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29 novembre 2019 5 29 /11 /novembre /2019 11:05

Il semblerait que l’art de la tapisserie soit un domaine méconnu voire oublié de nos contemporains. Certes, on citera La Dame à la licorne ou Jean Lurçat mais au-delà ? On ne peut donc que louer tous ceux qui ont participé à la superbe exposition, intitulée Parures de fêtes ! Splendeurs des tapisseries de Saumur, qui se tient du 20 septembre au 1er décembre 2019, à l’Abbaye Royale de Fontevraud. Une exposition inédite puisque ces tapisseries sont rarement montrées. Leur conservation délicate nécessite en effet un grand espace, les pièces faisant plusieurs mètres de long et de haut. La plus grande fait 5,50 mètres de haut et 5 mètres de large ! On rappellera qu’une tapisserie est un panneau de tissu dont le décor résulte du tissage de fils de trame colorés entrecroisés à angle droit avec des fils de chaîne de couleur neutre totalement recouverts. L’image et le tissu prennent forme en même temps. Cette technique n’est pas à confondre avec la broderie ou l’art du tapis. Elle s’exécute à la main sur un métier.

La Ville de Saumur a la chance de posséder la troisième collection de tapisseries de France, remarquable par son nombre et sa rareté. C’est la seule ville du monde à conserver des tapisseries fabriquées à Tours au XVIe siècle. « Et 80 à 85 % des pièces sont uniques. On n’en connaît pas d’autres exemplaires » précise Étienne Vacquet, responsable de la Conservation départementale de Maine-et-Loire, qui dirige les études scientifiques sur la collection saumuroise.

Ces tapisseries sont au nombre de 70, dont 37 sont exposées ici. Certaines sont visibles dans les salles du château, l’une dans une école ; les autres le sont régulièrement dans les églises de Saint-Pierre ou de Notre-Dame de Nantilly (en trois ans, on peut les avoir toutes vues), ou encore à l’occasion d’expositions à la chapelle Saint-Jean, située derrière la mairie. Réunies ici dans le grand dortoir, elles forment un ensemble exceptionnel dans une belle scénographie de Christophe Berte qui joue habilement de la disposition dans ce grand espace et des lumières. Classées au titre des monuments historiques, elles ont été l’objet, pendant 25 ans, de restaurations attentives grâce à l’action concertée de la Ville de Saumur, de l’État et du Département de Maine-et-Loire. Selon Emmanuel Morin, directeur artistique et culturel de l’Abbaye royale, c’est « un événement à résonance nationale ».

Saint Louis

L’intérêt pour le visiteur est donc de découvrir cet art méconnu qui est un véritable livre d’images. La plupart de ces tapisseries furent commandées pour les églises de la ville dont les confréries étaient actives et généreuses. Productions de luxe en soie, fils d’or et d’argent, demandant plusieurs années de travail, elles étaient créées pour solenniser les grandes fêtes religieuses. En temps normal, on se contentait des toiles peintes qui avaient servi de modèles à leur réalisation. Elles pouvaient aussi être tendues sur le passage de grandes processions. Malgré le travail de Mérimée en 1836 (il fut inspecteur général des monuments historiques), il a fallu attendre la fin du siècle avant que l’on ne reconnaisse la valeur de ce patrimoine. Toutes classées, les tapisseries restaurées de cette exposition ont été réalisées en Flandre et en France dans les grandes manufactures des Gobelins et d’Aubusson entre le XVème et le XXème siècle.

La Chasse au faucon

Le parcours de l’exposition permet ainsi au visiteur de déambuler à travers 5 siècles d’art de la tapisserie, d’iconographie et d’histoire. Il admire d’abord une tapisserie représentant saint Louis et trois tentures du XVème siècle, inspirées par les textes antiques, les romans de l’amour courtois, la vie seigneuriale. Ces œuvres répondent à la culture de la société de cour et du clergé qui en sont les commanditaires et au désir de créer de riches suites narratives et ornementales. Le Combat des Sauvages et le Bal des Sauvages, dont on ignore la source textuelle, fait s’affronter  et se rencontrer le monde sauvage et le monde civilisé. Tapisserie étrange que la seconde où des dames en hennin sont entourées d’êtres aux jambes et aux bras velus… Cette tapisserie pourrait encore représenter la lutte des vices et des vertus, du bien et du mal. Ce pourrait être enfin une allégorie de la guerre et de la paix. La Chasse au faucon, fragment d’une tapisserie plus vaste, témoigne de cet art de la fauconnerie pratiqué par les seigneurs. Symbolisme d’une œuvre où l’on peut aussi reconnaître dans l’amant le chasseur et dans la dame la proie.

