d’couteau !

On a ratissé mon château,

On m’a esquinté mon chef-d’œuve !)

 

J’en ai t’y passé d’ces jornées

Durant des années… des années,

A turbiner pir’ qu’un carcan

Pour gagner not’ pain d’tous les jours

Et d’quoi te garder à l’école…

 

Et j’en ai-t-y passé d’ces nuits

(Toi dans ton p’tit lit endormi)

A coude auprès de l’abat-jour,

Jusqu’à la fin de mon pétrole !

 

Des fois… ça s’tirait en longueur !

Mes pauv’s z’yeux flanchaient à la peine.

Alors en bâillant dans ma main

J’écoutais trotter ton p’tit cœur

Et souffler ta petite haleine,

 

Et rien qu’ça m’donnait du courage,

Pour me r’mettre dar-dar à l’ouvrage

Qu’y m’fallait livrer le lend’main :

Que d’fois j’ai eu les sangs glacés

Ces nuits-là pour la moindre toux !

J’avais toujours peur pour le croup,

Rapport au mauvais air du faubourg

Où nous aut’s on est entassés.

 

T’rappell’s-tu, quand tu t’réveillais,

Le croissant chaud… l’café au lait ?

T’rappell’s-tu comme ej’ t’habillais ?

 

Eh ben… pis nos sorties, l’dimanche…

Tes beaus p’tits vernis… ta rob’blanche.

(T’étais si fin… si gracieux,

Tu faisais tant plaisir aux yeux

Qu’on voyait les gens se r’tourner

Pour te regarder trottiner.)

 

Ah ! en c’temps-là, dis, mon petit,

De qui c’était qu’t’étais la fifille,

L’amour, le trésor, le Soleil,

De qui c’est que t’étais l’Jésus ?

 

De ta Vieille… est-c’ pas ? de ta Vieille…

Qui faisait tout’s tes volontés ?

Qui t’a pourri ? Qui t’a gâté ?

Qui c’est qui n’t’a jamais battu ?

Et l’année d’ta fluxion d’poitrine,

Qui t’a soigné, veillé, guéri ?

C’est y moi ou ben la voisine ?

 

Et à présent qu’te v’là ici

Comme un chien crevé… eune ordure,

Comme un fumier… eun’ pourriture,

Sans un brin d’fleurs, sans une couronne,

N’avec la crèm’ des criminels…

 

Qui c’est qui, malgré tout, vient t’voir ?

Qui, qui t’esscuse et qui t’pardonne ?

Qui c’est qu’en est la pus punie ?

 

C’est ta Vieille… toujours… ta fidèle,

Ta pauv’ vieill’ loqu’ de Vieille, vois-tu !

 

Mais j’bavard’… moi… j’us’ ma salive,

La puïe cess’ pas… la nuit arrive,

Faut qu’j’m’en aill, moi… il est l’heure :

Présent… c’est si loin où j’demeure…

 

Et pis quoi… qu’est-c’que c’est qu’ce bruit ?

On croirait comm’ quéqu’un qui se plaint !

On jur’rait de quéqu’un qui pleure…

Oh ! Louis… réponds, c’est p’t-êt ben toi

Qui t’fais du chagrin dans la Terre…

Seigneur ! si j’allais cor te voir

Comme c’te nuit dans mon cauch’mar !

(Tu voudrais pas m’fair cett’ frayeur ?)

 

Oh ! Louis… si c’est toi… tiens-toi bien sage,

Sois mignon… j’arr’viendrai bentôt…

Seul’ment… fais dodo… fais dodo,

Comm aut’fois dans ton petit lit,

Tu sais ben… ton petit lit cage…

 

Chut ! c’est rien qu’ça… pleur’pas… j’te dis.

Fais dodo, va… sois sage… sage,

Mon pauv’ tout nu… mon malheureux,

Mon petiot… mon petit petiot.

 

(Cantilènes du Malheur)

 

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Fanfan : maman

 

   

Pour écouter le texte, dit par Berthe Bovy de la Comédie-Française, en 1932 :

 

http://youtu.be/CWGFP1-iXEM

 

 

  Jehan-Rictus par steinlen

 

 Jehan Rictus, par Steinlen

 

 

 

 

 

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24 mai 2011 2 24 /05 /mai /2011 07:00

  paon-symbole de prospérité peinture-chinoise

 

 

Ô vous oiseaux d’Héra à la queue ocellée

Par les cents yeux d’Argus Celui qui voyait tout

Dédaigneux nonchalants lents et mystérieux

Bleus tueurs de serpents dont le venin irrigue

Votre roue-univers votre ciel étoilé

 

Sur un papier de riz je vous dessinerai

En de doux amoureux dessous l’Arbre de Vie

Et je vous offrirai à l’amie que j’attends

En signe de beauté et de prospérité

Tel un souhait d’amour et d’immortalité

 

 

Pour la communauté de Hauteclaire,

Entre Ombre et Lumière,

Thème : la prospérité

 

 

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23 mai 2011 1 23 /05 /mai /2011 16:59

  instant félin

               Le chat dans le mur (Dimanche 22 mai 2011)

 

 

Les branches tremblent sous le vent

L’ombre des hirondelles fuse sur l’herbe verte

Un gros bourdon obscur assiège le laurier

Des vagues de lavande émerge un bleu secret

La tourterelle égrène les secondes à trois temps

Et le chat du voisin somnolent bienheureux

Gardien à sa fenêtre d’un noir mystérieux

Se tient au bord du temps tel un sphinx rustique

 

 

 

 

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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 08:24

  ND de la joie 1

           Notre-Dame de la Joie (Photo ex-libris.over-blog.com) 

 

Au lieu dit de Penmar’h

La tête de cheval

Autrefois Tréoultré

Toute habillée de mer

Et de ciel

J’ai vu Notre-Dame

De la Joie

Esseulée mais sereine

En pays bigouden

 

Soudain

Sous le soleil de mai

J’ai entendu des voix

De grandes fortes femmes

Allaient s’en ramassant

Le glissant goémon

Avec leur mains brunies

Et crevassées

 

  nd de la joie brûlage du goémon jules simon

       Le brûlage du goémon à Notre-Dame de la Joie, Jules Simon

                         (Musée des Beaux-Arts de Quimper)

