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6 décembre 2009 7 06 /12 /décembre /2009 19:11



Jeudi 12 novembre 2009, sur le plateau de La Grande Librairie, on parlait du Grand Siècle. François Busnel y était en compagnie d'historiens et d'universitaires : Patrick Dandrey (Quand Versailles était conté), Joël Cornette (LouisXIV), Christine Mongenot (pour la publication des Lettres de Madame de Maintenon), et Dominique Labbé (Dans Si deux et deux sont quatre, Molière n'a pas écrit Dom Juan, il pose la question de savoir si c'est Corneille qui a écrit les oeuvres de Molière). Denis Podalydès, sociétaire du Français (et auteur de Voix off, Traits et Portraits, Prix Fémina de l'Essai 2008), y évoquait le personnage de l'Avare qu'il joue actuellement à la Comédie-Française, dans une mise en scène de Catherine Hiegel. Il nous a ainsi donné l'occasion de redécouvrir un personnage de théâtre devenu un type.
Au roi qui demandait à Boileau à la fin de son règne : « Que restera-t-il de mon siècle ? », l’auteur des Caractères répondait : Molière, Sire ! » A l’occasion de la grande exposition qui se tient actuellement à Versailles sur le Roi Soleil, (Louis XIV, l’homme et le roi, jusqu’au 07 février 2010), force est de constater que le dramaturge est plus vivant que jamais.


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Denis Podalydès a éclairé pour nous le personnage de L’Avare. Cette pièce, qui a été jouée plus de 2 000 fois (2 538 en septembre 2009), est la plus représentée après Tartuffe ou l’Imposteur (3 115). Du temps de Molière, elle fut jouée en même temps que cette dernière et qu’Amphytrion mais ne connut guère le succès. C’est au XX° siècle que tous les grands acteurs ont interprété le rôle-titre : Jouvet, Serrault (dans la mise en scène de Roger Planchon), Michel Aumont, Michel Bouquet (qui l’a joué pendant vingt ans et qui, à 80 ans, repart en tournée), dans la mise en scène de Jean-Paul Roussillon.

L’acteur dit avoir bien observé le jeu de ses prédécesseurs pour en tirer un enseignement et modeler le rôle à son image. « J’aime savoir ce que les autres ont fait avant moi, j’ai une espèce de curiosité maladive, même pour des petits trucs, pour voir comment ils jouent telle ou telle réplique », explique-t-il dans une interview accordée à Etienne Sorin. Il a beaucoup regardé le DVD de la mise en scène avec Michel Aumont et il reconnaît que le jeu de Michel Serrault a été le terreau dans lequel il a pioché, lent et patient travail qui lui a permis d’ajouter sa touche personnelle au rôle. L’interprétation de Podalydès suscite des commentaires très élogieux. Selon P. L. Callixte, la troupe du Français est étonnante et propose une représentation quasi-parfaite. L’acteur a suivi les conseils de Michel Bouquet, son maître au Conservatoire, qui lui recommandait de « faire rire ».

Il existe en effet deux grandes traditions en ce qui concerne cette pièce. Goethe en faisait une œuvre sombre, et Bouquet et Aumont en ont réussi la synthèse dans une mise en scène de J. P. Roussillon, révolutionnaire et balzacienne, qui s’est jouée au Français de 1969 à 1989. Catherine Hiegel, qui a joué elle-même dans cette mise en scène, a, quant à elle, retenu la tradition comique. Elle a voulu monter une farce. « Pour Catherine, la comédie devait l’emporter et elle avait une idée très précise d’Harpagon : jeune, tonique, violent et joyeux. » Si le décor est clair, elle a voulu cependant faire de l’Avare un insecte en habit noir : « Harpagon est une araignée qui hante sa propre maison. » (Interview avec Etienne Sorin).

Il existe certes plusieurs registres.  Il est clair que les scènes avec Cléante le fils sont tragiques : « L’Avare est une figure du père tyrannique, castrateur, qui tient les cordons de la bourse, et contre lequel il faut se former, qu’il faut abattre. A l’opposé d’Harpagon, Cléante est un joueur qui dilapide l’argent. » Mais L’Avare est surtout une formidable machine comique. C’est d’ailleurs dans ce registre que Molière, placé près de la rampe,  interprétait le rôle au Théâtre du Petit-Bourbon.

