Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 juillet 2016 5 01 /07 /juillet /2016 13:24
Le Christ à la Colonne, basilique Saint-Pierre-et-Saint Paul, Acireale (Photo ex-libris.over-blog.com, mercredi 11 mai 2016)

Le Christ à la Colonne, basilique Saint-Pierre-et-Saint Paul, Acireale (Photo ex-libris.over-blog.com, mercredi 11 mai 2016)

 

Située entre les pentes de l’Etna et la Mer Ionienne, Acireale a été la première étape d’un voyage en Sicile que j’ai fait du 11 au 18 mai 2016. Cette ville, autrefois appelée Aquilia, est surnommée le Petit Vatican, à cause de ses très nombreuses églises. Elle tire son nom actuel d’une légende mythologique. Le berger Acis était tombé amoureux de la nymphe Galatée. Son rival, le cyclope Polyphème, l’écrasa sous un rocher. De son sang jaillit un fleuve appelé Akis, dont le cours surtout souterrain affleure près de Santa Maria la Scala On appelle ce dernier U sangsu di Jaci (Le sang d’Acis). L’adjectif "royal" a été ajouté en 1642 par un décret de Philippe IV d’Espagne pour distinguer la ville de ses voisines et pour en souligner la position dominante, comme ville domaniale. Elle fut reconstruite après le séisme de 1793, qui détruisit une partie de la Sicile sud-orientale.

Parmi les nombreux édifices baroques que nous avons pu admirer se trouve la basilique Saint- Pierre-et-Saint- Paul, érigée en 1550.  Remaniée au XVIIème siècle et XVIII siècle, elle présente  une façade typiquement baroque conçue par Vasta en 1741.  A l’intérieur, une nef unique abrite quelques toiles du même artiste et de Platania.

Mais ce qui nous a fortement impressionnés, c’est  une statue du Christ à la Colonne, curieusement réalisée en papier mâché. D’un artiste inconnu, elle est vénérée par les habitants et traditionnellement portée en procession tous les 70 ans, afin de protéger les habitants contre les cataclysmes naturels. Elle représente un Christ flagellé, le corps couvert d’ecchymoses et de blessures, attaché à une colonne. Réaliste et doloriste à l’excès, le Fils de Dieu porte au cou un médaillon renfermant une relique de la Sainte Croix.

Les évangélistes ont rapporté la flagellation ordonnée par Pilate, cet épisode de la Passion du Christ, souvent associé au couronnement d’épines. Ils décrivent plus largement ce dernier et le situent dans un autre lieu, le Prétoire. Marc (Ch. 15, v. 15) écrit : « Pilate alors, voulant contenter la foule, leur relâcha Barabbas et, après avoir fait flageller Jésus, il le livra pour être crucifié. » Matthieu (Ch. 27, v. 26) s’exprime comme Marc : « Alors il leur relâcha Barrabas ; quant à Jésus, après l’avoir fait flageller, il le livra pour être crucifié. » Luc, de manière elliptique, dit pour sa part (Ch. 23, v. 24) : « Quant à Jésus, il le livra à leur bon plaisir. » Jean (Ch. 19, v. 1 à 3), qui ne dissocie pas les deux événements, est plus prolixe : «Pilate prit alors Jésus et le fit flageller. Les soldats, tressant une couronne avec des épines, la lui posèrent sur la tête, et ils le revêtirent d’un manteau de pourpre ; et ils s’avançaient vers lui et disaient : « Salut, roi des Juifs ! » Et ils lui donnaient des coups. » 

Ce thème de la flagellation du Christ a été souvent traité dans l’iconographie. Le Caravage, Antonello de Messine, Bramante, l’ont représenté avec force. Cependant, cette statue réalisée dans cette humble matière qu’est le papier mâché, m’a particulièrement émue.

J’ai pensé alors au poème, « Flagellation » de Jean-Pierre Lemaire, in L’Annonciade, découvert dans le beau livre, Visages de Marie, présenté par Jean Vanier. Le poète y donne la parole à la Mère de Dieu :

 

Les premiers coups commencent à pleuvoir

et tes disciples sont partis s’abriter.

Laisse-moi rester près de toi sous la pluie

dans la maison sans murs où tu donnes audience

à tous les humiliés, à tous les offensés.

