Avec La Comtesse, son troisième film (après Loooking for Jimmy et Two days in Paris), Julie Delpy signe une œuvre dérangeante, non tant par les actes sanglants commis par son héroïne que par la volonté de celle-ci de s’affirmer, à la fin du XVI°siècle, comme femme dans un monde d’hommes : « Si j’avais été un homme, mon destin aurait été fort différent », dit-elle.
L’actrice d’origine française, et qui a fait carrière aux Etats-Unis, s’est en effet intéressée au destin hors du commun de la comtesse hongroise Erzsebet Bathory (1560-1614), celle qui inspira en partie Bram Stocker pour son personnage de Dracula, tout droit sorti de Camilla de Sheridan Le Fanu, celle que la légende a surnommée la "dame sanglante de Scjete" (du nom de son château).
Par ses origines, Erzsebet Bathory était l’héritière de l'une des plus grandes familles de Hongrie, qui s'était établie dans ce pays au XIV°siècle. Etienne 1er son oncle fut roi de Pologne et, en 1476, le prince Stephen Bathory, son aïeul le plus puissant, était venu en aide au comte Dracula dans la reconquête du trône de Valachie. Plus tard, elle avait elle-même acquis un immense domaine lui ayant appartenu. Son père, Gyorgy Bathory, était le frère d'André Bathory, un des princes de Transylvanie.
Cette « femme élégante et fière, dont le large front témoign[ait] d’une grande intelligence » (Ferdinand Stobel von Ravelsberg), cultivée et parlant quatre langues, épousa très jeune, en 1575, un guerrier sanguinaire, Ferenc Nadasdy, grand pourfendeur de Turcs, dont elle eut cinq enfants. En son absence, elle géra son immense fortune, devenant même la créancière du roi. Agée d’une quarantaine d’années, c’est après la mort de son époux, à l’occasion d’un voyage à la Cour, qu’elle tomba follement amoureuse du jeune fils du comte Gyorgy Thurzo (William Hurt), palatin de Hongrie, dont elle avait rejeté l’amour. Ce dernier n’aura de cesse de la séparer de son fils Istvan (Daniel Brühl).
La comtesse, convaincue qu’elle a été abandonnée à cause de son âge, et sur les conseils de son âme damnée Anna Darvulia (Annamaria Marinca) se lance alors dans une quête éperdue de l’éternelle jeunesse. Elle ira jusqu’aux pires excès, à savoir le meurtre de plus de six cents jeunes filles- dit-on- dont le sang est censé rajeunir sa peau. En 1610, au terme d’un procès hâtif, initié par le roi et l’Eglise, elle sera emmurée vivante pendant quatre ans dans son propre château- sa noblesse lui ayant permis d'échapper à l'exécution- (et sans toutefois avoir été déclarée sorcière afin que ses enfants ne soient pas spoliés de leur héritage).
Dans un entretien avec Eric Kervern, Julie Delpy explique les raisons qui l’ont incitée à réaliser ce film. Le personnage de la comtesse Bathory la fascine depuis toujours et elle a eu envie d’aller plus loin dans la compréhension de ce personnage ambigu. Erzsebet ne fut-elle pas victime d’une cabale orchestrée par les grands du royaume de Hongrie ? Correspondait-elle vraiment au mythe de la femme sanguinaire et diabolique devenu le sien ? La réalisatrice a souhaité mettre en scène une femme de pouvoir,dans un siècle où les hommes à la guerre craignaient, en leur absence, de se voir dépossédés de leurs prérogatives.
Au delà du mythe de Lilith ou de la « méchante reine », elle a trouvé dans ce personnage de femme amoureuse et violente une matière complexe, telle que peut en receler Hamlet ou d’autres grands types masculins. Elle dit avoir été élevée par ailleurs aux films des années 70, dans lesquels ce sont les méchants qui sont les héros, comme le Parrain ou Bonnie et Clyde dans les deux films éponymes. Elle aime l’idée d’un personnage central décalé, opposé au héros traditionnel, beau et bon. Daniel Brühl, le comédien allemand, qui interprète le jeune amant de la comtesse Bathory, explique quant à lui que Julie Delpy a voulu montrer l’héroïne comme une femme meurtrie, blessée de l’intérieur, viscéralement « romantique » dans sa conception des relations humaines.
Après avoir mis huit ans pour enfin réaliser ce film écrit par elle en 2000, Julie Delpy le présente comme étant plus proche de Shakespeare que de Dracula et elle affirme que sa première influence a été celle de Carl Dreyer. On ne s’en étonnera pas quand on voit la maîtrise dont elle fait preuve dans le cadrage des scènes (superbe scène de la rencontre au cours d’un bal, qui fait penser au bal de La Princesse de Clèves de Jean Delannoy), et l’art du clair-obscur pour un film au classicisme épuré. Outre la beauté des costumes et des décors, on sera encore sensible à la précision et la subtilité des dialogues, non dénués d’humour (notamment dans la scène du dîner avec l’archevêque), et à une bande-son superbe composée par Julie Delpy et son compagnon Marc Streitenfeld.
La première partie du film, où Erzsebet Bathory s’affronte aux puissants, est cependant plus convaincante que la seconde qui la voit s’abandonner à la violence. En dépit d’un traitement relativement « soft »- on est loin du film gore- certaines scènes sont assez difficiles à regarder, il faut bien l'avouer.
La distribution est au diapason du film, quoique le personnage du jeune amant, interprété par Daniel Brühl (dont c’est le deuxième film avec Julie Delpy, après Two days in Paris en 2007), fasse un peu pâle figure au regard des autres comédiens. Annamaria Marinca, (Palme d’or de la meilleure comédienne au 60ème Festival de Cannes pour Quatre mois, trois semaines, deux jours de Cristian Mungiu), interprète ici sobrement la maîtresse-sorcière qui initie la comtesse à la sorcellerie. William Hurt campe pour sa part l’implacable comte Thurzo, attaché de toute sa haine virile à la perte d’Erzsebet Bathory. Quant à Julie Delpy (que l’on n’a pas oubliée dans La Passion Béatrice, où elle interprète le rôle de Béatrice de Cortemart, César du Meilleur espoir féminin en 1988), elle prête son pur visage hiératique, masque des pensées mortifères, à une héroïne, emportée inéluctablement dans l’horreur par la passion et le refus de vieillir. « Seigneur, est-ce mal de vouloir rester belle et jeune ? », interroge-t-elle dans une prière ?
Si l’on est en droit de ne pas adhérer à une théorie du complot ,qui fait d’une sanglante meurtrière une victime de l’ordre masculin, on ne peut qu’admirer la passion avec laquelle July Delpy s’empare d’un personnage controversé, qu’elle interprète d’une manière extrêmement personnelle, en s’abstenant de nous en donner jamais une vision manichéenne.
Mardi 29 juin 2010
A lire :
Le Secret des Bathory, Andras Varesi.
Heroine des Grauens. Elisabeth Bathory, Michael Farin.
Elisabeth Bathory, la comtesse sanglante, Valentine Penrose, Le Mercure de France, 1962.
Sources :
http://www.excessif.com/src/scripts/imprimer.php
http://.www.allocine.fr/film/casting_gen_cfilm=61081.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth_B%C3