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20 décembre 2011 2 20 /12 /décembre /2011 17:08

 miss harriet 2

Le peintre Léon Chenal (Jérémie Rénier) et Miss Harriet (Laure Killing),

dans l'adaptation de Jacques Rouffio et Philippe Claudel

(Photo Jean Pimentel)

 

Lundi 12 décembre 2011, sur la 5, j’ai revu pour la deuxième fois l’adaptation télévisée de la nouvelle de Maupassant, Miss Harriet, diffusée déjà en 2007, dans la série Chez Maupassant.  Il s’agit de « vingt-quatre récits réalistes, normands et parisiens, destinés à un large public », ainsi que le précise Noëlle Benhamou. Le scénariste en est l’écrivain Philippe Claudel (réalisateur des films Les Ames grises, Il y a longtemps que je t’aime, Tous les soleils) et le metteur en scène Jacques Rouffio (Sept morts sur ordonnance, L’Orchestre rouge, La passante du Sans-Souci…). Il me semble que cette adaptation est une des meilleures de la série, tant par la manière dont elle est filmée que par sa fidélité aux intentions de l’auteur.

Cette nouvelle, qui donne son titre à un des très nombreux recueils des trois cents nouvelles de Maupassant, fut publiée pour la première fois dans Le Gaulois du 9 juillet 1883, sous une forme complètement différente, reprise par Louis Forestier dans l’édition de La Pléiade. Maupassant hésita longtemps sur le titre entre Miss Butler, Miss Hastings et Miss Harriet. C’est ce dernier titre qui fut retenu pour la parution en 1884 chez Victor Havard, à Paris, de douze récits, parus auparavant dans des revues et des journaux,  entre mai 1883 et avril 1884.

Miss Harriet inspirera une opérette parodique de Maxime Boucheron et Edmond Aubran, à qui Maupassant demandera de changer le titre pour Miss Heylett. Une preuve sans doute que l’écrivain ne souhaitait pas que l’on sourie de cette histoire.

On fera remarquer que, dans cette nouvelle, une grande attention est portée à la description de la nature, chose assez rare dans le roman français pour être signalée. On songe parfois à Tourgueniev. Quant à la dédicataire de l’œuvre (« A Madame…), elle demeure inconnue.

Comme souvent dans les récits du « taureau triste », il s’agit d’un récit enchâssé, placé dans un récit-cadre qui situe l’action dans un break. C’est un procédé très classique que ce récit de voyage, cette anecdote contée pour faire passer le temps. Parti d’Etretat pour aller visiter les ruines de Tancarville, Léon Chenal, un peintre de renom, raconte à ses six compagnons de voyage « le plus lamentable amour de sa vie », à l’origine de son évolution artistique. L’adaptation a transformé le récit encadrant, en le situant dans un salon. Dans la nouvelle, c’est sur les instances de « la petite baronne de Sérennes » qu’il raconte cet amour « grotesque et passionné ». Ici, il le fait sur la demande de la comtesse d’Etrailles, qui l’interroge sur un grand dessin encadré représentant une femme dont le parapluie se retourne dans la tempête. C’est ainsi que le peintre vieillissant (Jean-Claude Dauphin) raconte cette improbable histoire d’amour à ses hôtes.

miss-harriet-réalisme

Chez la mère Lecacheur  (Charlotte Maury-Sentier, à gauche), Léon Chenal (Jérémie Rénier),

Louise (Audrey Beaulieu) debout et Sapeur (Pascal Elso)

(Photo Jean Pimentel)

Alors qu’il était un jeune rupin, âgé de vingt-cinq ans, le narrateur (Jérémie Rénier) avait séjourné dans la ferme-auberge de la mère Lecacheur (Charlotte Maury-Sentier), à Bénouville, entre Yvetot et Etretat. Il y avait rencontré Miss Harriet (Laure Killing), une Anglaise extravagante et exaltée, vivant dans l’admiration et la contemplation de la nature et de son créateur. Ils avaient noué une relation amicale étrange, fondée sur l’amour de la peinture et de la nature. Elle s’était tragiquement terminée par le suicide de la vieille fille dans le puits de la ferme-auberge, au lendemain de l’annonce de son départ par le peintre.

Jacques Rouffio a admirablement rendu les paysages normands du Pays de Caux. Il a su traduire les « impressions » ressenties par le jeune peintre à Etretat. Dans la nouvelle, une des seules où Maupassant traite de la peinture, il est clair que l’écrivain s’identifie au peintre, Léon Chenal, avatar de Corot, Courbet ou encore de Monet, que Maupassant avait vu peindre à Etretat. Maupassant n’était nullement indifférent à la peinture de son temps. En 1869, il avait vu Courbet peindre La Vague, aussi à Etretat. Il racontera vingt ans après ce souvenir : « Dans une grande pièce nue, un gros homme graisseux et sale collait avec un couteau de cuisine des plaques de couleur blanche sur une grande toile nue. » Le téléfilm montre bien comment Léon Chenal arpente la campagne cauchoise, fuyant « toute vision « convenue » de la nature », en quête de sa « palpitation » intime.

courbet la vague

La Vague de Courbet

Il y a dans cette adaptation une parfaite adéquation entre le fond et la forme, car on a bien souvent l’impression de regarder un tableau. Et lorsque Miss Harriet contemple Chenal, en train de peindre en extérieur, d’un regard surplombant, on songe à cette toile de Monet représentant une femme avec une ombrelle blanche. Il en va de même pour la vision des falaises d’Etretat, si souvent peintes par l’artiste impressionniste. Dans « La vie d’un paysagiste », Maupassant ne fait-il pas dire à un  peintre fictif, son porte-parole, qu’il faut « donner aux mots la vie mystérieuse de l’art » ?

Cette démarche picturale est aussi celle d’Agnès Nègre, la créatrice des costumes. Elle explique ainsi son travail : « Pour le costume de Jérémie Rénier, nous sommes partis d’une peinture, Bonjour Monsieur Courbet, représentative de l’allure d’un peintre de la fin du XIX° siècle. Pour Miss Harriet, nous avons choisi une robe en indienne, très anglaise, mettant en lumière les origines et les caractéristiques puritaines du personnage. »

Courbet-Gustave-Bonjour-Monsieur-Courbet.jpg

Bonjour Monsieur Courbet, Gustave Courbet, 1854,

Musée Fabre, Montpellier

Mais en dépit de cette robe sévère qui la ligote, la Miss Harriet de Jacques Rouffio est plus attrayante que la « figure de momie, encadrée de boudins de cheveux gris roulés », dépeinte par le narrateur. Laure Killing promène sur les falaises herbeuses sa silhouette longiligne et élégante. Son jeu traduit bien la valse-hésitation amoureuse de cette « vestale pétrifiée », consumée par l’amour. Elle interprète avec finesse cette sauvagerie foncière, exprimée ainsi par le narrateur : « Elle avait des brusqueries, des impatiences, des nerfs. » Le regard de son beau visage aux traits bien dessinés trahit peu à peu ce « désir exaspéré et impuissant de l’irréalisé et de l’irréalisable ». Evolution particulièrement sensible dans la scène où elle surprend Chenal en train d’embrasser Louise la servante (Audrey Beaulieu) devant le poulailler. L’idylle amoureuse entre la jeune fille et le peintre est d’ailleurs beaucoup plus détaillée dans l’adaptation. Maupassant, quant à lui, est plus économe de moyens et n’évoque que la scène du baiser d’adieu. Dans la nouvelle, Louise s’appelle Céleste.

miss harriet louise

Chenal et Louise (Photo Jean Pimentel)

Dans ce court récit comme dans bien d’autres, Maupassant se montre un analyste incomparable du cœur féminin. C’est avec mille nuances qu’il décrit comment l’amour naît dans un cœur verrouillé par les principes. Ainsi, Chenal, en qui on peut voir son porte-parole, devine au cours d’une promenade que Miss Harriet est tombée amoureuse de  lui : « Tout son pauvre être avait tremblé, vibré, défailli. Je le savais ». Jérémie Rénier incarne avec sensibilité cet « homme épris de sentiments purs » et en même temps « débordé souvent par sa sensualité », ainsi que l’était Maupassant lui-même.

