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15 mars 2015 7 15 /03 /mars /2015 22:53

Texane, (Crédit photo, Brumachon)

 

Jeudi 12 mars 2015, six danseurs de la troupe de Claude Brumachon et de Benjamin Lamarche (CNN de Nantes) dansaient Texane, à La Closerie, à Montreuil-Bellay. Sous une lumière blafarde, dans un décor épuré composé de trois tables disposées en diagonale et de néons verticaux, installés en fond de scène sur des panneaux rectangulaires, les quatre femmes et les deux hommes ont proposé une danse violente et pleine d’énergie, soutenue par la musique oppressante et parfois adoucie de Christophe Zurfluh.

On est frappé par la puissance de ce spectacle de plus d’une heure, dans lequel les danseurs investissent pleinement la force expressive de leur corps. Dansant  sur la musique mais parfois aussi dans le silence, ils sont tout entiers au service d’une histoire qui est un peu celle de l’enfance de Claude Brumachon à Rouen, ainsi qu’il l’explique lui-même : « Texane part de mon enfance ; dans cette pièce je me vois enfant, observateur du monde adulte prolétaire.  J’ai les souvenirs de ceux qui s’aimaient et de ceux qui se battaient. J’ai essayé de les faire danser dans ma mémoire. L’esthétique est la grisaille du quotidien des banlieues HLM. »

Les danseurs sont vêtus sobrement : le « père » et le garçon ont revêtu un « marcel » blanc, un pantalon marron et un jean ; la « mère » porte une robe grise ; quant aux trois filles, elles arborent des robes de petites filles aux couleurs fondues. Au début, c’est le couple de danseurs, censés être les parents, qui s’affronte, se déchire, s’aime, se désaime, s’unit, se désunit. A cour, de dos, les trois filles et le garçon, qui représentent les enfants, demeurent immobiles. Ensuite, ce sera à leur tour, de reproduire sans doute ce qui est au cœur de toute famille : la haine, l’amour, la jalousie, la révolte contre les parents, les rivalités entre les uns et les autres.

Tous sentiments viscéraux, prétextes à des duos ou des trios passionnés, dans lesquels chaque danseur se livre totalement dans la confiance la plus extrême vis-à-vis de ses partenaires et de son propre corps. On les voit en effet faire le grand écart, le "pont", s’arc-bouter, se jeter d'une table dans les bras d’un autre danseur, expression de la générosité stupéfiante de ces danseurs gymnastes  qui se livrent totalement, sans aucune économie d’eux-mêmes. Claude Brumachon l’affirme : « Avec le corps on ne peut pas tricher. Le corps raconte toujours quelque chose. » Et de rajouter : « Les danseurs acquièrent une certaine liberté à la cinquantaine représentation qu’ils n’ont pas aux premières. Ils se laissent totalement aller. » Cela est certes nécessaire avec la gestuelle si complexe et si particulière de ce chorégraphe.

Ce qui m’a par ailleurs frappée dans cette danse, où le corps est porté à son expressivité la plus intense, c’est l’impassibilité des visages. Peut-être est-ce pour signifier que, dans cette pièce, d’une génération à l’autre, tout se répète de manière immuable, comme sous le poids d’une fatalité sociale

Le « bord de scène » instauré après le spectacle avec Benjamin Lamarche, l’alter ego de Claude Brumachon, et les danseurs a été particulièrement intéressant pour "décrypter" ce spectacle. Il a expliqué que Texane est une pièce-culte du répertoire de Claude Brumachon. Créée le 18 mars 1988, elle n’a cessé d’être reprise au fil des années, manifestant à chaque fois sa force émotionnelle explosive. Ainsi Valérie, qui interprète la femme en gris, a joué le rôle de la fille puis celui de la mère. Benjamin Lamarche, qui dansait le jeune homme lors de la création, a encore dansé cette pièce récemment, mais désormais dans le rôle de l’homme mûr. Il a ainsi insisté sur la plasticité de cette chorégraphie qui défie le temps en traversant les âges et les corps.

Il a précisé que les six danseurs, qui avaient dansé Texane l’année dernière, n’avaient disposé que de quelques jours pour la répéter de nouveau et retrouver leurs marques : une véritable gageure. Peut-être est-ce parce que Claude Brumachon a su leur insuffler un esprit de « tribu » que cela est possible.

Benjamin Lamarche a insisté sur l’aspect autobiographique de cette chorégraphie. Elle est issue, a-t-il dit, du « lumpenprolétariat » où voisinent amour, violence et alcool. On n’y est pas dans un salon bourgeois mais dans une cuisine où les tables sont en formica. Bien loin d’une narration comme en propose la danse classique, elle parle plutôt comme un tableau. Ce qui compte ici, c’est la narrativité du geste. Il s’agit d’un art vivant où il est question de violence, de véhémence. Et au terme « brutal » employé par un spectateur, Benjamin Lamarche a dit préférer le terme « brut »

Les collégiens et lycéens, présents en nombre dans la salle, ont questionné les danseurs sur leur formation. Ceux-ci ont expliqué qu’ils viennent d’horizons différents avec des pratiques et techniques diverses : hip-hop, flamenco, salsa, cirque… Si la danse contemporaine est vaste, l’ensemble des danseurs a cependant reconnu que la danse classique demeure une base essentielle, la "barre" étant toujours indispensable pour se « recentrer ». Ils ont dit aussi qu’ils dansent de quatre à huit heures par jour, six jours par semaine. Et à un élève qui leur demandait depuis combien de temps ils dansent, ils ont répondu qu’ils dansent depuis qu’ils sont enfants. Sauf Benjamin Lamarche qui a commencé à danser plus tard.

Je reconnais que l’on sort un peu « sonné » de ce spectacle qui étonne mais en même temps impressionne par son énergie et sa vitalité. Après avoir vu la semaine précédente le Ballet Antonio Gadès très théâtralisé, on est surpris par cette forme de danse contemporaine qui, bien loin d’être intellectuelle, joue sur le toucher et la sensation immédiate. On y prend conscience, et dans cette chorégraphie tout particulièrement, que la mémoire perdure aussi dans le corps. Benjamin Lamarche l'affirme : "Le corps conserve et retient, il cache et peut dire ce que les mots peinent à traduire."

 

Source : Wikipédia : Claude Brumachon

 

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