 

J’ai su la procession

Et la danse des coiffes

Sur la soie des bannières

Colorées

Et l’éclat des épingles

Sur le sombre des robes

Brodées et emperlées

Aux chaleurs du quinze août

 

  nd de de la joie Alfred marzin n

               Pardon à Notre-Dame de la Joie, Alfred Marzin

 

Deçà la haute digue

Tout autour du calvaire

De pierre

Tournaient les naufragés

En ronde

D’avoir été ôtés

Du péril de la mer

Ils remerciaient Marie

 

  ND de la joie calvaire

                       Le calvaire de Notre-Dame de la Joie

                          (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Et lui criaient fervents

De leur cœur de pécheurs

Aux relents écailleux

Emmêlé de filets

Leur mâle gratitude

Et leur reconnaissance

Leur rude exaltation

De Joie

 

 

Mercredi 11 mai 2011,

A Notre-Dame de la Joie

 

 

 

 

 

 

 

 

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 16:56

  lIVRE ET VIN 6

  Etablissements Bouvet-Ladubay, Le hall d'été (Auteurs et vignerons)

 

Dimanche 1er mai 2011, 130 écrivains étaient rassemblés en Saumurois, à Saint-Hilaire-Saint-Florent, dans les locaux de Bouvet-Ladubay, pour la 16 ème édition des Journées Nationales du Livre et du Vin. Un rendez-vous des plus éclectiques, qui fait se côtoyer amoureux des livres et amateurs de vin.

On pouvait y rencontrer des romanciers, des poètes, des philosophes, des politiques, des critiques, des cinéastes, des comédiens. Il y avait les habitués comme Irène Frain, Macha Méril, Nadine Satiat, Régine Desforges, Jean-Pierre Mocky, Claude Brasseur ou Denis Tillinac. Bernard Weber  rivalisait dans les dédicaces avec les frères Bogdanov ou Christophe Lambert pour son premier roman. La philosophie était présente avec Raphaël Enthoven et Malek Chebel, la télévision et la radio avec Alain Duault, Philippe Lefait, Jean-Yves Clément et Claude Villers. Françoise Chandernagor y présentait Les enfants d’Alexandrie (Grand Prix Palatine du Roman historique 2011). Jean-Louis Debré (Il paraît que Fontevraud était le nom de résistant de son père) était venu présenter en avant-première son livre à venir, illustré par Philippe Lorin, sur les 23 présidents de la République française. Le grand écrivain américain, Jim Fergus, auteur du succès  Mille femmes blanches, s’était lui aussi déplacé sur les bords du Thouet pour promouvoir son dernier opus, Marie Blanche. Les écrivains du cru étaient représentés par le poète Yves Leclair, l’historien Jacques Sigot, Nicolas Jolivot, Gino Blandin.

Placés sous le signe de l’ivresse fantastique, les jurés de l’édition 2011 ont décerné les prix suivants : le prix Jean-Claude Brialy, Esprit Bacchus à Charles Dantzig (Pourquoi lire ?) ; le Prix du Conseil général de Maine-et-Loire à Françoise Cruz (Eaux lentes sur Venise) ; le Prix Jean Carmet des vignerons de Bourgueil à Jean-Pierre Gauffre (Petit dictionnaire absurde et impertinent de la vigne et du vin) ; le Prix Epicure à Philippe Alexandre et Béatrix de l’Aulnoît  (Des fourchettes dans les étoiles, Brève histoire de la gastronomie) ; le Prix Infiniti à Ollivier Pourriol (Eloge du mauvais geste) ; le Prix Calude-Chabrol à Christophe Lambert (La fille porte-bonheur), avec mention spéciale à Olivia Elkaïm pour Les oiseaux noirs de Massada ; le Prix Omar Khayyam à Zéno Bianu (Le désespoir n’existe pas).

On pouvait déambuler d’un endroit à l’autre, au sein de chez Bouvet-Ladubay. Les cafés littéraires et l’exposition Chabrol, Merci Monsieur Chabrol, avaient lieu dans le très bel espace avec verrière début du siècle, qui est devenu Centre d’art contemporain. Les interludes musicaux, dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Liszt, avec Louis Lancien au piano, ainsi que  certaines tables rondes, se tenaient dans le ravissant petit théâtre XIX° siècle, créé par les fondateurs de la maison de vins.

 

Livre et vin

Igor Bogdanov (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Dans la première salle de signatures déjà chauffée à blanc, je renoue bien vite avec mes vieux souvenirs de Temps X, quand mes fils s’enthousiasmaient pour les jumeaux en combinaison d’astronaute. Grischka et Igor Bogdanov s’y prêtent en effet avec bonne grâce aux photos et aux dédicaces. Puis, je rencontre Françoise Chandernagor, installée quasiment en face d’eux, et vue récemment à La Grande Librairie pour Les enfants d’Alexandrie. Dans ce récit, elle fait revivre un des trois enfants d’Antoine et Cléopâtre, Séléné, « petite reine oubliée par la « grande Histoire » », ainsi qu’elle le mentionne dans la dédicace qu’elle m’a écrite. L’occasion pour l’écrivain de me dire qu’elle considère François Busnel, comme le digne représentant de Bernard Pivot. De préciser aussi que certains écrivains, auteurs de « romans historiques », prennent des libertés coupables avec la vérité, quand ils ne « s’inspirent » pas très largement de textes déjà publiés…

 

LIVRE ET VIN 4

Françoise Chandernagor (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Le temps de dévaler un escalier parmi la verdure jusqu’au niveau inférieur et je retrouve Yves Leclair, mon ancien collègue de lycée, venu avec son dernier opus, Orient intime, que suivra bientôt sa traduction-adaptation de Jaufré Rudel, Chansons pour un amour lointain, aux éditions Fédérop. Une belle occasion pour redécouvrir les mots du troubadour de Blaye à travers la voix d’un poète contemporain. Après le roman de Françoise Chandernagor, je continue à remplir mon cabas avec un ouvrage du poète angevin que je ne possédais pas, un petit exemplaire numéroté de la Suite du voyageur sans titre. J’y ai retrouvé ce regard aigu et tendre sur l’instant précieux qui ne reviendra plus, cette qualité d’émerveillement sur les humbles qui n’appartient qu’à lui et dont témoigne ce poème, intitulé « Arabesque » :

