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9 décembre 2013 1 09 /12 /décembre /2013 15:29

 retours de m 7

Vue du port de Dunkerque, Isabey

 

Jeudi 28 novembre 2013, j’étais de retour dans mon port d’attache natal, à Dunkerque. Le musée des Beaux-Arts de la ville y propose, d’octobre 2013 à janvier 2015, une belle exposition intitulée Retours de mer. Elle a été créée par Jean Attali, philosophe, et Claude Steen-Guélen, attachée de conservation, en collaboration avec l’équipe des musées de Dunkerque et un groupe de personnalités invitées dans le cadre de Dunkerque 2013,Capitale régionale de la culture.

J’en ai beaucoup aimé la conception originale, orchestrée entre le tragique des combats et des naufrages et la poésie des retours et des souvenirs du voyage. La scénographie, particulièrement épurée, met en valeur les objets et les tableaux et établit, d’une manière parfois surprenante mais toujours stimulante, un dialogue entre le passé et le présent.

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D’emblée, le visiteur ressent l’appel du large avec une grande toile de Hendrich Van Minderhout, Vue d’un port d’Orient. Les quais sont animés, les voiles gonflent dans le vent, les hauts-mâts sont en partance… Animation qui fut sans doute celle du port de Dunkerque quand Vauban y construisit un chenal et que Louis XIV lui accorda franchise. Dans « La salle des abordages », et tout en écoutant le vent grâce à une vidéo de Richard Skryzak, on se remémore les hauts faits de Surcouf avec L’Arbordage du Kent (Louis Garneray) et ceux de Jean Bart (1650-1702), le grand corsaire dunkerquois, avec une série d’estampes de Yves-Marie-Le Gouaz. Par ailleurs, on découvre Twin's portraits (1952) de Laurent-Marie Joubert, une toile inspirée par les portraits célèbres de Jean Bart et de Duguay-Trouin.

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L’horreur de la traite négrière est évoquée ici avec les feuillets d’une correspondance entre Bonaventure Tresca, un armateur, et le capitaine François Vanstable. Une statue figurant un jeune noir joue office de tronc pour le rachat des esclaves, objet typique d’une époque marquée par l’asservissement et l’horreur. Dans cette salle, on remarque aussi un bau d’assemblage, une poutre servant à relier les deux bords du Duguay-Trouin, navire qui passa aux mains des Anglais en 1805, et qui fut détruit dans la Manche en 1949.

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Dans « La salle orientaliste », j’ai retrouvé la magnifique tableau représentant le port de Dunkerque par Isabey, déjà admiré lors d'une précédente visite. Le blanc éclatant des murs se détachant sur le bleu du ciel étonne et surprend : on se croirait devant un port méditerranéen ! Il paraît que le peintre le peignit peu de temps après son retour d’Algérie et ceci explique sans doute cela. Cette salle est extrêmement dépouillée : dans un angle, un marbre de Joseph Félon, sur un socle bleu, propose la nudité blanche d’une Andromède. Elle accompagne Le Triomphe d'Amphitrite, une petite esquisse colorée de J. H. Taraval, Paysage égyptien, de Charles de Tournemine, La Charmeuse de serpents de Daniel Hernandez Marilo, des photographies en noir et blanc de Georges Maroniez, toutes oeuvres évoquant la fascination de l’Afrique du Nord au XIXème siècle et au temps des colonies.

Inattendu à cet endroit, on peut regarder un extrait du film d’Alain Resnais Je t’aime, je t’aime (1968). On y voit Claude Rich émerger d’une Méditerranée solaire avec une pêche fabuleuse. Ces images voisinent avec une page de Salammbô (1862) de Flaubert, grand roman de l’Orient mythique.

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On se dirige ensuite vers  une salle qui présente de nombreuses  photos de Laura Henno sur le thème des migrants en quête d’un Eldorado fallacieux : c’est La Cinquième île. Ces clichés réalistes et colorés ont été pris aux Comores et à Calais, témoignant avec lucidité et sensibilité de ces parcours si souvent illusoires pour ceux qui y sont contraints. L'artiste parle ainsi de son oeuvre : "L'une de mes images évoque Le Radeau de la Méduse : ces hommes qui se cachent à l'abri des rochers tels des naufragés échoués sur les pierres."

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Puis c’est « La salle des tempêtes », organisée autour d’une immense toile de Valérie Favre, disposée à plat sur le sol et intitulée Les Restes de la Méduse. La toile a été peinte sans châssis dans un format semblable à celui du Radeau de la Méduse de Géricault (1819), l’œuvre mythique qui l’a inspirée. Cette réalisation est commentée par une vidéo cadrée sur le visage de l’artiste : un long monologue centré sur le thème du naufrage, de tous les naufrages, maritimes et intérieurs !

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Cette vidéo est disposée parmi toute une série de toiles formant « le mur des tempêtes ». Lors de ma visite, les enfants d’une classe de primaire assis par terre écoutaient, plus ou moins sagement, les explications de la guide. Du XVII° au XIX°, il était question d’écume, de naufrageur, de navires en partance.