La tenture de La Vengeance de Notre-Seigneur (Tournai, vers 1470) est une version christianisée de la prise de Jérusalem par Titus en l’an 70 de notre ère. Le récit en est relaté par l’historien Flavius Josèphe. Cependant, la source directe en est une pièce de théâtre, écrite au début du XVème siècle, par Eustache Marcadé et intitulée le Mystère de la Vengeance de Notre Seigneur. La prise de la ville juive peut se lire comme la punition de Dieu contre les Juifs qui sont à l’origine de la mort du Christ. On trouve d’autres épisodes de ce mystère à Vienne, Tournai, Lyon, Florence et Genève.

Ensuite, l’on peut découvrir un ensemble impressionnant que j’avais déjà vu lors d’une exposition à la chapelle Saint-Jean : la tenture de chœur de la Vie de saint Florent et saint Florian, dont la légende ne sera rédigée qu’au IXème siècle.  La première tapisserie, la plus ancienne, achevée en 1524, fut commandée par Jacques Le Roy, abbé de Saint-Florent. Les tapisseries furent réalisées en laine, avec l’usage ponctuel de la soie vraisemblablement à Paris, d’après des cartons de Gauthier de Campes. Seules 8 pièces (en 9 morceaux) sont parvenues jusqu’à nous. Elles évoquent 21 scènes (sur les 27 initiales) de la vie des deux frères (selon la légende). L’hagiographie du saint est en effet un support à une illustration christique, permettant de faire des parallèles avec des textes bibliques et de faire réfléchir sur le sens de la vie. Originaire de Bavière, saint Florent fit partie des évangélisateurs de l’Anjou au IVe siècle. Son corps connut moult pérégrinations et l’abbaye qui porte son nom n’en retrouva les reliques qu’en 1475 grâce à Louis XI.

La Présentation de Jésus au Temple

A la fin du XVème siècle et durant le premier tiers du XVIème siècle, un ensemble de tapisseries est consacré à la vie de la Vierge, de son enfance à sa mort. Ces épisodes, souvent empreints de merveilleux, sont issus de l’Evangile de la nativité de Marie attribué à saint Matthieu, des textes apocryphes  et de la Légende dorée de Jacques de Voragine. C’est une véritable « bande dessinée » avant l’heure qui  raconte l’histoire de la vie de la Vierge Marie, de l’arbre de Jessé à son Assomption, témoignant de son culte qui s’est développé au Moyen Age à partir du XIIe siècle. On reconnaîtra l’Annonciation (Aubusson ou Felletin, 2ème moitié du XVIIème), la Présentation de Jésus au Temple (Aubusson ou Felletin, 2ème moitié du XVIIème), selon le point de vue de Marie, que l’on voit transpercée par le glaive des sept douleurs. Dans la Dormition de la Vierge, celle-ci est entourée des apôtres, transportés miraculeusement à son chevet, et qui assistent à son endormissement puisqu’elle fut épargnée par la mort. Une immense tapisserie s’intitule La Vierge couronnée par les Anges et adorée par les bergers (Paris (?), 1er tiers du XVIème siècle), et exalte le culte de la Vierge.

L'Annonciation

En regard de ces œuvres, on peut admirer deux grandes tapisseries de la généalogie et de la Nativité. L’arbre de Jessé (Tours 1529) renvoie au livre d’Isaïe et développe la filiation historique du Christ, composée de prophètes et de rois. La Nativité, qui rassemble la Sainte Famille, les bergers et les rois, souligne la poésie de l’humble naissance du Christ. Quant au parcours souffrant du Christ, de son arrestation au jardin des Oliviers à son ensevelissement, il est représenté symboliquement par Les Anges porteurs des Instruments de la Passion. La colonne et le texte tronqués à gauche montrent qu’il manque un des anges qui portent des vêtements sacerdotaux ; de même, les textes qui figurent au-dessus des anges ne sont que des fragments. L’origine de cette tapisserie du XVIème siècle reste indécise. L’on retrouve son thème dans de nombreuses peintures murales ainsi que dans une autre tapisserie conservée au Musée de l’Ermitage à Saint Pétersbourg. C’est la première fois, depuis le XIXème siècle, que ces tapisseries, Légendes de la Vierge et Poésie du Christ sont présentées en vis-à-vis.

