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3 février 2011 4 03 /02 /février /2011 15:26

  Grande nature morte à la tête de veau, Sébastien Stoskopff,

Grande nature morte à la tête de veau, Sébastien Stoskopff, 1640

 

 

Sur le plat large que décore

Un cercle de persil nouveau,

Toute chaude et fumante encore,

Gît la triste tête de veau.

 

Elle gît, paupières fermées,

Blanche sur son oreiller vert,

Et de minuscules fumées

S’échappent du crâne entr’ouvert

 

Un réseau de petites veines

Qui se croise à son front pâli

Y sème de pâles verveines

Que la lumière encor pâlit.

 

La langue peu à peu gonflée,

En son bain de tiède vapeur,

Semble bleuâtre et granulée,

Le fin menton d’un vieil acteur.

 

Le dessus qui bâille révèle,

Sous la vapeur en fumée roux,

Les grains de riz de la cervelle

Et les cavités des os mous.

 

Deux roses, formant une aigrette

Sur l’ancre double des naseaux,

Semblent le panache ou la crête

De quelques fabuleux oiseaux.

 

… Le tête repose, lasse,

Sous les hauts flambeaux allumés,

Tandis qu’un rêve naît et passe

Devant ses yeux lourds et fermés.

 

Songes des natales prairies

Où folâtrent les jeunes veaux,

Où l’on entend les cris nouveaux

Des agneaux dans les bergeries.

 

Sa mère, l’ayant à son flanc,

Tournait un peu sa tête brune

En effleurant son ventre blanc

De ses cornes en demi-lune.

 

Il était roux et noir, portant

Au dos une tache jumelle

Et brusquait sa mère, en tétant,

De coups goulus dans la mamelle.

 

Au fond du pré les joncs pliés

Sifflaient au bord d’une rivière,

Des étincelles de lumière

S’accrochaient dans les peupliers.

 

… Sur le plat large que décore

Un cercle de persil nouveau,

Toute chaude et fumante encore,

Gît la triste tête de veau.

 

Gabriel Nigond, originaire de Châteauroux, est l’auteur, entre autres, d’un volume de vers intitulé  Novembre (1903) et d’un recueil de poèmes de guerre en langage berrichon, Le Livre de Thomas Gâgnepain (1919). Il paraît que c’était un excellent paysagiste et qu’il avait un sens du détail très marqué. La lecture de ce poème en est une preuve, qui décrit avec force détails réalistes ce plat, qui serait un repas de Noël traditionnel. Dans le Grand Dictionnaire de la Cuisine, Alexandre Dumas décrit neuf recettes, toutes différentes pour préparer la tête de veau. Elle se mange avec une sauce gribiche ou ravigote. Mais qui mange encore de la tête de veau ?

Dans L’Education sentimentale, Gustave Flaubert fait dire à un ex-délégué du Gouvernement provisoire : « C'est une importation anglaise. Pour parodier la cérémonie que les royalistes célébraient le 30 janvier (jour de la décapitation du roi Charles Ier, une autre victime de la démocratie), des Indépendants fondèrent un banquet annuel où l'on mangeait des têtes de veau, et où on buvait du vin rouge dans des crânes de veau en portant des toasts à l'extermination des Stuart. Après Thermidor, des terroristes organisèrent une confrérie toute pareille, ce qui prouve que la bêtise est féconde. » Et de quoi vous ôter l’envie d’en manger à tout jamais !

 

Pour les Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Anne Le Sonneur :

Le repas ou un mets

 

 

 

 

 

 

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3 février 2011 4 03 /02 /février /2011 11:43

  Giorgione La Tempête

  La Tempête, 1510, Giorgio da Castelfranco, dit Le Giorgione

 

 

 

Je suis

A Venise à L’Académie

Devant

La Tempête du Giorgione

 

Sur des cieux d’un bleu de cobalt

Tel un serpent brille un éclair

La ville blême s’illumine

Un oiseau rit sur un toit gris

 Des feuilles dansent au firmament

Des arbres verts vibrent au vent

Un pont de bois regarde l’eau

Des ruines crient leur solitude 

 

giorgione temp détail 

 

Indifférent en blanc et rouge

Tel un ange mélancolique

Au déhanché très appuyé

Un damoiseau tient un bâton

Nudité ronde en son drapé

Le sein offert à un enfant

Pensivement la femme allaite

Assise les jambes entrouvertes

Sous la pudeur nue d'un arbuste

 

giorgione la tempete det 600  

 