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Toujours dans cette salle, une grande toile de A. Guillou, Après la tempête, représente une femme retrouvant sans doute le cadavre de son fils dans l’épave d’un bateau : un tableau marqué par l’emphase et le pathos du corps blanc dont la lividité éclaire l’ensemble d’une façon morbide. Une petite série de photographies de Albert Clermont, Signatures, illustre encore le thème des fortunes de mer. Le photographe garde ainsi le souvenir de ces menus objets rejetés par la mer que les ramasseurs d’épaves s’accaparent en les marquant d’un galet avant de les emporter avec eux. Mémoire de gestes infimes racontant une histoire secrète de la mer.

marins.JPG

Vient ensuite « La salle des marins, pêcheurs et fortunes de mer ». Elle présente des œuvres résolument modernes qui voisinent harmonieusement. Le regard est d’abord happé par un long dessin au fusain et au stylo à bille, de Christelle Mally, intitulé Crâne de cachalot (2013). Sa précision naturaliste tout en finesse trouve un écho avec deux autres de ses œuvres, Masque d’oiseau et Oculus (2012), des crânes d’animaux blanchis et rehaussés de rouge. Cette couleur est reprise dans une toile de Raymond Picque, Les Marins (1981).    

Le mur de gauche des deux salles suivantes est orné dans sa longueur de lances, de pagaies, de massues provenant des îles Tonga et Fidji. De part et d’autre de cette ligne d’horizon lointain, l’artiste Jean-Luc Poivret a disposé de beaux objets exotiques dont nous sommes peu coutumiers : des coquillages servant de monnaie d’échange, des boîtes à plumes pour serrer les ornements de la tête, une gourde à chaux pour la consommation du bétel… Tous ces objets usuels ou rituels nous transportent dans un ailleurs rêvé, celui que découvrirent Cook et Bougainville, celui du « bon sauvage » mythifié par Rousseau. Tout en s’interrogeant sur la fonction de ces objets porteurs de rêve, on entend une musique de harpe et de violon, véritable invitation au voyage sur un poème de Charles Olson : Baudelaire n’est pas loin…

La vague

« La salle Gustave Courbet » magnifie ce qui est sans nul doute le point d’orgue de l’exposition, La Vague (1869), dite encore La mer orageuse. « Courbet a tout simplement peint une vague, une vraie vague déferlant sur le rivage » dira Zola. La simplicité du motif, l’absence de présence humaine, la structuration en trois bandes horizontales, confèrent une grande puissance à cette œuvre traitée dans une large gamme de vert sombre, de gris et de blanc. On ne peut qu’être d’accord avec l’appréciation de Cézanne devant ce tableau qui vous saisit : oui, « Sa marée vient du fond des âges » et la vague nous ramène sur le sable, illustrant ainsi au plus juste le titre de l’exposition : Retours de mer. Une œuvre qui se suffit à elle-même et dont le seul contrepoint se trouve être un bronze de Jean-Baptiste Carpeaux tout en légèreté : La jeune fille à la coquille.

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Dans les dernières salles consacrées à l’Océanie, on sera ému par les photos d’une tête mãori, tatouée et momifiée, longtemps possédée par le musée de Dunkerque. Elle fut restituée à ses héritiers en 2012 et elle est l’occasion d’une réflexion sur la manière dont les Occidentaux se sont emparés des objets sacrés des pays qu’ils découvrirent. Un retour aux origines qui s’imposait, témoignage d'un mea culpa nécessaire !

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Cette exposition se clôture avec le Tracé cosmogonique de l'Univers, Paumotu, créé par les habitants des îles Tuamamotu. Un magnifique dessin, sorte de carte terrestre et céleste montrant les différents étagements qui composent ce monde légendaire et les entités qui l’animent. Avec des chants mãori et une musique de piano, ce parcours inspiré s’achève avec des œuvres contemporaines évoquant l’espace sous-marin (Pneuma de Jean-Luc Poivret) et aérien (Pluie plus de Patrick Tosani). Et au terme de ce voyage maritime, j’ai pensé au vers de Baudelaire :  « Mon âme est un trois-mâts cherchant son Icarie… » Il m’a semblé alors que cette exposition en était une belle illustration.

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      Jour n°22, Se souvenir, Dos et regard, Vidéo de Enrique Ramirez

 

 

 


 

 

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8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 16:30

 decembre.JPG

Coucher de soleil en décembre, vu de mes fenêtres

(Photo ex-libris.over-blog.com, décembre 2012)

 

Décembre

Mendiant de soleil

Au spleen vivace

Rêve goulûment 

De cactus orange

 

 

 

Pour Nanterre Poêvie :

improvisation du mercredi 05 décembre

 

link

 

 

 


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5 décembre 2013 4 05 /12 /décembre /2013 18:32

burj-dubai-tower

La Burj-Dubaï tower

 

 

Tour de Babel

Tutoie le ciel

Tour de Babel 

Péché mortel

 

Textoésie en écho à celui de Suzâme,

reçu le 22 novembre à 14h 41

Lien : link

 

Henrik-III-van-Cleve-van_construction-tower-babel.jpgLa construction de la tour de Babel,

Henrik III Van Cleve

 

 

 

 

 

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3 décembre 2013 2 03 /12 /décembre /2013 21:26

mélanie kad isabelle

 Paul Tellier (Kad Merad), Isabelle Tellier (Isabelle Renauld), Lise Tellier (Mélanie Laurent)


Jeudi 28 novembre 2013, sur France 3, j’ai regardé le film Je vais bien, ne t’en fais pas, réalisé par Philippe Lioret (2006). Ce long métrage est adapté du roman éponyme d’Olivier Adam qui a co-scénarisé le film.