Peut-être que Chenal et Miss Harriet se ressemblent. En effet, alors que les habitants de la ferme-auberge se moquent de Miss Harriet, la traitent d’hérétique et de démoniaque, alors que la mère Lecacheur sourit devant les toiles du jeune artiste, celui-ci  est le seul à voir en la vieille fille une âme singulière sensible à l’art. A cet égard, on peut se demander si le personnage ostracisé de Miss Harriet n’est pas le double féminin de l’artiste, incompris et mal aimé.

Tous deux, d’une certaine manière, sont en dehors des « règles académiques ». Sapeur, l’ancien chasseur d’Afrique (Pascal Elso), ne voit dans le désert qu’une terre aride là où Chenal rêve sur la blondeur des dunes. L’instituteur admire le néo-classicisme d’Ingres alors que Miss Harriet devine en l’art une expansion de l’infini. Chenal et Miss Harriet sont les porte-parole, l’un de l’impressionnisme, l’autre d’un certain romantisme, mouvement qui naquirent en opposition  aux règles conservatrices. Les deux personnages considèrent que le but de l’art est de poursuivre « la vérité inaperçue ». Dans l’incipit de « La vie d’un paysagiste », cette idée est clairement exprimée : « Il faut ouvrir les yeux sur tous ceux qui tentent du nouveau, sur tous ceux qui cherchent à découvrir l’Inaperçu de la Nature […]. »

miss harriett peinture

Miss Harriet et Chenal, en train de peindre

Dans cette adaptation tenue de bout en bout et qui ne tombe jamais dans le pathos ni le grotesque, les éléments réalistes ne sont bien évidemment pas absents : mœurs et mentalités cauchoises,  luttes entre l’Eglise et l’Etat sous la III° République, guerres coloniales. Mais l’écrivain transcende ce réalisme en infléchissant la nouvelle vers l’analyse psychologique d’un amour « grotesque et passionné » qui marquera à jamais le narrateur.

Et s’il ne fallait retenir qu’une image de ce téléfilm sensible, ce serait celle du chaste baiser que le peintre donne à la morte, « sur ces lèvres qui n’en avaient jamais reçu », et alors qu’il vient  de disposer autour de son corps ces fleurs des champs qu’elle avait tant aimées.

Comme dans la nouvelle, l’adaptation de l’histoire de Miss Harriet aurait pu se clore là. Philippe Claudel a rajouté la scène de l’enterrement, un peu trop insistante à mon humble avis, sur le pathétique des faits. Toujours est-il qu’auprès de Miss Harriet, pour la porter en terre, il n’y a que le fossoyeur, le prêtre et Chenal. Avec elle disparaît « le secret d’un amour inavoué, celui d’une « muette et touchante Ophélie égarée sous la figure d’un hareng saur », ainsi que l’a décrite l’écrivain Dominique Fernandez.

 Claude_Monet_-_La_Promenade.jpg

La Promenade, Claude Monet

 

Sources :

Miss Harriet, Maupassant, Préface de Dominique Fernandez, Folio, 1036.

La Magazine littéraire, Octobre 2011, Dossier : Le Mystère Maupassant : Article : « Saisir l’Inaperçu » par Kelly Benoudis Basilio.

 

 

 


 

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10 décembre 2011 6 10 /12 /décembre /2011 15:13

franchise-postale anne-gayan

Franchise postale (Photo Anne Gayan)

 

Après Détournement de Mémoire, c’est avec Franchise Postale, joué vendredi 09 décembre à la salle Beaurepaire à Saumur, que le Pierrot lunaire qu’est Pierre Richard continue à égrener ses souvenirs. Dans ce one-man show, sous le prétexte de répondre à quelques lettres d’admirateurs un peu fêlés, il nous livre sa philosophie de la vie, toute en humour et en décalage.

Le décor est simplissime : quelques praticables, sur lesquels sont posés des paquets de lettres ficelés et un petit transistor, se détachent sur un fond de ciel bleu, parsemé de légers nuages – qui se transformera en fond sous-marin à l’occasion. Des lettres froissées, à jardin, jonchent le sol. L’ensemble est éclairé à cour par un rideau rouge.

Pendant plus d’une heure, la silhouette élastique et légère du comédien vêtu de gris, sur un tee-shirt décoré de taches de couleurs, déambulera sur la scène. Une agilité physique qui n’a d’égal que l’adresse avec laquelle il joue avec les mots. Son fidèle scénariste et metteur en scène, Christophr Duthuron, lui a en effet concocté un texte qui lui permet d’exercer sa verve burlesque.

Qu’il nous conte ses mésaventures de soixante-huitard attardé (il avait trente-trois ans), rue Soufflot, qu’il nous relate sa rencontre dans un restaurant italien avec un Aznavour dont il teintera l’élégante écharpe de sauce bolognaise, qu’il nous rappelle la malencontreuse coupe de champagne renversée sur la grande Madeleine Renaud au cours d’une de ces soirées mondaines qu’il abhorre,  il demeure inénarrable.

Les souvenirs de sa longue carrière de comédien lui procurent aussi l’occasion de moquer les méthodes psychologisantes des professeurs de théâtre, tentant de lui enseigner comment bien dire La Cigale et la Fourmi. La mise en scène au TNP, par un certain Hermantier, de Jules César est la porte ouverte au désopilant tableau d’un spectacle raté, avec acteurs qui font défaut, comédien expert en chuintements, cercueil qui s’ouvre révélant son sable, parchemin impossible à ouvrir…

Le rideau rouge est encore prétexte à rappeler avec mélancolie les grands anciens, tel Georges Brassens qui proposa à Pierre Richard de faire la première partie de son spectacle. Par la suite, ce dernier et Victor Lanoux allèrent souvent dans les coulisses supporter Georges du regard. Quant au mime Marceau, qui ne fut pas épargné par les maux de dents, il est le héros d’une rencontre ratée entre les deux artistes.

Qu’à cela ne tienne, la mélancolie n’est pas le fort de Pierre Richard et il sait la tenir à distance. Il n’aura de cesse durant tout le spectacle d’empêcher son saxophoniste  (Olivier Defays) de lui jouer des airs jazzy, pleins de spleen. Il ira jusqu’à emboucher une longue corne de montagne pour éviter de l’entendre.

A soixante-seize printemps, le comédien demeure ce grand enfant, toujours à côté de la plaque, toujours enthousiasmé par le moindre bon mot, toujours poète. Baudelaire n’est pas loin : l’albatros, plusieurs fois invoqué, n’est-ce pas un peu Pierre Richard, empêtré dans ses ailes de géant ? Mais rien n’entame sa bonne humeur foncière, sa manière de pratiquer l’humour à propos de tout. Au lieu de respecter une « minute de silence » quand les gens disparaissent, il prône quant à lui la « minute de bordel ». Et de nous faire sourire avec cette pauvre dame, victime d’un accident d’auto… tamponneuse.