La bohémienne et le soldat

Sont-ce des hommes ou bien des dieux

Est-ce Jésus et ses parents

Adam et Eve désunis

Par le nourrisson du futur

 

 soldat 2

 

Aura étrange et inquiétante

Trouble passion d’un paysage

Suspension au seuil du mystère

Rébus sans mots d’un peintre mort

Dans la trentaine de la peste

 

  ruine

 

Et moi

Je voudrais m’ensommeiller là

Dans ce lieu vert et utopique

En l'intime des éléments

Etre la femme et son enfant

Que l’homme enfin regarderait

De son œil d’amant lumineux

Sous le plombé du ciel d’orage

 

arbre 

 

 

Pour La Petite Fabrique d’Ecriture

Thème proposé par Azacamopol :

Se fondre dans le décor

 

 

 

 

 

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1 février 2011 2 01 /02 /février /2011 09:44

spirale protégée 

L'escargot dans la cheminée

 

 

Doucement il offre

Et puis il dissimule

 

Ses cornes vives

 

Invariablement il rampe

Sur le chemin mouillé

 

Du vieux monde

 

Inlassablement il se meut

Dans sa ronde spirale

 

Permanente

 

Pesamment il avance

Dans le grand labyrinthe

 

De la vie

 

Mystérieusement la lune

En son hélice

 

S’est lovée

 

 

 

 

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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 15:03

  makine 2

Andreï Makine (Photo Jacques Sassier/ Gallimard)

 

C’était jeudi 27 janvier 2011, à La Grande librairie. On y devisait de polars, de femmes, d'amour et de littérature. Et, au milieu de James Ellroy (La malédiction Hilliker), Dominique Sylvain (Guerre sale) et Christian Garcin (Des femmes disparaissent), une sorte d’extra-terrestre, un prince Muychkine, égaré dans un salon littéraire. C’était Andreï Makine, invité pour parler de son dernier ouvrage, Le Livre des brèves amours éternelles, et ce fut un moment rare avec un être à part.

Cet « écrivain étonnant » selon François Busnel, né en 1957 dans l’extrême Krasnoïarsk, écrit en français des livres, tableaux de la Russie contemporaine et éternelle en même temps  qu’histoires d’amour. Dans son dernier opus, à la faveur de huit récits on y suit un narrateur orphelin. Au cours du premier et du dernier, il est accompagné par un vieillard poète qui a passé quinze ans derrière les barbelés. On y découvrira les raisons de son exil en Sibérie. Au cœur de ce livre du plus russe des auteurs français et du plus français des auteurs russes, qui aurait pu s’intituler L’amour au temps du communisme, deux thèmes qui lui sont chers : l’amour et le temps qui passe.

Agé de 53 ans, à la faveur d’un échange culturel, il s’est installé en France en 1987 pour ne plus en partir. En 1995, il a reçu le prix Goncourt, le Goncourt des Lycéens et le prix Médicis pour Le Testament français. L’ouvrage raconte la passion d’un petit Soviétique pour la langue française, reçue en héritage par sa grand-mère Charlotte, et aussi la naissance d’un écrivain. Depuis, Andreï Makine a écrit une dizaine d’ouvrages « dans une langue française ample et souple qui devient de plus en plus pure » (Marianne Payot). Il s’est peu à peu dépouillé de ce côté élève trop appliqué qui écrit en français, alors que ce n’est pas sa langue maternelle.

Son dernier roman narre la vie d’un homme inconnu, confronté à l’URSS et à la Russie d’aujourd’hui. De retour à Léningrad, il prend conscience de la réalité de la société contemporaine russe, avec ses paillettes, ses nouveaux riches. Il y rencontre surtout un vieux héros qui a connu le siège de Léningrad, la guerre et le goulag, et qui possède une mémoire que personne ne veut partager. Dans ce livre, qui est une observation  du monde, une grande place est réservée à l’amour, qui donne des raisons d’espérer.

L’amour y est ainsi merveilleusement mis en scène, avec ses instants précieux dans un monde de laideur, instants qui peuvent sauver, remplir une vie, faire que le reste importe peu, à partir du moment où on peut les saisir à bras-le-corps.

