Emmanuelle Devos (Elisa) et Gilles (Clovis Cornillac) dans La femme de Gilles,
(Crédit photo : Pathé Distribution)
Dimanche 20 novembre 2011, la comédienne Emmanuelle Devos présentait au cinéma Le Palace, à Saumur, La femme de Gilles (2003), de Frédéric Fonteyne, un réalisateur belge. Après Jérôme Clément, Robin Renucci, Nicole Garcia et Benoît Jacquot, elle avait choisi ce long métrage dans le cadre de la cinquième Carte blanche offerte à une personnalité par le Ciné-Club Plein Ecran.
Dans la semaine a suivi la projection de cinq autres films de sa sélection personnelle : Raging Bull (1980) de Scorcese, présenté par Christian Rouillard ; Crimes et délits (1989) de Woody Allen, présenté par Patrice Gablin ; Les Quatre cents coups (1959) de Truffaut, présenté par Pierre Pucelle ; Le bonheur d’Assia (1967) de Andrei Konchalovsky, présenté par Christel Gillet et Ceux qui restent, réalisé et présenté par Anne Le Ny. C’est un choix très personnel qui reflète les intérêts de l’actrice pour la place de la femme de la société et le rôle de l’actrice. Le premier et le dernier film appartiennent à sa filmographie.
Après la projection Emmanuelle Devos a expliqué qu’elle avait choisi La femme de Gilles pour plusieurs raisons. Ce film n’avait pas trouvé son public à l’époque et le rôle d’Elisa l’avait particulièrement marquée. Pendant un an, elle n’a pas tourné, comme s’il lui fallait ce temps pour se remettre de l’impression très forte que ce film avait laissée en elle.
Le film est adapté du roman au titre éponyme très connu en Belgique. Son auteur en est Madeleine Bourdouxhe (1906-1996). Cette œuvre fut admirée et de Jean Paulhan et de Marguerite de Beauvoir. Elle exalte l’amour fou, celui qui conduit à l’abnégation de soi-même.
Le Belge Frédéric Fonteyne a adapté ce roman en maintenant l’action dans les années 30. Emmanuelle Devos a aimé cette histoire d’une épouse qui découvre l’infidélité de son mari Gilles (Clovis Cornillac), ouvrier sidérurgiste, qui la trompe avec sa propre sœur Victorine, interprétée par Laura Smet. Tout d’abord jalouse, elle se met à épier son mari, puis devient sa confidente, persuadée que cette histoire n’est qu’une passade et que Gilles l’aimera de nouveau. « Attends, ça passera », lui dit-elle. Gilles, à cause de sa violence, perdra Victorine mais Elisa reconquerra-t-elle son mari ?
Avec ce personnage féminin, Frédéric Fonteyne propose une manière très originale de traiter du thème rebattu de la jalousie et un très beau portrait de femme. Une personnalité très loin de celle d’Emmanuelle Devos elle-même et qu’elle qualifie d’ « autiste de l’amour ». Elisa n’a pas les mots pour exprimer sa souffrance, pour sortir de son isolement et elle ne trouve nulle part de secours ni de consolation. Ni chez ses parents ni auprès de ses deux filles. Les dialogues sont très peu nombreux et Emmanuelle Devos a fait un superbe travail pour exprimer les sentiments variés et contradictoires qui envahissent son personnage. Tout passe sur son visage, de la jalousie à l’apaisement en passant par l’abnégation et une infinie patience. "Elle est comme une sainte de l'amour", fera remarquer une spectatrice.
En même temps, Emmanuelle Devos considère qu’Elisa a un côté manipulateur dont elle n’est sans doute pas consciente elle-même. En devenant la confidente de son amri, elle espère maîtriser la situation. Elle apparaît ainsi à la comédienne comme une femme forte, de la force de ces femmes belges qu’elle a pu rencontrer. Elle demeure cependant assez mystérieuse comme une spectatrice l’a indiqué. Celle-ci a souligné avec justesse une des répliques du film : « Si tu savais… », confie Georges à Elisa dans une scène où il reconnaît qu’il est amoureux fou de sa belle-sœur Victorine. Ce pourrait être une des phrases-clés du film, les personnages demeurant opaques les uns aux autres, sans espoir de communication.
Le film a été très exigeant pour Emmanuelle Devos car, dit-elle, Frédéric Fonteyne « ne m’a pas protégée ». « Il était Elisa », rajoute-t-elle d’une façon un peu sibylline. Il en va tout autrement avec Arnaud Depleschins avec qui elle a souvent tourné et qui sait l’entourer d’un cocon protecteur. « Il connaît bien les acteurs », précise-t-elle. Pourtant, Emmanuelle Devos a beaucoup apprécié ce tournage en Belgique. Elle aime la simplicité des relations que savent instaurer les Belges, chez qui l’esprit de hiérarchie est totalement absent.
Esthétiquement, le film est une réussite, tant par son travail sur la lumière (solaire dans le jardin l’été, tamisée derrière les volets clos, inquiétante et froide durant l’hiver), que par son goût du détail et de la reconstitution. Le passage des saisons est quant à lui particulièrement bien rendu, qui se fait sur deux années dans le petit jardin de la maison de Gilles et d’Elisa. Emmanuelle Devos a expliqué que la demeure avait été créée de toutes pièces, avec un soin tout particulier.
J’ai par ailleurs beaucoup aimé cette caméra intime qui n’est que le regard d’Elisa et qui, à la fin, dans le grenier se pose sur la chemise vide de Gilles qui sèche sur un fil. « Je ne sens plus rien… », vient -il de lui avouer dans le lit conjugal.
On pourra peut-être regretter la reconstitution un peu trop léchée des années 1930, quoique la scène de la guinguette soit particulièrement réussie. Elisa et Victorine me semblent vêtues avec un excès d’élégance peu en rapport avec le milieu social auquel elles appartiennent. Et le passage où la famille va pique-niquer dans la campagne est lui aussi teinté de maniérisme.
En dépit de ces quelques remarques, on espère que la diffusion de ce film plein de sensibilité contribuera à parfaire l’image que l’on peut avoir d’Emmanuelle Devos, celle d’une comédienne à l’intériorité irradiante.