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5 mars 2011 6 05 /03 /mars /2011 17:59

  Colin firth au micro

  George VI (Colin Firth), prononçant son discours à l'Empire britannique,

le 04 septembre 1939 (Photo Allo-Ciné)

 

 

Certains diront que Le discours d’un roi, le film de Tom Hooper, n’est qu’un « biopic » de plus, qui vient à point redorer le blason de la monarchie anglaise, à la veille du mariage du prince William. Ils n’auront peut-être pas tout à fait tort non plus ceux qui n’y voient qu’une fresque historique, sans grande imagination cinématographique.

Or il me semble que l’enjeu du film ne soit pas à rechercher sur le plan de l’Histoire, d’autant plus que ce long métrage ferait quelques entorses à la vérité historique. George VI aurait été guéri de son bégaiement bien avant 1939 et l’on sait que le grand Anglais de la guerre de 1940, ce n’est pas le roi d’Angleterre mais Winston Churchill. Quant à Edouard VII, il aurait eu, malgré le choix qu’il fit, un sens de l’Etat bien plus grand que ne le laisse entrevoir le film.

On sait que le film retrace le long parcours d’Albert, le deuxième fils du roi Georges V d’Angleterre (Colin Firth), pour se guérir d’un bégaiement acquis dans la petite enfance. Appelé à régner à la suite de l’abdication de son frère aîné, Edouard VII (Guy Pearce), après de nombreuses hésitations, il finira par accepter la méthode thérapeutique de Lionel Logue (Geoffrey Rush), un orthophoniste australien, autodidacte et acteur shakespearien raté, qui le guérira de son handicap et deviendra son ami.

Le film est donc bien plutôt une réflexion sur le langage et ses enjeux et sur la manière d’exister et d’être reconnu à travers lui. Aristote ne disait-il pas que « l’Homme est le vivant qui possède la parole » ?

 

Colin firth en répétition

Le duc (Colin Firth) et la duchesse d'York (Helena Bonham-Carter), 

pendant la thérapie avec Lionel Logue (Geoffrey Rush)

(Photo Allo-Ciné)

 

Ce long métrage est à cet égard pain bénit pour  l'acteur, qui doit faire de la parole un outil privilégié de son art. Colin Firth, l’interprète du roi George VI, qui joue le rôle d’un bègue pour la troisième fois, a bien souligné cet aspect. Il avoue que son secret a consisté à « s’appliquer à ne pas bégayer. Ce que voient les spectateurs, c’est un homme qui tente désespérément de ne plus le faire. Et pas l’inverse. »

Il a de plus surtout cherché à jouer l’angoisse générée par cette infirmité, et le véritable enfermement qui en découle. Cette anxiété qui saisit le roi, c’est aussi celle du comédien qui redoute le premier soir sur scène, qui craint d’oublier ses répliques, toutes choses par ailleurs qui ne sont pas réservées aux artistes. N’est-ce pas aussi le lot de tout un chacun, quand on doit porter un toast lors d’un mariage, qu’on est contraint de faire quelque chose en public, qu'on est invité à participer à un karaoké ?

Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles le film touche autant le public. Ce roi, qui se sent incapable d’affronter le micro, à une époque où la radio devient un média de masse, c’est Monsieur-Tout-Le-Monde, obligé de parler en public. Helena Bonham-Carter, qui interprète la femme de George VI, conforte cette idée: « Je crois que nous souffrons tous de blocages qui nous inhibent dans notre vie de tous les jours… On se bat au quotidien pour surmonter ses complexes, tout comme George VI s’est battu pour vaincre son handicap. »

 

Geofrey rush lionel logue

Lionel Logue (Geoffrey Rush), (Photo Allo-Ciné)

 

