Agathe-Sidonie Laborde (Léa Seydoux) dans les appartements de Marie-Antoinette
Mercredi 04 avril 2012, au cinéma le Palace, à Saumur, le Ciné-Club Plein Ecran recevait Benoît Jacquot, pour son dernier film, Les adieux à la reine. Après la diffusion du film, Lise Couëdy, la présidente de l’association, a d’abord remercié le cinéaste de sa venue et a précisé que c’est la cinquième fois qu’il rencontre les cinéphiles de Saumur, depuis les six ans d’existence du Ciné-Club.
Benoît Jacquot avait lu le roman historique éponyme de Chantal Thomas (Prix Fémina 2002). Il a dit combien, tout de suite, il avait eu envie d’en réaliser un film. La chance a fait qu’un producteur lui en a donné l’opportunité, ce qui n’est pas si fréquent dans le monde du cinéma. Il précise qu’il a pris des libertés avec l’œuvre, la principale étant qu’il a fait de Agathe-Sidonie Laborde (Léa Seydoux), la lectrice de Marie-Antoinette (Diane Kruger), une jeune femme de vingt ans, alors que dans le roman, quand elle raconte les quatre jours tragiques de juillet 1789, elle est à Vienne et a soixante-cinq ans. Il indique qu’il a donné à Chantal Thomas un petit rôle dans le film. Elle joue en effet celui de la dame d’atours de la reine qui lui apporte son cahier d’atours.
Si Benoît Jacquot a souvent adapté des romans patrimoniaux (comme Adolphe par exemple), il l’a peu fait avec des œuvres contemporaines. Il craignait que Chantal Thomas ne se sente trahie par son adaptation. A son grand soulagement, elle lui a avoué qu’elle préférait son film à son propre livre : « Elle l’aime plus que je ne l’aime moi-même », a-t-il dit en souriant.
Lise Couëdy a souligné qu’il lui semblait que c’est un peu ce qui s’est passé aussi avec Villa Amalia, adapté de Pascal Quignard. Les films de Benoît Jacquot ne sont-ils pas comme des épures de romans ? Le cinéaste a acquiescé : un film « incarne » et c’est bien le cas avec Léa Sydoux, qui existe avec force physiquement. Si, dans le roman, elle apparaît comme presque abstraite, ici, elle est mystérieuse mais elle existe vraiment. Agathe-Sidonie Laborde n’est pas un personnage historique et elle est la part de fiction du film. La majorité des autres personnages ont une existence historique avérée.
La présidente de Plein Ecran a ensuite insisté sur cette première scène, dans laquelle la lectrice se réveille et se gratte. Selon elle, le film fait mal là où ça gratte, et l’héroïne est démangée par la fascination qu’elle éprouve pour la reine. On est de plus dans un monde insalubre, symbolisé par la présence récurrente des rats (qui ne vont pas tarder à quitter le navire !), un monde en voie de pourrissement, au bord du naufrage.
Le cinéaste indique que cette scène inaugurale est emblématique de ce régime de réveil et d’endormissement qui ponctue son film, au cours des quatre jours. On peut d’ailleurs se demander si Sidonie rêve ou si elle est en état de veille et tout se situe à cette lisière-là. C’est une sensation que l’interprète, Léa Seydoux, a communiquée elle-même au metteur en scène. A un moment où le protocole semble encore immuable, le fait de se gratter le bras ou la tête distille la menace et l’inquiétude.
Un spectateur s’est interrogé sur la dédicace à Jacques Tronel. Assistant des premiers films de Benoît Jacquot, il a présenté le cinéaste au producteur du film. Il est mort peu avant le tournage et c’est pourquoi le film lui est dédié.
Une spectatrice a fait remarquer que l’on est tenu en haleine pendant tout le film, alors qu’on en connaît la fin. Elle a insisté encore sur les scènes de nuit et le remarquable éclairage créé par les bougies. Le cinéaste a confirmé cette impression en indiquant que le film avait été pensé en termes d’éclairage. Il a souhaité retrouver l’atmosphère d’un monde sans électricité car, dramaturgiquement, bien sûr, cela contribue à fabriquer une atmosphère particulière. Selon lui, Shakespeare et Marivaux sont susceptibles d’être expliqués uniquement par la lumière, par un régime de visibilité. Il semble que la nuit tombe ici plus tôt que d’habitude : mais n’est-on pas à l’aube du basculement d’un monde ?