 

tombant sur la fête foraine

j’entre dans la cour des miracles

elle aurait bien pu être reine

d’Egypte la fille qui racle

la crêpe parmi la friture

les chichis la barbe à papa

dans son collant tout blanc si pur

avec perles et falbalas

- tombée du paradis d’Allah

 

Je poursuis mon tour des tables et m’arrête auprès d’Alain Duault, qui est présent avec ses biographies de Schumann et de Chopin chez Actes Sud. C’est pourtant avec le troisième tome de sa trilogie que je repartirai, Ce qui reste après l’oubli, Une hache pour la mer gelée, III (Gallimard). A travers des textes disposés en carrés réguliers, par le biais d’un prose poétique et musicale, le poète musicologue se propose de répondre à Kafka, qui invite à briser cette « mer gelée qui est en nous ». Les « Entrées » de la table des matières sont de belles promesses qui m’incitent à lever le voile sur « la part de l’inquiétude », « cet obscur comme une étreinte », où je pourrai rêver « à la beauté violente ». Et je sais déjà que j’aimerai cette langue ardente et violente. Nous parlons un peu d’opéra ; je lui dis que je me constitue ma culture opératique en assistant aux retransmissions du Met, que j’ai aimé les scènes de chœur conçues par Eric Génovèse dans Anna Bolena de Donizetti, retransmis sur Arte. Il me fait remarquer que le défaut majeur des mises en scènes actuelles, c’est cette demi obscurité, qu’il regrette. Lui qui fut comme moi professeur de Lettres dans une autre vie m’écrit une dédicace pour ces poèmes « tissés à [ses] passions dont la musique n’est pas la moindre ».

 

lIVRE ET VIN 5

Raphaël Enthoven (Photo ex-libris.over-blog.com)

 

C’est avec Raphaël Enthoven que j’achèverai ma balade parmi les livres. A propos de son émission du dimanche sur Arte, Philosophie, dans laquelle il pratique la déambulation (« Les bonnes idées viennent en marchant » écrivait Nietzsche), je lui dis que je la trouve très pédagogique. Il me répond que c’est une gageure pour lui de rendre simple et accessible un domaine de pensée aussi complexe. J’évoque aussi le petit groupe de philosophie que nous avons créé à quatre amies, ce qui me vaudra une autre dédicace sur mon « bel enthousiasme philosophique qui réchauffe le cœur de ses intercesseurs ». Mon cabas est désormais plein puisqu’il vient encore d’accueillir L’endroit du décor et Le philosophe de service et autres textes. Il me faut être raisonnable !

 

livre et vin 2

  Table ronde : L'ivresse fantastique dans la littérature

(Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Sous la belle verrière du Centre d’Art contemporain, j’assisterai encore à une dernière table ronde sur L’ivresse fantastique dans la littérature avec Bernard Werber, Henri Loevenbrück, Catherine Dufour et Laurent Genefort, et animée par Philippe Lefait (Petit lexique intranquille de la télévision). Attention, parfois, quand on écrit des choses qui paraissent invraisemblables, elles surviennent, met en garde Bernard Werber.

Et je clôturerai cet après-midi parmi les livres avec la très riche exposition Chabrol, consacrée à la carrière de cet entomologiste aigu de notre société. Explorant toutes les facettes du grand metteur en scène, cette rétrospective très complète nous a présenté les nombreuse sources littéraires de ses films, sa prédilection pour les fous et les folles, les personnages hors-normes. Elle a particulièrement mis en valeur ses actrices fétiches, de Bernadette Laffont à Isabelle Huppert en passant par Stéphane Audran. Elle nous a dit encore son amour de la famille, totalement intégrée à la fabrication de ses films. Elle nous a rappelé enfin le caractère bon vivant, amateur de bonne chère et de bon vin, de celui qui avait acheté une maison sur les bords de la Loire.

 

Livre et vin 3

  Isabelle Huppert et Claude Chabrol (Photo de l'exposition)

 

En ce beau dimanche 1er mai, il fallait choisir entre boire ou lire. Et, malgré le verre de vin offert à l’entrée, j’avais définitivement choisi de lire !

 

                       

 

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19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 06:21

  L'oeil Yeux clos REdon

Les yeux clos, Odilon Redon

 

 

Où s’en vont nos regards

Dans les plis du sommeil

Sous les paupières closes

Les cils abandonnés

Par quelle étoile morte

Se voient-ils aveuglés

Dans le vide abyssal

Aux cheveux de dormeuses

Qui est ce peintre obscur

Dont le pinceau génial

Dessine les couleurs

D’un temps immémorial

Où rêvent des sirènes

Dans des flots de feuillages

Que sont ces éclairs d’or

Zébrant leur cécité

Rougeoyants d’incendie

Aux vieux volcans éteints

Où s’en vont nos  regards

Traversant les miroirs

Des trous noirs de la nuit

Ombres dévisagées

Aux yeux exorbités

Tournés vers l’intérieur

Prisonniers enfermés

Dans les liens de Morphée

 

Ils s’ouvrent nos regards

Pupilles dessillées

Aux tremblants arcs-en ciel

Sur des cieux jamais vus

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots, 

Thème proposé par Tricôtine : les yeux, le regard 

 

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16 mai 2011 1 16 /05 /mai /2011 20:25

 

Angelique-Villeneuve

 

Etrange livre que ce roman d’Angélique Villeneuve, au nom trompeur de Grand paradis, et qui nous emmène dans l’enfer de la femme hystérique. L’histoire est celle de Dominique Lenoir, dite Do, une femme d’une cinquantaine d’années, à la vie terne et solitaire, illuminée seulement par son amour irraisonné des herbes folles et son compagnonnage avec son chat, Fragile. Son père, Albert, s’est enfui alors qu’elle était petite, sa mère, Louise, n’a cessé de le pleurer et de lui écrire, sa soeur Marie l’ignore, la considérant comme « zinzin ».

Un jour cependant, celle-ci lui abandonne dans une vieille carriole quelques objets recueillis à la mort de leur mère, et notamment une enveloppe brune sur laquelle est inscrit en lettres violettes un prénom : Léontine. A Grand paradis, son lieu de nature et d’élection, « sur la pierre plate mangée de lichen », où elle a passé tant d’heures sauvages de son enfance, Do ouvrira l’enveloppe et découvrira trois photos d’une femme, Léontine L., qu’elle identifie comme son arrière-grand-mère.