Dans le titre, Le Livre des brèves amours éternelles, se lit la contradiction et le paradoxe de l’amour. Andreï Makine reconnaît qu’il a toujours cherché l’amour. Pour lui, c’est quelque chose de très fort, de très simple, qui ne convient guère à notre esprit caustique d’aujourd’hui., car nous sommes trop cyniques pour l’écouter. Ne sommes-nous pas au cœur du choc de deux civilisations : le monde français, occidentalisé, et cet univers spiritualiste, qui peut encore dire sans rire : «  Oui, j’ai toujours cherché l’amour » ? Son héros, Dmitri Ress est bien cet homme qui a toujours cherché l’amour.

A François Busnel qui s’étonne de l’affirmation burlesque et étonnante du livre, selon laquelle Patrick Dewaere a contribué à la chute du Mur plus efficacement que tous les dissidents réunis, l’auteur répond que c’est une métaphore. Il explique que le film Mille milliards de dollars a été regardé par toute la Russie. Dans une scène, on y voit le personnage d’un journaliste pousser la porte d’un hôtel d’une petite ville de province française et prendre une chambre sans présenter ses papiers, geste inimaginable dans une société totalitaire. On a coutume de juger la société communiste à l’aune des grands principes logomachiques et théoriques, or les choses sont plus simples. Ainsi, pour un couple d’amoureux soviétiques, avoir la possibilité de trouver ce petit chez-soi était beaucoup plus parlant que toutes les théories capitalistes.

Le regard du narrateur sur le régime soviétique et sa chute est un regard détaché de tout ce qui est historique. Le héros peut dire : « J’étais libre dans un pays qui ne l’était pas. » Andreï Makine explique alors qu’on peut comparer cela à cette vieille expression qu’on emploie quand la conversation s’interrompt et que la gêne s’installe ; on dit alors : « Un ange passe. » C’est bien ce que vit le personnage. Il a vécu huit rencontres où un ange est passé.

L’interruption de tous ces mensonges historiques, de tout ce jeu social, de toute cette comédie, crée la gêne, mais, selon Makine, c’est très bien que l’on soit gêné. On a alors l’impression de sentir l’autre, sa fragilité, sa palpitation intime, et de mieux le comprendre dans cet instant privilégié. On ne récrira pas L’Archipel du goulag, cela a déjà été fait. Mais ce que l'on peut faire de façon poétique, c’est chercher l’amour, car c’est cela qui nous rend plus humain.

Dans ce roman, miroitent huit facettes parfois opposées de l’amour. L’amour, ce bref instant d’éternité, là où l’homme est enfin libre vis-à-vis de ce qui lui est imposé dans un corps. Nous jouons des jeux sociaux, tristes et ennuyeux mais tout ne se réduit pas à cela. Au-delà de nos deux identités, celle qui est corporelle, animale et mortelle et ce jeu social, il existe quelque chose d’autre, une autre naissance. Il faudrait inventer une alternaissance, une troisième naissance. Ce pourrait être le titre d’un prochain roman de Makine. Comment en effet trouver ce quelque chose qui dépasse ces deux premières naissances de l’homme ? Peut-être au moment de l’amour, lorsque celui-ci est vécu intensément de manière exceptionnelle, est-ce là où se découvre cette nouvelle naissance.

Cette fidélité du vieil homme-poète pour une femme dont l’amour l’a trahi, Dieu lui-même ne pourrait la réaliser. En effet, Il n’a pas interrompu le vieillissement de cette femme, elle est devenue laide, elle a participé de cette comédie en tant que compagne d’un oligarque russe. Dieu n’y peut rien car ce sont les lois de notre création. Mais ce que Dieu ne peut accomplir, le poète lui le peut. Dans son imagination, lui qui a terriblement souffert conserve la beauté de cet être créé par lui.

Par ailleurs, un vieil adage russe peut faire comprendre l’éveil de la conscience politique : « Les Russes n’atteignent jamais leur but car ils le dépassent toujours. » (Mme de Staël, Le Voyage en Russie). Il faut imaginer la voyageuse arrivant en Russie avant Custines, et qui se met pourtant à aimer ces villes en ruines.

Nous n’avons pas atteint l’âge de Mathusalem, nous avons vu la chute d’empires, les cadres géographiques ont été redessinés, des révolutions, des guerres se sont produites. Et cependant, que reste-t-il dans notre petite existence de la chute du Mur, après vingt années de changements, de catastrophes, de soubresauts  ? Ce qui reste, en fait, ce sont peut-être ces brèves histoires d’amour que le narrateur raconte. Selon Andreï Makine, c’est cela seul qui restera.

