Les stands des éditeurs au Jardin des Plantes
Samedi après-midi, les Poétiques de Saumur se sont déroulées au Jardin des Plantes par un temps magnifiquement ensoleillé. Sous le pavillon d’entrée, à gauche de la statue d’un héros grec blessé, on pouvait rencontrer des éditeurs de poésie : Jacques Brémond, Potentille, Isabelle Sauvage, MLD, Entre Deux, Le Chat qui tousse, La Dragonne et Frichtre. La Bibliothèque-Médiathèque de Saumur y présentait aussi les ouvrages de poésie qu’elle met actuellement en lumière, tandis que le stand de la librairie Le Livre à Venir proposait les livres des éditions Zulma, qui fêtent cette année leurs vingt ans d’existence.
L'exposition photographique de Michel Durigneux, Egyptiens
Dans l’Orangeraie, située dans le haut du jardin, la plasticienne Kelig Hayel nous accueillait au milieu de sa forêt et de ses animaux familiers dessinés au feutre, en grand format, dans de petits cahiers de dessin, ou encore découpés en silhouettes sur l’herbe verte. On déambulait dans le jardin un verre à la main (Saumur oblige), tout en rencontrant le regard des Egyptiens de la rue Gamaleya, photographiés par Michel Durigneux, dont les portraits paraîtront dans le dernier opus de Philippe Longchamp aux éditions La Dragonne. Sous l’ombrage des arbres, la voix et l’accordéon d’Elena et Laura d’Un bout d’macadam nous invitaient à rêver mélancoliquement.
Elena et Laura, duo accordéon et voix d'Un bout d'macadam
Nous nous sommes ensuite retrouvés sous un auvent aux murs de tuffeau pour écouter Hubert Haddad, romancier, nouvelliste et essayiste, né à Tunis en 1947, d’origine judéo-berbère et algérienne. Il a lu une de ses nouvelles, intitulée « Crime d’honneur ». Elle résulte d’un souhait de l’écrivain Guyette Lyr qui, depuis août 2002, a demandé plusieurs fois à cinq auteurs d’écrire une nouvelle sur un thème.
Reprenant le thème du miroir, Hubert Haddad évoque le sort tragique de Naciye la Simple, de son ombre Selda, et de son amie, la narratrice, dans un pays du Maghreb. Une nouvelle poignante et magnifique, qui dit la solitude extrême de celles qui ne sont « que des pastèques à vendre intactes », qui doivent obéir en silence alors qu’ « à seize ans [elles] rêvent de satin bleu ». Un texte, dont la chute vous demeure longtemps en mémoire : «Une odeur de rose m’a saisie un instant. J’ai revu mon amie dans la lumière inversée, j’ai revu Naciye et son ombre Selda. D’un coup le monde a basculé. Ne pleurez pas, ne dites rien. La mort est le secret du temps. »
Hubert Haddad lisant sa nouvelle "Crime d'honneur"
La lecture de cette nouvelle a été suivie d’un échange avec Laure Leroy, la directrice des éditions Zulma (en référence à un poème de Tristan Corbière ("A la mémoire de Zulma vierge folle hors barrière et d'un Louis") et à l’amie d’Honoré de Balzac), qu'elle créa en 1991 avec Serge Safran. Avec passion, Laure Leroy nous a expliqué combien elle aime qu’on lui raconte des histoires et combien elle souhaite publier uniquement des libres qui la bouleversent. Ce qu’elle recherche chez un écrivain, c’est l’acuité d’un regard, quelque chose de différent et d’essentiel. Pour elle, « petit éditeur » (la maison ne comporte que cinq personnes), chaque fois qu’elle publie un ouvrage (au rythme de seulement douze nouveautés par an), elle se met en danger.
Son travail est des plus exigeants : elle choisit les textes, les promeut, les porte, travaille avec les auteurs, rassemble toutes ses forces pour faire passer son désir de faire lire le livre, pour en donner le goût. L’engagement de l’éditeur vis-à-vis de son auteur est total et il se manifeste par l’attachement singulier qu’il éprouve pour l’œuvre, par sa familiarité avec l’univers de l’auteur. Ainsi les bonheurs de l’éditeur sont à chaque fois différents et, d’une certaine manière, le plaisir de vendre les livres ne relève pas d’un aspect mercantile.
Laure Leroy, directrice des éditions Zulma
Avant, les éditions Zulma avaient plusieurs collections. Celles-ci ont disparu et Zulma se concentre désormais sur la littérature contemporaine du monde entier. Elle publie aussi exceptionnellement un livre par an consacré au cheval et Les mots croisés de Michel Laclos, des publications particulières qui tiennent à l’histoire de la maison d’édition.
Les couvertures des douze livres publiés chaque année sont dessinées par David Pearson, un graphiste anglais, féru à la fois de tradition et de modernité. Chaque livre possède une couverture originale qui fait le renom de la maison. Les ouvrages de Zulma sont immédiatement reconnaissables et les lecteurs leur vouent une affection particulière. C’est une forme unique dont le Z, situé dans un petit triangle blanc, est la marque de fabrique.