Au dos du premier cliché, celui d’une petite fille de quatre à cinq ans, « translucide, légère, peureuse », qui tient un gros oeillet rose plaqué devant elle, il est écrit

Moi

Do y voit un signe : « Elle n’était peut-être pas moi, mais tout au moins m’était destinée. Je sentais un message. Non, pas vraiment un message, c’était idiot, une idée de mouvement plutôt, de transmission, oui, une impression de mouvement, c’était ça. »

La deuxième photo représente la même petite fille qui a maintenant une douzaine d’années. Elle est dans une pose moins naturelle et révèle plus d’assurance. Au verso du cliché, une main à l’écriture différente a noté une date, assortie d’un point d’interrogation.

1882 ?

La troisième photo, signée Albert Londe, le photographe de la Salpêtrière, la montre devenue adulte, coiffée d’un chignon serré, portant une robe noire sévère. Son oeil droit grand ouvert paraît éteint tandis que le gauche est « simplement fermé ». Au-dessous, on peut lire en lettres capitales :

BLEPHAROSPASME HYSTERIQUE

Léontine L.

Cette découverte va bouleverser la vie de Do, qui a depuis toujours craint la démence. En entreprenant des recherches dans les archives de la Salpêtrière, elle s’efforcera de pénétrer le mystère de ce mot scientifique, dont elle ignore tout. Avec elle, le lecteur pénètre dans ce monde de l’hystérie où officient Charcot, Damaye et Gilles de la Tourette, médecins attachés à percer les secrets de cette affection proprement féminine. Pierre Briquet, dans son Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie, n’écrit-il pas : « Toute femme est faite pour sentir, et sentir, c’est presque de l’hystérie » ?

On suit le long cheminement de Léontine, victime dans un premier temps d’une aphonie, à la Salpêtrière. On la voit être d’abord soignée par hypnotisme, souffrir d’une coxalgie hystérique puis, victime d’une attaque, garder son oeil gauche fermé. Entrée en complète empathie avec Léontine, Do souffre avec elle dans les locaux glacés de l’hôpital. Elle l’imagine nue, piquée sur tout le corps avec une épingle ; elle la voit alors qu’on lui palpe l’ovaire et qu’elle entre en crise convulsive ; elle subit en même temps qu’elle ses attaques hystériques hebdomadaires ; elle s’étonne enfin que Léontine la couturière soit contrainte, sans recevoir de salaire, de coudre camisoles et alèses : le travail fait partie de la thérapie. Entrée en septembre 1887 à la Salpêtrière, Léontine L. en sort en décembre 1888 et Do perd la trace de la Petite Moi.

Mais l’enquête de la narratrice ne s’arrête pas là. Persuadée que Charcot a dû faire une leçon sur Léontine L., elle va être amenée à s’interroger sur le sommeil hypnotique et le cas de celles qu’on appelait des « dormeuses ». Ce sera la porte ouverte à une découverte capitale, qui fera remonter Do aux origines de la fuite de son père et au mal-être de sa soeur Marie.

Entremêlant habilement le parcours de la supposée aïeule de la narratrice Do et le destin de celle-ci, Angélique Villeneuve propose avec ce roman une passionnante interrogation sur la nature féminine et sur la folie, tapie en tout un chacun. A travers Léontine l’hystérique, la grand-mère Marthe, « une créature songeuse », la mère Louise, éternellement triste, la soeur Marie, qui mourra dans un immonde capharnaüm, et la sauvage narratrice, l’auteur nous propose quelques beaux portraits de femmes, sensibles et douloureuses. Et elle nous dit aussi que, pour la femme, atteindre le grand paradis est souvent un chemin aride, sinon sans issue.

 

  Charcot 2

  Une leçon sur l'hystérie par Jean-Martin Charcot, André Brouillet

 

 

 

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16 mai 2011 1 16 /05 /mai /2011 20:06

 

obaldia 2

René de Obaldia, (Crédit Photo Lot)

 

Vendredi 06 mai 2011, sur la 5, la dernière émission de l’année de la série Empreintes était consacrée au dramaturge René de Obaldia. Agé de 92 ans, joué partout depuis plus de 50 ans, il semble tout étonné d’avoir atteint cet âge canonique. Ayant souvent utilisé ses textes déjantés et ludiques avec mes élèves, j’ai aimé ce film de Stéphane Haskell qui a brossé un portrait tout en finesse de cet éternel gamin rieur.

Il naît à Hong-Kong d’un père panaméen et d’une mère picarde. Puis la famille est abandonnée par ce père alors consul et elle se retrouve à Paris. René de Obaldia fait ses études au lycée Condorcet et sera mobilisé en 1940. Après la guerre, il commence à écrire des poèmes. Devenu parolier et figurant, il dit lui-même qu’il est entré dans le monde du théâtre un peu par accident.

Très vite, il éprouvera ce sentiment tragique de la vie. Devant une photo d’un film où il joua avec Louis Jouvet, ne fait-il pas remarquer que le grand acteur mourut six mois après ? Et devant la photo d’Hélène Carrère d’Encausse et de lui-même dans la bibliothèque de l’Institut, il s’amuse : « On dirait deux amoureux ! » Evoquant Dieu, il reconnaît qu’on ne prie pas assez. Et il ajoute : « Je prie d’être encore en vie, de marcher. Je prie Dieu, mais je ne sais pas lequel ! » Il rappelle qu’il avait écrit deux impromptus pour le Centre Interculturel de Royaumont, Le sacrifice du gourou et Le défunt. Il rit encore d’y avoir joué le rôle d’une veuve.

René de Obaldia a toujours refusé l’appellation d’avant-garde pour son théâtre : « On peut vite être d’arrière-garde, il suffit que je me retourne », ironise-t-il. Toujours est-il que c’est Jean Vilar qui montera sa première pièce, Genousie, dans laquelle il met à mal les règles dites classiques. Avec Ionesco, Beckett, Brecht, il deviendra un des tenants du théâtre dit de l’absurde. C’est véritablement en 1965 qu’il rencontrera la reconnaissance du public avec Du vent dans les branches de sassafras, et une renommée mondiale puisque son oeuvre est traduite en 28 langues.