C’est l’histoire d’Elise Tellier, dite Lili, (Mélanie Laurent) qui, au retour de vacances à Barcelone, apprend par ses parents la disparition de son frère jumeau, Loïc. Son père, Paul Tellier (Kad Merad), et sa mère Isabelle (Isabelle Renauld) sont avares d’explications, lui indiquant seulement que son frère a quitté la maison avec sa guitare à la suite d’une altercation avec son père qui lui reprochait de ne pas ranger sa chambre. Ce motif semble bien futile à sa sœur qui n’est guère convaincue et ne comprend pas que ses parents ne soient pas plus actifs dans la recherche du disparu. On lui allègue qu’il a dix-huit ans et qu’il a sans doute voulu fuir une atmosphère familiale pesante et étriquée.

Le temps passe, l’hiver vient. Elise sombre doucement dans la mélancolie, la neurasthénie et finit par arrêter ses études. Elle devient caissière dans le Shoppi où travaille son amie Léa (Aïssa Maïga) qui étudie à Sciences Po. Sa dépression empire, elle est en proie à une grave anorexie et finit par être hospitalisée, dans un centre psychiatrique où elle est isolée de sa famille. Léa et son compagnon Thomas (Julien Boisselier) tentent une sorte d’enlèvement pour la sortir de là mais leur entreprise échoue. Une première carte postale du frère disparu ramène l’espoir chez Elise et ravive son goût de vivre.

La jeune fille reprend alors pied dans la vie quotidienne, tout en demeurant dans le souvenir obsédant de son frère qui lui envoie régulièrement des cartes postales des villes où il s’arrête. Il y décrit sa satisfaction d’avoir quitté la maison familiale, en ne manquant jamais de critiquer la petitesse d’esprit de son père et son manque d’ambition. Elise demeure pourtant entre parenthèses, menant une vie routinière et s’interdisant de répondre à l’amour de Thomas qui s’est épris d’elle, tandis que Léa part à l’étranger.

On ne dévoilera pas la fin (surprenante et assez invraisemblable, seul bémol selon moi) de ce film sensible qui dit de manière très juste les relations conflictuelles entre parents et enfants et le difficile passage à l’âge adulte. Kad Merad, tout en retenue et en intériorité, interprète avec beaucoup de délicatesse le rôle du père ; Isabelle Renauld, quant à elle, montre de manière nuancée combien son personnage est déchiré entre son amour pour son mari et son attachement à ses enfants.

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Au fil d’une année – le film est ponctué par les dates qui marquent l’évolution de la douleur d’Elise – dans un décor banalement coquet de petites maisons de banlieue, on suit le parcours attachant de cette jeune fille sensible qui ne se résout pas à la perte de son frère. L’actrice Mélanie Laurent reconnaît la force de cette histoire simple : « Jamais un scénario ne m’avait bouleversée à ce point » explique-t-elle. Elle, qui est encore très jeune, a accepté tout de suite ce rôle qui lui donnait la possibilité de jouer « pour la dernière fois un rôle de jeune fille ». Philippe Lioret, quant à lui, a été fasciné par « la petite flamme qui brille en elle ».

Dans le livre d’Olivier Adam, Philippe Lioret explique par ailleurs avoir trouvé « matière à quelque chose d’humain, et aussi la possibilité de mettre en scène des personnages qui pourraient être nos parents, nos frères, nos sœurs… ». Il a été sensible à la description des « sentiments extraordinaires des gens simples » et surtout à la « difficulté à se dire qu’on s’aime par pudeur, timidité, manque de générosité ».

Rythmé par la chanson phare de U-Turn (« Lili » dans le film), qui joue le rôle de testament fraternel pour Elise, ce long métrage tout en sobriété et au suspense bien ménagé, est le beau portrait d’une fille sensible et d’un père aimant. Et, par les temps qui courent, c’est assez rare pour être signalé.

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Sources : Allo-Ciné    

 

 

 

 

 

 

 


 

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2 décembre 2013 1 02 /12 /décembre /2013 18:20

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 Marwal Marwan (Lubna Azabal) dans Incendies de Denis Villeneuve


Mercredi 20 novembre 2013, ARTE diffusait un film du canadien Denis Villeneuve, intitulé Incendies (2011). C’est seul qu’il a adapté la pièce éponyme de Wadji Mouawad. Et le dramaturge l’avait prévenu : « Tu vas devoir refaire le même chemin que moi et tu vas souffrir. »  Le travail de scénariste a consisté pour lui à « recentrer l’action sur les femmes en accentuant l’effet-miroir entre la mère et la fille. » Il a dû par ailleurs « épurer les dialogues et gommer la poésie magnifique de Wadji, optant ainsi pour davantage de naturalisme », ainsi qu’il le précise lui-même.

