Jeudi 23 mai 2013, j’ai reçu par la poste le recueil de poèmes de Suzâme, présidente de Nanterre Poêvie, un ouvrage qu’elle vient de publier aux éditions Le Vert-Galant. Il est intitulé Ecrits sur ma paume, la couverture en est illustrée par Anélias B.. (link) Celle-ci explique que les deux mains représentées sont celles de l’auteur, photographiées sur le Mont Valérien. Des mains, tels des oiseaux, qui s’envolent libres pour porter les mots de celle qui se définit comme une « porteuse de poésie ». C’est bien ce qu’elle est intimement avec la création de son association, de son blog poétique et de la communauté originale, Textoésies et Vous. Par le biais des téléphones portables, en effet, la poésie se répand, se répond au quotidien.
Dans la Préface, Suzâme affirme qu’elle renonce à « être » poète, préférant « se sentir » poète, ainsi qu’elle le dit dans « Poète ? Poésie ? » (pp. 17-18) :
« Alors tu te sens « poète »
Pour toutes tes phrases libres !
Mais elles ne sont que des miettes
Même si leur sens vibre. »
Acte d’humilité et de modestie d’un auteur chez qui tout passe par la perception, la sensation, l’impression, le sentiment. C’est d’ailleurs en la rencontrant à Paris à l’automne, parmi les toiles d’artistes indochinois exposées au musée Cernuschi, que j’ai perçu son extrême sensibilité et sa perméabilité au monde.
Avec ce recueil en quatre parties, sous les auspices de Démocrite, Andrée Chédid, Socrate et Rilke, Suzâme nous invite à un parcours intérieur qui la conduit de son âme à l’âme de l’Autre et du monde.
Dans la première partie (p.11), elle nous dit la vivacité, la force mais en même temps l’éphémère de toute poésie :
« La poésie se crie
Sur le sable et
S’efface… »
Elle y affirme son goût des « poèmes intuitifs » (p.14) semés au et par le vent ; de Villon à Velter en passant par La Fontaine, elle détaille ses préférence en poésie, et, « anonyme troubadour », avoue tracer sur sa fenêtre :
« - Oh ! quelques cris d’être
Quelques rêves sans détour. »
Dans la deuxième partie, trois vers d’Andrée Chédid la conduisent à la rencontre des autres :
« … A force de m’écrire
Je me découvre un peu
Et je retrouve l’autre »
Dans la foule, « Entre mille regards », Suzâme part en quête d’ « un seul » (p. 21). « L’élan est là » qui la porte et la mène « vers l’inconnu ». Elle s’y interroge sur le « poids d’une âme » (pp. 24-26) :
« Qui que tu sois
Où que tu ailles
Reste paille
Ou roseau
Reste toi
Sous ta peau. »
Comme Baudelaire, elle reconnaît en l’autre son "semblable", son « frère » :
« Le voici, c’est vous, c’est moi
[…] Le voilà, c’est moi, c’est vous. » (p. 29)
Sa poésie se crée dans les multiples allers et retours de soi à l’autre, de l’âme à l’ami (p. 31), dans le sourire et les pleurs :
« A l’ami
Qui déchirera mes livres et mes visions
A son œil étincelant comme l’éclair
Brisant mes songes et mes mensonges.
A son regard qui touchera mes murs. »
La troisième partie annonce la foi de Suzâme en une sagesse fondée sur l’émerveillement. Elle y nomme la beauté du monde, l’oiseau, la fleur, l’ombre, la lueur (p. 35), insistant particulièrement sur la mer, « antre de vie », dont elle détaille les galets (p. 43), le coquillage, et le rôle réconfortant (p. 45). Elle sait y écouter le silence, « patience éclose » car pour elle :
« Silence
Est son
Silence
Est sens » (pp. 40-42)
Il suffit d’ « un pas de plus » (pp. 38-39) pour que le minéral, le végétal et l’humain se reconnaissent :
« Un pas de plus
Et les être se ressemblent.
« Un pas de plus
Ames et arbres se rassemblent. »
La dernière partie est consacrée à des textes écrits entre 1978 et 1995, auxquels « elle tient comme aux lignes de sa main », précise-t-elle dans la Préface. Jouant sur les sonorités, les homonymies, les gradations, les anaphores, Suzâme affirme avec force que tout le corps est poésie et que celle-ci est don de soi. Ces textes, en dépit du « sang » et du « feu » (pp. 65-66), malgré la douleur, la souffrance, la trahison, le saccage, révèlent l’optimisme viscéral de l’auteur. Oui, « On n’aime jamais assez… » (p.61). On y perçoit une force vive, un élan hors de soi qui ne se dément pas. « L’œil vivant, « le vœu nu », voilà ce qui peut conduire vers la lumière.
« Renaître, revivre, tout refaire
sans ombres, sans abîmes
Relier l’âme aux lèvres. »
Tels sont les derniers mots du recueil de Suzâme, dont la plume a réalisé le vers ultime. J’ajouterai que Suzâme a eu beau écrire sur sa paume, rien de ce qu’elle a écrit ne s’est effacé et que ce petit opuscule de soixante-dix pages est un bien beau palimpseste.
Le reflet de Suzâme au musée Cernuschi
(Photo ex-libris.over-blog.com, mi-octobre 2012)