Alors qu’il connaît une crise dépressive profonde, et que son courrier s’amoncelle, il se décide à ouvrir une lettre. Il y découvre un article d’un journaliste de Sud-Ouest sur le rire en liberté. « Pour ceux qui sont en dépression, » y lit-il, « une seule adresse, Obaldia ! »

Dans un dialogue avec lui-même, le film nous le montre en train de lire son célèbre vers, « Le geai gélatineux geignait dans le jasmin ». « Vraiment, je trouve cela admirable. Je ne suis pas mécontent quand je m’entends », affirme-t-il, avec un sourire malin.

Puis il raconte que c’est lorsqu’il était prisonnier de guerre en 1942-1943 que lui vint l’envie d’écrire. Ne disposant d’aucun matériau, il écrivit ses premiers textes sur un sac d’engrais. Après la guerre, il commence à publier sous le pseudonyme de Maurice Igor et écrit des paroles de chansons : « Ma chérie, mon amour, / Dans mes bras tu cueilleras tes plus beaux jours… » « J’ai été chanté ! » assure-t-il. Ses premiers poèmes furent rédigés dans des cafés, endroits qu’il affectionnait particulièrement.

Il rappelle comment son père, José de Obaldia, surgit soudain de nouveau dans sa vie. Après le succès des Richesses naturelles (1951), sa mère écrivit à son père, qui était devenu ministre de l’Intérieur du nouveau président Arrias après la révolution au Panama. Son père félicita ce fils qui avait reçu la Croix de Guerre (« sans le faire exprès », dit-il), comme s’il ne l’avait jamais quitté. Il mourut quelque temps après.

C’est seulement à l’âge de 54 ans que René de Obaldia ira au Panama. Il y retrouvera cette nombreuse famille lointaine, composée de commerçants, de politiques, de docteurs, qui le fête et l’accueille dans de vieilles maisons coloniales. Il en éprouvera une grande émotion et il avoue : « C’est comme si j’avais enfanté cette famille. »

René de Obaldia évoque ensuite la 8ème merveille du monde, le canal de Panama, qui représente l’union du Pacifique et de l’Atlantique. Le dramaturge est émerveillé devant la réalisation de ce rêve ancestral. Il rappelle Ferdinand de Lesseps, les 28 000 hommes, morts dans cette construction, longue de 35 années, et son grand-père, le général José Domingo de Obaldia, qui en supervisa les travaux. Il fait le constat que l’homme est un bien étrange animal, capable du meilleur comme du pire.

Ce voyage sur la terre de ses ancêtres est pour l’écrivain l’occasion de revenir sur l’histoire de sa famille, d’origine espagnole, qui osa le voyage périlleux vers le Vénézuela, puis le Panama. Ainsi sa famille compte un gouverneur, un président, un général au service de ce pays. Un de ses grands-oncles construisit aussi le Teatro Nacional. L’Espagne est très présente en lui, qui voue une grande admiration à Cervantès et à Calderon.

C’est ensuite au tour d’Olivier Norra de parler de son ami Obaldia. Il souligne sa capacité, toute faite d’une ironie subtile, à faire sauter l’hypocrisie de l’époque, sa volonté de lutter contre toutes les conventions. « Il se fout de vous », affirme-t-il. Il insiste sur son sentiment tragique de la vie, sa politesse du désespoir. Il conclut que son humour résulte d’une surabondance de gravité.

En 1951, Obaldia avait fait paraître Les Richesses naturelles. En 1979, il prend tout le monde à contrepied avec La passion d’Emile. Il y met en scène les souffrances de la paternité, un sujet peu traité selon lui. Il y parle de la vacuité du père au moment de la naissance, de son sentiment d’exclusion, de sa douleur métaphysique, tous sentiments propres à le rendre fou. Il embarrassera tout le monde, et l’Eglise au premier chef, en disant : « Il est plus naturel de tuer son voisin que de mettre au monde. » En effet, à partir du moment où l’on est persuadé de l’existence de l’Enfer, comment peut-on accepter de donner la vie à des êtres qui seront voués à la damnation éternelle ?

En 1963, Le satyre de la Villette, avec Sami Frey, fait scandale. Puis, sa pièce, Au pays d’Eudoxie, s’attire la réprobation générale et il est alors considéré comme un écrivain obscène. Mise en scène par René Barsacq, elle ne tiendra l’affiche que pendant douze représentations. Huit ans plus tard, retransmise à la télévision, elle sera encensée ! Et pourtant, elle y dénonce le pouvoir de ce média, créateur d’une « assemblée de muets », ce « chewing-gum pour l’oeil », favorisant le somnambulisme de ceux qui la regardent. En 1993, invité à Bouillon de culture pour son Exobiographie, Obaldia y mettra d’ailleurs en garde contre la vedettisation des présentateurs de la télévision. Comment est-il possible qu’on fasse des vedettes de ceux qui racontent des catastrophes à la télévision ? Il faut vraiment être dégénéré pour en arriver là !

Ensuite, ce sera l’immense succès de la pièce, Du vent dans les branches de sassafras, avec Michel Simon. Commentant sa carrière, l’acteur disait ainsi avec fierté : « Commencer avec Pirandello et finir avec Obaldia, ce n’est pas si mal. » Cependant, l’auteur admet que cette pièce, écrite en 1968, en marge de ses activités littéraires, avait constitué une gageure. « L’énorme présence de Michel Simon suppléait au rétrécissement du texte », commente-t-il. En effet, s’il arrivait au comédien de dire les répliques d’une autre pièce, sa présence fantastique faisait taire le public. Un soir, au moment des saluts, il oublia même le nom de Obaldia : « La pièce est de … Merde, j’ai oublié le nom de l’auteur », s’exclama-t-il. Un fait unique dans les annales du théâtre. L’acteur s’amusait encore, lorsqu’il disait à l’auteur : « Vous n’avez pas écrit cette pièce pour moi, vous l’avez écrite pour Noël Roquevert ! » Et longtemps, les gens crurent même qu’elle avait été écrite pour Michel Bouquet.

