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9 mai 2017 2 09 /05 /mai /2017 18:12

 

Mercredi 5 avril 2017, en séjour à Menton, je me suis plongée avec bonheur dans les souvenirs de ce touche-à-tout de génie que fut Jean Cocteau. C'est ainsi que je suis allée admirer les fresques qu’il a réalisées pour la Salle des Mariages de la mairie de cette ville. En 1957 et 1958, alors qu’il est « fatigué de l’encre et de la table » ainsi qu’il le dit lui-même, il accède à la demande de Francis Palmero, maire de Menton de décorer la Salle des Mariages. « ...L’édifice municipal affectait à mon égard une indifférence un peu hostile, il me fallut imaginer des ruses, essayer la paraphrase d’un style familier de la Côte à la veille de 1900, celui des villas, peu à peu détruites, où sont peintes les courbes sous-marines, les gerbes d’iris, les algues et les chevelures du Modern style. »

Dans ce lieu unique, tout est de sa main. N’a-t-il pas en effet imaginé lui-même les portes en bois à pointes de diamant, les tapis de style léopard, les candélabres de bronze, les appliques et les chaises espagnoles à haut dossier ? Il explique en ces mots son dessein : « Une salle des mariages doit représenter quelque chose. C’est ainsi que travaillant parois et plafonds, je n’ai jamais oublié qu’ils dussent avoir un cadre assez théâtral fait de velours et d’or. Mais tout en n’oubliant pas le style officiel, des moquettes rouges et des plantes vertes, je les transporte un peu plus haut, un peu plus loin. Rien ne porte au songe le cortège qui pénètre dans une mairie, rien ne lui offre la chance des candélabres, de l’encens, des orgues. Je me suis donc attaché, faute de mieux à lui suggérer quelque pompe : un chemin de peau de panthère, des torches rappelant les figues de Barbarie, et les aloès qui hérissent nos jardins de trophées sauvages, l’or, à la feuille, les fauteuils et les chaises espagnoles, les miroirs gravés, les jardinières de bambou et les traditionnelles plantes vertes du vestibule. » Force est de reconnaître que l’ensemble, s’il est surprenant voire hétéroclite, séduit et charme.

Dans cette Salle des Mariages, il semble que l’inspiration soit double. Les murs de droite et du fond renvoient plus précisément à la Côte d’Azur tandis que celui de gauche et le plafond font la part belle à la mythologie et à la poésie. Cocteau explique ainsi comment l’inspiration de départ fut peu à peu infléchie vers des images venues de son subconscient : « Je m’éloignai [de mon point de départ], emporté par des ordres venus de ce moi qui nous commande et dont nous ne sommes que la main d’œuvre. »

Le panneau du fond présente un couple en vis-à-vis. La jeune femme est coiffée de la capeline mentonnaise, surmontée d’un soleil flamboyant et le jeune homme, dont l’œil a la forme d’un poisson, porte le bonnet du pêcheur méditerranéen, décoré de lignes rouges. Le fond du panneau arbore le bleu et le blanc, aux couleurs du drapeau de Menton. Les jaune et orangé du soleil évoquent citrons et oranges.

Le mur de droite dessine la noce d’un village imaginaire qui illustre la phrase, désormais disparue du Code Civil : « La femme doit suivre son mari. » La scène est vivante avec de très nombreux personnages en mouvement. Un jeune couple s’apprête à s’en aller sur un fringant cheval blanc au beau caparaçon, tandis que des jeunes filles portent des présents de fruits et de fleurs sur leur tête ; un aveugle au chapeau pointu offre une orchidée, des jeunes gens accourent vers leurs amis en se réjouissant et en dansant. Sur la droite, la mère du jeune homme, assise et coiffée d’un haut voile, fait grise mine. Devant elle, une jeune fille, peut-être délaissée par le nouvel époux, se lamente dans les bras d’un jeune homme qui la soutient. L’ensemble, baignant dans des teintes pastel, se déploie dans un tableau de courbes et de volutes jaune pâle, avec en arrière-plan des personnages vêtus de pagnes et armés de sagaies. « Je veux me dicter des thèmes – dit le poète - et m’acharner à organiser une fois encore les mystérieuses noces du conscient et de l’inconscient, de la beauté reproduite figurative et de la beauté produite abstraite, l’une mise en branle par l’art grec reproduisant les formes de la nature, l’autre par l’art nègre produisant des tatouages et des déformations physiques aptes à contrarier les formes naturelles, jusqu’à leur substituer un monde imaginaire où l’homme commande. » C’est ce savant dosage qui crée la beauté de cette scène.