Ce long métrage m’a particulièrement impressionnée par la réflexion sur les horreurs de la guerre à laquelle il invite. D’emblée, le prologue est intrigant avec une scène qui présente des enfants dont on rase la tête et qui seront, on s’en doute, des enfants-soldats. Denis Villeneuve l’explique ainsi : « Je voulais débuter Incendies dans l’envoûtement, l’hypnotisme. La première scène devait plonger le public dans un ailleurs immédiat, le dérouter. L’énigme posée ici crée une tension qui propulse les scène suivantes. »

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Les jumeaux, Jeanne (Mélissa Désormeaux-Poulin) et Simon (Maxim Gaudette)

L’action du film débute véritablement dans l’intimité feutrée du bureau du notaire Jean Lebel (Rémy Girard). Deux jeunes gens, les jumeaux Simon (Maxim Gaudette) et Jeanne (Mélissa Désormeaux-Poulin), assistent à l’ouverture du testament de leur mère Marwal Marwan (Lubna Azabal), une Libanaise exilée au Canada depuis plusieurs années. A leur grand étonnement, ils se voient remettre par le notaire (chez qui travaillait leur mère et avec qui elle s’était liée d’amitié), deux lettres : l’une « pour le père » qu’ils n’ont jamais connu, l’autre « pour le fils », un frère dont ils ignoraient l’existence.

Alors que Simon veut rompre définitivement avec le passé,  sa sœur Jeanne décide de partir au Liban (le pays n’est pas nommé mais on le devine) pour entamer des recherches et respecter ainsi les dernières volontés de sa mère. Ce qu’elle y découvrira sur ses origines la contraindra à repenser complètement la personnalité de sa mère et sa vie douloureuse.

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Jeanne et sa mère Marwal à la piscine au moment de la révélation 

Le film est construit sur le procédé du flash back, les chapitres renvoyant aux noms des personnages et aux lieux tragiques où s’est joué leur destin. Le spectateur suit ainsi en parallèle la vie de Marwal Marwan et la quête de sa fille Jeanne. Si, au début, l’on se perd un peu dans les méandres de cette histoire complexe, on est bientôt saisi par l’enchaînement tragique des événements qui conduisent à la « catastrophe », au sens où l’entend le théâtre classique.

Dans cette terre aride, écrasée de soleil, l’affrontement entre milices chrétiennes et mouvements palestiniens entraînera l’héroïne sur un terrible chemin de croix. Celle qui avait oser aimer un musulman, que tueront ses frères, se verra mise au ban de sa famille après la naissance d’un garçon, marqué au talon par la grand-mère d’un signe distinctif. Alors que l’enfant, devenu « Nihad de mai », est confié à un orphelinat à Daresh, elle en perd la trace et devient journaliste.

Incendies 3

Marwal dans la prison de Kfar Ryat

Après plusieurs années, la guerre faisant rage de nouveau, Marwal Marwan, part en quête de son fils dans la zone des conflits. Mais l’orphelinat a été incendié par les factions musulmanes et elle ne le retrouve pas. Sauvée in extremis par la croix qu’elle porte au cou, elle assiste impuissante aux exactions et aux représailles atroces perpétrées par les milices chrétiennes. Menée par un esprit de vengeance, elle bascule dans le camp adverse, devient le bras armé d’un groupe musulman radical et tue un chef phalangiste. Emprisonnée durant quinze ans dans les geôles d’Etat de Kfar Ryat, elle devient « la femme qui chante », moyen désespéré qu’elle a trouvé pour résister à ses bourreaux et aux viols répétés d’Abou Tarek (Abdelghanour Elaaziz), un ancien tireur d’élite, lui aussi embrigadé jadis. Dans cette prison aura lieu l’impensable que Marwan Marwal ne découvrira que bien des années plus tard au Canada, où elle a été exfiltrée avec ses enfants. Elle en mourra.

Le réalisateur Denis Villeneuve a l’art de maintenir l’équilibre entre les deux parcours parallèles de la mère et de la fille qui marche sur ses traces. Sans manichéisme, il donne aussi à voir la complexité des cheminements de chacun, pris dans la tourmente et le chaos de la guerre. Nous sommes sans doute au Liban, mais ce pourrait être aussi bien la Syrie ou le Pakistan. Il parvient ainsi à faire de cette terre de combats un pays mythologique : « A qui appartient cette armée ? » s’interroge la chanson de Radiohead, « You and whose army ».  A travers la quête identitaire aveugle des jumeaux, il ressuscite aussi le mythe d’Œdipe, donnant à son propos une profondeur universelle.

Incendies 6

Avec le destin fracassé de Marwan Marwal, c’est celui de tout un peuple que Denis Villeneuve met en scène dans sa violence brutale, folle, et venue du fond des âges : des frères assassinent l’amant de leur sœur, des groupuscules masqués vengeurs mettent sans état d’âme le feu à un bus rempli de femmes et d’enfants, un sniper fou et endoctriné s’amuse à viser de très jeunes enfants. Mais, dans le même temps, avec la quête opiniâtre de Jeanne et de Simon, le réalisateur canadien montre que, par-delà le mal, il est sans doute possible d’accéder à une forme de pardon..