 

Les autres reviendront chercher la chemise

la tête ou le cœur qu’ils ont abandonnés

pour échapper aux coups. Retiens-moi ici

sous la pluie noire du mépris avec toi

et les sept épées qui gardent mon cœur.

 

 

 

Partager cet article
Repost0
30 juin 2016 4 30 /06 /juin /2016 15:03
Trinacria, l'emblème de la Sicile (Photo ex-libris.over-blog.com, mai 2013)

Trinacria, l'emblème de la Sicile (Photo ex-libris.over-blog.com, mai 2013)

Pour faire suite à un deuxième voyage récent dans la Sicile baroque du 11 au 18 mai 2016, j'ai écrit ces vers, sorte de pot-pourri ou bric-à-brac de mes souvenirs siciliens.

 

Trinacria, Sicile, la Gorgone triade,

Ile des tremblements, soubresauts d’Encelade,

Exhalant son haleine lorsque l’Etna parade.

Mer de tous les dangers en Charybde et Scylla,

Terre des voyageurs où Ulysse accosta,

Et du grand Polyphème l’unique œil aveugla.

Sicile aux verts printemps, aux étés-siroccos,

Concave et puis convexe, piazza del duomo,

Agathe de Catane, aux beaux seins tenaillés,

Lucie de Syracuse, vierge violentée

Femmes douces et saintes, toujours martyrisées.

Sicile des Sicanes qui fut grecque et romaine,

Amphithéâtre où vinrent Euripide, Platon,

Sacrifiant à Zeus sur l’autel de Hiéron,

Edifiant son temple au poète Apollon.

Carrière des Tyrans, au creux des latomies,

Quand les soupirs venaient à l’oreille de Denys,

Qu’Aréthuse la nymphe coulait à Ortygie.

Sicile tant baroque, aux palais ouvragés,

Aux balcons arrondis, aux assises sculptées

De putti, de sirènes, de monstres inventés.

Sicile, îlot artiste, sensible et violente,

Empédocle mourant dans la fournaise ardente,

Archimède, savant à l’invention brillante,

Pirandello, Nobel, maître de la nouvelle,

Quasimodo, poète, secret et naturel,

Lampedusa le prince, romancier éternel

D’un monde qui s’en va, qui meurt dans la chaleur

D’un palais délabré et, à sa dernière heure,

Voit la femme voilée au charme ensorceleur.

Sicile, sous le joug de Rome et des Vandales,

Des Normands, de Byzance, du pouvoir impérial,

Victime séculaire d’un combat inégal,

Aux vêpres siciliennes au risque du va-tout,

Massacrant les Français du roi Charles d’Anjou

Et relevant le chef, le foulard rouge au cou.

Sicile des marchés, fontaines, mosaïques,

Aux multiples clochers, charrettes, céramiques,

Vives marionnettes des légendes épiques.

 

Sicile, beau jardin, où les bougainvillées

Sont soleils rougeoyants près des verts caroubiers,

Je voudrais m’endormir sous tes vieux oliviers.

 

 

 

 

Marionnette sicilienne à Taormine (Photo ex-libris.over-blog.com, mai 2013)

Marionnette sicilienne à Taormine (Photo ex-libris.over-blog.com, mai 2013)

Partager cet article
Repost0
26 juin 2016 7 26 /06 /juin /2016 14:26
Balade au marais de Rou en haïkus.

 

 

De l’étang vert d’eau

La fuite d’un ragondin

Un preste éclair brun

 

Libellule bleue

Dans la jungle des roseaux

Tel un papillon

 

Le gros peuplier

Le collier rond de mes bras

Sur son tronc ridé

 

La prêle des champs

Son fin feuillage froissé

Pierre sur ma peau

 

Le sentier serpente

Immobile le chevreuil

Rit sous la ramée

 

Jeudi  23 juin 2016

 

 

Partager cet article
Repost0
25 juin 2016 6 25 /06 /juin /2016 15:24
L'étang de pêche de Rou

L'étang de pêche de Rou

 

Jeudi 23 juin 2016, rompant avec  la pluie et les orages, l’été semblait s’être enfin annoncé. Ce soir-là, la Bibliothèque de Rou-Marson, dont je fais partie, et l’association Patrimoine Environnement Botanique organisaient une balade « le nez en l’air » au marais de Rou.