Jouer ce personnage, qui a des difficultés pour s’exprimer, a sans doute été pour Colin Firth le rôle le plus difficile de sa carrière, ainsi qu’il le reconnaît. Il craignait que son jeu ne sonne faux, qu’il ne soit exagéré, que le spectateur n’y croie pas. Dans son travail, il a été très dépendant de Tom Hooper, le réalisateur, qui lui a permis de savoir jusqu’où il pouvait aller. Ainsi, on voit le roi, alors qu’il n’est encore que le duc d’York, enfourner neuf  billes de verre dans sa bouche, afin de suivre la vieille méthode qu’employait Démosthène. Ou bien se mettre à chanter, ou encore proférer des jurons, ou même faire travailler son diaphragme, alors que son épouse est assise sur son ventre. Il ne fallait point en faire trop pour que son jeu soit crédible. C’est peu de dire qu’il y a réussi et il n’est jamais ridicule. Le spectateur éprouve plutôt une immense compassion pour ce roi, qui conquerra au prix de multiples humiliations sa grandeur. Son père George V ne le méprise-t-il pas ? Quant à son frère aîné Edouard VII, il rit de lui en l’appelant B… B… Bertie ?

 

Guy Pearce georges vII

  Edouard VII (Guy Pearce) (Photo Allo-Ciné)

 

C’est d’ailleurs au cours d’une scène émouvante entre le thérapeute et son patient que l’on apprend l’origine probable du handicap du roi, mal-aimé dans l’enfance et privé de nourriture par une nounou qui lui préférait son frère. La relation fraternelle, de surcroît, est traitée avec beaucoup de subtilité. Tom Hooper suggère que le duc d’York, poussé par Lionel Logue qui l’en croit digne, se refuse à envisager un trône qu’il n’a jamais souhaité, par peur d’être déloyal envers son aîné et son roi. Ce que Edouard VII perçoit très finement lorsqu’il se moque de son puîné en évoquant ses sentiments « moyenâgeux ».

Un certain nombre de hasards heureux ont présidé à la réalisation de ce film et en ont favorisé la réussite. C’est la mère de Tom Hooper qui lui a d’abord soumis le sujet, après avoir vu la pièce de théâtre, The King’s Speeech. Le réalisateur cherchait en effet depuis longtemps un sujet qui lui permettrait d’évoquer les relations entre Anglais et Australiens. Lors d’une audition, sa propre femme, d’origine australienne, avait eu à souffrir du mépris anglais envers l’accent australien. Cette condescendance est ainsi très perceptible dans le film, lorsque le roi, repousse une deuxième fois les services de Lionel Logue, et le traite de buveur de bière et de vacher. Quant à Geoffrey Rush (grand comédien de théâtre, élève autrefois de Jacque Lecoq), qui interprète Lionel Logue, c’est une assistante australienne qui a glissé un jour le synopsis de la pièce dans sa boîte au lettres. Son jeu, tout en retenue et en humour, est très convaincant.

Par ailleurs, David Seidler, le scénariste, né en 1937, a lui aussi souffert de bégaiement dans l’enfance. Le roi George VI, vainqueur de sa maladie, était devenu un véritable héros pour lui. Le scénario du film touchait donc au plus intime de lui-même et c’est lui qui a proposé au réalisateur d’insérer la « technique des jurons », qu’il avait lui-même mise en pratique lors de sa propre thérapie.

De plus, neuf semaines avant le début du tournage, Tom Hooper a rencontré le petit-fils de Lionel Logue, qui a porté à sa connaissance le journal de bord de son grand-père, texte qui n’avait jamais été lu ni par la famille royale ni par des historiens. Le réalisateur a alors demandé à David Seidler de réécrire le scénario, afin de tirer le meilleur parti possible des détails véridiques. Tous ces éléments ont concouru, me semble-t-il, à la vraisemblance du propos et à sa justesse.