En dépit de la découverte progressive de l’horreur absolue, les jumeaux de Marwan (Simon rejoint sa sœur au Liban pour les ultimes révélations) exécutent jusqu’au bout les dernières volontés de leur mère. Ce qui avait commencé dans l’amour – par delà-le sang, le viol et l’inceste – s’achève dans la résilience et une forme de sérénité. « A quel prix ? » diront certains. Pourtant, au terme de ce film sans concession aucune, Marwal Marwan a enfin droit à une épitaphe sur sa tombe : « La vérité est faite, le fil de la haine est coupé. »

 

Sources : Allo-Ciné

Photos de Denis Villeneuve dans Allo-Ciné

 

 


 

 

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21 novembre 2013 4 21 /11 /novembre /2013 22:00

 

Les7-age-de.jpg

Les sept âges de la vie, Hans Baldung

 

 

 

Grandir consiste, en fin de compte, à comprendre que sa propre expérience incroyable et unique

est ce que tout le monde partage

(Le Carnet d'or, Doris Lessing).

 

 

 

 

Blog en pause

 

 

 


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20 novembre 2013 3 20 /11 /novembre /2013 18:40

 

 mrs-dalloway.jpg

Laura (Julianne Moore) lisant Mrs Dalloway,

dans le film de Stephen Daldry, The Hours (2003)

 

 

J’avais lu il y a longtemps Mrs Dalloway (1925) de Virginia Woolf. Je me souvenais d’une femme du monde qui sortait le matin afin d’acheter des fleurs dans Londres pour une réception prévue le soir. Il me semble que je n’avais même pas terminé ma lecture et que j’avais abandonné en chemin la pauvre Clarissa. C’est pour mon groupe de lecture que j’ai eu envie de (re)lire et de présenter ce roman, tout en me demandant comment j’avais pu passer à côté de cette œuvre majeure de la littérature anglaise.

En effet, quand on fait l’effort de se plonger dans la phrase de Virginia Woolf, quand on en découvre le rythme intérieur (un peu comme pour Proust, qu’elle précède pourtant), le charme agit et l’on est surpris par tout ce qu’apporte – stylistiquement et émotionnellement – cette écriture résolument novatrice. Rejetant la tradition réaliste victorienne, réduisant à un degré zéro de l’histoire action et événements, transformant la conscience focale  des personnages en matériau narratif, l’écrivain anglais propose « une littérature de l’espace intérieur », qui privilégie « la texture à la structure ». Mais ce qui m’a surtout passionnée dans cette œuvre, c’est la manière dont Woolf  se sert de cette écriture pour s’attaquer aux préjugés de l’époque de l’après-guerre et remettre en cause une vision stéréotypée de la femme. Catherine Bernard, dans son ouvrage Catherine Bernard commente Mrs Dalloway de Virginia Woolf, fait des remarques très pénétrantes à ce sujet et dont je voudrais me faire l’écho.

Pour appréhender le roman et sans tomber dans les travers d’une lecture biographique, on ne niera pas l’empreinte d’une éducation marquée par de nombreux deuils familiaux, à l’origine des troubles psychiques de Woolf. On ne mésestimera pas non plus l’influence, tout autant intellectuelle que tyrannique, de son père Leslie Stephen. Mais si les filles de la famille, Vanessa et Virginia, ont accès à la bibliothèque paternelle, ce sont les fils qui vont à Cambridge ! On sait aussi que c’est sa participation au célèbre groupe de Bloomsbury, creuset des idées avant-gardistes du temps, qui permit sans doute à Woolf d’entrer en écriture.

Par ailleurs, Mrs Dalloway ne saurait se comprendre si l’on omet de dire qu’en parallèle l’auteur fait œuvre d’essayiste. Dans Le commun des lecteurs, elle révèle son aspiration à une écriture totale ; avec Mr Bennett et Mrs Brown (1924) elle oppose les édouardiens (Bennett, Galsworthy) et les géorgiens novateurs (Forster, Lawrence, Eliot, Joyce) et propose une approche moderniste de la notion de personnage ; avec Le pont étroit de l’art (1927), elle aspire à l’invention d’ « une forme hybride, instable, en mouvement, à l’image de la réalité moderne, violente et rétive à toute systématisation » ; enfin, avec Une chambre à soi (1928), un essai majeur, elle rêve à l’écrivain idéal, qui serait androgyne, à l’image de l’esprit de Shakespeare, tout à la fois masculin et féminin.

On sait que la maturation de Mrs Dalloway fut longue, jalonnée par plusieurs textes, et dura dix ans. Dans La traversée des apparences (1915), Clarissa y est personnage secondaire. Pourtant, la carte de visite du couple qu’elle forme avec son époux Richard, « Mr and Mrs Dalloway, 23 Browne Street, Mayfair » est déjà révélatrice de ce qu’elle sera dans le roman : « Non plus même Clarissa, c’est là Mrs Richard Dalloway ». Dans la nouvelle intitulée Mrs Dalloway dans Bond Street (1923), le personnage prend de l’ampleur. Si l’héroïne ne va pas encore acheter des fleurs mais des gants, on trouve déjà la tension entre le temps subjectif de la conscience et le temps officiel ponctué par Big Ben, élément qui sera essentiel dans le roman.