Ainsi, en quelques minutes, tout en posant sur les invités de François Busnel son regard transparent et ouvert sur l’invisible, Andreï Makine a su nous rappeler que, dans toute vie, il existe « des instants humbles et essentiels », où l’amour transcende l’adversité et le Mal, et éclaire ainsi à jamais ceux qui ont su le reconnaître.

 

  L'Idiot Gérad philippe

  Gérard Philipe dans le rôle du prince Muichkine dans L'Idiot de Dostoïevski

 

 

 

 

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30 janvier 2011 7 30 /01 /janvier /2011 11:27

  le préjugé vaincu photo François Pascal

  Le Préjugé vaincu (Photo, François Pascal)

 

Samedi 22 janvier 2011, au Théâtre Beaurepaire à Saumur, la Compagnie du Temps pluriel, (artiste associé à la Maison de la Culture de Nevers et de la Nièvre) jouait Le Préjugé vaincu de Marivaux, dans une mise en scène de Jean-Luc Revol, directeur du Théâtre du Caramel Fou, basé à Nevers. La pièce avait déjà été jouée au Théâtre du Balcon, dans le Off d’Avignon, en 2009.

Cette pièce du dramaturge, partisan des Modernes, égratigne de manière légère les inégalités sociales et les préjugés. Composée en un acte et seize scènes, elle fut représentée pour la première fois le 06 août 1746 par les Comédiens français et elle appartient à la période la plus féconde de l’auteur. Comme les comédies en un acte de la fin de la vie de Marivaux, elle constitue la quintessence de la pensée et de l’art théâtral de ce « spectateur » lucide de son époque : critique sociale, réalisme satirique, peinture de l’âme féminine et de l’amour, création de moyens d’expression personnels au service d’une liberté d’invention.

A la suite de Molière, de Boileau (Satires, V), de La Bruyère (Des Grands), le « Théophraste moderne » s’y fait moraliste tout en s’autorisant le rire.

Le Jugement sur la pièce la présente ainsi : « La noblesse a des travers qui lui appartiennent en propre ; et le plus choquant de tous, parce qu’il s’attaque à l’amour-propre du grand nombre, c’est l’orgueil qui substitue, dans l’esprit de quelques nobles, une prééminence naturelle à une simple distinction sociale. C’est là que commence le préjugé. » 

Pour illustrer ce travers si répandu au XVIII° siècle (et dont notre époque n’est guère exempte non plus), Marivaux l’incarne dans une jeune fille, Angélique (Marie-Julie de Coligny), fille d’un marquis (devenue ici pour les besoins de la pièce une marquise, Louise Jolly), à laquelle il prête le ridicule d’une vanité nobiliaire poussée à l’excès. Pour  elle, ceux qui n’ont pas eu la noblesse en héritage, ne sont que des « espèces ». Secondé par son valet Lépine (Cédric Joulie) et par Lisette (Anne-Laure Pons), la suivante d’Angélique, qui n’est pas dépourvue non plus de sotte vanité (elle est fille d’un procureur fiscal !), le bourgeois Dorante (Olivier Broda) finira par s’en faire aimer. Il usera en effet d’un subterfuge, consistant à se faire le porte-parole d’un prétendu prétendant. Et Lisette de lui dire : « [Ainsi] ce ne sera pas vous qui aurez eu les injures, ce sera l’autre… »

 

prejuge-vaincu1 pascal-francois

Angélique (Marie-Julie de Coligny)

et Dorante (Olivier Broda)

(Photo François Pascal)

 

A l’époque, la pièce recueillit un grand succès tant à la ville qu’à la cour. Mademoiselle Gaussin était Angélique (la fille du marquis) ; Grandval jouait Dorante (l’amant d’Angélique) ; Mademoiselle Dangeville interprétait Lisette (la suivante d’Angélique). La scène est à la campagne dans la maison du marquis. Voltaire choisira Le Préjugé vaincu comme sous-titre à sa pièce Nanine, jouée en 1749, preuve, s’il en était besoin, de la renommée de l’œuvre.

Jean-Luc Revol a choisi de transposer la pièce dans les années 50. Selon lui, les préoccupations qui s’y font jour ne sont guère éloignées de celles de cette époque. N’est-ce pas le temps où de jeune réalisateurs s’apprêtent à inventer la Nouvelle vague ? Les femmes brandissent le drapeau du féminisme et commencent à se libérer du joug masculin et de la puissance paternelle. Angélique pourrait être déjà leur porte-parole. Par ailleurs, l’intemporalité de l’écriture favorise cette adaptation, qui doit montrer que « la verdeur racée de la langue de Marivaux » est encore capable de nous signifier quelque chose.