Le personnage est bipolaire : c’est un terrien et un pragmatique à qui le jeu de Podalydès parvient à donner un côté aérien et léger. En lui s’associent la marotte, l’obsession, et la chimère. Toujours dans son interview par Etienne Sorin, Podalydès le décrit remarquablement : « Il est âgé mais l’avarice le tient juvénile, c’est sa source de jouvence. Il arrive presque à retenir le temps ! Les grands monomanes de Molière sont très beaux parce que, dans le fond, ils sont désintéressés. Curieusement, ils ne sont pas si antipathiques que ça parce qu’ils s’adonnent à une seule et unique passion qui les brûle et les dévore. »

L’acteur affirme que la prose vivante de L’Avare vaut tous les alexandrins. Il reconnaît que, lorsqu’il est fatigué, le rôle le dynamise. Molière a l’art inimitable d’aller à l’essentiel. Ainsi, les premières répliques du Misanthrope sont significatives de cette nécessité et de cette économie de la langue, propres au grand Jean-Baptiste. Elles sont à dire d’une traite, comme on lance des flèches.

Le comédien ajoute qu’autrefois, le verbe « déclamer » avait un sens noble. Aujourd’hui, il est devenu péjoratif et synonyme d’emphase. Il est cependant possible de déclamer naturellement, car la langue de Molière doit être nourrie et il importe que le verbe en soit soutenu. L’acteur se doit de lui insuffler une énergie afin que la phrase « se soutienne » pour le spectateur.

Quand Molière joue Harpagon en 1668, il est loin d’être un vieillard ; il est vrai cependant que le rôle a souvent été interprété par des comédiens plus âgés. Podalydès, qui a quarante-cinq ans, avait cette crainte de n’être pas assez vieux pour le rôle. Mais la convention théâtrale de la farce autorise des comédiens jeunes à interpréter des personnages plus avancés en âge. Il avoue que, pour le personnage d’Alceste, il craignait aussi de n’être pas à la hauteur du rôle. Ayant progressé dans son art, il sait maintenant que cela n’est pas un si gros obstacle. Cette angoisse l’a désormais quitté.

Podalydès évoque ensuite ce qu’il appelle le rire de connivence que l’acteur fait naître lors du monologue de la cassette. Il l’expérimente chaque fois qu’il se déplace dans la salle au milieu des spectateurs, en disant : « Tout me semble mon voleur. N’est-il point caché parmi vous ? » et qu’il brise ainsi « le quatrième mur » du théâtre. Et quand il dit : « Ils me regardent et se mettent à rire », il sait qu’il doit fixer précisément un spectateur. Si trois spectateurs se mettent à rire, « c’est sauvé » ! 
De plus, c’est bien à ce moment  que le public participe pleinement au passage du tragique au comique. « Je me meurs, je suis mort, je suis enterré », dit Harpagon, le visage peint tel un masque d’Arlequin noir, comme s’il avait mis la tête dans la terre. Il meurt et aussitôt le phénix renaît de ses cendres : « Est-ce qu’il n’y a pas quelqu’un qui veut me ressusciter en me rendant mon argent ? » Il retrouve alors le sens de la comédie et s’adonne à nouveau à la paranoïa. Le public rit et la pièce repart vers le cinquième acte quand il dit « Sortons ! » (Interview avec Etienne Sorin).

Podalydès ajoute que le rire global est celui qui vient du corps, celui qui crée le comique grotesque du corps. C’est ce rire qui permet la saisie du monde, dans la perspective de ce que disait Montaigne : « Toutes nos vacations sont farcesques. » Le rire devient alors le critère de la réussite.

Le comique de Molière saisit le monde sous l’angle de la déformation de la nature, une nature qui était alors synonyme de raison, notion que le siècle avait érigée en valeur suprême. Après avoir pointé les travers de la cour par le biais des gestes et des paroles, Molière en fait le procès en stigmatisant l’inconsistance des rituels qu’il tourne en dérision.

Si le rire est « multi-faces », il se fane pourtant très vite. Podalydès tient la gageure de faire rire le spectateur après Serrault et Bouquet, et cela est très rare.