Si le texte de Christophe Duthuron se laisse parfois aller à la facilité, si parfois les bons mots sont ceux de l’Almanach Vermot, on ne pourra que remercier Pierre Richard de sa « franchise » décalée et salvatrice. Et qu’applaudir aussi à sa symphonie en – do – mmagée, qu’il joue avec un mirliton d’enfant.

 

 

 

 

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6 décembre 2011 2 06 /12 /décembre /2011 15:02

Chateau-fort-tarifa.JPG

Un fort musulman près de Tarifa (Andalousie)

(Photo ex-libris.over-blog.com, Juin 2011)

 

 

Tout près de Tarifa

Le fort se dresse encore

Oublié des combats

Orgueilleux mirador

 

 

 

Pour la communauté de Hauteclaire, Entre Ombre et Lumière,

Thème : Châteaux-forts

 


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6 décembre 2011 2 06 /12 /décembre /2011 14:18

 Yinko la poursuite

L'Amant couronné et La Poursuite,

Jardin d'amour, Installation de Yinko Shonibare,

3 avril-8 juillet 2007, Musée du Quai Branly

 

 

Dans le jardin de buis

Qui ressemble à la vie

L’amant cherche l’amante

Dans l’ombre verdoyante

 

Il avance à tâtons

L’amour est sa prison

Il va les yeux fermés

Sur d’inconnus tracés

Ses chemins sont impasses

Il a perdu sa trace

Tout son être s’égare

Au profond traquenard

La chambre de verdure

Est chambre de torture

 

Où est sa toute belle

Sur ce jeu de marelle

Qui le mène à l’enfer

Vers un ciel à l’envers ?

 

Pour Papier Libre de Juliette,

Thème : le labyrinthe

 

 

 

 

 

 

 

 

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5 décembre 2011 1 05 /12 /décembre /2011 14:47

Rodelinda.JPG

Renée Fleming (Rodelinda) et Andreas Scholl (Bertarido)

dans le duo de l'acte II, "Io t'abracchio".


La saison 2011-2012 du Met renoue avec le baroque. Le samedi 21 janvier 2012, ce sera la retransmission de L’Ile enchantée et hier, samedi 03 décembre, c’était celle de Rodelinda de Georg Friedrich Haendel, un dramma per musica en trois actes, redécouvert au début du XX° siècle.

A l’origine, l’intrigue est celle d’une tragédie de Corneille, Pertharite, roi des Lombards (1652). L’action se situe en Lombardie au VII° siècle de notre ère. Poussé par l’ambitieux Garibald, l’usurpateur Grimoald, pensant que le roi Pertharite a été tué au combat, s’empare du trône lombard. Afin d’asseoir sa légitimité, il courtise la veuve de Pertharite, Rodelinde, qui demeure fidèle à son époux, lequel revient sous le couvert de l'anonymat. Au dénouement, le tyran pratiquera la clémence en faveur de ses ennemis. Si cette intrigue n’eut guère de succès à l’époque de Corneille, son avatar, l’opéra de Haendel, triomphera le 13 février 1725, au King’s Theatre de Haymarket, à Londres, lors de la sixième saison de la Royal Academy, sous le titre Rodelinda, regina de Longobardi. Cette œuvre sera le premier opéra seria de Haendel à être recréé au XX° siècle, en 1920.

Le livret de l’œuvre de Haendel est de Nicolas Francesco Haym, poète et compositeur (1678-1729), adapté de celui d’Antonio Salvi, daté de 1710. Salvi avait accompli l’essentiel de la transformation par rapport à Corneille : retour de Pertharite dès l’acte I, promotion de la figure du fils, jalousie de Pertharite, méconnaissance de Pertharite par Grimoald. Haym raccourcira et simplifiera l’action, en mettant en relief Rodelinde et Pertharite. Haendel, quant à lui, retouchera le livret afin d’aviver les situations de passion, tels la jalousie de Pertharite et le sentiment de l’amour conjugal. Lors de la reprise  à la fin de l’année 1725, le compositeur ajoutera quatre nouvelles arias et un autre duo et modifiera les airs de la  fin  (« Vivi tiranno », le duo et le Tutti final). Un des points essentiels de ce travail sur Pertharite est encore la réutilisation de la « scène terrible » où Rodelinde accepte d’épouser Grimoald, à la condition qu’il tue, s’il l’ose, leur jeune fils. En effet, elle met  ainsi à l’épreuve son désir de tyrannie.

Chez Haendel, l’intrigue se déroule à Milan, aussi au VII° siècle. Le roi Bertarido (Andreas Scholl, contre-ténor) passant pour mort, Grimoaldo, duc de Benevento (Joseph Kaiser) s’est emparé du trône lombard et veut se faire épouser de la reine Rodelinda (Renée Fleming, soprano). Pendant ce temps, Garibaldo (Shen-Yang, baryton-basse), l’éminence noire de Bertarido, espère lui-même accéder au trône, tout en jetant son dévolu sur Edvige (Stephanie Blythe), la fiancée que Grimoaldo a abandonnée. Mais Bertarido, le roi destitué, réapparaît avec l’aide de son fidèle ami Unolfo (Iestyn Davies, contre-ténor), un jeune noble, conseiller de Grimoaldo…

RODELINDA- sarah Krulwuch NY Times

Rodelinda prisonnière (Renée Fleming), dans la scène 1 de l'acte I

 

C’est Stephen Wadsworth qui reprend la mise en scène de ce grand opéra lyrique, dirigé par le spécialiste du baroque, Harry Bicket, qui est aussi au clavecin avec Bradley Brookshire. Il l’avait déjà signée en 2004 avec Renée Fleming dans le rôle-titre. Il précise ainsi ses intentions : « Je suis plus intéressé à représenter la sensibilité du compositeur pour un public contemporain. Les opéras de Haendel, qu’ils soient situés dans la Grèce antique ou dans la Lombardie du VII° siècle, suivent la même trame des drames du Siècle des Lumières : un jeune homme passionné doit apprendre à modérer sa passion avec raison. »

Le dénouement en effet est ici extrêmement moral : le méchant traître Garibaldo est tué, le tyran pratique la clémence et l’amour est vainqueur. Tout est bien qui finit bien et c’est assez rare dans un opéra, ainsi que le souligne Renée Fleming. « Après la nuit obscure/ Plus lumineux, plus clair/ Plus aimable, plus cher/ Se lève ici-bas le soleil», chantent les cinq protagonistes au dénouement.

Cette mise en scène, très classique, est toute en fluidité et en élégance, même si je n’ai guère apprécié les cris de douleur que pousse Rodelinda, enfouie dans son lit lors du Prologue. Au demeurant, le metteur en scène sait rendre humains des personnages qui pourraient apparaître très loin de nous.