Le décor d’Emmanuel Laborde est stylisé à l’extrême : un fond de scène représentant un grand ciel bleu avec quelques nuages blancs ; un portique à l’antique, côté jardin, pour signifier l’entrée dans le château ; un fauteuil de rotin, un électrophone… Les cinq personnages, en toute liberté, revêtus de couleurs acidulées, y courent, virevoltent, marivaudent, dansent le mambo, avec une vivacité joyeuse.

Les costumes soulignent à merveille la distance prise avec l’époque. Aurore Popineau a imaginé pour chaque comédien une silhouette, au service de son caractère. Angélique, robe jaune juponnante, nœud dans une chevelure frisottée, tournicote et minaude à ravir sous les yeux énamourés de Dorante. Le jeune homme, transi d’amour, est sanglé dans une veste verte et étriquée, qui lui confère un air un peu timide et contraint. Lisette (une mention spéciale pour la comédienne), dont la jupe noire de petite bonne sous un tablier blanc virevolte à n’en plus finir, manifeste de l’aplomb à revendre. Lépine, bien pris dans son costume de groom violet, et coiffé de son petit calot, tel un Arlequin moderne, mène la danse à un train d’enfer. Comme souvent chez Marivaux, ce sont ces personnages subalternes qui conduisent l’action avec beaucoup d’abattage. La marquise, quant à elle, chapeautée et gantée, propose une silhouette de bonbon rose, mais sait se trémousser à l’unisson de la troupe. (Louise Jolly souligne que le marquis devenant une marquise, « cela change tout et notamment les rapports entre les personnages ».)

Car un des atouts de cette adaptation, ce sont les séquences dansées sur des airs endiablés de mambo. Cette danse sensuelle et libre, d’origine cubaine, mêlant la rumba et le swing, permet aux personnages d’exprimer la vibrante intensité de leurs désirs, par-delà les conventions du langage. Et les comédiens s’en donnent à cœur joie !

On notera que cette pièce a obtenu le prix des Compagnies au dernier Festival d’Anjou et Olivier Broda le prix d’Interprétation. Anne-Laure Pons commente ainsi les choix du metteur en scène : « C’est très léger, mais en même temps ça a du sens. Ca reste du Marivaux avec ses rapports hommes-femmes, ses situations inversées, ses imbroglios sans fin. » Jean-Luc Revol a osé un mélange qui aurait pu être hasardeux, mais se révèle juste et léger. En faisant jouer les comédiens avec une diction appuyée, il démonte la mécanique subtile du marivaudage, et laisse apparaître la prétention vaine du préjugé.

Après la représentation de cette pièce, jouée par une troupe en parfaite harmonie, on pourrait reprendre sans y changer un iota, ce que la critique avait dit sur elle au XVIII° siècle : « Ici, tout est réel, positif . »  Et si tout y représente fidèlement les mœurs  du temps où elle fut composée, à deux siècles et demi de distance, les années « n’ont point effacé la ressemblance ». Quant au choix du mambo, d’abord surprenant, on se dit que les mouvements du corps y expriment à leur manière les « mouvements du cœur ».

 

  Le préjugé vaincu 3

Final dansé du Préjugé vaincu (Photo Angersmag.info)

 

 

Sources :

http://www.angersmag.info.Le-Préjuge-vaincu-remporte-le-prix-des-compagnies

Dossier de presse : « Questions à Jean-Luc Revol »

 

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29 janvier 2011 6 29 /01 /janvier /2011 11:37

Géométriques 

Le soleil matinal sur le mur 

 

 

 

 

Dans un angle vivant

Sur le mur matinal

Un architecte

Au compas ensoleillé

Dessine les traits

D’un nouveau jour

 

 

 

 

 

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29 janvier 2011 6 29 /01 /janvier /2011 11:12

Bassin gelé 2 protégé 

Le bassin gelé 

 

 

 

Le bassin est de gel

Le matin est de givre

 

Les poissons prisonniers

Les herbes momifiées

L’eau verte pétrifiée

La pierre vitrifiée

   

Et mon cœur

En apnée

 

 

 

Bassin gelé.doc protégé

Poissons sous la glace dans le bassin

 

 

 

 

 

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28 janvier 2011 5 28 /01 /janvier /2011 18:19

  le-bal-des-ardents

  Le Bal des Ardents, Miniature dans les Chroniques de Froissart 

 

Le Musée des Arts décoratifs du château de Saumur possède une tapisserie, intitulée Le Bal des Sauvages, qui a toujours hanté mes cauchemars. Elle appartient à la grande production des tentures de haute lisse, dite d’ « Arazzi », réalisées au fil d’Arras, et qui déclina à la mort de Charles le Téméraire.