Laure Leroy explique ensuite le sort dévolu aux très nombreux manuscrits qui sont envoyés chez Zulma. Il y a d’abord ceux qui, manifestement, ont été mal orientés et qui n’ont pas leur place dans cette maison d’édition. Ceux qui sont « pas mal », voire bons, mais qui ne seront pas retenus. Enfin, il y a un petit lot de manuscrits sur lesquels l’équipe passe du temps, hésite, durant un laps de temps de trois à six mois. Ce qui oriente le choix, c’est vraiment le coup de cœur, et le déclencheur, c’est ce désir de publier absolument le manuscrit retenu.
A cette occasion, Laure Leroy évoque le sort rocambolesque du manuscrit de Là où les tigres sont chez eux, de Jean-Marie Blas de Roblès. On sait que l’auteur, qui s’était déjà vu refuser son manuscrit de 1000 pages, avait tenté de nouveau de le faire publier et avait envoyé une vingtaine d’épreuves à cinquante éditeurs. Tous l’avaient refusé (sans doute par fatigue, le texte étant très long) et il était depuis un an chez Zulma qui n’avait pas encore donné sa réponse. C’est au moment où l’auteur a souhaité récupérer son manuscrit que Laure Leroy s’est dit qu’elle ne pouvait pas laisser passer cet auteur. Elle a proposé à Blas de Roblès des coupes, qui portaient essentiellement sur l’appareil de notes, et a pris le risque de le publier. On connaît le sort dévolu au roman : Prix Roman FNAC, Prix Jean Giono, Prix Médicis 2008, et plus de 30 000 exemplaires vendus, sans passer par les hypermarchés et les plans médiatiques.
Car la force de Zulma, ce sont les libraires, tout ce réseau très actif de 60% de libraires indépendants, ce qui n’est pas un ratio classique dans les stratégies commerciales. C’est cette chaîne de confiance, cette « addition de choses très locales », qui permet à Zulma d’être efficace sur le marché du livre.
Albane Gellé, poète et organisatrice des Poétiques de Saumur
Au cours de cet échange, Laure Leroy soulignera le long compagnonnage qu’elle entretient avec Hubert Haddad, puisque Zulma l’a publié dès le début. Haddad, qui était publié chez Fayard, est entré chez Zulma à la faveur d’un texte de commande. L’auteur souligne quant à lui qu’il aime faire rencontrer des auteurs à Laure Leroy : « Je ne suis directeur de rien, dit-il, je ne suis qu’un passeur. »
Puis Laure Leroy évoquera les belles rencontres avec des écrivains étrangers. Celle d’un auteur indonésien (Sur le rivage, publié chez Gallimard) ; celle de l’écrivain sénégalais, Boubacar Boris Diop, dont Zulma va rééditer Murambi, le livre des ossements, livre capital sur le génocide rwandais ; celle de Cheikh Hamidou Kane (L’Aventure ambiguë, publié chez 10/18. Enfin, la rencontre avec Gilbert Gatore, auteur de Le passé devant soi (chez Phébus), qui sera prochainement publié chez Zulma.
Laure Leroy, avec son enthousiasme communicatif, nous a ainsi donné l’envie de découvrir de nouveaux auteurs. Comme l’écrit Albane Gellé, « il s’agit de s’émouvoir, comprendre, s’interroger – bref, se passionner toujours ».
En ce qui me concerne, cet après-midi enrichissant se sera terminé avec l’écoute attentive de « Le linge, l’opium et la rose », une mise en voix proposée par deux comédiens formés au Théâtre National de Strasbourg, SylvieDebrun et Xavier de Guillebon. La douceur de la comédienne et la concentration de l’acteur nous ont donné à entendre les passages qui les ont particulièrement séduits dans Le trésor de la guerre d’Espagne de Serge Pey, Opium Poppy de Hubert Haddad et Rosa Candida de Audur Ava Olafsdottir, tous textes édités chez Zulma. La voix du narrateur qui se souvient que le linge que sa mère étendait était signal pour les Républicains de la guerre d’Espagne, celle encore d’Arnljótur, en quête de la rosa candida, la rose à huit pétales aimée de sa mère, celle enfin d’Alam le petit Afghan, dont les rêves disparaîtront dans les terres de l’exil, nous ont ainsi rappelé la beauté et l’horreur du monde. Et il n’est que d’ouvrir un livre de la « maison Zulma » pour que ces voix multiples résonnent à jamais en nous.
Xavier de Guillebon et Syvie Debrun lisant Le linge, l'opium et la rose
A consulter :
www.zulma.fr
Lire la nouvelle "Crime d'honneur"
(parue dans La Croix du 21 juillet 2011)
sur le site de La Croix
Crédit photos : ex-libris.over-blog.com