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1 octobre 2011 6 01 /10 /octobre /2011 16:39

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La Crucifixion sur les voûtes du choeur de la collégiale Sainte-Croix à Loudun

(Photo ex-libris.over-blog.com, Dimanche 19 octobre 2011)

 

Lors de mon voyage sur les terres australes en novembre 2008, j’avais eu l’occasion de découvrir la peinture aborigène. A Hermannsburg, à 126 kilomètres d’Alice Springs, dans la touffeur du désert, nous avions visité le petit musée où sont exposées les œuvres d’Albert Namatjira, peintre aborigène de réputation mondiale. A l’extérieur, assises par terre, des femmes peignaient ces points mystérieux, hérités du Temps du Rêve.

Lors des Journées du Patrimoine 2011, une exposition, Les peintres du Temps du Rêve, dans la collégiale Sainte-Croix de Loudun, m'a donné l’opportunité de revoir ces peintures qui m’avaient fascinée. L’occasion pour moi de m’interroger de nouveau sur la signification de ces extraordinaires toiles, venues du fond des âges.

On sait que cet art, « la plus ancienne tradition spirituelle et picturale au monde, jamais interrompue », est celui des premiers habitants de l’Australie. Répartis en 500 ou 600 tribus, ils peuplaient tout le pays, parlaient environ 300 langues et avaient développé dans l’isolement le plus total une culture et une religion des plus complexes. Au nombre d’un million lors de l’arrivée des Anglais au XVIII° siècle, ils ne sont plus désormais que 500.000 pour une population australienne de 20 millions d’habitants. Je ne reviendrai pas ici sur le terrible génocide dont ils furent victimes, les Anglais ayant déclaré cette terre « terra nullus », c’est-à-dire vide de tout habitant !

La peinture aborigène contemporaine, appelée aussi desert painting (peinture du désert), est née au début des années 70, à 240 kilomètres au nord-ouest d’Alice Spring, dans la communauté de Papunya. Cette renaissance eut lieu avec une fresque fameuse, intitulée Le rêve de la fourmi à miel.  Sous l’influence d’un instituteur, Geoffrey Bardon, les Aborigènes, s’approprient alors avec maestria les techniques occidentales  pour en faire les messagères de leur spiritualité. Le pointillisme, qui a contribué à la célébrité de cette peinture, est dû à la crainte des peintres de dévoiler au plus grand nombre les motifs du Dreamtime ou Temps du Rêve. Aussi noyèrent-ils ces symboles dans des points afin de les rendre moins lisibles. Par ailleurs, le système des points répond bien à la conception énergétique qu’ils ont du monde et que leur léguèrent leurs ancêtres. Ils l’ont donc conservé.

Car la particularité de cette peinture, c’est qu’elle remonte à la nuit des temps. En Australie, ils sont en effet très nombreux les sites (grottes ou pétroglyphes) qui véhiculent cette symbolique et cette spiritualité. C’est celle du Dreamtime, du Tjukurpa, du Temps sacré ou encore du Dreaming, la forme progressive anglais étant la plus à même pour rendre compte de l’intemporalité du mythe.

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Oiseau dessiné dans une anfractuosité d'Uluru

( Photo ex-libris.over-blog.com, Octobre 2008)

Société hautement évoluée, fondée sur un système de relations de parenté complexe, le peuple aborigène avait élaboré un grand mythe d'origine, celui du Temps du Rêve, porteur d'un concept fondamental, celui d'un temps cosmique sans commencement ni fin. Le totémisme y était par ailleurs essentiel, puisque ce sont les Grands Ancêtres qui sont nés de la terre en gestation et qui ont créé le monde. Advenus à la vie, ils la peuplèrent et y laissèrent leur empreinte en la parcourant en chantant. Ce sont ces chants, ces parcours, appelés song lines, qui ont donné naissance au relief, aux espèces, au cosmos. Dans le Temps du Rêve, c'est toute la création du monde qui ressuscite, accompagnée de la geste des Grands Ancêtres.

C’est ainsi que, lors de notre balade autour d’Uluru le rocher sacré, dans le Red Center, nous avions pu admirer des figures sacrées, telle La patte d’émeu ou Le cerveau. Pendant la Multijulu walk, on nous avait raconté l’histoire de la bataille entre Kunya le serpent bénéfique et Liru le serpent maléfique autour d’un trou d’eau. Dans des abris percés en surplomb, servant à la pratique de rituels au serpent Arc-en-Ciel, nous avions pu admirer des dessins rupestres, qui représentent oiseaux, échidnés ou encore émeus.

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La patte d'émeu, Uluru (Photo ex-libris.over-blog.com, Octobre 2008)

Pour les Aborigènes, il est certain que leur peinture, en animant l’esprit ancestral, contribue à participer de l’énergie qui fait perdurer l’univers. Cette peinture n’est nullement une peinture décorative puisqu’elle est chargée de tout le passé et de l’énergie créatrice des Grands Ancêtres. Elle met ainsi en jeu l’essence même du peintre, tout ce qui constitue son être, lequel est religieux au premier chef.

A l’origine, les motifs tracés de la peinture aborigène, du nom de kuruwarris, le sont à l’occasion de rituels. Ils sont dessinés sur le sol mais aussi sur le corps et les objets sacrés. Les Aborigènes usent de l’ocre, du duvet d’oiseaux, de fibres végétales, de sang et de résine.

Les caractéristiques de la peinture aborigène moderne, aisément reconnaissable, sont très particulières. Peinte généralement à plat sur le sol, elle se regarde en perspective aérienne et ne possède ainsi ni haut ni bas. Si elle est relativement économe de signes, ceux-ci sont en revanche très chargés de signification. Du cercle concentrique, témoin d’un site religieux ou d’un campement, au signe en forme de U, symbole d’un personnage, en passant par l’ovale, image du coolamon  (objet en bois servant à transporter enfant ou nourriture) ou encore par les empreintes d’animaux, on y lit l'histoire de l'un des peuples les plus anciens de l'humanité.

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Peinture aborigène, Collection personnelle (Photo S. Thévenet)

Dans les années 70, cette peinture n’était accessible qu’aux hommes. Depuis 1990, les femmes se sont arrogé le droit de peindre. Désormais, 80% des toiles peintes sont le fait des femmes. Le peintre aborigène, toujours un homme ou une femme parvenu à maturité, ne peindra que les motifs hérités de son clan et des mythes paternel et maternel. L’homme et la femme ne peignent pas du tout de la même manière. En effet, le premier est assimilé au monde « du dessous », la seconde au monde « du dessus » et chacun n’illustrera pas pareillement le même rêve.

Il faut enfin remarquer que pour accéder à la peinture contemporaine, les Aborigènes ont été contraints à un compromis, qui fait coexister Dreamtime et loi des Occidentaux. Cette tentative de conciliation de deux conceptions du monde a pour nom Two ways (Les deux voies).

La déambulation dans la collégiale Sainte-Croix, ce lieu, éclatant de lumière grâce à une grande verrière, est un véritable ressourcement. Sur le tuffeau, ces peintures venues d’un monde lointain, sont superbement mises en valeur. Elles y voisinent avec les scènes du XIII° siècle, peintes sur la voûte du chœur, et représentant la Crucifixion, surmontée du Soleil et de la Lune. Elles nous rappellent aussi que la spiritualité est universelle et que nous, Occidentaux, n’en avons pas le monopole. Une leçon salutaire !

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     Détail du tableau ci-dessus, Collection personnelle (Photo S. Thévenet)

 

 

Sources :

 Comprendre la peinture aborigène du désert australien, Michèle Panhelleux

 


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