 

RoDELINDA tyran rouge

Grimoaldo (Joseph Kaiser), Rodelinda (Renée Feming), Flavio, son fils

 

Dans l’acte I, l’on passe des appartements, où est emprisonnée Rodelinda avec son fils Flavio, à un jardin-mausolée dans la campagne lombarde où sont enterrés les rois lombards. Ce jardin jouxte les écuries, où passent et repassent les soldats du tyran (peut-être avec excès) et où se retrouveront Rodelinda et Bertarido. Dans l’acte II, la grande bibliothèque élisabéthaine à un étage de Grimoaldo sera la cadre de la scène dramatique où Rodelinda intime l’ordre au tyran de tuer Flavio : en effet, elle considère qu'elle ne peut être la femme du tyran en même temps que la mère de l’héritier légitime. Ce faisant elle pousse Grimoaldo à assumer la tyrannie jusqu’au bout et à faire le choix de la plus extrême violence. L’acte III a pour cadre la cave-prison dans laquelle Bertarido est au secret, le jardin où a lieu le duel entre Garibaldo et Bertarido et de nouveau la grande bibliothèque, où a lieu le dénouement.

Stephen Wadsworth a situé l’action non pas au VII° siècle mais au XVIII° siècle. On admirera les somptueuses robes de Renée Fleming, aux couleurs du deuil, violet et noir, et sa tenue de voyage bleu et or lorsqu’elle est sur le point de partir avec Bertarido. Les costumes masculins sont très seyant, avec les hautes cuissardes noires et les vestes à basques virevoltantes. Tache éclatante dans cet univers sombre, le gilet de soie rouge que porte le tyran connote la violence d’un pouvoir acquis injustement. On remarquera, à la fin de l’acte III, que la couleur symbolique du pouvoir est de nouveau portée par Bertarido, qui reprend sa place de souverain de Milan. Quant à Grimoaldo, dorénavant, il se contentera de régner sur Pavie avec Edvige qu’il épousera.

 

rodelinda acte III

Grimoaldo (Joseph Kaiser) menace Bertarodo (Andreas Scholl) devant Rodelinda (Renée Fleming) et Unolfo (Iestyn Davies)

 

J’ai aimé les scènes pleines de mélancolie dans lesquelles Rodelinda est en compagnie de son fils Flavio. Elles ne sont pas sans faire songer à Andromaque et à Astyanax, enjeu lui aussi des ambitions et des passions des adultes. On voit l’enfant jouer avec un cheval de bois ou avec des quilles, à l’effigie de soldats. Il pose sur cet univers de violence un regard désarmant et désarmé. Sa présence muette et interrogative presque constante donne à cet opéra une atmosphère tendre toute particulière.

Dans cet opéra, en effet, ce n’est pas la politique qui triomphe. C’est bien « l’expression du sentiment chanté qui l’emporte sur l’expression de la raison », et c’est la sensibilité qui est victorieuse. Cela me semble particulièrement vrai dans l’acte II quand Unolfo exalte l’espoir et l’optimisme des retrouvailles entre Rodelinda et Bertarido. Le jeune contre-ténor, Iestyn Davies, qui fait ici ses débuts au Met, promène sa silhouette plus frêle que celle des autres chanteurs masculins, mais sa voix puissante et juste apporte un charme pénétrant à cette histoire de lutte pour le pouvoir. Ses attentions pour le fils de Rodelinda, sa fidélité et son amitié indéfectible pour Bertarido, qu’il s’emploie à sauver, apportent beaucoup de fraîcheur à l’intrigue, par ailleurs très sombre.

 

rodelinda io t'abbracchio

Rodelinda (Renée Fleming) et Bertarido (Andreas Scholl) dans le duo "Io t'abracchio" à la fin de l'acte II

 

La fin de l’acte II voitle point d'orgue de cette sensibilité avec le sublime duo de Rodelinda et Bertarido, « Io t’abracchio ». Andreas Scholl l’avait déjà chanté dans la mise en scène de 2006 mais il précise qu’à chaque fois il faut réinventer le rôle. Dans cette scène d’adieu, il s’accorde magnifiquement  avec René Fleming et leur prestation est d’une émotion extrême. J’ai aimé aussi la scène de l’acte III dans laquelle Grimoaldo est envahi par la culpabilité. Le ténor Joseph Kaiser, à la stature impressionnante pleine de prestance, interprète avec nuance ce tyran que n’épargne ni le doute ni le remords.

Cet opéra aux trente arias donne surtout à entendre la voix mystérieuse des contre-ténors. On sait que cette voix, dite de fausset ou falsetto, est très ancienne. Cette voix, dont la diversité de timbre est étonnante, n’était-elle pas au service de la magie et de la croyance au surnaturel ? On va même jusqu’à la qualifier de « voix de la résurrection », « voix des anges » ou « voix du ciel », tant elle semble venue de l’au-delà.

Les contre-ténors contemporains récusent absolument cette conception. C’est le cas notamment de Philippe Jarrousky qui dénie toute ambiguïté à ce type de voix, déclarant l'avoir choisie « pour des raisons purement techniques et esthétiques » et parce que c’est la voix  « la plus riche en possibilités musicales ». Il ne supporte absolument pas le fantasme qui  tourne autour de ce type de voix. » « Elle n’a rien de surnaturel du tout, elle repose sur des phénomènes physiologiques bien connus et une technique très solide. »

Philippe Jarrousky est cependant bien conscient de l’impression que produit toujours cette voix sur l’auditoire : « On se demande comment la voix peut sortir d’un tel corps », ajoute-t-il. D’autant plus que le chanteur en représentation  « passe son temps à exprimer des choses sexuelles ». Il est conscient que le contre-ténor se trouve dans l’obligation d’assumer tout cela, « la voix étant l’instrument le plus personnel qui soit ».

L’Histoire nous apprend que les falsettistes (équivalent de contre-ténor, alto masculin ou falsettiste alto) ont toujours chanté, même pendant la grande époque des castrats entre 1600 et 1790. Ces derniers furent interdits de scène en France au XVIII° siècle, sauf dans les cercles restreints de la cour. On sait le succès qu'ils connurent en Italie et l'engouement dont ils furent l'objet. En Angleterre, le contre-ténors échangeaient souvent leurs rôles avec les castrats et avec les chanteuses femmes. Haendel profita de ce phénomène en écrivant indifféremment pour les uns ou les autres.

Dans Rodelinda, Andreas Scholl et Iestyn Davies sont tous les deux remarquables. Cependant, l’étrangeté produite par leur voix se remarque surtout chez le premier, dont la corpulence masculine est plus marquée. J’ai plusieurs fois pensé à Chérubin en écoutant le second, dont le rôle d’ami de Bertarido et de consolateur de Rodelinde est en outre porteur d’une douceur très particulière.

 

Rodelinda 2

Rodelinda (Renée Fleming) devant la stèle aux rois lombards

 

Quant à la diva du Met, Renée Fleming, qui confie lors de l’entracte que Rodelinda est son opéra favori, elle est toujours émouvante. Son chant, d’une grande pureté, se déploie particulièrement dans les passages élégiaques, notamment lorsqu’elle pleure Bertarido, à l’acte I. Dans le duo avec Andreas Scholl à la fin de l’acte II, elle est sublime. Stephanie Blythe est familière du rôle d’Edvige qu’elle reprend ici. Sa voix au registre très étendu est superbe. Elle sait rendre sympathique son personnage de femme bafouée. Sa relation avec Rodelinda manifeste la complicité féminine dans l’adversité.

RodelindaHedvige

Edvige (Stéphanie Blythe), la soeur de Bertarido et la fiancée abandonnée de Grimoaldo

 

Avec cet opéra tragique, où s’affrontent l’amour et le pouvoir, Haendel nous apporte la preuve éclatante qu’il est passé maître dans l’art de faire chanter les passions humaines. La force dramatique de sa musique n’a d’égale que celle des voix, ici à l’acmé de l’émotion.