 

colin firth et helena bonham carter

Le duc (Colin Firth) et la duchesse d'York (Helena Bonham-Carter) 

(Photo Allo-Ciné)

 

Dans ce film, encore, les seconds rôles sont particulièrement bien traités. Les trois épouses notamment tirent avec aisance leur épingle du jeu.  Helena Bonham-Carter (que j’avais beaucoup aimée dans Chambre avec vue de James Ivory) campe avec justesse cette duchesse d’York, amoureuse de son mari et désespérée de le voir inhibé par son infirmité. L’actrice remarque que ces deux personnage, dont l’un avait une haute conscience de son métier de roi et dont l’autre était très à l’aise avec un monde protocolaire en représentation permanente, « étaient parfaitement complémentaires ».  Jennifer Ehle, dans le rôle de Myrtle Logue, est tout en finesse et en subtilité, notamment dans la scène où elle découvre que Monsieur et Madame Johnson, sont le roi et la reine d’Angleterre. Quant à Eve Best, qui est Wallis Simpson, elle ressemble à s’y méprendre à cette Américaine mondaine pour qui Edouard VII renonça au trône. Si Derek Jacobi, interprète de l’archevêque Cosmo Langi, laisse bien deviner à travers son regard inquisiteur l’influence de la toute puissante Eglise anglicane, Timothy Spall, dans le rôle de Winston Churchill, paraît caricatural. On apprend cependant que lui aussi fut victime d’un bégaiement et qu’il parvint à en faire un atout.

Les scènes d’intimité familiale, pour leur part, recèlent un charme particulier. C’est Colin Firth lui-même qui a proposé au metteur en scène l’histoire du prince transformé en pingouin, que le roi raconte à ses deux filles, Elizabeth et Margaret, au pied desquelles sommeillent deux gros chiens. De même, les scènes où Lionel Logue joue Shakespeare devant ses deux fils sont particulièrement réussies. En filigrane, s’y dessinent subtilement les personnages infirmes que sont Richard III et Caliban, doubles contrefaits du roi.

Histoire de la guérison d'un roi qui ne voulait pas l’être, relation d’une amitié entre un thérapeute et son patient, ce film "so british" se termine sur le point d’orgue du discours de George VI, s’adressant aux cinquante-huit pays de l’Empire britannique, alors que l’Angleterre vient d’entrer en guerre. Se souvenant de ce qu’avait dit à regret son père George V : « Nous ne sommes plus que des acteurs », George VI, vainqueur de son bégaiement, pourrait quant à lui s’écrier comme Gloucester, au début de Richard III : « Donc voici l’hiver de notre déplaisir changé en glorieux été par ce soleil d’York… »

 

  Colin firth la reine et logue

 

Sources :

Site officiel du film, Le discours d’un roi.

Interview de Tom Hooper et Colin Firth, Vidéo Allo-Ciné.

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commentaires

C
<br /> Ah ! Enfin quelqu'un qui n'a pas vu un film historique dans Le Discours d'un Roi. Bien entendu, à toute histoire, il faut un cadre plausible. Mais le propos du film se trouve dans la relation<br /> entre... Lionel et Bertie, à mon humble avis. C'est une réflexion sur l'art d'être thérapeute, l'art d'instaurer une relation "d'égal à égal", c'est-à-dire une amitié (réelle) qui n'oublie pas son<br /> objectif thérapeutique.<br /> <br /> Merci pour votre article. C'est la première chose "nourrissante" que je trouve sur le web à propos de ce film.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Merci, Corinne, de votre commentaire. Je vois que nous avons appréhendé le film de la même manière Dans cette relation, plus de protocole, mais un dialogue en vérité entre un thérapeute et son<br /> patient. Amicalement.<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Très intéressant par les informations données...où trouves-tu tout cela? Et en effet c'est l'aspect humain qui touche, c'est le combat d'un homme, donc le nôtre......<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Un film plein d'humanité, que tu as, je crois, aimé aussi. Amicalement.<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> j'aime le développement que tu fais sur le film et l'histoire de son tournage, je suis ravie de découvrir tout cela !! merci Catheau de m'avoir fait signe , je retourne le voir version Française ce<br /> sera une autre perception je pense !! bonne fin de soirée !!! :0)<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Merci, Tricôtine, de votre visite. Bonne séance bis.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> je ne connais pas car je ne suis pas dutout je ne vais jamais au cinéma trés bonne soirée<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Le cinéma, Claire, c'est la lanterne magique !<br /> <br /> <br /> <br />

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