Une vingtaine de promeneurs s’étaient ainsi donné rendez-vous à l’étang de Presle, situé sur la gauche après le rond-point du même nom, sur la route de Rou-Marson. Emmenés par Renée Monnier, botaniste émérite et passionnée, et par les bénévoles de la Bibliothèque, ces visiteurs du soir ont cheminé par un sentier de verdure de l’étang de pêche jusqu’aux fontaines-lavoirs de Rou.

Sur les bords de cet étang, creusé en 1985 sur un ancien marais et alimenté par une source, ils ont d’abord écouté un texte de Henri Michaux, soulignant la fascination des hommes pour l’eau, « traîtresse et irrespirable à l’homme, fidèle et nourrissante aux poissons ». http://www.wikipoemes.com/poemes/henri-michaux/le-lac.php

Après avoir longé une haie de mûriers et de sureaux, ils ont été attentifs à la vie du peuple de l’étang, ragondins, grenouilles et libellules. Auprès des roseaux, une petite histoire de martin-pêcheur et de raton-laveur, d’un certain Cris Wac, les a fait sourire. http://www.montmartre-secret.com/article-poeme-pour-les-enfants-martin-pecheur-et-raton-laveur-horaire-piscine-103816298.html 

Ils ont écouté « Le petit poisson et le pêcheur » de La Fontaine, mésaventure d’un carpillon prêcheur, http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/jean_de_la_fontaine/le_petit_poisson_et_le_pecheur.html

et « Le héron imprévoyant », une fable que j’ai écrite récemment. Elle m’a été inspirée par la présence d’un héron, perché sur un if en face de ma fenêtre. http://ex-libris.over-blog.com/2016/04/le-heron-imprevoyant.html 

La vie de l’étang s’est animée avec « L’étang » (Odes du paysage de Port-Royal) de Jean Racine qui dit les « richesses admirables » et « les attraits » de ce monde qui vole et qui nage. http://www.poetica.fr/poeme-1879/jean-racine-etang/« Pêcheur d’aube » d’un poète anonyme a dessiné le tableau délicat d’un pêcheur dont la ligne rapporte au jour « la rondeur dorée d’un soleil endormi ». http://www.lespoetes.net/plpoeme.php?id=3297

Un peu plus loin, le groupe a fait halte sous un grand et gros peuplier. A l’aide d’un mètre de couturière et de savants calculs, l’on a pu en déterminer l’âge canonique : aux alentours de 350 ans ! Le poème, « Mon portrait », du poitevin Maurice Fombeure a rappelé à chacun combien l’homme est proche de l’arbre et intimement lié à la nature :

« […] Je suis de bois, mes mains et mon visage.

De bois je suis, oui, de dur cœur de chêne,

Œuvre gauche d’un sculpteur malhabile

Mais les forêts frémissent dans mon cœur. » http://www.lesarbres.fr/texte-fombeure,Maurice+Fombeure,,.html

La proximité de l’étang a suscité l’évocation d’une atmosphère fantastique que le philosophe Gaston Bachelard décrit ainsi : « La nuit, au bord de l’étang, apporte une sorte de peur humide qui pénètre le rêveur et le fait frissonner. » (L’Eau et les Rêves). Et c’est à plusieurs voix que nous, les diseurs de la Bibliothèque, avons commencé à donner la parole au narrateur de la célèbre nouvelle de Maupassant, « Sur l’eau ». Les auditeurs auront cependant dû attendre la fin de la balade pour connaître la chute de cette histoire de nuit, de brume et d’eau.

A l’écoute du murmure du ruisseau coulant sous un petit pont, s’en est suivie une explication détaillée de l’hydrographie complexe des trois cours d’eau qui entourent l’étang (mais ne l’alimentent pas). Un bief achemine l’eau jusqu’à ce qui fut l’ancien moulin à eau de Presles situé au rond-point un peu plus haut, tandis que le Doué s’en va vers Les Ulmes et qu’un cours d’eau descend des fontaines-lavoirs de Rou.

A l’orée du petit chemin de verdure qui se dirige vers celles-ci, le groupe a découvert la prêle, une plante « quasiment préhistorique » selon notre guide botaniste. De son nom savant, Equisetum Arvense, à cause de sa ressemblance avec la queue du cheval, encore appelée Queue de rat ou Queue de renard, c’est elle qui a donné son nom au lieu-dit. Riche en silice, en potassium et en calcium, elle était utilisée autrefois dans la pharmacopée, et l’on s’en servait pour nettoyer les casseroles.