 

Sources :

Contre-ténor.net : l’histoire des contre-ténors

Pertharite, Wikipédia

http://site.operadatabase.com

Synopsis détaillé de Rodelinda

Classique News.com, Ecouter Rodelinda de Haendel, Lucas Irom

Interview de Philippe Jarrousky pour Evene.fr, mai 2007 : "Le contre-ténor à la française", Etienne Billault

 


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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 17:29

 la femme de gilles cuisine

Emmanuelle Devos (Elisa) et Gilles (Clovis Cornillac) dans La femme de Gilles,

(Crédit photo : Pathé Distribution)

 

Dimanche 20 novembre 2011, la comédienne Emmanuelle Devos présentait au cinéma Le Palace, à Saumur, La femme de Gilles (2003), de Frédéric Fonteyne, un réalisateur belge. Après Jérôme Clément, Robin Renucci, Nicole Garcia et Benoît Jacquot, elle avait choisi ce long métrage dans le cadre de la cinquième Carte blanche offerte à une personnalité par le Ciné-Club Plein Ecran.

Dans la semaine a suivi la projection de cinq autres films de sa sélection personnelle : Raging Bull (1980) de Scorcese, présenté par Christian Rouillard ; Crimes et délits (1989) de Woody Allen, présenté par Patrice Gablin ;  Les Quatre cents coups (1959) de Truffaut, présenté par Pierre Pucelle ; Le bonheur d’Assia (1967) de Andrei Konchalovsky, présenté par Christel Gillet et Ceux qui restent, réalisé et présenté par Anne Le Ny. C’est un choix très personnel qui reflète les intérêts de l’actrice pour la place de la femme de la société et le rôle de l’actrice. Le premier et le dernier film appartiennent à sa filmographie.

Après la projection Emmanuelle Devos a expliqué qu’elle avait choisi La femme de Gilles pour plusieurs raisons. Ce film n’avait pas trouvé son public à l’époque et le rôle d’Elisa l’avait particulièrement marquée. Pendant un an, elle n’a pas tourné, comme s’il lui fallait ce temps pour se remettre de l’impression très forte que ce film avait laissée en elle.

Le film est adapté du roman au titre éponyme très connu en Belgique. Son auteur en est Madeleine Bourdouxhe (1906-1996). Cette œuvre fut admirée et de Jean Paulhan et de Marguerite de Beauvoir. Elle exalte l’amour fou, celui qui conduit à l’abnégation de soi-même.

Le Belge Frédéric Fonteyne a adapté ce roman en maintenant l’action dans les années 30. Emmanuelle Devos a aimé cette histoire d’une épouse qui découvre l’infidélité de son mari Gilles (Clovis Cornillac), ouvrier sidérurgiste, qui la trompe avec sa propre sœur Victorine, interprétée par Laura Smet. Tout d’abord jalouse, elle se met à épier son mari, puis devient sa confidente, persuadée que cette histoire n’est qu’une passade et que Gilles l’aimera de nouveau. « Attends, ça passera », lui dit-elle. Gilles, à cause de sa violence, perdra Victorine mais Elisa reconquerra-t-elle son mari ?

Avec ce personnage féminin, Frédéric Fonteyne propose une manière très originale de traiter du thème rebattu de la jalousie et un très beau portrait de femme. Une personnalité très loin de celle d’Emmanuelle Devos elle-même et qu’elle qualifie d’ « autiste de l’amour ». Elisa n’a pas les mots pour exprimer sa souffrance, pour sortir de son isolement et elle ne trouve nulle part de secours ni de consolation. Ni chez ses parents ni auprès de ses deux filles. Les dialogues sont très peu nombreux et Emmanuelle Devos a fait un superbe travail pour exprimer les sentiments variés et contradictoires qui envahissent son personnage. Tout passe sur son visage, de la jalousie à l’apaisement en passant par l’abnégation et une infinie patience. "Elle est comme une sainte de l'amour", fera remarquer une spectatrice.

la femem de gilles enfant

En même temps, Emmanuelle Devos considère qu’Elisa a un côté manipulateur dont elle n’est sans doute pas consciente elle-même. En devenant la confidente de son amri, elle espère maîtriser la situation. Elle apparaît ainsi à la comédienne comme une femme forte, de la force de ces femmes belges qu’elle a pu rencontrer. Elle demeure cependant assez mystérieuse comme une spectatrice l’a indiqué. Celle-ci a souligné avec justesse une des répliques du film : « Si tu savais… », confie Georges à Elisa dans une scène où il reconnaît qu’il est amoureux fou de sa belle-sœur Victorine. Ce pourrait être une des phrases-clés du film, les personnages demeurant opaques les uns aux autres, sans espoir de communication.

Le film a été très exigeant pour Emmanuelle Devos car, dit-elle, Frédéric Fonteyne « ne m’a pas protégée ». «  Il était Elisa », rajoute-t-elle d’une façon un peu sibylline. Il en va tout autrement avec Arnaud Depleschins avec qui elle a souvent tourné et qui sait l’entourer d’un cocon protecteur. « Il connaît bien les acteurs », précise-t-elle. Pourtant, Emmanuelle Devos a beaucoup apprécié ce tournage en Belgique. Elle aime la simplicité des relations que savent instaurer les Belges, chez qui l’esprit de hiérarchie est totalement absent.

Esthétiquement, le film est une réussite, tant par son travail sur la lumière (solaire dans le jardin l’été, tamisée derrière les volets clos, inquiétante et froide durant l’hiver), que par son goût du détail et de la reconstitution. Le passage des saisons est quant à lui particulièrement bien rendu, qui se fait sur deux années dans le petit jardin de la maison de Gilles et d’Elisa. Emmanuelle Devos a expliqué que la demeure avait été créée de toutes pièces, avec un soin tout particulier.

J’ai par ailleurs beaucoup aimé cette caméra intime qui n’est que le regard d’Elisa et qui, à la fin, dans le grenier se pose sur la chemise vide de Gilles qui sèche sur un fil. « Je ne sens plus rien… », vient -il de lui avouer dans le lit conjugal.

On pourra peut-être regretter la reconstitution un peu trop léchée des années 1930, quoique la scène de la guinguette soit particulièrement réussie. Elisa et Victorine me semblent vêtues avec un excès d’élégance peu en rapport avec le milieu social auquel elles appartiennent. Et le passage où la famille va pique-niquer dans la campagne est lui aussi teinté de maniérisme.

La femme de gilles en bleu

En dépit de ces quelques remarques, on espère que la diffusion de ce film plein de sensibilité contribuera à parfaire l’image que l’on peut avoir d’Emmanuelle Devos, celle d’une comédienne à l’intériorité irradiante.

