Un coin de table, Verlaine, Rimbaud et les Vilains Bonshommes, Fantin-Latour.
Aux temps de la saint Jean, quand les nuits se font
[claires
Aux jardins odorants dans la douceur des soirs,
Il est bon de partir et vers d'autres histoires,
Quand le temps minuté ne le sera plus guère.
Plus ne pénétrerai sous la porte cochère
Qui ouvre sur la cour d'une beauté altière,
Le long du couloir blanc, dans leurs cadres dorés,
Les vieux pères abbés ne me verront passer
Je n'aurai plus le goût du crayon qu'on mordille,
Quand on cherche le mot au bout du stylo bille,
Et je n'entendrai plus la cloche stridulante
Quand on va vers la classe dans une marche lente.
Et dans la salle haute dont la table est soleil,
Mes yeux n'erreront plus sur les livres anciens,
Dans le bourdonnement des notes et conseils
De ceux dont on écrit ici les lendemains.
Et je me souviendrai des grandes assemblées
Où l'on doit chaque année rénover le lycée,
Des temps pédagogiques, des heures de formation,
Où chacun dit son mot et parle à profusion.
Et pourtant j'aimais bien, pendant plus de vingt ans,
Faire craquer doucement les estrades de bois,
Embrasser du regard la classe aux yeux d'enfant
Qui cherche à deviner le secret de nos voix.
Et cependant j'aimais, le bras endolori,
Laisser courir ma main sur le vieux tableau noir,
Alors que, derrière moi, tandis que la craie crie,
Une phrase peut-être saura les émouvoir.
Et puis j'aimais aussi, aux abords de septembre,
Humer les feuillets neufs où les écrivains dorment,
Me dire dans la ferveur qu'il faut savoir attendre
Et qu'un cœur de seize ans leur redonnera forme.
Je ne connaîtrai plus, à l'aube de l'année,
Les visages nouveaux et qui vers vous se tendent,
Des enfants inconnus, au passé ignoré,
Dans l'espoir incertain d'une alchimique entente.
Et dans la classe close, aux portières fermées,
Je ne reverrai plus, penchées, ces silhouettes,
Dont la plume s'obstine à écrire des idées
Qui passent et puis s'enfuient des juvéniles têtes.
Plus ne ressentirai la fragile étincelle,
Quand après un long temps où le rouge insupporte,
On découvre, ô magie, une copie plus belle :
Un élève soudain a ouvert une porte.
J'aurai toujours au cœur le souvenir aigu
Des écoliers perdus, des élèves en allés,
Tous ceux que j'ai aimés, ceux que j'ai méconnus,
Dans le temps disparus, dans le flux des années.
J'ai voulu leur donner, avec l'amour des mots,
La colère de Voltaire, la rage de Rimbaud,
Le rire de Molière, la douleur de Baudelaire,
La force des auteurs qui oeuvrent pour leurs frères,
Le regard de voyant de tous les vrais poètes,
Pour qui dans l'encrier la plume est toujours prête,
Oui, j'ai souhaité dire que dans tout écrivain
Vit l'esprit de la terre qu'ils construiront demain.
Lycée Saint-Louis, mardi 29 juin 2004.