En file indienne les marcheurs ont alors suivi le sentier qui longe le petit cours d’eau. Ils ont pénétré dans un endroit luxuriant, ombragé et secret où l’on a l’impression d’être loin du monde et des hommes. Dans un « trou de verdure », une halte poétique y avait été prévue mais les nombreux moustiques ont fait aller le groupe plus avant, leur donnant alors l’occasion d’admirer un chevreuil tranquille, en arrêt sous la ramée.

C’est un peu après la peupleraie du village, en lisière d’un champ, que les marcheurs se sont assis sur le bord du chemin pour écouter six poèmes. La présence du petits cours d’eau des fontaines, caché sous les herbes, a été ravivée par « La rivière endormie » de Claude Roy, et son « chuchotis de joncs de roseaux d’herbes lentes ».

http://www.wikipoemes.com/poemes/claude-roy/la-riviere-endormie.php« Le marais » de Théophile Gautier en a ressuscité les petits habitants : grenouilles « rauques », bécassine « noire et grise », pluviers, vanneaux, courlis, grues, canards sauvages, cigogne et héron.

http://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-le-marais.php

Héron et colverts ont été évoqués à travers deux de mes poèmes, « Héron cendré » et « Envol », écrits au cours de balades en ce même endroit. http://ex-libris.over-blog.com/article-heron-cendre-71984724.htmlhttp://ex-libris.over-blog.com/article-envol-70345990.html

Claude Roy (« Arbre vent ») http://eloge-de-l-arbre.over-blog.com/article-arbre-vent-74376237.htmet Henri de Régnier (« Chaque arbre a dans le vent… ») https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Sang_de_Marsyas  ont encore fait entendre la voix innombrable des arbres.

Le public a été ensuite invité à dire une douzaine de haïkus de Basho, Ginkô, Onitsura, Mahara et Issa. Le haïku est un bref poème d’origine japonaise de trois vers comportant dix-sept syllabes, célébrant la beauté fugace de la nature. Saisie d’un instant, en lien avec une saison, cette poésie des sens et non des idées, dit l’évanescence des choses. Un des plus célèbres haïkus est celui de Bashō :

« Ah ! le vieil étang

une grenouille y plonge –

le bruit de l’eau »

La dernière étape de ce parcours sylvestre et bucolique a mené les marcheurs jusqu’aux fontaines-lavoirs de Rou. Assis sur le petit muret de pierre, ils y ont écouté trois poèmes en l’honneur du peuplier, le familier des ripisylves. Le vendéen Pierre Menanteau voit cet « arbre si bien lié » (« Peuplier peuplier ») http://www.lesarbres.fr/texte-peuplier,Pierre+Menanteau,,.html menant « sa vie obscurément » (« Peuplier »).

http://eloge-de-l-arbre.over-blog.com/article-le-peuplier-116866891.html Quant à Rosemonde Gérard, l’épouse comédienne et poète d’Edmond Rostand, elle célèbre cet arbre élancé avec musicalité :

« Les grands peupliers longent le ruisseau ;

Et vont d’un air grave,

Reverdis à neuf par le renouveau

Qui fait l’air suave […] » http://www.unjourunpoeme.fr/poeme/les-peupliers

L’auditoire attendait avec impatience la fin de la nouvelle de Maupassant. Elle a distillé la sourde et nocturne angoisse du pêcheur prisonnier de sa barque (dont l’ancre ne se relève pas) jusqu’à la chute finale, de celles que l’on n’oublie pas : « C’était le cadavre d’une vieille femme qui avait une grosse pierre au cou. »

http://athena.unige.ch/athena/selva/maupassant/textes/surleau2.html

Et pour clore cette balade sur une note plus ensoleillée, j’ai dit un bref poème de ma composition,  un éloge du pissenlit, « humble soleil des pauvres ».

http://ex-libris.over-blog.com/article-celebration-du-pissenlit-108636866.html

Un apéritif convivial, avec notamment deux génoises à la rose et au sureau, a ensuite rassemblé les marcheurs devant la Maison du Pressoir devenue Maison des Jeunes, un beau bâtiment de tuffeau rénové il y a quelques années. « Nature et poésie, nous en avons bien besoin ! » a déclaré une participante en manière de remerciement.