 

 

 

 


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29 novembre 2011 2 29 /11 /novembre /2011 21:48

 

 Bassin.JPG

      Reflet dans le bassin du jardin, 

(Photo ex-libris.over-blog.com, Novembre 2012)

 

 

Le monde a basculé sous les verts nénuphars

Le toit est à l'envers sous l'eau divinatoire

Je me sens vaciller sur le bord du bassin

Aux confins bleus du ciel comme au bout d'un tremplin 

 

 

 

Pour la communauté de Hauteclaire, Entre Ombre et Lumière,

Thème : l'image dans l'image

 


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26 novembre 2011 6 26 /11 /novembre /2011 15:12


Maurice-Denis-Crepuscule-Musee-Bonnat-Bayonne.jpg

Crépuscule, Maurice Denis, Musée Bonnat, Bayonne

 

 

Dans le puits de la nuit

Quelque chose a pâli

Un pinceau incertain

Un blanc reflet sans tain

Le silence est un drap

Qui frôle nos corps las

Et l’on se sent flotter

Léviter à jamais

Dans les limbes du temps

Quand le jour hésitant

Tremble au fond de l’alcôve

Au beau falot de l’aube

 

 

Samedi 26 novembre 2011

Pour Papier Libre de Juliette

Thème : l’Aube

 


 

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 22:49

 la-grande-vague-1831

La grande vague, Hokusaï, 1831

 

Ce que j’aime avec Raphaël Enthoven, c’est qu’il nous invite à philosopher sur tout. C’est ainsi que dimanche 20 novembre 2011, lors de son émission Philosophie, sur Arte, à 13h30, il recevait Frédéric Schiffter, qui a évoqué son dernier ouvrage, Petite philosophie du surf. Selon lui, le surf évoque l'essence dramatique de l'existence.

Dès que la vague émerge, se forme une lame : on songe au vague à l’âme… Car qu’est-ce qu’avoir le pied marin ? Qu’est-ce que cet équilibre sur la vague ? Celui d’un homme libre, l’homme de Baudelaire, qui éprouve le spleen en regardant la mer. On agit en regardant et on parlera alors de contempla-c-tion.

Entre l’homme et la vague, il s’agit d’un combat loyal. Si l’on regarde le célèbre tableau d’Hokusaï, qui appartient à l’une des Trente-six vues du mont Fuji, on perçoit une menace suspendue. On éprouve le sentiment d’être face à un élément indifférent à notre existence. Nietzsche ne disait-il pas : « Le monde n’est pas là pour nous faire plaisir » ? On est ici aux prises avec le tableau d’une angoisse et l’on pourra songer à la fin de Moby Dick : après le naufrage du Peckwood, l’eau continue à rouler comme il y a cinq mille ans.

Le surf maintient l’homme sur l’écume des choses. Et de nouveau Nietzsche le dit  : l’homme est un « être superficiel par profondeur ». Le glissement sur la vague, c’est la dialectique de l’horizontalité et de la verticalité. Il s’agit de demeurer vertical soi-même. Si l’écume submerge, c’est fini. On pourra dire adieu à tout mais l’on aura vécu une belle aventure.

Si le pêcheur va sur la mer par besoin, le surfeur y va par défi et par jeu. Puis son désir devient besoin et nécessité. Il n’y a rien de plus sérieux que le désir du surfeur. Et ce dernier expérimente la métaphore de Blaise Pascal : « Nous sommes tous embarqués. » Il se retrouve dans l’impossibilité de choisir. Dans l’élément marin, il n’y a plus de choix : il faut prendre la vague.

Le Christ marchant sur les eaux peut être considéré comme le père des surfeurs. Mais quand on est Dieu, y-a-t-il grand mérite à cela ? Le Christ marche sur les eaux d’un calme lac et non sur la vague d’un mascaret. N’est-il pas plutôt alors un surfeur d’eau douce ? Marcher sur l’eau relève d’un projet prométhéen, celui de soumettre la nature à sa propre puissance.

Le surf est d’une autre nature : c’est une danse funèbre. La houle roule et il s’agit d’accueillir les vagues qui vont mourir jusqu’au rivage. Rituel sacré que l’on pratique dans le but qu’elles puissent revenir. Ici, on ne contrarie pas l’ordre de la nature mais on cherche bien plutôt à l’épouser.

Belinda baggs Ph Adam Kobayashi

Belinda Baggs (Photo Adam Kobayashi)

Une autre figure du surf est celle de Belinda Baggs. Elle avoue :  « Le temps passé sur l’océan est comme rentrer chez soi, un endroit où tu trouves ton équilibre et où tu te fais porter par les flots. »Sur son long board, elle épouse bien la vague. Elle est la manifestation sensible de l’essence du surf. Elle glisse sur la lame, elle fait corps avec elle dans une optique d’épousailles. C’est un acte qui ne relève pas de la religion mais de la spiritualité, c’est une mystique, celle de la divinité qui va mourir. La danse de la surfeuse accompagne la divinité quand elle se mélange au sable. Elle est l’incarnation de la grâce, telle que la définit Bergson : « Un souffle qui fait frissonner la matière ».

Flâneuse de l’onde, la surfeuse se promène. Pour elle, hasard et nécessité prennent alors le même sens. Agissant d’instinct, elle fait preuve d’une précision souveraine, d’une sagesse toute sophistique, qui consiste à saisir la bonne vague. Le bon surfeur sait lire la mer ; le mauvais rate ses vagues.

Le surfeur émérite agit avec prudence et sagacité, et non par ignorance. Son expérience est faite d’un savoir, d’une science intuitive, qui lui donne le sens de l’occasion. « La mélancolie est son ultime avatar » et elle est ce qui reste dans le cœur d’un homme quand la vague meurt. On assiste alors aux derniers instants d’un élément Quoi de plus beau que la « cicatrace », le sillage moribond de la vague moribonde ? Sur la vague, c’est gravé. D’ailleurs, « les naufrageurs écrivent leur nom sur l’eau ».

Laird-Jaws

Laird Hamilton surfant Jaws (Photo Buzzy Kerbox)

Laird Hamilton, en quête de Jaws (mâchoire en anglais), la vague vorace, la vague mythique de vingt mètres de haut, le dit : « Je me fais l’effet d’être un chasseur de dragons. » Il renoue ainsi avec une forme de polythéisme. Il est comme un demi-dieu affrontant le monstre marin qui le met au défi de le dévorer. S’il existe toujours une surenchère, elle n’est pas de l’ordre de l’exploit. Chez Laird Hamilton, elle relève plutôt de la modestie et de l’humilité, le surfeur étant en adoration mystique devant les éléments.

Pour lui, le monde est la mesure de toute chose et il ne pense qu’à cela. Il ne veut pas séparer son destin de celui des vagues, qui sont à chaque fois comme des travaux d’Hercule qui ne laissent aucune trace. A son propos, on pourrait même parler d’une démarche littéraire. Laird Hamilton n’est-il pas dans la logique de la légende, lui qui est déjà comme un héros vivant au paradis des surfeurs ?

Pourtant, la trace d’une planche sur la mer n’est rien de plus que la durée d’un mot d’esprit au cours d’une conversation de table. Bientôt, il n’y a plus personne pour écouter et tout finit dans le silence, celui qui précède ou suit la tempête. Et c’est cet éphémère qui est beau. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », disait Héraclite et on ne surfe jamais deux fois la même vague…

 

 

A lire : Petite philosophie du surf, Frédéric Schiffter, Editions Milan

 

 

 

 

 

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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 22:55

satyagraha grand 

Richard Croft dans le rôle de Gandhi

 

Depuis longtemps, j’aime la musique de Philip Glass, lancinante comme la pulsation des vagues, et que j’écoute en boucle. Samedi 19 novembre 2011, son opéra Satyagraha était retransmis du Met en HD, dans 1400 salles de cinéma à travers le monde, une occasion unique pour le public de découvrir ce compositeur génial.

Satyagraha est un mot inventé par Gandhi lui-même, Satya signifiant vérité et Graha fermeté. Ce titre se réfère ainsi au concept de résistance non-violente (ahimsâ) à l’injustice qu’initia Gandhi. Le satyagrah (« la force née de la vérité et de l'amour ou non-violence ») est l'aboutissement de cette vérité contre des lois ou des systèmes injustes au travers d'une lutte non violente. Gandhi considère même le satyagraha supérieur à la désobéissance civile ou à la résistance non-violente  car le terme implique de servir une cause juste et devient de ce fait l'arme des forts et non plus l'arme des faibles.

