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26 octobre 2009 1 26 /10 /octobre /2009 09:18

Richelieu-Portrait.jpg

 

 

Quand on se promène dans le quadrilatère parfait de la petite cité tourangelle endormie de Richelieu, on reste stupéfait devant l’harmonie d’une ville dont la Fontaine disait qu’elle était alors « le plus beau village de l’univers ». Il fut édifié par 2000 ouvriers selon un plan hippodamien (dit encore milésien, en damier, en échiquier, quadrillé ou orthogonal), Hippodamos étant un architecte grec, né à Milet, et considéré comme un des pères de l’architecture.

Ce « bourg clos de murailles et de fossés » s’étend sur une superficie de 700 m de long sur 500 m de large. On y accède par quatre portes monumentales (dont une est factice pour respecter la symétrie de l’ensemble) et qui vous font pénétrer dans l’Histoire.

Tout cet ensemble révèle un homme souvent décrié dans sa politique, dont le but unique fut de consolider l’autorité royale contre les Grands, les protestants et la Maison d’Autriche, et dont cet ensemble architectural urbain remarquable révèle avec éclat qu’il fut un visionnaire. Dans le drame romantique Marion Delorme (1831) de Victor Hugo, M. de Bouchavannes reprend pourtant cette vision caricaturale du cardinal-duc de Fronsac en lui jetant l’anathème :

« Meure le Richelieu, qui déchire et qui flatte !

L’homme à la main sanglante, à la robe écarlate ! »

(Pour la petite Histoire, certains historiens pensent que Marion Delorme aurait été la troisième maîtresse de Richelieu, ce qui pourrait expliquer que ce dernier poursuive de sa vindicte Didier, l’amant de Marion Delorme.)

En ce dimanche d’octobre, la ville semble morte. Ni marchands ni chalands sous la grande halle qui accueillait quatre foires annuelles et deux marchés par semaine ; plus de dévots pour s’agenouiller au pied du maître-autel et de son retable à quatre colonnes de marbre jaspé, exaltant l’Assomption de la Vierge Marie. Les fenêtre sous le toit à la Mansard de hôtel Au grand Colbert sont béantes et la grande rue, large de douze mètres, aligne sévèrement ses vingt-huit hôtels particuliers à l’équilibre austère.

Cette ville qui eut son heure de gloire du temps du cardinal jouxtait un château magnifique. Le vandalisme aveugle du marchand de biens Boutron, qui l’avait achetée à la famille de Richelieu rentrée d’exil,  le mit à bas en 1835.  De cette splendide demeure ne demeurent plus dans le parc de que les grottes dites « de l’Orangerie » et « de Bacchus », le dôme qui abritait chevaux et carrosses, et les jardins remaniés au XIX° siècle, notamment par une malencontreuse allée qui coupe le parc en deux.

On sait que les ancêtres du ministre de Louis XIII sont établis à Richelieu depuis le XV° siècle. C’est dans un petit manoir rural, entouré de quelques communs, au milieu de cours et de jardins ceints de murailles, qu’Armand-Jean Du Plessis, (9 septembre 1585- 4 septembre 1642), futur ministre de Louis XIII et pair de France, passe une enfance maladive entre une aïeule sévère et une mère affectueuse. Son père, François du Plessis, capitaine des Gardes d’Henri IV, meurt au combat contre les protestants. Cinquième d’une famille de six enfants, destiné au métier des armes, Armand-Jean sera contraint d’embrasser la carrière religieuse pour éviter que sa famille ne perde les revenus de l’évêché de Luçon, ce dernier lui ayant été octroyé par Henri III, en remerciement de la participation de François du Plessis aux Guerres de Religion.

Richelieu.jpg

 En 1631 le roi érige la seigneurie en duché afin de remercier son ministre de ses bons et loyaux services, en dépit de sa méfiance instinctive à son endroit. Toujours à propos de Marion Delorme, Alexandre Dumas dans ses Mémoires confirme cette vision: « Le véritable trésor de la pièce : le caractère de Louis XIII, le roi ennuyé, triste, maladif, faible, cruel, superstitieux, qui n’a que son bouffon pour le distraire, et qui ne parle avec lui que d’échafauds, de têtes coupées, de tombeaux, n’osant se plaindre qu’à lui de la dépendance où le tient le terrible cardinal. » Ecoutons ce souverain sous influence se plaindre dans la pièce :

« Que fais-je ainsi, déchu, détrôné, désarmé,

Comme dans un sépulcre en cet homme enfermé ?

Sa robe est mon linceul, et mes peuples me pleurent… »

Ce cardinal à la réputation machiavélique imméritée, qui écrivait : « La méthode ne vaut que par l’exécution », rachètera le village de ses ancêtres. Puis il confiera à l’architecte Jacques Lemercier la tâche immense de créer un château (qui succèdera au château Renaissance) et une ville nouvelle, qui seront le symbole de son pouvoir et de sa réussite. Les travaux dureront une dizaine d’années mais Richelieu mourra en 1642, peu de temps après leur achèvement.