Cet événement tragique du Bal des Sauvages, encore connu sous le nom de Bal des Ardents, est à l’origine de la chute irrémédiable du roi Charles VI vers la folie. Son atmosphère fantasmagorique préfigure pour moi le déclin du Moyen Age, si bien évoqué par Johan Huizinga. .

Ce mémorable divertissement dansé trouva une issue fatale à l’occasion d’un bal, organisé par la reine Isabeau de Bavière, le 28 janvier 1393. A cette époque, le roi avait déjà été sujet à une crise de folie. Le 5 août 1392, alors qu'il traversait la forêt du Mans, un égaré avait surgi et lui avait crié : "Arrête, noble roi, tu es trahi !" Puis, la lance d'un de ses hommes avait heurté un bouclier, réveillant le roi assoupi à cause de la chaleur. Affolé, Charles VI avait frappé de son épée six de ses chevaliers. Plus tard, le conseiller Enguerrand de Coucy avait appelé le vieux Guillaume de Harcigny pour le soigner. Il avait diagnostiqué une maladie congénitale, héritée de Jeanne de Bourbon : "Cette maladie est venue au roi de coulpe : il tient trop de la moiteur de sa mère."

On ne sait exactement si ce bal se déroula à l’hôtel de Saint-Pol, une de ses demeures royales au coeur de Paris, ou à l’hôtel de la Reine Blanche, résidence de Blanche de Bourgogne, à l'époque un lieu campagnard, en retrait de la ville. Le roi, d’humeur fragile, devait donc y recevoir pour les noces d’une demoiselle d’honneur de son infidèle épouse, Isabeau de Bavière. Cette Catherine, dite l’Allemande, et veuve du sire de Hainceville, se remariant pour la troisième fois, on avait décidé d’organiser un charivari ou momerie. Interdit par l’Eglise, c’était une sorte de carnaval, donné lors de mariages à la tonalité scandaleuse. 

Cinq seigneurs résolurent alors de se déguiser en « sauvages », afin d'animer la mascarade. Il s'agissait de Hugonin de Guisay, Milon, comte de Joigny, Ogier de Nantouillet, Aymard ou Emery de Poitiers, et Jobbain ou Yvain, bâtard de Foix. Le roi, à qui ses médecins recommandaient de se distraire, accepta de se  joindre à eux.

Ils s’enduisirent le corps, y compris le visage, de poix et de résine, qu’il recouvrirent de plumes, de poils et d’étoupe, avant de se lier les uns aux autres  par le moyen de chaînes ou de rubans. Le roi seul ne s’entrava point, ce qui lui sauva sans doute la vie.

A la faveur de l’obscurité, les cinq masques fendent la foule du bal en exécutant une danse endiablée, dite la sarrasine. Mi-sauvages, mi-démons, ils créent l'effroi parmi les danseurs, tandis que les serviteurs,  porteurs de torches, sont alignés par précaution contre les murs.

C’est le moment que choisissent le duc d’Orléans, frère du roi, et son oncle le duc de Berry pour s’emparer d’une torche afin de dévoiler l’identité des grotesques. La chandelle lèche les costumes qui s’embrasent. Dans l’affolement enflammé, Jeanne de Boulogne, enveloppe le roi son neveu de ses robes et parvient à étouffer l’incendie. Si Ogier de Nantouillet réussit à se libérer de ses entraves et à se précipiter dans un cuvier, Yvain de Foix tente d'atteindre la porte où deux valets lui tendent un linge mouillé, mais en vain. De même, les trois autres malheureux sont transformés en torches vivantes et brûlent longtemps, sous les yeux terrifiés des danseurs.  L'agonie du sieur de Guisay, qui avait été l'instigateur du charivari, durera trois longs jours. Au passage de son convoi funèbre, les Parisiens, qui le connaissaient pour sa perversité et sa cruauté, injurièrent sa mémoire en criant : "Aboie donc, chien !"