Le texte est inspiré de la Bhagavad Gîtâ, le « chant du Bienheureux » ou « Chant du Seigneur », dont Gandhi fit lui-même un commentaire. C’est la partie centrale du poème épique du Mahabarata. Ce texte est un des écrits fondamentaux de l'hindouisme, souvent considéré comme un « abrégé de toute la doctrine védique ». Il est chanté en sanscrit, une performance remarquable pour les interprètes. Renonçant à l’utilisation de sous-titres (le sanscrit étant une langue étant faite pour être entendue), la production ne projette que des phrases-clés (souvent des prières que récitait Gandhi) sur le fond de scène ou sur des accessoires. Rareté d’un texte, qui confère à l’œuvre une haute élévation morale.

L’opéra, composé en 1980 sur une commande de l’Opéra de Rotterdam, se déroule en trois actes pour orchestre, chœur et solistes. Philip Glass prêta aussi la main au livret, écrit par Constance De Jong. Fondé sur la vie de Mohandas Karamchand Gandhi, l’œuvre forme le second volet d’une trilogie de portraits, dont le but est de mettre en scène des personnages qui changèrent le monde. Les premier et troisième volets sont intitulés Einstein on the beach et Akhnaten. La seconde partie, à travers les trois personnages historiques de Tostoï, Tagore et Luther King, évoque la pensée et la vie de cet apôtre de la paix que fut Gandhi.

Enthousiasmé par Einstein, le directeur général de l’Opéra des Pays-Bas, Hans de Roo, avait proposé au musicien d’écrire pour toutes les forces de son opéra, dont l’orchestre. Cet opéra, dont la première eut lieu en 1980, constitue donc un tournant décisif dans la carrière de Glass puisqu’il revient ici pour la première fois à la forme orchestrale après dix années de recherches sur le minimalisme. Il le dit lui-même : « Depuis, je ne me suis plus arrêté et je dois dire qu’ayant étudié l’orchestre avec Nadia Boulanger, je peux aujourd’hui sentir l’ombre de Fauré et des grands Français planer sur bon nombre de mes compositions. » Depuis la première, l'opéra de Glass fut représenté une autre fois en 2007.

L’orchestre se compose d’instruments à cordes (violons, altos, violoncelles et contrebasses), d’instruments à vent (flûtes, piccolo, clarinettes, clarinette basse, hautbois, cor anglais, bassons) et d’un orgue. Il n’y a ni cuivres ni percussions. Philip Glass s'est toujours refusé à créer un son orchestral standard  et tient à la particularité de sa sonorité. Il précise que son œuvre comporte peu d’écriture pour solistes. « Je me concentre sur les timbres mélangés, comme si l’orchestre était un orgue », précise-t-il.

La distribution comporte deux sopranos, deux mezzo-sopranos, deux ténors, un baryton et deux basses et un large chœur (sopranos, altos, ténors et basses). Comme le Christ est accompagné par les Saintes femmes, plusieurs accompagnent Gandhi dans sa longue marche vers la justice. Rachelle Durkin (soprano) interprète Miss Schlesen. Secrétaire et conseillère de Gandhi, elle aide Rustomji, le collègue indien du maître, à rallier la foule contre le gouvernement britannique.  Mrs. Naidoo (soprano) est une autre femme qui suit Gandhi et le conseille. Kasturbai (alto) est l’épouse de Gandhi qui l'assistera dans l’implantation indienne sur la ferme de Tolstoï et qui travaille au journal Indian Opinion. Mrs. Alexander (alto) soutient les Européens, tout en protégeant Gandhi contre leur harcèlement.

Kim Josephson (baryton) est Mr. Kallenbach, le conseiller de Gandhi. Alfred Walker (basse) interprète Parsi Rustomji, Compagnon de Gandhi, il conjure la foule de se dresser contre les nouvelles lois du gouvernement britannique, qui impose au peuple indien de se réinscrire sur les listes, d’être porteur d’un permis de résidence et d’être soumis à des perquisitions arbitraires. C’est Richard Croft (ténor) qui endosse avec brio et passion le rôle de Gandhi, l’instigateur de la résistance non-violente par le biais de la désobéissance civile de masse. On le sent complètement habité par son rôle, parvenant excellemment à intérioriser la force morale de son personnage.

Si le spectateur se laisse vite envoûté par la beauté des tableaux qui se succèdent, il a cependant un peu de mal à s’y retrouver dans l’histoire. En effet, le parti-pris de supprimer les sous-titres en français rend parfois difficile la compréhension des faits représentés. Il n’est donc pas inutile de les rappeler.

L’acte I est placé sous l’égide de Tolstoï, déjà apôtre de la non-violence en son temps et qui représente le passé. Gandhi et lui échangèrent une longue correspondance jusqu’au décès du romancier russe en 1901. Gandhi puisa une partie de son inspiration dans les écrits de Léon Tolstoï qui avait vécu une conversion profonde en une forme personnelle d’anarchisme chrétien, ce qui l’avait amené à concevoir un christianisme détaché du matérialisme et non violent. Gandhi a écrit une introduction à Lettre à un Hindou de Tolstoï, rédigée en réponse à la violence des nationalistes indiens. Certains pensent que, sans Tolstoï, Gandhi n’aurait peut-être jamais été aussi déterminé à mener une action aussi non-violente qui fit sa gloire

La scène 1, Le Champ de Justice de Kuru, rappelle les combats mythiques entre les Kuruvas et les Pandavas. Le prince Arjuna s’adresse à Krishna pour lui demander conseil. « Considère la victoire et la défaite comme étant identiques : puis prépare-toi à te battre. Ainsi, tu n’attireras aucun mal sur toi-même. » Gandhi apparaît et établit un parallèle entre passé et présent.

La scène 2 s’intitule La ferme de Tolstoï (1910). A l’origine de la première action collective en Afrique du Sud de ses partisans, les Satyagrahis, Gandhi établit une ferme coopérative dont les participants mènent une vie simple et harmonieuse. Tous les rédacteurs du journal participent aux travaux agricoles et reçoivent le même salaire sans distinction de métier, de nationalité ou de couleur de peau. L’accent est mis sur la contemplation et l’action.

La scène 3 (Le serment – 1906) évoque la proposition de loi dite du Black Act. Elle consistait en la réinscription des Indiens d’Afrique du Sud sur les registres, avec l’obligation des empreintes digitales, la possession d’un permis de résident, le droit pour la police de pénétrer dans les foyers pour vérification, la perspective de sanctions pouvant aller jusqu’à la déportation. Le Black Act suscita une manifestation de plus de 3000 personnes. C’est l’heure pour les Satyagrahis de prendre position et de s’engager dans un choix capital pour leur liberté.

Sur l’acte II plane l’ombre de Rabindranath Tagore, sage indien qui fut l’un des grands inspirateurs de Gandhi, qui le reconnaissait comme seule autorité morale en vie. Il symbolise le présent. La scène 1 (Confrontation et sauvetage –1896) remémore le séjour de Gandhi en Inde, au cours duquel il a alerté sur la situation des Indiens en Afrique du Sud. Il est en butte à une vive opposition lorsqu’il revient à Durban. La foule en fureur le poursuit lors de sa longue marche dans la ville. C’est alors que la femme du superintendant de la police ouvre son parapluie pour protéger Gandhi du lynchage et le mener en lieu sûr.