 

Photos : ex-libris.over-blog.com (jeudi 23 juin 2016)

 

 

La prêle

La prêle

Le petit cours d'eau sous l'aqueduc

Le petit cours d'eau sous l'aqueduc

Dans le sentier vers les fontaines

Dans le sentier vers les fontaines

Le gros peuplier

Le gros peuplier

Partager cet article
Repost0
10 juin 2016 5 10 /06 /juin /2016 09:51
Par-delà le bien et le mal : Les Innocentes, de Anne Fontaine.

 

La réalisatrice Anne Fontaine aime à se confronter à des thèmes difficiles : de Nettoyage à sec à Entre ses mains, en passant par Perfect mothers, elle s’interroge sur le désir féminin, l’altérité et la transgression. Avec Les Innocentes (2016), film vu mercredi soir, elle poursuit dans cette voie en mettant en scène un sujet tabou, le viol de religieuses bénédictines par la soldatesque russe dans un couvent polonais en 1945.

Elle y met en scène l’expérience vécue par Madeleine Pauliac, un médecin français pour la Croix-Rouge, qui travaillait à l’hôpital français de Varsovie à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La jeune femme y soignait des soldats en attente de rapatriement et tenait un journal intime. « C’est par son neveu, Philippe Maynial, qui habite la France, que l’on a eu connaissance de ces faits » précise la réalisatrice. Sabrina B. Karine et Alice Vial ont tiré de ce document un scénario plein de force et de subtilité.

Anne Fontaine explique ainsi son propos : « J’ai voulu faire un film sur la foi et sur le doute de ces femmes dont le vœu de chasteté a été bafoué et étudier leurs réactions face à une maternité qui les terrifie. » C’est donc cette situation tragique, mettant en jeu la croyance des religieuses à l’épreuve des faits terrifiants qu’elles ont subis, qu’elle s’attache à montrer avec pudeur et sensibilité.

Au milieu d’un paysage de neige et de froidure, le film débute par le cri d’une jeune religieuse en proie aux affres de l’accouchement, tandis que s’élèvent les chants de la prière. Rompant la clôture, une jeune religieuse parvient à faire venir au couvent Mathilde Beaulieu (Lou de Laâge). Ce médecin, engagé volontaire dans un hôpital français, accepte de porter secours aux bénédictines. Athée et communiste, (« Il faut bien croire en quelque chose » dit-elle à Samuel (Vincent Macaigne), le médecin juif de l’équipe), elle découvre alors le sort indicible de ces trente religieuses, qui ont été violées, et par les nazis et par les Russes, et dont sept d’entre elles sont enceintes.

Approcher ces jeunes femmes traumatisées, déchirées entre leur vœu d’obéissance et de chasteté, sera malaisé pour le jeune médecin. Certaines refusent d’être examinées, d’autres sont terrifiées par la perspective de l’accouchement, une autre encore est dans le déni de sa grossesse. Mathilde revient les voir chaque nuit, en risquant sa réputation auprès des autres médecins et sa vie (elle échappe de peu au viol par des soldats russes qui occupent la zone). Alors qu’elle se demande si l’on peut « mettre Dieu entre parenthèses le temps d’une auscultation », sa fermeté, sa douceur, son respect finiront par apprivoiser ces femmes douloureuses. Jamais elle ne les contraindra, et on notera notamment la manière sensible dont elle les approche, abaissant avec pudeur leur robe de bure quand elle les examine.

Dans cette tâche délicate, Mathilde Beaulieu est secondée par la maîtresse des novices, Maria (Agata Buzek), qui lui donne les clés pour comprendre les réactions de ces jeunes religieuses. A celle qui ne croit pas Maria explique que « la foi, c’est vingt-quatre heures de doutes et une minute d’espérance ». Elle dit aussi la difficulté d’un choix à assumer jusqu’au bout : « Au début d’une vocation, c’est comme si l’on était pris par la main et conduit doucement. Mais vient le jour où le Père lâche la main de son enfant et il faut continuer d’avancer malgré la nuit, les doutes, la croix. » On suit donc en parallèle le lent parcours de la maîtresse des novices vers la désobéissance et la révolte contre la rigidité de la mère supérieure.

