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9 décembre 2013 1 09 /12 /décembre /2013 15:29

 retours de m 7

Vue du port de Dunkerque, Isabey

 

Jeudi 28 novembre 2013, j’étais de retour dans mon port d’attache natal, à Dunkerque. Le musée des Beaux-Arts de la ville y propose, d’octobre 2013 à janvier 2015, une belle exposition intitulée Retours de mer. Elle a été créée par Jean Attali, philosophe, et Claude Steen-Guélen, attachée de conservation, en collaboration avec l’équipe des musées de Dunkerque et un groupe de personnalités invitées dans le cadre de Dunkerque 2013,Capitale régionale de la culture.

J’en ai beaucoup aimé la conception originale, orchestrée entre le tragique des combats et des naufrages et la poésie des retours et des souvenirs du voyage. La scénographie, particulièrement épurée, met en valeur les objets et les tableaux et établit, d’une manière parfois surprenante mais toujours stimulante, un dialogue entre le passé et le présent.

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D’emblée, le visiteur ressent l’appel du large avec une grande toile de Hendrich Van Minderhout, Vue d’un port d’Orient. Les quais sont animés, les voiles gonflent dans le vent, les hauts-mâts sont en partance… Animation qui fut sans doute celle du port de Dunkerque quand Vauban y construisit un chenal et que Louis XIV lui accorda franchise. Dans « La salle des abordages », et tout en écoutant le vent grâce à une vidéo de Richard Skryzak, on se remémore les hauts faits de Surcouf avec L’Arbordage du Kent (Louis Garneray) et ceux de Jean Bart (1650-1702), le grand corsaire dunkerquois, avec une série d’estampes de Yves-Marie-Le Gouaz. Par ailleurs, on découvre Twin's portraits (1952) de Laurent-Marie Joubert, une toile inspirée par les portraits célèbres de Jean Bart et de Duguay-Trouin.

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L’horreur de la traite négrière est évoquée ici avec les feuillets d’une correspondance entre Bonaventure Tresca, un armateur, et le capitaine François Vanstable. Une statue figurant un jeune noir joue office de tronc pour le rachat des esclaves, objet typique d’une époque marquée par l’asservissement et l’horreur. Dans cette salle, on remarque aussi un bau d’assemblage, une poutre servant à relier les deux bords du Duguay-Trouin, navire qui passa aux mains des Anglais en 1805, et qui fut détruit dans la Manche en 1949.

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Dans « La salle orientaliste », j’ai retrouvé la magnifique tableau représentant le port de Dunkerque par Isabey, déjà admiré lors d'une précédente visite. Le blanc éclatant des murs se détachant sur le bleu du ciel étonne et surprend : on se croirait devant un port méditerranéen ! Il paraît que le peintre le peignit peu de temps après son retour d’Algérie et ceci explique sans doute cela. Cette salle est extrêmement dépouillée : dans un angle, un marbre de Joseph Félon, sur un socle bleu, propose la nudité blanche d’une Andromède. Elle accompagne Le Triomphe d'Amphitrite, une petite esquisse colorée de J. H. Taraval, Paysage égyptien, de Charles de Tournemine, La Charmeuse de serpents de Daniel Hernandez Marilo, des photographies en noir et blanc de Georges Maroniez, toutes oeuvres évoquant la fascination de l’Afrique du Nord au XIXème siècle et au temps des colonies.

Inattendu à cet endroit, on peut regarder un extrait du film d’Alain Resnais Je t’aime, je t’aime (1968). On y voit Claude Rich émerger d’une Méditerranée solaire avec une pêche fabuleuse. Ces images voisinent avec une page de Salammbô (1862) de Flaubert, grand roman de l’Orient mythique.

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On se dirige ensuite vers  une salle qui présente de nombreuses  photos de Laura Henno sur le thème des migrants en quête d’un Eldorado fallacieux : c’est La Cinquième île. Ces clichés réalistes et colorés ont été pris aux Comores et à Calais, témoignant avec lucidité et sensibilité de ces parcours si souvent illusoires pour ceux qui y sont contraints. L'artiste parle ainsi de son oeuvre : "L'une de mes images évoque Le Radeau de la Méduse : ces hommes qui se cachent à l'abri des rochers tels des naufragés échoués sur les pierres."

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Puis c’est « La salle des tempêtes », organisée autour d’une immense toile de Valérie Favre, disposée à plat sur le sol et intitulée Les Restes de la Méduse. La toile a été peinte sans châssis dans un format semblable à celui du Radeau de la Méduse de Géricault (1819), l’œuvre mythique qui l’a inspirée. Cette réalisation est commentée par une vidéo cadrée sur le visage de l’artiste : un long monologue centré sur le thème du naufrage, de tous les naufrages, maritimes et intérieurs !

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Cette vidéo est disposée parmi toute une série de toiles formant « le mur des tempêtes ». Lors de ma visite, les enfants d’une classe de primaire assis par terre écoutaient, plus ou moins sagement, les explications de la guide. Du XVII° au XIX°, il était question d’écume, de naufrageur, de navires en partance.

