Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 mai 2024 4 02 /05 /mai /2024 17:04

 

Lundi soir, j'ai regardé le téléfilm (1981) de Marcel Cravenne, une adaptation du roman épistolaire de Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées. Il parut d'abord sous la forme de roman-feuilleton dans La Presse, en 1841, en deux parties, sous deux titres différents : Mémoires d'une jeune femme et Sœur Marie des Anges. Publié chez Furne en 1842 dans les Scènes de la vie privée, il était dédicacé à George Sand, un écrivain pour qui l'amour compta beaucoup.

L'histoire est celle de deux amies de l'aristocratie des années 1820-1830, de caractères très dissemblables, qui ont toutes deux quitté le Carmel de Blois car elles n'avaient pas la vocation, selon la mère supérieure (Renée Faure). Le spectateur les suit tout au long de leur vie et découvre leurs conceptions très différentes de la vie amoureuse.

Renée de Maucombe (Martine Chevallier)

Renée de Maucombe (Martine Chevallier) se laisse marier à Armand de Lestorade (Michel Peyrelon, Louis de Lestorade dans le roman), un "vieux jeune homme", revenu désabusé de la bataille de Leipzig. Ils vivent dans une bastide en Provence. Elle ne se donne pas tout de suite à lui, le temps de l'apprendre à l'aimer. En homme bon et sincèrement amoureux, il l'attendra avec patience et sa femme finira par s'attacher à lui. Tout en développant leur propriété, elle encouragera son ambition politique et ils partiront à Paris. Armand de l'Estorade devient député et pair de France. Ils auront trois enfants et leur mariage, fondé sur la raison et la tradition, sera heureux.

Sûre d'elle-même, Renée écrit à Louise : "Certes, il t'est prouvé, je crois, que je suis de beaucoup supérieure à Louis ; mais m'as-tu vue jamais le contredisant ? Ne suis-je pas en public une femme qui le respecte comme le pouvoir de la famille ? [...] Ma chère, la perfection de la bienséance  consiste à s'effacer si bien que l'obligé ne se croira pas inférieur à celui qui l'oblige ; et ce dévouement caché comporte des douceurs infinies."

image1714642114252.pngPeyrelon, Louis de Lestorade dans le roman), un "vieux jeune homme", revenu désabusé de la bataille de Leipzig. Ils vivent en Provence. Elle ne se donne pas à lui tout de suite, le temps d'apprendre à l'aimer. En homme sincèrement amoureux et bon, il l'attendra avec patience et sa femme finira par s'attacher à  lui. Tout en développant leur propriété, elle encouragera son ambition politique et ils partiront à Paris. Armand de l'Estorade devient député et pair de France. Ils auront trois enfants et leur mariage sera heureux, fondé sur la raison et la tradition.

Sûre d'elle-même, Renée écrit à Louise: "Certes, il t'est prouvé, je crois, que je suis de beaucoup supérieure à Louis ; mais m'as-tu vue jamais le contredisant ? Ne suis-je pas en public une femme qui le respecte comme le pouvoir de la famille ? [...] Ma chère, la perfection de la bienséance  consiste à s'effacer si bien que l'obligé ne se croira pas inférieur  à celui qui l'oblige ; et ce dévouement caché comporte des douceurs infinies."

Parfois, ses lettres se font moralistes, notamment quand son amie épouse Marie Gaston : "Comment, Louise, après tous les malheurs intimes que t'a donnés une passion partagée, au sein même du mariage, tu veux vivre avec un mari dans la solitude ? Après en avoir tué un en vivant dans le monde, tu veux te mettre à l'écart pour en dévorer un autre ? Quels chagrins tu te prépares ! Mais, à  la manière dont tu t'y es prise, je vois que tout est irrévocable."

Son amie, Louise de Chaulieu (Fanny Ardant), issue d'une grande famille aristocratique, a une conception tout autre de l'amour. Elle est passionnée et rebelle et ne conçoit que l'amour-passion. Comme d'autres personnages de La Comédie humaine, elle peut être qualifiée de "bolide humain". Habitant à Paris, ayant hérité de sa grand-mère, aimant les toilettes et la vie mondaine, elle épouse en premières noces Felipe Henarez (François Marthouret), son professeur de castillan car elle doit accompagner son père, le duc de Chaulieu (Robert Dhéran), ambassadeur auprès du roi d'Espagne. Henarez est  d'abord banni de son pays car résistant au pouvoir en place puis réhabilité. On découvre qu'il est en réalité duc de Soria, baron de Macumer et Grand d'Espagne.

Leur mariage est un mariage fondé sur la passion et le désir et ils vivent comme des amants passionnés dans un face-à-face, allant de bals en soirées mondaines et où l'enfant n'a pas sa place. Macumer se laisse plutôt aimer par sa femme qui le voudrait plus passionné et qui l'étouffe par son amour envahissant. N'est-ce pas elle-même que Louise aime à travers Felipe ? Il mourra quelques années après leur mariage, alors que Renée vient d'accoucher de son deuxième enfant. A cette occasion, Louise écrit avec lucidité  : "Je l'ai tué par mes exigences, par mes jalousies hors de propos, par mes continuelles tracasseries. Mon amour était d'autant plus terrible que nous avions une exquise et même sensibilité, nous parlions le même langage, il comprenait admirablement tout, [...] Tu ne saurais imaginer jusqu'où ce cher esclave poussait l'obéissance : je lui disais parfois de s'en aller et de me laisser seule, il sortait sans discuter une fantaisie de laquelle peut-être il souffrait."