A propos de la question de savoir si ce n’est pas Corneille qui aurait écrit les pièces de Molière, question soulevée pour la première fois par Pierre Louÿs en 1919, Dominique Labbé se fonde sur la statistique. Il a remarqué que les deux auteurs ont un vocabulaire très voisin, mais il est difficile d’en tirer des conclusions certaines.

Par ailleurs, comment concevoir que Louis XIV ait pu protéger un imposteur ? Pour Dandrey, tout cela relève d’une tendance à vouloir tout mathématiser et rationaliser.  Il espère fortement que jamais un écrivain ne pourra être identifié par la statistique. Podalydès, à qui on demande s’il est capable « à l’aveugle » de reconnaître le style de Corneille ou celui de Molière, répond que les deux écritures se ressemblent, les bases de l’éloquence de l’époque ayant été acquises par les auteurs chez les Jésuites. Cependant, il remarque chez Molière des effets significatifs de déséquilibre, lisibles par exemple dans la réplique de Mascarille disant : « J’importune, peut-être ? »

Pour le comédien, on reconnaît la « touche » de Molière, le dramaturge qui possédait tous les rires. La densité de son langage est remarquable, chez lui, le mot « est » la chose. Et quand Harpagon s’écrie : « Mon pauvre argent ! », Podalydès considère que cette réplique est belle comme un poème !

Certes, on ne dispose d’aucun manuscrit de la main de Molière, dont on ne connaît l’aventure théâtrale que par les registres de l’acteur La Grange. Cela n’a pourtant rien d’étonnant car, à l’époque, cela ne se faisait pas de montrer ses brouillons. « On ne reçoit pas les gens en robe de chambre » écrivait Guez de Balzac !

Si Molière a pu écrire avec une telle liberté, c’est grâce à Louis XIV, qui lui a donné toute latitude pour créer ses personnages. La censure n’entamera jamais la combativité de Molière, dont l’énergie phénoménale lui permit de relever tous les défis. Auteur, directeur de troupe, acteur, il écrivit ses plus grands chefs d’œuvre dans des périodes difficiles.

La querelle du Tartuffe ne modifia pas les bonnes relations que Molière entretenait avec le roi. On sait que la première version de Tartuffe en trois actes fut créée en 1664 pour Les Plaisirs de l’Ile enchantée, dans la perspective de la comédie-ballet et d’un art total, conception artistique que partageaient Louis XIV et le dramaturge. La pièce sera condamnée en 1668 mais le Grand Condé la fera jouer à Chantilly. Tartuffe sera même jouée de nouveau dans les appartements de l’austère Madame de Maintenon (surnommé aimablement « la crotte de souris » ou « la grande ripotée » !), alors qu’elle régnait sur le cœur du roi vieillissant. Ainsi, bien qu’il eût un jour qualifié Molière de « gentil baladin », jamais le soutien du Roi-Soleil ne  fit défaut au génial créateur d'Harpagon.

 

A voir :

Louis XIV, l’homme et le roi, Château de Versailles, jusqu’au 07 février 2010.

Fastes royaux, Collection des tapisseries de Louis XIV, Galerie des Gobelins, 75013 Paris, jusqu’au 07 février 2010.

 

A lire :

Catalogue de l’exposition, sous la direction de Nicolas Milovanovici et Alexandre Maral, Skira Flammarion.

Quand Versailles était conté, Patrick Dandrey, Editions Les Belles Lettres.

Louis XIV, Joël Cornette, Editions du Chêne.

Lettres de Madame de Maintenon, 1650-1689, Volume I, Christine Mongenot, Editions Honoré Champion.

Si deux et deux sont quatre, Molière n’a pas écrit Dom Juan, Dominique Labbé, Editions Max Milo.

Louis XIV, Jean-Christian Petitfils, Editions Perrin.

Les coulisses de Versailles, Pascal Bonafoux, Editions du Chêne.

L’Année des quatre Dauphins, Olivier Chaline, Flammarion.

Voix off, Traits et Portraits, Denis Podalydès, Le Mercure de France.


Dimanche 06 décembre 2009

 

 

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