Quelqu’un a repris la phrase prononcée par Louis XVI (Xavier Beauvois) à propos du pouvoir : « Une malédiction sous un manteau d’hermine. » Le metteur en scène a évoqué ce roi, embarrassé de son pouvoir, ce brave homme responsable qui, peu à peu, construit sa fermeté, et « se conduit bien ». Quant à la reine, si elle le fascine, il n’éprouve aucune sympathie particulière pour elle. « Je suis républicain jusqu’à l’os », précise-t-il. Ni le roi ni la reine n’imaginent jamais que tout cela puisse se terminer et d’une certaine manière, son film peut se lire comme l’apologue de tout pouvoir. Ce dernier étant de nécessité divine, pour ceux qui les détiennent, il est censé être incontestable et interminable. N’est-ce pas une situation similaire qu’a vécue la famille Ben Ali en Tunisie ? Quant à la jolie femme d’Hafez El Hassad, n’est-ce pas elle qu’on surnomme Marie-Antoinette ?
Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen) et Marie-Antoinette (Diane Kruger)
Revenant sur le choix symbolique d’avoir fait de l’héroïne une très jeune femme, Benoît Jacquot a expliqué qu’il souhaitait que cette lectrice qu’on accompagne pendant tout le film soit vulnérable, ingénue, naturelle. Il voulait qu’on croie à son idolâtrie pour la reine, à ce sentiment adolescent, semblable à celui d’un fan pour son idole. Cette très jeune femme a encore un pied dans l’enfance, elle est en devenir, en formation, tout comme Léa Seydoux d’une certaine manière, à 26 ans, est une promesse d’actrice. Elle partage cette complicité de la jeunesse avec la reine qui, elle-même, est sur le point de la perdre.
A cet égard, le réalisateur souligne combien Marie-Antoinette est un personnage vampirique, une sorte de mauvaise fée. « Mon film a un côté « film de vampires », dit-il, « même si je ne l’ai pas voulu ».
Puis il évoque le pouvoir enivrant de tout metteur en scène qui dépend de la « climatologie des affects » de ses actrices. Il lui faut le plus possible être perméable à leurs humeurs, aux propositions qu’elles lui font, lesquelles sont comme la pâte du peintre. Pour lui, cette relation est très importante et, à cet égard, aucun jour n’est semblable. Benoît Jacquot arrive toujours le premier sur le lieu du tournage, il aime voir arriver ses acteurs, deviner l’état d’esprit dans lequel ils sont et tourner ensuite à partir de cette matière vivante. Parfois, tout ce qu’il avait prévu est remis en cause.
En ce qui concerne le choix des interprètes, s’il a tout de suite pensé à Léa Seydoux pour le rôle de Sidonie Laborde, Xavier Beauvois et Diane Kruger l’ont convaincu de les choisir. Diane Kruger s’est imposée avec des arguments quasiment astrologiques. Elle est allemande, sa mère s’appelle Marie-Thérèse, elle est née un quinze juillet, elle a trente-trois ans comme Marie-Antoinette dans le film… Son désir d’interpréter la reine était si fort que le metteur en scène n’a pu lui résister. Puis, lorsqu’il lui a dit : « Ce sera toi ! », elle en a été tellement surprise que pendant deux mois elle a vécu dans l’angoisse du rôle.
Une spectatrice revient sur le choix judicieux des deux personnages opposés que sont la jeune lectrice et le vieil archiviste-historiographe Moreau (Michel Robin). Ils représentent deux échos d’une même situation : l’une ignore, l’autre semble savoir (« Le peuple est une matière inflammable », dit-il) mais ils communiquent dans le même aveuglement. C’est cela qui les raccorde ; dans les films historiques, l’Histoire, selon Benoît Jacquot, fait trop souvent l’objet d’une rétrospection savante. Ce qui l’intéressait ici, c’est que l’héroïne ne comprenne pas ce qui se passe. En la suivant à travers les couloirs sans fin de Versailles (on la voit souvent de dos en effet), le spectateur est mis dans l’état de ne pas savoir ce qui va arriver. L’Histoire est en marche, au présent, en train de se fabriquer Il s’agit plus d’une évocation que d’une reconstitution, d’un regard réinventé.