Michel Bouquet, encore un acteur génial, qui créa le personnage de savant indersidéral de Monsieur Klebs et Rosalie. Le comédien venait répéter le matin et même l’après-midi, afin de répéter les gestes de ce héros qui fabrique des machines extraordinaires. Michel Bouquet avoue avoir craint de manquer de modernité devant la démesure anormale du texte. Mais à travers ce délire verbal extravagant, il a découvert une vérité intérieure considérée dans le plus infime détail, que le dramaturge parvient à restituer dans toute sa théâtralité.

Obaldia reconnaît que la création est quelque chose d’éminemment mystérieux, allié à un grand pouvoir de solitude. Et son ami Pierre Norra, avec qui il entretient une camaraderie de galopin, admire son esprit universel, empreint d’humanité, un esprit qui permet la rencontre. C’est d’ailleurs peut-être en captivité que le dramaturge a découvert cette notion si essentielle à la survie. « Là-bas », explique-t-il, « seul comptait l’Etre et l’on voyait d’emblée celui qui possédait cette notion d’humanité », génératrice de réconfort.

Mais Obaldia parle peu de la guerre, de cette expérience de la captivité qu’il connut dans un stalag à Sagan. Dans cette briqueterie où il travaillait, ce fut une expérience humaine inoubliable, en même temps qu’elle fut à l’origine de son pessimisme foncier. Dans une telle situation, «on n’a plus qu’à se flinguer ou à essayer d’avoir de la distance avec un destin singulier ». Selon lui l’Homme ne s’améliore pas et le vieil adage, « Homo homini lupus », est plus que jamais d’actualité. Il dit aimer se promener dans les cimetières, imaginer les différents morts afin de conjurer le sort. Et de citer Cocteau : « La mort, j’y suis habitué. Avant ma naissance, j’étais mort depuis si longtemps ! » Il évoque encore Leonard Bernstein répondant à Jacques Chancel qui l’interrogeait sur l’après : « Non, je suis formel, il ne se passe rien : e finita la comedia ! Enfin, on verra bien… » Une attitude que René de Obaldia fait sans doute sienne.

Toujours est-il que son oeuvre séduit un public de tous âges. Cyrielle Claire, qui a joué La grasse matinée en 2009 (créée en 1977), dit avoir lu tout Obaldia. Elle en aime la poésie et cet humour qui transcende nos peurs, celui d’un écrivain qui fait des suggestions sur la vie après la vie. Elle apprécie encore l’humilité d’un auteur pour qui l’oeuvre est plus importante que le je, et que le nombrilisme insupporte.

Car ce qui intéresse au plus haut point le dramaturge, c’est ce dédoublement mystérieux que l’oeuvre représente. La mort, l’enfance, la religion ne s’y côtoient-elles pas dans la douce anarchie des souvenirs d’enfance ? Obaldia se plaît à évoquer sa grand-mère Honorine, du temps où elle lui faisait faire sa prière du soir. Mystique alors, il se frappait la poitrine en de grands mea culpa qui faisait rire son aïeule. Et quand il évoque les apôtres, il les décrit comme « de pauvres hommes qui vivaient avec Dieu en plein capharnaüm ».

Toujours plein de gaieté, Obaldia s’amuse de la lettre reçue d’une petite fille, lectrice de ses Innocentines, et admiratrice du « zizi perpétuel ». « Et moi, Zaza, je n’en ai pas ! » Il rit d’avoir reçu en 1993 un Molière d’honneur pour Monsieur Klebs et Rosalie en même temps que le Molière du meilleur auteur : « Je ne pouvais plus serrer la main de mes amis à la sortie ! » C’est là qu’il évoque avec Michèle Morgan, cousine de sa mère, leur première rencontre alors qu’il avait quatorze ans. Et elle, qui était âgée de dix ans, avoue avoir été, à cette époque, amoureuse de son frère aîné José, qui était beau comme un dieu.

Puis, Obaldia s’attarde sur son épée d’académicien et la détaille. Des pierres de lapis-lazuli rappelant le canal de Panama, deux plaques de rubis symbolisant le rideau de scène, une sphère formant la garde, le blason de sa famille, tous ces éléments constituent une épée identique à celle des Gardes républicains. « Miracle, je me sens reverdir », dit l’académicien devant son costume aux palmes vertes, incité qu’il se sent à de nouvelles anabases.

Enfin, on le voit de retour au Panam, quarante ans après sa première visite. Il sourit malicieusement à l’idée que la maison de ses ancêtre, devenue musée national, ait été récemment cambriolée, illustrant ainsi le côté tragique et le côté comique de la vie. En visite à l’université d’Oteima, à des universitaires qui lui décernent le titre de docteur honoris causa et qui lui demandent le secret de sa longévité, il répond qu’il lit chaque matin une page d’un certaine Obaldia. Et devant le Teatro Nacional, il déclare être persuadé que le théâtre continuera d’être spectacle vivant. Et il rappelle la réponse d’une petite fille à qui on demandait si elle préférait le théâtre ou le cinéma et qui avait dit : « Le théâtre ! Parce

que, au théâtre, j’ai toujours peur que la dame perde sa chaussure ! » Il souligne ainsi la primauté d’un art qui privilégie la magie de l’instant.

Il y a vingt-cinq ans, Obaldia craignait de déboucher hagard sur l’an 2000, ainsi qu’il le dit avec sa drôlerie coutumière. Il est clair qu’il n’en est rien puisque, en 2009, ce « Paganini du cocasse » lisait en scène ses propres textes avec une verdeur inégalée. Il déclare avec flamme vouloir continuer le combat. Hanté par don Quichotte, il continuera à « voler au secours des veuves, des orphelines et des baleines en perdition. Rossinante continuera à briser tous les écrans de télévision de ses sabots étoilés ». Et ce sera l’imaginaire qui triomphera de la triste réalité. Et même s’il conclut : « L’homme est comme Dieu l’a fait, et bien souvent pire ! », René de Obaldia demeure un éternel don Quichotte du théâtre.