Alors que Mathilde Beaulieu est tout entière dans l’action humaine, dans une solidarité féminine active, la mère abbesse du couvent (Agata Kulesza) se situe, quant à elle, dans la perspective de la loi divine. Elle n’a qu’une idée : garder le secret sur ces accouchements et sur ces enfants de la honte et du péché. Craignant le scandale, l’opprobre, le rejet des religieuses et, à terme, la dissolution de la communauté, privilégiant la règle et la loi divine au détriment de la compassion, la mère supérieure sera ainsi acculée au pire. Si elle affirme un temps : « J’ai fait ce qu’il fallait », elle reconnaîtra plus tard avec lucidité : « Je me suis perdue », avant de mourir de la syphilis. Son attitude sectaire et intégriste conduira ainsi au suicide une des jeunes religieuses à qui son enfant a été enlevé.

Ce qui a aussi intéressé Anne Fontaine, c’est de montrer comment ces religieuses redeviennent des femmes. Elle a souhaité raconter comment certaines d’entre elles vont « se découvrir mères et aller vers la naissance ». « Car la vie est la plus forte après tout ! » dit-elle. La réalisatrice précise d’ailleurs : « Le renoncement à la maternité est la chose la plus difficile pour les sœurs que j’ai rencontrées, beaucoup plus violent que celui à la sexualité. » Nul manichéisme, cependant, puisque l’une des novices choisit de quitter le couvent en laissant son enfant à la garde du couvent. « Je veux vivre maintenant », confie-t-elle à Mathilde Beaulieu.

Anne Fontaine a su ménager quelques belles scènes de respiration qui montrent que, en dépit de la clôture et de la règle de saint Benoît, ces femmes n’ont rien perdu de leur féminité.  Ainsi la maîtresse des novices se confie à Mathilde et la revêt de la robe rouge qu’elle portait avant d’entrer au couvent. On les voit aussi coudre, jouer du piano, rire entre elles, jouer aux dames. Une jolie scène les montre manifestant avec effusion, gaieté et tendresse leur reconnaissance au jeune médecin qui a permis d’éviter la perquisition du couvent en déclarant aux Russes que le typhus y sévit.

Pour ce sujet, extrêmement difficile, dont on pouvait craindre le pathos et les excès, Anne Fontaine a été conseillée par dom Jean-Pierre Longeat, ancien abbé de Ligugé. Elle, qui se dit croyante mais non pratiquante, a aussi souhaité faire deux retraites chez les Bénédictines de Vanves. De là sans doute, la véracité qui émane de ce long métrage, tout à la fois sobre et audacieux, reconnu d’ailleurs par l’Eglise comme « un film thérapeutique », et ayant la vertu de rapprocher croyants et non-croyants.

Dans ce film on appréciera la densité des silences, l’expressivité des regards, les ombres mouvantes du couvent et les blancs implacables des paysages de neige, admirablement servis par Caroline Champetier qui avait aussi éclairé Des hommes et des dieux. La qualité du film tient sans doute aussi au jeu retenu et tout en intériorité de Lou de Laâge, excellente dans ce rôle dramatique. Dénué de tout angélisme, riche d’une thématique complexe, ce film à la mise en scène subtile et épurée nous rappelle encore à bon escient que le viol est une arme de guerre dont usent et abusent tous les combattants. Avec Les Innocentes Anne Fontaine reconnaît cependant avoir réalisé « un film d’espérance », où jamais elle ne juge moralement ses personnages. Et, par-delà le bien et le mal, elle nous dit que la pulsion de vie demeure la plus forte.

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
6 juin 2016 1 06 /06 /juin /2016 20:38
Oiseaux sous nos fenêtres (Photo ex-libris.over-blog.com, juin 2016)Oiseaux sous nos fenêtres (Photo ex-libris.over-blog.com, juin 2016)
Oiseaux sous nos fenêtres (Photo ex-libris.over-blog.com, juin 2016)Oiseaux sous nos fenêtres (Photo ex-libris.over-blog.com, juin 2016)

Oiseaux sous nos fenêtres (Photo ex-libris.over-blog.com, juin 2016)

Chardonnerets

Pinsons

Verdiers

Sous nos fenêtres

Rassasiés

Devant nos yeux

Emerveillés

Prennent la pose

En virtuoses

Partager cet article
Repost0
6 juin 2016 1 06 /06 /juin /2016 20:22
Grenouille au bord du bassin (Photo ex-libris.over-blog.com le 6 juin 2015

Grenouille au bord du bassin (Photo ex-libris.over-blog.com le 6 juin 2015

Phryné au bassin

Renaît le matin

Sous la sauge bleue

Partager cet article
Repost0
30 avril 2016 6 30 /04 /avril /2016 14:58
Carla Pirès (Photo Tribu Festival)

Carla Pirès (Photo Tribu Festival)

 

 

Vendredi 29 avril 2016, le Théâtre-Le Dôme à Saumur résonnait des accents mélancoliques du fado. La jeune chanteuse Carla Pirès, interprète de la nouvelle vague de ce genre musical portugais, y proposait les chansons de son nouvel album, Aqui (Ici).