Sous le dôme du pavillon qui servait d’écurie, grâce à la reproduction de deux gravures, on peut rêver tout à loisir à ce qui fut un véritable palais. La Fontaine qui y fut reçu ne dit-il pas : « Le tout y est d’une magnificence, d’une grandeur dignes de celui qui l’a fait bâtir. » ? Composé d’une demi-lune, puis d’une basse-cour rectangulaire longue de 144 m, bordée de bâtiments, ce château possédait encore une avant-cour plus étroite, longue de 124 m, et flanquée d’un manège et de logements pour les domestiques. Par un pont bien nommé le «point de vue », le regard se portait sur tout le domaine de 400 ha. L’accès à la cour d’honneur se faisait par une porte surmontée d’une Renommée de bronze, décorée notamment par deux esclaves, sculptés par Michel-Ange pour le tombeau de Jules II, et qu’on peut voir au Louvre. Les autres éléments de la décoration sont encore visibles au musée de la Marine et à la Malmaison.

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C’est grâce au texte de Claude Vignier, auteur du livre, Le château de Richelieu (1676) que l’on sait que la cour d’honneur était encadrée de trois façades décorées de bustes et d’antiques. On ne peut qu’imaginer le faste de ce château dont les appartements, la galerie et la chapelle étaient ornés de tapisseries de Flandres, de sculptures et de tableaux des plus grands artistes, de Dürer à Titien en passant par Mantegna, Le Caravage et Rubens. Tout, y compris le mobilier, a été dispersé dans les musées et dans les collections privées.

Pour nous remémorer cette splendeur passée, demeure cependant le parc, dont le plan de Jean Marot figure ce qui fut la prairie, le rondeau, la patte d’oie, le fruitier, la palissade de buis, le grand parterre, le « sainfouin » (ou esparcette cultivée, dite encore esparcette à feuilles de vesce, plante rosacée qui a la réputation de plaire aux ânes).  Il aurait été redessiné en 1880 par les frères Denis et Eugène Bühler.

Lorsque l’on y pénètre, dans l’axe de la grand-rue de la ville, on suit une allée de marronniers qui longe le canal du Mâble jusqu’à la roseraie. Celle-ci, située sur l’emplacement du château disparu, est entourée de douves. Après avoir pénétré sous le dôme, on admire la reproduction du grand portrait de Richelieu par Philippe de Champaigne (222x 155). Cette œuvre magistrale suit toutes les règles du portrait de chef d’Etat de l’époque classique : en pied, de face, les traits de vigueur de caractère accentués et la fonction sociale affirmée dans le costume. Ce tableau provient de la collection du financier Louis Phélypeaux de La Vrilière et dont le cardinal lui aurait fait le don.
Les deux gravures et la maquette du château laissent à penser ce que fut la magnificence des lieux au XVII° siècle.

Puis on emprunte une allée de platanes, au début de laquelle chante un puits artésien qui alimentait le château. Après avoir franchi le canal du Mâble, on parvient au bâtiment des chais dont le portail est décoré du masque grimaçant de Bacchus. Une superbe porte intérieure ouvre sur l’obscurité des caves dont les trois travées évoquent une église. Construite symétriquement aux chais, l’orangerie encadrait un parterre de broderies (dessins réalisés avec des buis taillés), séparés des bois par un mur d’ifs. C’est là que poussait le cépage de sauvignon, car Richelieu aimait le vin : « Si Dieu défendait de boire, aurait-il fait le vin si bon ? » écrit-il dans ses Mémoires.

Rotonde-Rochelieu.jpg

Au loin, on aperçoit des arbres de Judée, des cyprès chauves, des séquoias. L’endroit invite à une méditation sur l’éphémère. Et pour évoquer une fois encore Marion Delorme, ce drame trop  méconnu de Victor Hugo, songeons au dernier vers prononcé par l’héroïne, tandis qu’elle marche à l’échafaud avec Didier son amant qu’elle n’a pu sauver malgré son sacrifice. A moitié évanouie, elle voit passer le cardinal dans sa litière et se relève en un ultime sursaut, tout en criant avec désespoir :

« Regardez tous ! Voici l’homme rouge qui passe ! »

Mais, en ce lieu, c’est surtout «  la gloire du monde qui passe » : « Sic transit gloria mundi », comme le dit la phrase de l’Ancien Testament.

Lundi 26 octobre 2009.





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commentaires

D
<br /> c'est une ville et un parc qui m'ont toujours fascinée; merci de si bien raconter!<br /> <br /> <br />
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