C’est donc en écrivant ce texte que Woolf conçoit l’idée d’une œuvre construite autour de ce personnage féminin. En octobre 1922, son Journal révèle qu’elle a déjà imaginé d’en faire « une étude de la folie et du suicide ». Le personnage de Septimus Warren Smith, présent dans une autre nouvelle, Le Premier Ministre, est le personnage qu’elle choisira pour porter la dimension sacrificielle du roman. Alors que c’est Clarissa qui devait à l’origine se suicider ou mourir à la fin de sa réception, c’est finalement à Septimus que la mort sera dévolue. Infléchissement capital dans cette structure symétrique qui ne s’est pas imposée d’emblée à l’écrivain.

Un dernier élément essentiel dans la genèse du roman est la découverte du « procédé de sape » qui donne l’occasion à Woolf de pratiquer les « retours amont ». Dans son Journal, le 15 octobre 1923, elle écrit : « Il m’a fallu une année de tâtonnements pour découvrir ce que j’appelle mon procédé de sape, qui me permet de raconter le passé par fragments, quand j’en ai besoin. » Innovation stylistique majeure et pourtant on connaît l’angoisse qui la saisissait toujours à la fin de l’écriture d’une œuvre. En janvier 1925, Leonard Woolf, son mari, la rassurera en lui disant que Mrs Dalloway est ce qu’elle « a fait de mieux ».

Un des aspects passionnants du roman est ainsi la manière dont Woolf parvient, grâce à l’association étroite entre présent et passé, à restituer le temps vécu par les personnages. C’est le philosophe Paul Ricœur qui a remarquablement analysé le thème du temps dans l’œuvre (Temps et Récit, 1983).  Il y interroge le lien entre ce qu’il appelle le « temps monumental » - celui que sonne Big Ben et celui que rappellent les statues des grands hommes - et le temps subjectif des personnages. Il met en lumière la manière dont le courant de conscience circule entre les nombreuses intériorités, formant un temps « en réseau ». Par le biais de cette étude sur le temps woolfien, il révèle comment l’ « obscur souffle de vénération » qui passe sur Bond Street est en fait un souffle de mort, symbolisant la décadence de l’Empire.

Plusieurs personnages, Hugh Whitbread, Sir William Bradshaw, Lady Bruton, Miss Kilman, participent aussi de cette entreprise de démolition. Ces piliers de l’ordre britannique apparaissent comme les tenants d’un ordre conservateur, « de marbre », comme celui des effigies noires de Whitehall. Chacun à sa manière se fait le chantre d’une Angleterre imbue de ses traditions, en proie à l’esprit de système, que ce soit celui du nationalisme, de la médecine officielle ou encore de la religion établie. Tous, ils sont partie prenante dans l’entreprise sceptique de Woolf.

C’est Clarissa Dalloway et Septimus Warren Smith qui seront surtout les porte-parole du discours subversif de l’auteur. A travers eux, elle s’insurge contre le statut des femmes soumises au mythe de l’éternel féminin et contre celui des victimes de la guerre réduites à la folie.

« To kill the angel in the house » est la métaphore de l’émancipation féminine choisie par Woolf dans une de ses conférences en 1931. C’est bien ce qu’elle fait déjà dans le roman en donnant à Clarissa des qualités proprement féminines marquées au sceau de l’ambiguïté. Le lexique floral, souvent convoqué, est révélateur à cet égard : Peter Walsh compare les femmes à « ces fleurs que la tante Helena de Clarissa pressait entre deux feuilles de buvard gris avec un Littré dessus »…

Si Clarissa est associée à la lumière par son prénom, elle l’est aussi, souvent, à la lune « blafarde ». Si Clarissa est celle qui entre en relation avec les autres, elle est pourtant encore comparée à une religieuse « qui fait retraite ». Et quand Peter Walsh, l’amoureux d’autrefois, la retrouve, « elle est là à raccommoder sa robe […] Elle est restée assise là pendant tout le temps que j’étais en Inde ; à raccommoder sa robe. » Image conventionnelle d’une Pénélope éternelle.

L’ambivalence du personnage de Clarissa est aussi perceptible dans l’image de la « parfaite hôtesse » qui se tient en haut de l’escalier les soirs de réception. N’est-elle pas celle qui préside à l’harmonie des relations sociales, qui fait perdurer des rites mondains immuables ? Dans le même temps, ce rôle la contraint à se tenir en retrait et la condamne à une forme de solitude et d’ignorance : « Elle ignorait tout des problèmes sociaux. »

C’est l’évocation de Sally Seton, l’amie d’autrefois, qui ouvre une brèche  dans le personnage de la bourgeoise snob qu’est Clarissa. « La sauvage, l’audacieuse, la romantique Sally » est celle qui avait converti son amie aux idées du socialiste William Morris, défendu l’abolition de la propriété et la cause des femmes. Autrefois, à Bourton, on l’avait surprise nue dans le couloir ! Le baiser passionné que Sally donnera à Clarissa est soudain « gonflé de quelque signification extraordinaire » et se trouve métaphorisé dans l’image de l’allumette que Clarissa voit brûler dans un crocus. N’oublions pas que l’on est à une époque où le désir n’a pas voix au chapitre. C’est le vers de la Cymbeline de Shakespeare – « Ne crains plus la chaleur du soleil » - que se répètent et Clarissa et Septimus - qui dit cette aspiration à une sexualité libérée des interdits.