Accompagnée de ses trois musiciens, Jorge Carreiro à la guitare basse, Pedro Pinha à la guitare classique et Bruno Mira à la guitare portugaise, elle a envoûté la salle par la puissance et la poésie de sa voix d’alto d'une grande pureté. Ses longs cheveux noirs et bouclés sur les épaules, vêtue d’une élégante robe aux reflets noirs et gris lui dénudant l’épaule droite et rehaussée d’une grosse ceinture de soie, elle nous a fait partager cette saudade portugaise si difficile à définir mais qui donne le frisson.

« La saudade ne s’explique pas. Elle se vit, entre autres par le fado » explique Belmira Perpetua. Association de sentiments mêlés, mélancolie, tristesse, regrets, rêverie, nostalgie, insatisfaction, elle est pour Camões « un bonheur hors du monde » et, pour Fernando Pessoa, « la poésie [même] du fado ». Si Carla Pirès, fidèle en cela à la tradition, exprime avec puissance et sensualité « les larmes de Lisbonne », elle propose cependant une vision renouvelée du fado : « Le fado, ce n’est pas que de la tristesse. J’ai choisi une autre image pour chanter d’autres âmes, d’autres couleurs. Et ce afin de renvoyer une image moins obscure. » En effet, durant la dictature de Salazar, le fado fut considéré comme « un chant de résignation », « le chant de l’analphabétisme et du conformisme », selon Misia. Le mot d’ordre, alors, n’était-il pas : « Fado, Fatima, Famille. » ? Carla Pirès se situe ainsi dans ce mouvement, né lors de la révolution des œillets en 1974, qui s’est orienté vers un nouveau fado, « ouvert vers les bruits actuels du monde, plus léger en harmonies », vers des sonorités plus contemporaines.

Les premières chansons que la chanteuse nous a proposées reflétaient bien l’atmosphère propre au fado traditionnel. Sombres, puissamment mélancoliques, elles ont plongé le public dans cet Alfama où l’on chante le « bonheur-malheur », le voyage, le destin et l’exil. Le fond de scène, drapé de cinq grands pans de rideaux verticaux, superbement éclairé de mauve, de gris ou d’orange, a accentué encore la mélancolie des textes. La sobriété de l’expression, l’économie des gestes de Carla Pirès, qui les mesure en tragédienne, la profondeur et la sensualité de sa voix, ont fait pénétrer en chacun la magie splénétique du fado, ce « chant profond du manque ».

Elle a bien sûr célébré Lisbonne, Lisboa, « si féminine et si diverse » ; puis elle a chanté deux poèmes d’amour de sa composition, « importants » pour elle pour cette raison, dont un mis en musique par son guitariste classique. Généralement chanté par une femme, la fadista, le fado chante bien sûr aussi l’amour. Misia, celle qui a donné un nouveau souffle au fado, l’explique ainsi : « Le fado touche au rituel de la douleur féminine. Particulièrement ses douleurs d’amour. C’est peut-être pour cela que les femmes chantent si bien le fado, parce qu’elles tutoient intimement les souffrances de la vie. »

Carla Pirès a ainsi rendu hommage à la « reine du fado » (Rainha do Fado), Amália Rodriguès. Quel beau moment que celui où, assise sur une chaise, aux côtés de ses musiciens, baignée dans une lumière rouge, elle a chanté avec âme, tout en lenteur, en douceur et en profondeur, en lui rendant hommage ! On sait par ailleurs que c’est en interprétant son rôle pendant quatre ans (de 2002 à 2004) dans une comédie musicale à succès, Amália, que la jeune chanteuse se fit connaître.