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Toujours dans cette salle, une grande toile de A. Guillou, Après la tempête, représente une femme retrouvant sans doute le cadavre de son fils dans l’épave d’un bateau : un tableau marqué par l’emphase et le pathos du corps blanc dont la lividité éclaire l’ensemble d’une façon morbide. Une petite série de photographies de Albert Clermont, Signatures, illustre encore le thème des fortunes de mer. Le photographe garde ainsi le souvenir de ces menus objets rejetés par la mer que les ramasseurs d’épaves s’accaparent en les marquant d’un galet avant de les emporter avec eux. Mémoire de gestes infimes racontant une histoire secrète de la mer.

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Vient ensuite « La salle des marins, pêcheurs et fortunes de mer ». Elle présente des œuvres résolument modernes qui voisinent harmonieusement. Le regard est d’abord happé par un long dessin au fusain et au stylo à bille, de Christelle Mally, intitulé Crâne de cachalot (2013). Sa précision naturaliste tout en finesse trouve un écho avec deux autres de ses œuvres, Masque d’oiseau et Oculus (2012), des crânes d’animaux blanchis et rehaussés de rouge. Cette couleur est reprise dans une toile de Raymond Picque, Les Marins (1981).    

Le mur de gauche des deux salles suivantes est orné dans sa longueur de lances, de pagaies, de massues provenant des îles Tonga et Fidji. De part et d’autre de cette ligne d’horizon lointain, l’artiste Jean-Luc Poivret a disposé de beaux objets exotiques dont nous sommes peu coutumiers : des coquillages servant de monnaie d’échange, des boîtes à plumes pour serrer les ornements de la tête, une gourde à chaux pour la consommation du bétel… Tous ces objets usuels ou rituels nous transportent dans un ailleurs rêvé, celui que découvrirent Cook et Bougainville, celui du « bon sauvage » mythifié par Rousseau. Tout en s’interrogeant sur la fonction de ces objets porteurs de rêve, on entend une musique de harpe et de violon, véritable invitation au voyage sur un poème de Charles Olson : Baudelaire n’est pas loin…

La vague

« La salle Gustave Courbet » magnifie ce qui est sans nul doute le point d’orgue de l’exposition, La Vague (1869), dite encore La mer orageuse. « Courbet a tout simplement peint une vague, une vraie vague déferlant sur le rivage » dira Zola. La simplicité du motif, l’absence de présence humaine, la structuration en trois bandes horizontales, confèrent une grande puissance à cette œuvre traitée dans une large gamme de vert sombre, de gris et de blanc. On ne peut qu’être d’accord avec l’appréciation de Cézanne devant ce tableau qui vous saisit : oui, « Sa marée vient du fond des âges » et la vague nous ramène sur le sable, illustrant ainsi au plus juste le titre de l’exposition : Retours de mer. Une œuvre qui se suffit à elle-même et dont le seul contrepoint se trouve être un bronze de Jean-Baptiste Carpeaux tout en légèreté : La jeune fille à la coquille.

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Dans les dernières salles consacrées à l’Océanie, on sera ému par les photos d’une tête mãori, tatouée et momifiée, longtemps possédée par le musée de Dunkerque. Elle fut restituée à ses héritiers en 2012 et elle est l’occasion d’une réflexion sur la manière dont les Occidentaux se sont emparés des objets sacrés des pays qu’ils découvrirent. Un retour aux origines qui s’imposait, témoignage d'un mea culpa nécessaire !

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Cette exposition se clôture avec le Tracé cosmogonique de l'Univers, Paumotu, créé par les habitants des îles Tuamamotu. Un magnifique dessin, sorte de carte terrestre et céleste montrant les différents étagements qui composent ce monde légendaire et les entités qui l’animent. Avec des chants mãori et une musique de piano, ce parcours inspiré s’achève avec des œuvres contemporaines évoquant l’espace sous-marin (Pneuma de Jean-Luc Poivret) et aérien (Pluie plus de Patrick Tosani). Et au terme de ce voyage maritime, j’ai pensé au vers de Baudelaire :  « Mon âme est un trois-mâts cherchant son Icarie… » Il m’a semblé alors que cette exposition en était une belle illustration.

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      Jour n°22, Se souvenir, Dos et regard, Vidéo de Enrique Ramirez

 

 

 


 

 

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commentaires

M
Voilà un Musée d'une grande richesse.<br /> Cette vague de Courbet, déjà, vaut à elle seule le voyage.<br /> Merci Catheau<br /> Douce soirée à vous<br /> <br /> A bientôt<br /> Martine
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C
<br /> <br /> Avec celle d'Hokusai, une vague inoubliable et le clou de cette exposition.<br /> <br /> <br /> <br />
A
Merci pour ce compte-rendu qui nous donne une belle connaissance des tableaux sur la mer, lieu mouvementé où les retours,sont un voyage de l'âme sauvée.
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C
<br /> <br /> Partir sur la mer, c'est toujours une Odyssée. Hélas, certains n'en reviennent pas. Merci de tes visites, Alice.<br /> <br /> <br /> <br />
F
une belle expo passionnante
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C
<br /> <br /> La mer, un thème qui ne supporte pas la demi-mesure et suscite la passion.<br /> <br /> <br /> <br />
C
Un compte-rendu d'une extrême précision, pour une exposition qui semble passionnante. Nous avions aussi au Muséum de Nantes une tête maorie qui a été restituée également.
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C
<br /> <br /> Nantes, Dunkerque, deux ports aux senteurs du large. qui reconnaissent leur passé et leurs errements.<br /> <br /> <br /> <br />

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