Septimus, l’ancien combattant de la Grande Guerre, est en effet l’autre voix dissidente que le lecteur est amené à décrypter. Victime du shell shock à la faveur de la mort de son ami très aimé Evans, il a refoulé au plus profond de lui-même la douleur de sa perte. De plus, la société des années vingt a oublié « ces milliers de pauvres types […] qu’on avait mis au trou et à qui on ne pensait déjà plus ». En proie à de terribles visions, il est donc condamné à la folie et, à terme, à la mort.

De plus, il représente l’écrivain incompris – ne ressemble-t-il pas à Keats ? -  réduit à écrire des odes au temps, à tracer des dessins inintelligibles, à se livrer à des conversations avec Shakespeare, à envoyer des messages d’outre-tombe à Evans, à entendre les oiseaux chanter en grec. En dépit de l’amour de son épouse Lucrezia, il est condamné au silence et rien ne le sauvera du suicide. Sa folie – échappatoire -  est bien le signe de son opposition aux impératifs de la société qui veut faire de lui un héros : « Qu’il fallait, qu’il fallait, pourquoi toujours « il faut » ? »

Ces deux personnages en miroir – qui condensent par ailleurs nombre des éléments de la propre maladie de Woolf – sont ainsi les porte voix remarquables de l’auteur. S’ils ne se rencontrent jamais, ils sont pourtant de la même famille. C’est au cours de la réception de Clarissa que celle-ci apprend la mort  de Septimus. Au cours de cette « cérémonie secrète », la jeune femme se sent mystérieusement en empathie avec lui et comprend intuitivement qu’ « il y avait dans la mort une étreinte ».

A travers ces deux très beaux personnages gémellaires, Virginia Woolf fait donc entendre une parole vibrante et subversive que le lecteur est amené à découvrir entre les lignes. Avec eux, et de manière poignante, Woolf donne la parole à tous ceux que la société musèle et rejette. Ce faisant, Mrs Dalloway est bien l’expression de cette « prose dissidente », ainsi que la qualifie Augustin Trapenard.

 

 

 


 

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17 novembre 2013 7 17 /11 /novembre /2013 18:17

 

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Oiseaux sur l'antenne en face de la fenêtre de ma chambre 

(Photo ex-libris.over-blog.com, le 06 novembre 2012)

 

Sur le pupitre du ciel

Le vent musicien

Compose une partition ailée

 

Mercredi 06 novembre 2013

 

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(Photo ex-libris.over-blog.com, le 06 novembre 2013)

 

 

 

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5 novembre 2013 2 05 /11 /novembre /2013 15:36

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      Sur les pelouse de Bondi Beach (Australie)

(Photo ex-libris.over-blog.com, janvier 2013)

 

Dans l'été vert austral

Instant japonisant

Un tout petit enfant

Mouettes musicales

 

Pour la communauté de Hauteclaire, Entre Ombre et Lumière,

Thème : vol d’oiseaux


 


 

 


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1 novembre 2013 5 01 /11 /novembre /2013 17:29

Disgrace blancs et noirs

      Lucy (Jessica Haines) et son père, David Lurie (John Malkovich), juste avant l'agression dont ils vont être victimes


Lundi 21 octobre 2013 à 22h 35, ARTE diffusait Disgrâce (2010), un film de Steve Jacobs, adapté du roman (1999) de John Maxwell Coetzee, prix Nobel de littérature sud-africain en 2003. Ayant récemment entendu le poète Antjie Krog évoquer la période post-apartheid, j’ai eu envie d’entendre l’écho d’une autre voix sur ce sujet douloureux. N’ayant pas lu le roman, je ne puis dire si le film de Steve Jacobs lui est fidèle mais je sais qu’il m’a laissé une impression de grand malaise. Ce film, très noir, est en effet très oppressant et les personnages mis en scène d’une grande complexité.

L’histoire est celle de David Lurie (John Malkovich), un professeur de littérature romantique à l’université du Cap, qui est contraint de démissionner car il a eu une relation- quasiment non consentie- avec une de ses élèves métisses, Melanie Isaacs (Antoinette Engels). Pratiquant un hédonisme sexuel forcené,  il  exerce implacablement son droit de cuissage sur ses étudiantes sans aucun état d’âme, allant jusqu’à utiliser le Satan de Byron pour justifier ses excès. John Malkovich interprète ici ce personnage comme il le fit du Valmont des Liaisons dangereuses de S. Frears, avec autant de cynisme et de froideur malgré quelques années en plus.

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Le professeur David Lurie (John Malkovich) et l'étudiante Melanie Isaacs (Antoinette Engels)

Objet du scandale et tombé en disgrâce, il s’en va dans le veld auprès de sa fille Lucy (Jessica Haines), qui exploite une petite propriété agricole dont elle vend plantes et fleurs au marché local. Elle partage ses biens avec un Noir du nom de Petrus (Eriq Ebouhaney )qui, peu à peu, et avec son accord, prend possession de ses terres. Un jour, trois très jeunes Noirs pénètrent chez elle et la violent, tandis que son père est enfermé dans les toilettes et manque d’être brûlé vif. La jeune femme se refuse à porter plainte et son père sent monter en lui une violence irrépressible contre les agresseurs de sa fille et Petrus, qui a peut-être télécommandé l’agression afin de faire fuir Lucy et de s’emparer de ses terres.