La scène 2 (Indian Opinion – 1906) insiste sur le rôle essentiel  que joua la publication hebdomadaire du journal Indian opinion dans le développement du mouvement du Satyagraha. Moyen d’information de choix, véritable force politique, il devint un atout de poids dans le combat pour les droits.

La scène 3 est intitulée Protestation (1908). Après l’emprisonnement des leaders du mouvement, les Satyagrahis se révoltent en se faisant arrêter pour différents délits et en remplissant la prison. Le gouvernement propose alors que si la majorité des Indiens accepte l’enregistrement volontaire sur les registres, le Black Act sera abrogé. Mais il ne respecte pas sa promesse et les Indiens prennent la décision de brûler leur certificat. Gandhi prêche alors l’importance de ne concevoir aucune haine pour quiconque : « Que l’homme se défasse de l’idée du « moi » et du « mien », égal dans la plaisir comme dans la douleur et les longues souffrances. »

L’acte III (King) fait référence à Martin Luther King, qui représente le futur. Selon Philip Glass, il est le Gandhi américain. Il est sous-titré New Castle March (1913). Des lois raciales discriminatoires permettent au gouvernement d’Afrique du Sud de contrôler l’afflux de nouveaux colons indiens et de dominer l’ancienne classe de travailleurs. Shree Gokhale, grand dirigeant indien en visite en Afrique du Sud, obtient la promesse de voir ces lois injustes abolies. Devant les reculades du pouvoir, Satyagraha voit le nombre de ses adeptes croître. Les mineurs de New Castle organisent alors une grève par solidarité avec le mouvement de Gandhi. Ils quittent leurs maisons et, conduits par Gandhi, ils marchent durant soixante  kilomètres jusqu’à la frontière du Transvaal. La pression sur le gouvernement est telle que tous se tiennent prêts à une épreuve sans opposition, « comme une protestation efficace contre le manque de parole du Ministre et comme une pure démonstration de notre désarroi devant l’abandon du respect de soi. »  Au sujet du retour de l’âme vers Brahma, Gandhi proclame alors : « Car à chaque fois que la loi des vertueux s’estompe et que l’anarchie s’élève, alors je me régénère sur terre. Je reviens vers vous d’un âge à l’autre sous une forme visible et remplace un homme par d’autres hommes pour protéger le bien et repousser le mal en y installant la vertu sur son trône. »

Satyagraha_King.jpg

Acte III, King (Photo Ken Howard)

Pour servir une telle histoire d’abnégation et denon-violence, il fallait une mise en scène à la hauteur de la beauté morale du personnage. Celle-ci remplit toutes ses promesses grâce à Phelim McDemott et Julian Crouch, qui ont créé une mise en scène d’une grande intensité théâtrale, réalisant « une magistrale fusion entre le son et l’image », ainsi que l’écrit le Times of London.

Même si la traduction du texte en sanscrit n’est pas proposée, la simplicité du décor permet une grande lisibilité. L’ensemble des tableaux prennent place à l’intérieur d’un haut mur de tôle en onduline, censé représenter l’enfermement des Indiens ghettoïsés en Afrique du Sud. Ce mur du rejet tombera à l’acte III pour laisser place à Martin Luther King, de dos, haranguant les foules du haut d’une tribune. On se souvient de la célèbre phrase : « J’ai fait un rêve… » et sa silhouette ne peut que faire songer à Obama. A plusieurs moments, les Satyagrahis émergent du bas de ce mur et y demeurent accroupis, à l’écoute du message de Gandhi.

On a vu que chaque acte était consacré à un personnage célèbre. C’est ainsi qu’on voit successivement Tolstoï, Tagore et King s’habiller avec les vêtements de leur personnage et, aidés par les membres du chœur, prendre place dans un emplacement en hauteur, d’où ils dominent l’action.

Le décorateur explique qu’il a employé les matériaux les plus simples pour créer accessoires et décor. Le sol est ainsi recouvert de papier journal qui forme comme un tapis. Ce matériau sera surtout utilisé dans la scène 2 de l’acte II, centré sur le rôle essentiel que joua l’hebdomadaire Indian Opinion.

Les extraordinaires marionnettes de l’acte I sont en papier mâché. Actionnées par les membres du chœur, elles symbolisent les combattants mythiques que sont les Kuruvas et les Pandavas. Au début de l’acte II, le fond de scène sera envahi par des personnages monstrueux, aux têtes énormes, figures des puissants et des nantis, eux aussi confectionnés en papier mâché. De même, des monstres à la Jérôme Bosch apparaîtront à la fenêtre du fond de scène,  comme autant de fantasmes habitant la tête de Gandhi.

satyagraha monstres

Acte II, Tagore

On admirera encore la beauté des costumes des femmes indiennes qui accompagnent Gandhi. D’un bleu violet, dans le premier acte, ils prendront par la suite des teintes solaires et mordorées. Quant au dieu Krishna, présent au début et à la fin de l’opéra, il est rendu particulièrement identifiable grâce à la peinture bleue qui recouvre son visage et à sa longue chevelure noire et luisante. Gandhi, pour sa part, chaussé de sandales, porte le dhoti, vêtement indien blanc en coton traditionnel qui le rendit célèbre. Le bas de tous les vêtements est légèrement teinté d’ocre, comme pour rappeler la poussière des chemins que les Satyagrahis foulèrent pendant leurs années de lutte.

L’ensemble de cette mise en scène est d’un grand lyrisme et sert au plus près le message novateur de Gandhi. Les symboles y sont très nombreux. Ainsi, on remarquera les signes d’une élévation morale avec ce personnage féminin qui monte dans les cintres et la présence en hauteur de Martin Luther King à la tribune, déjà mentionnée. On sera sensible à la beauté profonde de la scène où les Satyagrahis, tous vêtus de blanc, se défont de leurs lampes- tempêtes qu’ils portent à la main et qui s’élèvent vers le ciel. Ensuite, ils mettent le feu à leur certificat de résidence, créant ainsi un feu libérateur. On retiendra encore l’intensité de la scène 1 de l’acte II, dans laquelle les Africains du Sud prêtent la main au lynchage de Gandhi, cerné par cette foule hostile.

Servie encore par un remarquable travail sur la lumière, froide au premier acte, plus solaire par la suite, cette mise en scène inventive fourmille de trouvailles. Si on peut regretter l’absence de traduction continue et la répétitivité de certains airs, notamment au cours du dernier acte, on est séduit par la force et l’émotion d’un spectaclequi prend parfois la forme d’une cérémonie sacrée.

L’orchestre, quant à lui, conduit par Dante Anzolini, soutient avec force ce long chant de la non-violence. Avec cet opéra, Philip Glass cherche à montrer l’actualité du message de Gandhi. « Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec ce qui se passe actuellement à New-York et l’attitude des Indignés. […] Mais il est choquant de constater que soixante ans après la mort de celui qui posa les bases de la non-violence moderne, ce principe ne soit toujours pas respecté. » Cette magnifique mise en scène nous invite à l'entendre.

 

Sources :

Le Figaro -Musique, Gandhi indigné dans l'opéra de Philip Glass

Sortir ici et ailleurs, Satyagraha, opéra de Philip Glass en direct du Met

Satyagraha (opéra) Wikipédia

Metropolitan Opéra International Radio Broascast Information Center – Satyagraha de Philip Glass

 


 

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