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14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 18:15

 Miep Gies jeune

 

La Maison d’Anne Frank à Amsterdam a annoncé mardi 12 janvier 2010 le décès le 11 janvier 2010 de Mies Giep, qui aida Anne Frank et sa famille ainsi que d’autres Juifs à se cacher des nazis pendant 25 mois, avant qu’ils ne soient dénoncés par un délateur anonyme.

Morte à 100 ans, Hermine Santrouschitz, qui recueillit au moment de son arrestation ce qui deviendra le célèbre Journal d’Anne Frank, est née à Vienne en Autriche-Hongrie le 15 février 1909. En 1920, elle est envoyée à Leiden aux Pays-bas, dans le cadre d’un programme d’aide aux enfants affaiblis par la malnutrition et la tuberculose. Elle y sera surnommée Miep par sa famille d’accueil.

En 1922, elle déménage à Amsterdam, puis, en 1933, devient secrétaire dans l’entreprise d’Otto Frank, Opetka, qui vend de la pectine et des épices. Elle refuse d’intégrer une organisation nazie en 1941 et échappe à l’expulsion vers l’Autriche en épousant un Néerlandais, Jan Gies, le 16 juillet 1941.

Au printemps 1942, le filet se resserre autour des Juifs hollandais. Otto Frank demande alors son aide à Miep Gies pour le cacher avec sa famille dans une annexe d’un des entrepôts de l’entreprise. Dans son ouvrage, Elle s’appelait Anne Frank, publié en 1987, elle raconte sa réaction : « Il y a des échanges de regard qui ne se produisent qu’une ou deux fois dans une vie, c’était un de ceux-là. Je lui ai répondu : « Bien sûr ! » Et plus tard, elle dira : «  Cela me semblait parfaitement naturel. Je pouvais aider ces gens. Ils étaient impuissants. Ils ne savaient pas vers qui se tourner. »

Pendant deux ans, Miep Gies, aidée par d’autres employés d’Opekta, Victor Kugler, Bep Voskuijl et Johannes Kleiman, vont apporter un soutien clandestin sans faille à la famille Frank, bientôt rejointe par les Van Pels et, le 16 novembre, par Fritz Pfeffer. Otto Frank écrira après la guerre : « Ils ont tous répondu « Oui » sans hésiter, tout en sachant pertinemment ce qu’ils risquaient. Ceux qui aidaient les Juifs s’exposaient à des punitions sévères comme la prison, la déportation ou même l’exécution. » Héros obscurs, ils agiront ainsi selon leur conscience par simple souci d’humanité.

En juin 1942, les Frank s’installent donc dans une cachette aménagée derrière une bibliothèque. Le 21 août 1942, Anne Frank écrit : « Notre cachette est devenue une cachette digne de ce nom. En effet M. Kugler a jugé plus prudent de mettre une bibliothèque devant notre porte d’entrée […], mais naturellement, une bibliothèque pivotante qui peut s’ouvrir comme une porte. »

Les différentes tâches sont bien réparties entre les « protecteurs ». Miep Gies, « toujours chargée comme un baudet », ainsi que l’écrit Anne Frank,  et Bep Voskuijl sont affectées à l’intendance et à l’approvisionnement quotidien des légumes, de la viande, du pain et du lait. Miep veillait à ne se pas se fournir régulièrement dans les mêmes épiceries afin de ne pas éveiller les soupçons. Après la Libération, elle a retrouvé une liste de courses établie par M. Van Pels : « Je suis contente de l’avoir gardée », dit-elle.

Johannes Kleiman et Victor Kugler s’occupent de la sécurité et des finances. Jan Gies, le mari de Giep, et Johan Voskuijl, le père de Bep, ne restent pas inactifs. Le premier obtient des tickets de rationnement et le second, « le dévouement personnifié », selon Anne Frank, construit la bibliothèque pivotante. Jan Gies était aussi « un résistant qui parlait peu mais agissait beaucoup […] Il y avait des milliers de gens comme lui, dont on n’a jamais entendu parler », a confié un jour son épouse.

Mais l’aide n’est pas que matérielle. Bep s’inscrit à des cours de correspondance de sténo et de latin, destinés aux reclus. Tous les samedis, Miep apporte des livres de la bibliothèque. « Les autres gens ne savent pas tout ce que les livres représentent quand on est enfermé. La lecture, l’étude et la radio, voilà nos seules distractions », avoue Anne Frank. Victor Kugler distrait aussi la jeune fille en lui faisant passer la revue Cinema and Theater. Tout le monde est « surpris par la précision avec laquelle au bout d’un an, j’arrive à citer les acteurs de tel ou tel film », s’amuse-t-elle.