Disgrace Père et fille 2

                   David Lurie et sa fille Lucy sur la propriété agricole de la jeune femme dans l'arrière-pays

Le film montre ainsi l’atmosphère de revanche et de violence qui est celle de l’après-apartheid. Chaque personnage vit ce basculement d’un monde à sa manière, complexe et souvent opaque. Lucy, alors que son père souhaite qu’elle retourne aux Pays-Bas près de sa mère, s’y refuse absolument. Elle s’oppose encore violemment à lui lorsqu’il s’en prend au jeune Noir qui l’a violée. Elle accepte de façon assez incompréhensible que celui-ci revienne même habiter non loin d’elle chez Petrus. Elle s’obstine enfin à vouloir garder l’enfant issu du viol. On croit comprendre que, pour elle, c’est un moyen de payer sa dette de femme blanche vis-à-vis de l’homme noir, longtemps soumis. Elle est même prête à épouser Petrus et à devenir la femme de celui-ci qui est appelé à devenir le nouveau maître des terres. Je dois dire que j’ai bien du mal à comprendre ce personnage et à nommer ce qui constitue l’essence de ses choix : attachement viscéral à la terre, pardon, résilience, soumission, abattement, masochisme, sidération, acceptation d’une évolution inévitable…

L’attitude de Petrus, le fermier noir qui habite sur les terres de Lucy, est aussi très hermétique. Uniquement préoccupé par l’exploitation et l’irrigation de son terrain, il semble dénué de toute empathie envers la jeune femme qui travaille avec lui, et dont il est, peut-être, à l’origine du malheur. La dernière image du film laisse entendre qu’il a achevé de construire sa maison, et que désormais il va cohabiter avec Lucy.

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David Lurie (John Malkovich), le professeur de littérature anglaise

Le film montre surtout l’évolution de David Lurie, le professeur de littérature tout-puissant, qui voit s’effondrer toutes ses certitudes d’homme blanc supérieur. Le viol que subit sa fille, l’attitude incompréhensible de celle-ci, l’agression sauvage dont il est victime, l’impunité des agresseurs, tout cela représente pour lui l’humiliation suprême, qui le ravale au rang de l’animalité. Ainsi, lorsque sa fille lui dit : « Oui, c’est humiliant. Mais c’est peut-être un bon point de départ pour recommencer. C’est peut-être ce que je dois apprendre à accepter. Repartir du sol. Sans rien. Sans atouts, sans armes, sans propriété, sans droits, sans dignité », il lui répond : « Comme un chien. »

Le viol que subit sa fille remet en cause sa propre attitude vis-à-vis des femmes. Dans la voiture qui le ramène avec sa fille vers Le Cap, Mélanie lui dit en substance que, pour un homme, soumettre une femme doit créer un sentiment qui doit s’apparenter à la toute-puissance et au désir de mort. Il reconnaît alors à demi-mot que c’est le cas pour certains hommes. On comprend bien sûr qu’il fait partie de cette sorte d’hommes. Sa renonciation à ce qu’il fut passe aussi par une visite à la famille de l’étudiante qu’il a séduite. Non content de leur dire qu’il est « désolé », ce dont le père de la jeune fille (David Dennis) ne se satisfait pas, il est amené à s’agenouiller devant la mère de famille et une autre des filles pour leur demander pardon. On mesure ainsi tout le parcours de cet homme, plein de morgue au début du film, qui finit par venir à résipiscence et à abdiquer tout ce qu’il fut. Il semble qu’il n’y ait plus aucun avenir pour lui dans le nouveau monde qui se fait jour

On l’aura compris, Disgrace est un film dur, implacable, sans grâce aucune. Le décor sec et rude de la terre sud-africaine se prête particulièrement à cette réflexion sans concession sur le basculement d’un monde. L’omniprésence des chiens que l’on dresse, que les jeunes noirs abattent au fusil, que la gardienne du chenil euthanasie, que David Lurie transporte dans des sacs de plastique noir pour les brûler au crematorium, confère à ce long-métrage une atmosphère de violence, d’animalité brute et de mort. On perçoit le danger à chaque instant, comme sur cette route du Cap où le père veut s’arrêter  et où la fille lui dit que c’est trop dangereux..

A la fin de ce film d’un pessimisme absolu, sans guère d’espoir de rédemption, où l’on ne sait plus où est le Bien et où est le Mal, j’ai pensé aux derniers vers extraits du poème,  « Jadis dame Justice avait les yeux bandés », d’Antjie Krog :

« car finalement la culpabilité l’injustice et la corruption

 demeurent

mais plus dangereuses encore sont les mains propres »

Disgrace-les-chiens.jpg

David Lurie (John Malkovich) et Lucy (Jessica Haines)  avec leurs chiens 

 

Crédit Photos : Allo-Ciné

 

 


 

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