Charles VI ne se remettra pas de cette épreuve. Quelques jours après cette tragédie, il confiera la régence à son frère Louis d’Orléans. En raison de son jeune âge, celui-ci ne pourra l’exercer et le pouvoir échoira à  leurs oncles, les ducs Jean de Berry et Philippe le Hardi, qui tenaient depuis des années le roi sous leur coupe et manigançaient pour leur intérêt propre.

Celui que l’on avait appelé le Bien-Aimé deviendra le Fol. Absent à lui-même,  il ne trouvera désormais de récréation qu’en s’amusant avec des cartes à jouer. Quant au malheureux royaume de France, à la lueur fantasmagorique de ces silhouettes ensauvagées et brûlantes, il s’enfoncera plus avant dans la folie fratricide et sanglante de la Guerre de Cent ans.

 

 

 

Sources :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bal_des_ardents

http://monparismedieval.blogspot.com/2010/11/le-bal-des-ardents.html

 

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27 janvier 2011 4 27 /01 /janvier /2011 17:52

Nerval Gravure de Gustave Doré

Gérard de Nerval, rue de La Vieille Lanterne, Gravure de Gustave Doré

 

 

Dans une obscure rue

Aujourd’hui disparue

A la blême croisée

D’un marchand serrurier

Vêtu de désespoir

Et sans son écritoire

Avec un blanc lacet

Tel un collier serré

Le chapeau sur la tête

Comme un homme en goguette

Une aube de janvier

Triste Miserere

Le prince d’Aquitaine

A  la voix magicienne

Poète solitaire

Enlaça ses chimères

 

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de mots,

Thème proposé par Lénaïg : le manteau de la nuit

 

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26 janvier 2011 3 26 /01 /janvier /2011 19:17

  Annedekiev2

Anne de Kiev, reine de France, et femme de Henri 1er

 

 

Henri 1er n’avait jamais eu de bonheur avec les femmes et son caractère s’en était aigri. Cette nuit-là, dans sa chambre froide comme un mausolée, ses serviteurs l’avaient abandonné à sa couche gelée. En grand empressement, ils y avaient jeté les fourrures des loups tués par son grand veneur, l’année où il avait été sacré roi, du temps du vivant de son père, Robert le Pieux. De ses yeux d’un bleu transparent, à la lueur de la braise qui rougeoyait encore faiblement dans la haute cheminée, il revit celles qu’il avait tenues dans ses bras royaux, et la mélancolie le prit.

Alors qu’il avait atteint vingt-cinq ans, on l’avait fiancé à Mahaut de Germanie, fille de Conrad II le Salique, que l’on appelait Mathilda ; c’était une toute petite fille qui avait été emportée par une fièvre maligne à l’âge de sept ans. Inexplicablement, il songeait souvent à cette enfant, dont il avait conservé le joli portrait, marqué par un voile de tristesse divinatoire.

Poussé par ses conseillers, qui voulaient asseoir son pouvoir face aux grands féodaux avec un héritier mâle, il s’était résolu à épouser une autre Mathilde, la fille très aimée de Luidolf, le margrave de Frise. Pendant plusieurs années de continence obligée, il ne l’avait pas touchée, se contentant de la contempler, tel un trouvère éperdu, car elle n’avait que dix ans.

Lorsqu’elle était devenue femme, ils avaient enfin partagé la même couche, dans une hésitation amoureuse, timide et réciproque. Une fille, aux yeux de mer grise, comme celle qui baignait la terre natale de la jeune reine, leur était née de l’union tardive de leurs corps empruntés. Mais, une fois encore, Dieu s’était montré terrible, et sa main vengeresse les avait ôtées toutes deux à sa tendresse nouvelle, à quelques semaines d’intervalle.

Il s’était retrouvé, derechef, la bouche pleine de rancœur et de récrimination contre Celui qui semblait l’éprouver sans relâche. Et le jour où il s’était signé devant les deux cercueils, dans le haut vaisseau de la cathédrale de Reims, il avait aussi murmuré des anathèmes, qui n’avaient rien à envier à ceux qu’il avait proférés contre l’hostilité de sa marâtre Constance et la jalousie de son puîné Robert.