Louise de Chaulieu se remarie quatre ans plus tard avec un écrivain poète plus jeune, Marie Gaston (Philippe Ruggieri est Julien Gauthier dans le téléfilm) et devient Madame Gaston.  Elle exige aussi de lui un amour sans réserve, dans un chalet à la campagne où ils vivent un huis-clos à deux.  Elle avoue : "Je sens en moi pour Gaston l'adoration que j'inspirais à mon pauvre Felipe !  Je ne suis pas maîtresse de moi, je tremble devant cet enfant comme l'Abencerage tremblait devant moi. Enfin, j'aime plus que je ne suis aimée ;"

Renée de Maucombe ou le bonheur d'être mère

A l'occasion d'une méprise, elle éprouve une folle jalousie envers son mari. Or, son époux n'était point infidèle mais secourait la veuve de son frère. Elle mourra à trente ans d'une maladie pulmonaire qu'elle a elle-même provoquée, tout en avouant qu'elle a échoué dans sa vie amoureuse et en regrettant de n'avoir pas connu la maternité. Elle constatera : "Une femme sans enfants est une monstruosité ; nous ne sommes faites que pour être mères."

"Balzac a exploré dans ce roman le jeu du dédoublement en deux personnages opposés.  " Renée, c'est la raison, le choix de la sagesse, de la durée, la domination du destin (et la compensation par l'imaginaire) ;  Louise, c'est la folie, la vie indifférente à la durée et à la mort : et toutes deux perdront." (Gaëtan Picon, Balzac par lui-même ).

On ne peut qu'admirer la manière dont Balzac a su ici décrire la psychologie, non d'une femme, mais de deux. Certes, entre sa mère, sa sœur, ses maîtresse et Mme Hanska, il avait eu tout le loisir d'observer les méandres du cœur féminin. Reconnaissons cependant que, dans ce roman, il le fait avec une acuité particulière, mêlant habilement les thèmes de l'amour, de la passion, de la maternité et de l'amitié féminine, peu traitée dans la littérature. Malgré la divergence de leurs vies, alors que toutes deux ont reçu la même éducation au couvent, Renée et Louise apparaissent complémentaires. Renée le souligne en ces termes : "De nous deux, je suis un peu la Raison comme tu es l'Imagination  ; je suis le grave Devoir comme tu es le fol Amour."

Louise de Chaulieu ( Fanny Ardant)

Quant à Louise, elle exprime avec une grande exaltation ce qu'elle ressent : "Ô mon ange, pourquoi parlons-nous une langue différente ? Ton mariage purement social, et mon mariage, qui n'est qu'un amour heureux, sont deux mondes qui ne peuvent pas plus se comprendre  que le fini ne peut comprendre l'infini. Tu restes sur la terre, je suis dans le ciel ! Tu es dans la sphère humaine et je suis dans la sphère divine. Je règne par l'amour, tu règnes par le calcul et par le devoir. Je suis si haut que s'il y avait une chute je serais brisée en mille miettes. Enfin, je dois me taire, car j'ai honte de te peindre l'éclat, la richesse, les pimpante joies d'un pareil printemps d'amour."

Felipe Henarez (François Marthouret), perché sur un arbre, observe Louise de Chaulieu (Fanny Ardant)

Marcel Cravenne, le réalisateur du film, a choisi la brune Fanny Ardant pour interpréter une Louise de feu, et la blonde Martine Chevallier pour incarner la douce Renée.  S'il va à l'encontre du choix de Balzac (dans le roman, Louise possède la blondeur et Renée est brune), ce choix m'est apparu judicieux. Fanny Ardant exprime avec fougue et orgueil cette conception d'un amour chevaleresque, courtois et, somme toute, romantique. Elle rejette l'approche sage et ordonnée de Renée  qui reflète un idéal bourgeois. En aristocrate elle affirme : "Oh ! J'aime mieux périr dans la violence des tourbillons de mon cœur, que de vivre dans la sécheresse de ta sage arithmétique." Martine Chevallier, quant à elle, incarne avec douceur et sérénité une Renée qui considère que la passion n'est qu'illusion. Selon elle, il n'existe d'amour véritable que dans la fidélité conjugale et la maternité. Pour elle, le vrai bonheur consiste à "faire celui des siens".

Mémoires de deux jeunes mariées, c'est donc l'histoire d'une rivalité tendre entre deux amies, une "dispute" sur l'amour menée par correspondance. Par moments, s'étant éloignées l'une de l'autre, les deux femmes interrompent leurs lettres. S'il semble à la fin que la sagesse ait triomphé du romanesque, faut-il vraiment se fier au dénouement  ? "J'aimerais mieux être tué par Louise que de vivre longtemps avec Renée", disait Balzac lui-même. A chacun, en fonction de son vécu, de se faire sa propre opinion !

La mort de Louise de Chaulieu

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Ex-libris
  • : Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.
  • Contact

ex-libris

 ex-libris

 

Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

Recherche