C’est pourtant le dessin du mur de gauche, sur un fond de pastel jaune aux fines lignes vertes, que j’ai préféré, qui évoque la mort d’Eurydice et illustre la phrase : « Orphée en tournant la tête perdit sa femme et ses chants. Les hommes devinrent bêtes et les animaux méchants. » On la ainsi voit mourir, vêtue de blanc et la tête inclinée, soutenue par deux femmes aux robes bleues tandis qu’un Orphée tatoué sur tout le corps, les yeux clos, et ceint d’un pagne de palmes ou de plumes, brandit sa lyre. Aussitôt, les hommes s’animalisent, se métamorphosent en centaures, qui s’entretuent en se perçant de flèches. Un flamant rose de Camargue et un aigle semblent aussi les victimes de ce combat. Quelques légères traces rouges, ruban sur la tête d’Orphée, crête de l’aigle, blessures des centaures, soulignent discrètement la violence de la scène. On n’oubliera pas de mentionner, au-dessus de la porte d’entrée un aigle à la tête méchante, toutes ailes déployées, frappé d’une flèche. Il m’a fait penser à L’Aigle à deux têtes, la pièce de Cocteau dont un des personnages est une reine, tragiquement veuve de son époux assassiné.

Cocteau explique ainsi son propos : « Peut-être sont-ce les admirables volutes, tambours et masque africains qui m’incitèrent à remplacer les taches de couleur par un mélange anatomique, véritable labyrinthe de lignes. Toujours est-il que mon fils – à qui je m’ouvrais de mes inquiétudes – me dit en riant que je continuais à suivre les directives internes sans les comprendre et que j’avais, à mon insu, décoré cette salle dans le style du palais de Crète. J’étais instinctivement remonté aux origines du Modern Style, les cadences gracieuses de la superbe décadence de Cnossos, étant admis cette vérité baudelairienne qu’une décadence doit être considérée comme la pointe extrême d’une civilisation. »

Le plafond enfin est un hymne à l’univers céleste: au milieu de la danse des planètes l’on y voit la rencontre d’un ange jongleur et du cheval ailé, Pégase, monté par un personnage qui tient une sagaie. Un autre personnage ailé – à l’image du dieu Amour - décoche une flèche. Le tout, dans le tourbillonnement des sphères et des courbes. Cocteau donne quelques clés pour analyser son œuvre : « A force de lever la tête – dit-il – je crois voir la poésie, instable sur le cheval Pégase, jongler avec les mots, l’amour tel que la convention le représente, sauf que ses yeux ne portent pas de bandeau. »

Enfin, sur les miroirs de part et d'autre de l'entrée, Cocteau a gravé des Marianne, gracieuses mais boudeuses, allégorie obligée de la République française dans toute salle de mariage.

J’envie les privilégiés qui ont la chance de se marier dans ce lieu unique décoré par cet « aigle à dix têtes » que fut Jean Cocteau. Au moment de leur engagement, au milieu de ces fresques, où se mêlent mythologie, poésie et art nègre, d'où la violence n'est pas absente, les nouveaux époux sont invités à méditer cette phrase du « prince frivole : « Le verbe aimer est difficile à conjuguer : son passé n'est pas simple, son présent n'est qu'indicatif, et son futur est toujours au conditionnel. »

 Sources : https://www.fr/peinture/la-salle-des-mariages-de-menton

Photos ex-libris.over-blog.com

  

 

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