Il faut lire l’interview de Miep Gies par Menno Metselaar, datée de 1998, dans laquelle elle explique son état d’esprit pendant cette période. On y découvre une femme d’une grande humilité, qui ne revendique aucunement le statut de héros.  Elle y avoue sa compassion  et sa pitié profonde pour les « persécutés », se demandant comment elle supporterait à leur place ce sentiment d’enfermement. Elle explique que son souci majeur était de ne pas ajouter au malheur des  habitants de l’Annexe en leur épargnant les mauvaises nouvelles du dehors. Alors qu’elle avait peine à croire au sort que les nazis réservaient aux Juifs, elle souligne qu’Anne Frank était d’une lucidité extrême sur la situation et qu’elle admirait sa maturité. Combien de fois n’a-t-elle pas pensé : « Ma chère fille, tu es si jeune, pourtant tu parles comme une adulte » ?

Dans cette interview, Miep Gies raconte la scène où elle a eu « l’honneur » de  surprendre un jour Anne en train d’écrire son journal. Le regard « furieux, voire agressif » que la jeune fille lui lança lui est resté en mémoire. Elle s'est alors  sentie « minuscule ».

Elle se demande toujours « comment et pourquoi cette catastrophe a pu se produire » et n’a pas de réponse. Elle avoue simplement que la vie devait continuer et qu’elle a continué : « Pendant ces années noires, nous nous n’étions pas contenté de regarder de loin mais nous avons tenu la main à ceux qui en avaient besoin. Nous y avons risqué notre propre vie. On n’aurait pas pu faire plus. »

Elle raconte que c’est le 4 août 1944 que l’arrestation a eu lieu, sans doute suite à une dénonciation anonyme. Un homme, un certain Silberbauer, un revolver à la main, est entré dans son bureau et lui a enjoint de demeurer assise. Puis elle a entendu les clandestins, à qui on avait laissé le temps de faire leurs valises, descendre l’escalier « très lentement ». On dit que Miep Gies échappa à la détention car l’officier qui l’interrogea était d’origine autrichienne comme elle.

Otto Frank, le père d’Anne a expliqué plus tard qu’on les a sommés de remettre leurs objets de valeur. Silberbauer a renversé le cartable de sa fille dans lequel se trouvait son journal. « Il a dit : « Préparez-vous. Dans cinq minutes tout le monde est ici. » Une voiture blindée les a ensuite emmenés ainsi que Victor Kugler et Johannes Kleiman, arrêtés eux aussi.

Le 8 août 1944, les Frank sont envoyés au camp de concentration de Westerbork, dans l’est des Pays-Bas, puis ils sont déportés dans le camp d’extermination d’Auschwitz, en Pologne occupée. Quelques mois plus tard, Anne et sa sœur Margot seront transférées à Bergen-Belsen en Allemagne, où elles mourront du typhus, peu de temps avant la Libération.

Après leur départ, Bep Voskuijl et Miep Gies sont allées dans l’Annexe. Elles ont vu les papiers du journal d’Anne qu’elle ont ramassés. Comme Miep était l’aînée, Bep lui a dit de les conserver. Elle les a gardés dans un tiroir sans les lire et a dit : « C’est bien le journal d’une enfant, mais après tout, les enfants ont aussi le droit au respect de la vie privée. » Elles ont pris là une sage décision car le journal contenait des informations compromettantes et elles auraient été contraintes de le détruire. C’est cela qui a permis la préservation de l’œuvre et sa remise à Otto Frank lors de son retour de déportation en 1945.

« Lorsqu’à mon retour, j’ai appris que je ne reverrai jamais mes enfants, Miep m’a remis les écrits d’Anne », nous apprend Otto Frank. « Je dirais qu’ils ont été sauvés par miracle. Il m’a fallu beaucoup de temps pour tout lire. Et j’avoue que les pensées profondes d’Anne m’ont beaucoup surpris, son sérieux et surtout son auto-critique. Je découvrais une tout autre Anne que celle que je connaissais. » Apprenant alors qu’Anne souhaitait publier son livre après la guerre et qu’elle avait même réécrit une partie de la première version, il s’est résolu à le faire publier pour respecter le souhait de sa fille disparue. Publié en 1947,  traduit en 70 langues, ce fut le premier livre populaire sur la Shoah.

Miep et Jan Gies recevront le Prix Raoul Wallenberg de la Bravoure et la reconnaissance de l’Etat d’Israël, comme « Justes parmi les nations ». Miep Gies a obtenu aussi l’Ordre du Mérite de la République Fédérale d’Allemagne en 1995, la médaille de Yad Vashem en 1997, et a été anoblie par la reine Beatrix des Pays-Bas.

Mais médailles et récompenses signifiaient-elles vraiment quelque chose pour celle qui avait dit : « Aider des personnes en danger, c’est notre devoir en tant qu’être humains » ?


Sources:
Interview de Miep Gies par Menno Metselaar, 1998, http://www.annefrank.org/content.asp?pid=242&lid=5


Jeudi 14 janvier 2010


                                                                                                      première édition anne frank
        Première édition de Le Journal d'Anne Frank.
                                                                                                       

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