 

 

 

 

 

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16 mai 2011 1 16 /05 /mai /2011 19:56

garcin-jerome

 

Pour un enfant, perdre un frère ou une soeur est une épreuve douloureuse ; mais qu’en est-il lorsque celui qui s’en va est son jumeau ? A l’âge de cinquante-trois ans, Jérôme Garcin, qui avait brièvement évoqué dans La chute de cheval, dédiée à la mort du père (le 7 juillet 1962), l’accident mortel de son autre lui-même (le 4 octobre 1956), Olivier, se résout à lever le voile sur ce déchirement dont il ne s’est jamais remis. A la faveur d’une conversation avec Fabrice, celui qui les avait tous deux connus petits, Jérôme comprend que, par-delà sa « culpabilité classique de rescapé », le temps est venu pour lui d’écrire à Olivier, « comme si c’était la chose la plus naturelle du monde ».

De là, ce livre d’un « rescapé clandestin du naufrage », qui ressuscite son frère jumeau en s’adressant à lui, tout en faisant son autoportrait. En même temps, en effet, avec retenue et pudeur, il livre des éléments intimes sur la famille dont il est issu, sur celle qu’il a créée avec la comédienne Anne-Marie Philipe, la fille de Gérard Philipe, et sur ses affinités électives.

De fait, comment affronter la vie à six ans sans son jumeau, comment « justifier d’être encore là », comment vivre avec cette incomplétude ? En quête de tout ce qui peut l’éclairer sur cette amputation de lui-même, Jérôme Garcin cherche des réponses aussi bien du côté des scientifiques que des écrivains. Il aborde ce faisant le thème du double en littérature, tout en s’aventurant parmi les livres de tous ceux qui sont susceptibles de lui expliquer pourquoi il « avance dans l’existence à pas comptés ».

De René Zazzo (Les jumeaux, le couple et la personne), le spécialiste émérite de la gémellité, à Michel Tournier et ses Météores, le « jumeau sans jumeau » analyse aussi la relation passionnée de Gérard Philipe et de Georges Perros entre 1946 et 1959, et rappelle sa propre rencontre déterminante avec Jacques Chessex. Il s’attarde sur les « vies inaccomplies » de Péguy ou Alain-Fournier, fauchés à la Grande Guerre. Il rend hommage aux livres qui « au frère sans double et au fils sans père ont donné d’innombrables modèles de substitution ». Il y évoque encore avec émotion ces nombreux écrivains-artistes, de Mallarmé et Hugo à Philippe Forest, qui n’ont jamais guéri de cette « maladie du deuil ».

Il interroge les souvenirs familiaux, à la recherche des familiers capables de lui parler de son jumeau disparu, rend hommage à ses grands-parents, à cette « famille bourgeoise respectable aux blessures invisibles », trop vite habituée des cimetières, à tous ceux qui essayèrent de rendre supportable l’insupportable. Il n’oublie surtout pas le courage de sa mère, sa « force obscure », qui lui permit « de survivre à ce qui est si révoltant, la mort d’un enfant et celle d’un mari ». A cette occasion, il rappelle le beau rituel des Yorubas qui, lorsqu’un jumeau meurt, font sculpter deux statuettes. A l’effigie du jumeau disparu, la mère ne continue-t-elle pas de dispenser ses soins ?

Après La chute de cheval, en hommage à son père mort à quarante-cinq ans, Jérôme Garcin évoque de nouveau cette passion de l’équitation, héritée de cette image paternelle disparue trop tôt. Il consacre quelques pages au souvenir de celui dont l’apparente impassibilité n’était que le masque d’une « épouvante sans cesse réprimée » devant la mort de ce fils qu’il s’en voulait de n’avoir pu empêcher. Monter à son tour à cheval lui fut sans doute le moyen de

retrouver son père et de revenir à l’enfance disparue. Et il considère que l’équitation est essentiellement une activité gémellaire. Selon lui, où trouver, « hormis dans l’amour physique, [un] autre couple aussi confiant et fusionnel que celui formé par le cheval et son cavalier » ? La rencontre avec Bartabas, l’artiste-cavalier, semble à cet égard symbolique puisqu’il écrit que ce dernier a pris en lui la place du « jumeau évanoui ».

Enfin, il rend un vibrant hommage à sa femme Anne-Marie Philipe, sa « jumelle positive », dont la devise, « Tout dire », lui a permis de ne plus être un « taiseux stendhalien ». Fonder une famille fut pour lui un des moyens d’ « éradiquer cette fatalité qui transforme les enfants disparus en regrets éternels ». Il remercie celle qui fut aussi confrontée précocement à la mort de son père de l’avoir enjoint de parler de son frère et de son père, lui épargnant ainsi la maladie du non-dit dont on peut mourir.

Jérôme affirme que, si Olivier avait vécu, il n’aurait sans doute jamais éprouvé le besoin d’écrire. Avec ce livre qui dit l’absurde d’un monde où les « jumeaux sont séparés », l’écrivain part en quête de cet « idiome exclusif », de ce « verbe mystérieux », qui était pour les jumeaux la clé de leur paradis perdu. Et dans ce « tout petit tombeau de papier » qu’il lui élève, le frère survivant est infiniment reconnaissant au frère mort de lui avoir révélé « l’incroyable pouvoir de la littérature, [lequel] à la fois prolonge la vie des disparus et empêche les vivants de disparaître ». Un très beau livre fraternel.

 

 

 

 

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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 13:14

Cinéma

 

 

 

J'ai la nostalgie des fourrures et je sais que, par les temps qui courent, cela n'est pas de mise. Brigitte Bardot et ses bébés-phoques, tous ceux qui sont plus attachés à défendre l'animal que l'homme, sont passés par là. Et  pourtant, chaque fois qu'il m'est donné d'avoir sous les yeux ou de caresser quelque pan de fourrure noire, c'est la silhouette de ma grand-mère paternelle, que j'aperçois se tenir au seuil des lointains dimanches de mon adolescence.

Nous habitions dans une ville portuaire du Nord de la France, là où le vent chasse le sable sur une digue rose pour en faire des congères blondes. Une ville où la mer est grise et où le beffroi s'arc-boute dans la tempête.

Le dimanche, nous allions souvent déjeuner chez mes grands-parents pour y manger immuablement un saumon à la chair douceâtre et des tartelettes dont la confiture de pommes débordait au-dessous des losanges de pâte. Assis avec mes cousins à la petite table, nous attendions avec impatience la fin du repas, tandis que nos parents et nos grands-parents évoquaient des histoires de grandes personnes, émaillées de phrases en anglais, afin que nous ne comprenions pas ce dont il retournait.

