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23 avril 2009 4 23 /04 /avril /2009 13:07

  

La petite fille de Monsieur Linh, Philippe Claudel, Editions Stock, 2005.

 

Le Lorrain Philippe Claudel nous avait déjà montré l'étendue de son talent de conteur avec Les Ames grises (Prix Renaudot 2003), dont l'adaptation cinématographique d'Yves Angelo (Septembre 2005) avait su rendre avec justesse les ambiguïtés et l'émotion poignante.

Dans La petite fille de Monsieur Linh, l'auteur reprend un personnage féminin et le thème de la guerre mais il s'aventure encore plus avant dans la simplicité d'une écriture dépouillée, avec "un récit au plus près de l'humain", comme il l'a écrit lui-même dans une dédidace à une lectrice.

Il s'agit de l'histoire de Monsieur Linh, un vieil homme, semblable à tous les réfugiés de la terre, (sans doute originaire du Viêt-Nam) qui parvient dans une ville inconnue après six semaines de voyage en bateau. Il n'a pu emporter de son passé qu'une valise avec "quelques vêtements usagers, une photographie que la lumière du soleil a presque entièrement effacée, et un sac de toile dans lequel le vieil homme a glissé une poignée de terre." Mais son bien le plus précieux, c'est sa petite-fille qu'il a emmenée avec lui, alors qu'elle n'était âgée que de six semaines. Sang diû, c'est son nom, qui signifie "Matin doux", est la seule survivante de la famille du vieillard, victime d'une bombe dans son pays en guerre "depuis des années déjà".

Nous accompagnons donc Monsieur Linh, "Oncle", dans le foyer d'accueil où il  essaye de vivre avec d'autres réfugiés, qui le considèrent avec ironie, et où tout lui est absolument étranger. "Rien ne ressemble à ce qu'il connaît. C'est comme venir au monde une seconde fois." Seule Sang diû lui permet de survivre; il s'occupe d'elle comme le ferait une mère et lui sourit: "Je suis ton grand-père, lui dit Monsieur Linh, et nous sommes tous les deux, nous sommes deux, les deux seuls, les deux derniers. Mais je suis là, n'aie crainte, il ne peut rien t'arriver, je suis vieux mais j'aurai encore la force, tant qu'il le faudra, tant que tu seras une petite mangue verte qui aura besoin du vieux manguier."

Au cours d'une promenade, Monsieur Linh rencontre un solitaire comme lui, Monsieur Bark, et dont il devient l'ami, alors même qu'ils ne parlent pas la même langue. Cet homme, veuf depuis deux mois, l'appelle "Tao-laï", qui est la formule de politesse pour dire bonjour dans la langue de son pays natal. Il offrira même "une robe éblouissante" à  Sang diû. Et toujours le vieil homme serre contre lui avec tendresse sa petite-fille " de l'aube et de l'orient"  en lui chantant de sa voix chevrotante une chanson dont "les mots sont un baume qui adoucit ses lèvres, ainsi que son âme" et qui ravivent en lui les senteurs et les sensations de sa terre d'origine:

"Toujours il y a le matin

 Toujours revient la lumière

 Toujours il y a un lendemain

 Un jour c'est toi qui seras mère."

Quand on contraint Monsieur Linh à quitter le centre d'accueil pour une autre résidence, le vieillard sent "un grand vide en lui". Il s'oblige cependant à être fort pour sa petite-fille qu'on lui a laissée et dont il continue à s'occuper. Bien vite, il aspire à retrouver son ami, Monsieur Bark, qui se demande ce qu'il est devenu. Vêtu de sa robe de chambre, Sang diû dans les bras, le vieil homme part en quête de son ami dans la grande ville labyrinthique. "Hagard, il devient un errant."

On ne révélera pas la fin inattendue du roman qui donne tout son sens à l'errance de Monsieur Linh en dévoilant les ravages de l'exil et du déracinement. "On ne peut jamais s'envoler vers ce qu'on a perdu."

Dans ce roman subtil où s'entrelacent les thèmes de l'exil, de la guerre, du manque, de la mémoire, de l'abandon mais aussi de l'amitié par-delà les cultures, on tend vers la poésie pure, "sans rien qui pèse ou qui pose". Le vieux Monsieur Linh dans sa robe de chambre bleue et sa petite-fille si sage resteront longtemps dans votre mémoire.

 

 

                                                                                                                                                                     Février 2007

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