A ce souvenir, Henri sentit la rage l’étreindre et il se saisit d’une aiguière d’argent qu’il jeta contre le mur de pierre. Son lévrier Taïaut gémit au pied du lit. En proie à ses images obsessionnelles, le roi se leva et alla s’accouder à la petite fenêtre. A ses pieds, une nuit de la couleur de la poix que sa piétaille lançait contre ses vassaux en révolte, s’étendait, silencieuse et muette. On était en 1049 et il pensa que cela faisait six ans dorénavant que son sommeil n’avait point été réchauffé par une femme. Certes, il avait des maîtresses, mais il était d’humeur changeante et il les battait dès que la lassitude le prenait d’elles. Et jamais, il ne les conduisait dans la chambre où il avait aimé Mathilde.

Il savait pourtant que le temps lui était désormais compté s’il voulait donner à ses sujets un héritier. Il revit la haute et sévère salle de son Conseil et ses commensaux fidèles qui le pressaient de prendre femme à nouveau. Depuis maintenant quatre ans, ses ambassadeurs chenus couraient les cours européennes et les palais des confins, dans le but de trouver celle qui serait la mère du Dauphin de France. L’évêque Gautier de Meaux et les nobles les plus diplomates, qui cheminaient sur les routes en grand arroi, n’avaient pu le convaincre de se déterminer encore. Celle-ci était trop malingre, celle-là était affligée d’un bec-de-lièvre ; l’une souffrait d’une réputation de courtisane, l’autre lui était apparentée au quatrième degré…

Cette nuit-là, pourtant, en scrutant la nuit sombre, il sut que le temps n’était plus aux tergiversations et qu’il arrêterait son choix. Son émissaire de confiance, Roger de Châlons, avait entrepris un long périple vers l’extrême Ruthénie, à la cour du grand-duc Yaroslav et d'Ingegerd, aux blonds visages de Vikings. La ville mythique de Kiev, coiffée des innombrables bulbes de ses quatre cents églises, y renfermait le trésor d’une jeune princesse aux lourds cheveux tressés. Et le chaste Roger de Châlons, subjugué, avait déployé toute son éloquence pour décrire à son roi la merveille qu’il avait découverte.

Emmuré dans sa solitude, le triste roi veuf avait longtemps résisté à l’attraction magique des noms qui la revêtaient : Anne de Kiev, Anne de Russie, Anne de Ruthénie, Anne d’Ukraine, Anne d’Esclavonie. La rumeur de sa beauté, qu’on ne pouvait comparer qu’avec celle d’Idun la déesse de la jeunesse éternelle, avait ainsi passé les frontières des royaumes de givre et en était parvenue jusque dans la  lointaine France. Les émissaires avaient dit à Henri qu’elle avait été enseignée par le grand Hilarion et que cette pucelle était aussi sage que belle. Tellement femme aussi, puisqu’elle avait rosi de pudeur et de plaisir, en ouvrant de ses longs doigts de fée l’écrin qui renfermait les émeraudes et les escarboucles précieuses, offertes par Henri.

Troublé à l’évocation de cette jeune Ruthène inconnue, le roi regagna son lit en frissonnant. Etait-ce de froid ou de désir, il n’aurait su le dire. Il se rappela la vieille mendiante qu’il avait guérie des écrouelles et qui, en façon de remerciement, lui avait fait cette prédiction : « Un héritier mâle naîtra de toi et de la reine venue du froid. » Il comprit qu’il ne pourrait attendre plus avant sans désespérer son peuple. Anne était chrétienne, Anne lui apporterait une dot en belle monnaie d’or sonnante et trébuchante, frappée à Byzance, Anne avait la peau laiteuse et le cœur fou. Il n’y reviendrait point : il en ferait sa reine.

En cette nuit d’hiver, glaciale et conseilleuse, le gentil roi de France, tel un gisant, attendit alors le sommeil, le cœur transi d’espérance. Il sut qu’il se mettrait à aimer la petite princesse russe d’un amour sans seconde, dès l’instant où il l’apercevrait. Mais ce qu’il ignorait, c’est que, le jour de leur première rencontre, il l’embrasserait comme un jouvenceau énamouré et que, dans un français charriant tous les glaçons de la Volga, elle lui dirait en se délivrant de sa fougueuse étreinte : « Je suppose que c’est vous, Monseigneur, qui êtes mon roi… »

 

 

Pour la Communauté des Croqueurs de Mots,

Le Défi de la Semaine N° 47,

Thème proposé par Lénaïg : la nuit porte conseil.

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La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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