Apollinaire à La Santé
(Fotolia, Andreas Hilger)
A la Santé
I
Avant d'entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu'es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu de sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
Ô mes années, ô jeunes filles [...]
En ce 23 février 2014, fête de la saint Lazare, me sont revenus en mémoire les huit premiers vers du poème d'Apollinaire "A la Santé".
Ce poème émouvant remémore la mésaventure judiciaire de Guillaume Apollinaire, survenue en septembre 1911 et son emprisonnement de quelques jours à la Santé.
Du 7 au 13 septembre 1911, accusé de complicité dans une sombre histoire de vol de statuettes au Louvre, le poète passe plusieurs jours dans la prison parisienne. A cette époque, en effet, il a rencontré de nouveaux amis, dont un certain Géry Piéret qui a dérobé des statuettes au Louvre en 1907 et en 1911. Il s’est plu à en offrir à son récent ami poète.
En août de la même année, le vol de La Joconde incite le voleur à révéler ses larcins au patron de Paris-Journal qui ébruite l’affaire. Il restitue au musée la pièce confiée par Piéret contre de l’argent. Le juge qui avait fait écrouer Piéret en 1905 arrête alors Apollinaire qu’il considère comme complice.
Alors que le cambrioleur a fui, Apollinaire est emprisonné. Il séjournera une semaine à La Santé mais n’oubliera pas cette expérience de la réclusion. Finalement innocenté et mis hors de cause en 1912, c’est de la matière de cette expérience qu’il tirera six poèmes courts. Ceux-ci seront intégrés dans son recueil Alcools en 1913.
Dans les deux premières strophes d’octosyllabes reproduites ici, le poète s’interroge sur cette expérience et il se compare à Lazare. Mais ici, l’originalité de ce choix réside dans le fait que Lazare ne sort point de la tombe mais bien plutôt y pénètre ! On note en effet la double occurrence du verbe « entrer », à l’infinitif et au participe présent. Un retournement poétique (conforté par la locution prépositive « au lieu de ») dans ces huit vers très musicaux (assonance en [u]), qui disent la stupéfaction du poète de se voir ainsi métamorphosé en prisonnier. L’importance de ce passage par la prison est marqué en outre par l’emploi du verbe « devenir » à la forme interrogative, confortés par l’emploi de la deuxième personne du singulier. La répétition de « Adieu », la double invocation aux années passées et aux « jeunes filles » marquent bien ici la fin d’une certaine forme d'innocence.