Jeudi 14 janvier 2010, à La Grande Librairie, François Busnel consacrait une grande partie de son émission à James Ellroy, celui pour qui « l’Amérique n’a jamais été innocente », et dont on vient de publier en français le tome III de sa trilogie intitulée Underworld USA, après American Tabloïd et American Death Trip. Ensuite, il recevait Andrei Kourkov, « l’écrivain comique ukrainien » pour Laitier de nuit. Je voudrais cependant m’attarder sur sa troisième invitée, la fragile Kim Thúy, qui vient d’écrire son premier roman, Ru, dont elle a parlé avec une délicatesse et une philosophie qui donnent envie de la lire.
Son histoire d’abord est extraordinaire. D’origine viêtnamienne, elle a dû quitter son pays natal à l’âge de dix ans, a vécu quatre mois dans un camp de réfugiés, pour ensuite s'installer au Québec avec sa famille. Couturière, avocate, restauratrice, elle a écrit ce premier ouvrage dénué de tout misérabilisme, en souhaitant y décrire des sensations, des émotions plus que des faits, et en expliquant qu’il fut « long de faire ce petit livre » de 142 pages.
Elle a précisé que si « ru » signifie « petit ruisseau » en français, en viêtnamien, il a le sens de « bercer », de « berceuse ». Et ce livre est sans doute pour l’émigrée la berceuse qui la rattache à la terre de ses ancêtres.
Celle qui a trouvé dans la langue française une patrie, a aussi proposé les trois livres de son Panthéon littéraire. L’Amant de Marguerite Duras, qui lui fit redécouvrir le Viêtnam ; L’Enigme du retour de Denis Laferrière, son frère en émigration ; et L’Insoutenable Légèreté de l’Etre de Kundera, qui lui donna l’occasion de prendre conscience de la réalité du communisme.
En disciple du bouddhisme, elle souligne que les déchirements de sa vie lui ont enseigné le détachement, qu’il importe en effet de ne pas s’attacher pour ne pas souffrir et qu’on apprend à se dépouiller pour rebondir. Et devant les aléas de la situation politique au Viêtnam, en philosophe, elle fait le constat que « guerre et paix sont en fait des amies et qu’elles se moquent de nous. »
Alors, s’il faut faire un choix de lecture entre l’ogre Ellroy, le drolatique Kourkov et la sereine Kim Thúy, je choisis celle dont la voix est le murmure nostalgique du « ru » de son enfance.
Vendredi 15 janvier 2010