Nous avions hâte en effet que cette station assise sur les inconfortables chaises Louis XV prenne fin car l'après-midi était toujours riche de surprises. Après avoir pris le café sur le petit guéridon d'acajou, sous les yeux du groupe de musiciens en porcelaine de Saxe, figés dans un éternel XVIII° siècle à la Watteau, mes parents nous abandonnaient à nos grands-parents.

Il nous fallait alors aviser. Que ferions-nous ? Irions-nous en Belgique, dont la frontière n'était qu'à quelques six kilomètres, nous promener à Méli-Park, le parc d'attraction habité de tous les personnages de contes de fées ? Nous y mangions des gaufres dont je n'ai plus jamais retrouvé le délicat goût sucré. Aurions-nous le courage de monter en haut du phare voir les grands bateaux entrer de toute leur stature blanche dans le port ?

Il y avait encore une autre éventualité et celle-là avait ma préférence. « Si l'on allait au cinéma », disait ma grand-mère, en me regardant d'un air de  connivence. Mon grand-père prenait à chaque fois un air hésitant puis il acquiesçait de bonne grâce car il nous adorait et ne refusait jamais rien à son épouse.

Pendant qu'il se coiffait de son chapeau et enfilait son grand manteau bleu marine qui cachait sa vieille écharpe de lainage à carreaux gris et blanc, ma grand-mère se plaçait devant la glace qui surplombait la cheminée. Elle disposait avec difficulté son petit chapeau plat à fine voilette noire, ombrageant encore son profond regard si mélancolique, et mon grand-père l'aidait galamment à revêtir sa pelisse de fourrrure sombre, où elle disparaissait  toute. J'aimais à penser que c'était un pelage de loup ou de grand félin qu'elle portait là sur son dos, lui conférant ainsi une aura animale et sauvage. Puis elle mettait ses gants de fine peau grise à tout-petits boutons, si bien qu'on ne voyait plus que la tache claire de son visage. Elle s'emparait enfin avec empressement de son sac en cuir rigide à fermoir doré, qu'elle avait coutume de toujours tenir bien droit sur ses genoux. Quant à nous, nous ouvrions encore une fois le bocal de bonbons en verre biseauté, pour en dévorer avec gloutonnerie, en façon de viatique, un dernier caramel Sutti, au délicat papier bleu et blanc.

L'équipée commençait dans la vieille Citroën noire dans laquelle notre quatuor de cousins s'engouffrait bruyamment à l'arrière. Ma grand-mère, gênée par son imposante fourrure, s'asseyait avec difficulté à côté de son mari, qui faisait démarrer le moteur dans des pétarades insensées. Je n'oublierai jamais les fous-rires suscités par les violents coups de frein de mon grand-père, sursauts qui nous projetaient sur le dosseret de devant, telles des marionnettes. Quant à ma grand-mère, elle plongeait régulièrement en avant sous la boîte à gants en poussant de petits cris qui redoublaient nos rires mais laissaient de marbre notre chauffeur de grand-père, à l'impassibilité olympienne. Je m'étonne encore qu'elle ne se soit jamais blessée et c'est à l'épaisse fourrure de son manteau que j'attribue cette invulnérabilité.

Arrivés au cinéma Rex, c'était toujours le même cérémonial. L'attente impatiente et bavarde à la caisse, la délivrance tant attendue des billets bicolores, pliés et dentelés, par un homme-tronc à lunettes, derrière la vitre embuée et salie de son petit guichet, l'entrée à pas comptés dans la salle aux gros fauteuils ronds et profonds. Mes grands-parents se plaçaient chacun à une extrémité de la rangée sur laquelle nous avions jeté notre dévolu et, moi, je m'asseyais toujours à côté de mon aïeule. Avant que la séance ne commence et que ne s'ouvre avec une lenteur cérémonieuse le lourd rideau d'un rouge éteint qui dévoilerait l'immense écran tout blanc, je respirais avec ivresse l'odeur ténue de poussière et de transpiration qui faisait comme un halo invisible.

La lumière jaunâtre des petites appliques tarabiscotées sur les hauts murs recouverts d'une moquette vieillotte s'amuissait lentement ; le noir tombait sur nous comme un capuchon que l'on rabat ; mon coeur se mettait à battre la breloque. Le court-métrage, quel qu'en soit le thème, me faisait plonger dans une sorte d'état léthargique et magique, que le petit bonhomme de Jean Mineur Publicité, avec sa serpe et tous les zéros de son numéro de téléphone, rompait à peine. A l'entr'acte, dans un état quasi somnambulique, je regardais l'ouvreuse distribuer à chacun d'entre nous les esquimaux que mes cousins et mon frère réclamaient à nos grands-parents qui, bon princes, ne leur refusaient jamais. Je demeurais dans un silence religieux ; mes compagnons de spectacle riaient et plaisantaient en suçotant leur bâton glacé. " La voilà encore transformée en statue de sel", disait invariablement mon grand-père.

Quand de nouveau l'obscurité se faisait et que le long métrage commençait, il me semblait que j'étais soudain projetée hors de moi-même. Peplum ou western, comédie ou drame, tout m'était à profit et j'enfourchais la machine à rêves. C'est ainsi que, pelotonnée contre la fourrure douce de ma grand-mère, l'ai vu la boudeuse Scarlett mourir d'amour pour Ashley. J'ai pleuré contre elle lorsque la fine silhouette d'Anna Karénine disparaît dans la fumée mortifère de la locomotive. J'ai assourdi mes cris dans la toison souple quand Messala approche dangereusement son char aux roues piégées de celui de Ben-Hur. Je me suis cramponnée à son pelage lorsque les trapézistes du Fou du cirque, avec Danny Kay, s'envolent sous le chapiteau, tels de libres oiseaux... Merveilleux dimanches inoubliés qui m'ont donné pour jamais le goût des salles obscures.

Et voilà pourquoi, quand il m'arrive de caresser une trop rare fourrure noire, me revient au coeur, teintée de rêves, cette présence toute emmitouflée de ma grand-mère, dans l'obscurité cinématographique d'un dimanche d'antan.

 

 

Photo : Spectres du Cinéma 

 

 

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