Le choix des lieux a beaucoup compté pour créer cette impression de qui-vive permanent. Certains lieux sont plus présent que d’autres et contribuent à cette atmosphère oppressante. La gageure était de faire naître un espace-temps crédible. Le lieu d’abord est paradoxal. Versailles est un huis clos, fait de différentes régions, qu’on appelait « ce pays-là », un « pays dans le pays ». Il était constitué des lieux nobles et d’endroits ignobles. Avec Sidonie Laborde, on traverse tous ces lieux, on va partout, et le rythme va s’accélérant en suivant sa trajectoire panique (« Panique », le mot est souvent présent dans le roman avec une majuscule). Selon le metteur en scène, on est presque dans le Château de Kafka, un lieu onirique, où les couloirs et les pièces (le grand commun, les soupentes, les appartements des courtisans) obéissent pourtant à une géographie vraisemblable.
L’autorisation lui a été donnée de tourner à Versailles (pour bien sûr un prix énorme). De nombreuses scènes y ont été tournées (plus qu’à l’ordinaire), dans les lieux intacts comme la galerie des Glaces, le salon d’Hercule ou le Trianon, mais pas tout le temps.
Le film est construit sur de nombreux échos, beauté/laideur, dérisoire/sublime. Le personnage de Marie-Antoinette condense ces oppositions, qui se demande combien de livres ou de robes elle emportera à Metz et qui fait dessertir ses diamants de leur monture. En même temps, cette princesse un peu vaine devient vraiment reine dans la tragédie. Deux femmes cohabitent en elle : la femme superficielle et l’héroïne tragique. « Elle se bouffent l’une l’autre », ajoute Benoît Jacquot.
Quelqu’un fait remarquer que le film est très chorégraphié : les courtisans auprès du roi sont comme le corps de ballet qui se précipite autour de la danseuse étoile. Le réalisateur s’était représenté à l’avance leur cavalcade dans la galerie des Glaces : ce n’était pas vraiment écrit mais il savait mentalement comment il concrétiserait cette scène, avec ce no man’s land entre le roi et eux.
On remarque aussi l’étonnante circulation des objets dans le film. « Les objets tournent » et il y a une vraie relation entre les gens et les choses. Qu’il s’agisse du dahlia rouge que Sidonie brode pour la reine ou de la pendule que lui prête monsieur Janvier et que lui vole son amie Louison.
Enfin, une spectatrice s’interroge sur la psychologie de Sidonie lorsqu’elle accepte, sur les instances de la reine, de prendre la place de Madame de Polignac, dans le carrosses de l’exil. Est-ce inconscience, naïveté, provocation ? Pour le metteur en scène, tout cela est très compliqué. Elle se voit investie par la reine qu’elle adore d’une mission à laquelle elle a du mal à consentir (Madame Campan lui avait d’ailleurs conseillé de la refuser). La scène pathétique, où Marie-Antoinette l’embrasse comme si elle était Gabrielle de Polignac, est l’élément déclencheur de sa décision. Elle joue ici la dernière scène de sa vie antérieure et elle se voit transformée en Gabrielle, l’objet de la passion de la reine. Elle se substitue à elle, au risque d’être arrêtée. Sans doute pense-t-elle qu’il ne lui peut plus rien lui arriver, puisqu’elle a perdu la reine. « Je ne serai plus personne », dit-elle. Selon Benoît Jacquot, c’est sans doute le moment où elle pourra peut-être enfin être quelqu’un.
Cet échange s’est terminé sur l’idée que rien, jamais, n'est univoque. Benoît Jacquot, avec ce beau film, nous a en effet montré combien tout est toujours ambigu jusqu’à ce que survienne un événement qui est de l’ordre du destin.