Dans ce récital, j’ai aimé encore la connivence entre Carla Pirès et ses trois musiciens dont la musique accompagne admirablement ses chansons. On sait que la capacité à s'adapter au chanteur, le doigté, le "pincé des cordes", la pureté des notes, l'accord entre les guitaristes, sont des éléments essentiels dans le fado. Admirative devant le talent de ses musiciens, c’est avec humilité que la chanteuse s’est éclipsée un moment de la scène pour laisser la première place à Bruno Mira. Dans un moment musical de toute beauté, nous avons pu ainsi découvrir les possibilités harmoniques de la guitare portugaise. Proche de la mandoline et appelée guitarra au Portugal, elle est en forme de cœur (disent les poètes) et possède douze cordes associées deux par deux.

Avec des arrangements parfois teintés de jazz, des échos de tango, des accents plus entraînants ont animé la fin du spectacle. Après plusieurs rappels enthousiastes et trois chansons supplémentaires, le récital s’est achevé sur « une marche à la joie », « Opovo canta na rua », rythmée par le claquement de mains des spectateurs et par leurs voix reprenant le refrain.

Et c’est avec regret que nous avons quitté la salle, la tête et le cœur pleins de la voix prenante de Carla Pirès, charmés par son fado, cette « épine amère et douce », ainsi que le qualifiait Amália Rodriguès.

 

Sources :

Programme de La Direction des Affaires Culturelles

http://www.portugalmania.com/culture/fado/guitare-portugaise.htm

http://www.espritsnomades.com/sitemusiquedumonde/fado/lefado.html

http://www.teiaportuguesa.com/terraeportucalensis/lasaudade.htm

 

 

 

Partager cet article
Repost0
29 avril 2016 5 29 /04 /avril /2016 16:54
Le héron près de l'étang de mes voisins (Photo ex-libris.over-blog.com, vendredi 28 avril 2016)

Le héron près de l'étang de mes voisins (Photo ex-libris.over-blog.com, vendredi 28 avril 2016)

 

 

Campé sur ses deux pattes, le bec telle une lame,

Orgueilleux, élégant, fier comme Artaban,

Sa huppe vive et noire flottant comme une flamme,

Un Héron dominait le peuple de l’étang.

 

Paresseux, nonchalant, il en était le maître,

Ses repas, chaque jour, étaient chez Lucullus ;

Poissons et batraciens à dextre et à senestre,

Oiseaux et musaraignes et couleuvres en plus.

 

Il fit tant et si bien qu’il décima la mare,

Gourmet de campagnols, insectes et mulots.

Quand il s’en avisa il était bien trop tard :

Le marais était vide, affamé son jabot.

 

Moralité

 

Souvent, celui qui vit en luxe et abondance,

Et s’étourdit des biens qu’il possède à foison,

Serait bien avisé d’agir en prévoyance,

Voir plus loin que son bec pour n'être point héron.

 

Fable librement inspirée par la présence d’un héron, familier de l’étang de mes voisins.

 

 

Le Héron imprévoyant.
Partager cet article
Repost0
28 avril 2016 4 28 /04 /avril /2016 15:44
Deux ramiers dans l'arbre devant ma fenêtre (Photo ex-libris.over-blog.com, mardi 26 avril 2016)

Deux ramiers dans l'arbre devant ma fenêtre (Photo ex-libris.over-blog.com, mardi 26 avril 2016)

 

 

Deux Ramiers de l’année frissonnaient au matin,

Attendant le printemps, blottis sur une branche.

Le plus jeune, impatient, décida tout soudain

De s’envoler bien loin au soleil de la Manche.

Son frère, raisonnable, patient et grand lecteur,

Avait lu les fables d’un certain La Fontaine.

Fort de l’enseignement, il freina son ardeur

En lui déconseillant la Transpyrénéenne.

Vous ignorez, mon frère, d’un voyage charmant

Menaces et dangers et tromperies du ciel.

Songez donc aux orages, aux lacs et aux enfants

Qui auront bientôt fait de vous briser les ailes !

Je ne vous parle point des chasseurs, des vautours,

Du blé empoisonné et des chats chattemitte…

Demeurez près de moi d’un fraternel amour,

Renoncez au voyage et demeurez au gîte.

 

Et vous, gentil lecteur, vous reconnaissez-vous ?

Etes-vous dévoré par l’appel du voyage

Ou bien préférez-vous le calme d’un chez-vous ?

Moi, je ne sais des deux lequel est le plus sage.

 

 

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Ex-libris
  • : Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.
  • Contact

ex-libris

 ex-libris

 

Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

Recherche