Les Anges porteurs des Instruments de la Passion

L’ensemble suivant est composé de tapisseries tourangelles du XVIème siècle, dont Saumur possède le nombre le plus important. Dans les années 1520, un lissier parisien, Nicolas de Mortaigne, crée un atelier à Tours. Son gendre, Jehan Duval, lui succède puis le fils de ce dernier. L’atelier périclite et ce n’est qu’en 1612 que la création lissière reprendra dans cette ville. Si les cartons ont été produits par des peintres différents, l’emploi d’un cadre architecturé à motif de pilastres  et d’entablement au riche décor permet de renvoyer à ce style tourangeau. Deux tentures, propriété de la Ville de Saumur, la Vocation de saint Pierre (1535-1538) et la Vie de saint Pierre (1542-1546) sont présentées ici. La seconde conserve dans sa composition le souvenir de la disposition des stalles remarquables du chœur de l’église Saint-Pierre de Saumur. Composée de 6 pièces, elle fut commandée par la confrérie du Saint-Sacrement.

Les Enfants jardiniers

La dernière partie de l’exposition est consacrée à l’allégorie et témoigne du renouveau de l’art licier qui s’oriente vers des sujets profanes. Les Enfants jardiniers (Les Gobelins, après 1717) présente des enfants qui sarclent, binent, ratissent, taillent, entourés d’un chien, d’un perroquet, d’un paon, d’un lapin. En arrière-plan, sphinx, bassin géométrique, fontaine sculptée, jet d’eau rappellent les jardins à la française. Une tapisserie moderne, datée de 1959, est une création de Jean Lurçat. Propriété de l’école saumuroise de L’Arche dorée, elle est intitulée Selva (jungle en espagnol). Elle fut inspirée à l’artiste lors d’un voyage au Brésil en 1954. On y voit une végétation luxuriante dans laquelle volètent des papillons tandis qu’un brochet se dresse la gueule ouverte : beauté et cruauté s’y côtoient au sein de la nature.

Selva, Jean Lurçat

Cette exposition est un enchantement par sa diversité, ses motifs, ses couleurs. Pour ma part, j’ai préféré les tapisseries du XVème et début XVIème, dont j’aime l’élégance et le foisonnement des couleurs. J’aime aussi la variété des fleurs à identifier notamment dans La Vierge couronnée par les anges et adorée par les bergers. Comme le dit Dom Robert, un célèbre moine tapissier « tout à coup on découvre un ange, un animal qui voulait se cacher, on en cherche d’autres… » Je retiendrai encore Les Anges porteurs des instruments de la Passion, dont les rouges encore très vifs et les objets symboliques invitent à une méditation épurée sur les souffrances du Christ.

Au terme du parcours dans cette belle exposition et pour conclure sur l’importance de cet art un peu méconnu de nos contemporains, j’aimerais donner la parole à Henri Focillon  qui écrit dans L’Art d’Occident (III) : « L’art de la haute lisse fut pour l’Occident ce que la fresque fut pour l’Italie. Avec le vitrail, c’est peut-être l’expression la plus originale de son génie […] Dans nos églises, la tapisserie développe (vers le XVème siècle) un tableau de la vie humaine où, de la Création au Jugement dernier, les événements ou les allusions historiques se mêlent aux leçons de l’Evangile […] Plus que la matière murale, la matière dont elle est faite est chaude et subtile. Elle satisfait ce goût de la chose rare, précieuse, lentement travaillée, qui est au cœur de cette civilisation. » Et cette exposition en est le témoignage éclatant.

 

Sources :

Les cartouches de l'exposition.

Carnet de visite de l’exposition. Pour ne pas perdre le fil.

Feuillet d’accompagnement.

https://www.diocese49.org/la-tapisserie-des-anges-porteurs-des-instruments-de-la-passion-2409

http://blog.mahgeneve.ch/la-prise-de-jerusalem-par-titus-sur-tapisserie/

https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/saumur-49400/culture-les-tapisseries-de-saumur-mises-en-lumiere-a-l-abbaye-de-fontevraud-d43bdc62-dc6b-11e9-8deb-0cc47a644868

Photos : ex-libris.over-blog.com

 

 



 


 

 

 

 

 

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commentaires

M
Ce que c'est beau! Je crois que je n'ai vu qu'une tapisserie dans ma vie. C'était il y a très longtemps.<br /> Merci pour la visite Catheau
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C
L'art de la tapisserie, un art méconnu que devrait aimer l'artiste amoureuse des couleurs que vous êtes.

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