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16 mai 2011 1 16 /05 /mai /2011 20:25

 

Angelique-Villeneuve

 

Etrange livre que ce roman d’Angélique Villeneuve, au nom trompeur de Grand paradis, et qui nous emmène dans l’enfer de la femme hystérique. L’histoire est celle de Dominique Lenoir, dite Do, une femme d’une cinquantaine d’années, à la vie terne et solitaire, illuminée seulement par son amour irraisonné des herbes folles et son compagnonnage avec son chat, Fragile. Son père, Albert, s’est enfui alors qu’elle était petite, sa mère, Louise, n’a cessé de le pleurer et de lui écrire, sa soeur Marie l’ignore, la considérant comme « zinzin ».

Un jour cependant, celle-ci lui abandonne dans une vieille carriole quelques objets recueillis à la mort de leur mère, et notamment une enveloppe brune sur laquelle est inscrit en lettres violettes un prénom : Léontine. A Grand paradis, son lieu de nature et d’élection, « sur la pierre plate mangée de lichen », où elle a passé tant d’heures sauvages de son enfance, Do ouvrira l’enveloppe et découvrira trois photos d’une femme, Léontine L., qu’elle identifie comme son arrière-grand-mère.

Au dos du premier cliché, celui d’une petite fille de quatre à cinq ans, « translucide, légère, peureuse », qui tient un gros oeillet rose plaqué devant elle, il est écrit

Moi

Do y voit un signe : « Elle n’était peut-être pas moi, mais tout au moins m’était destinée. Je sentais un message. Non, pas vraiment un message, c’était idiot, une idée de mouvement plutôt, de transmission, oui, une impression de mouvement, c’était ça. »

La deuxième photo représente la même petite fille qui a maintenant une douzaine d’années. Elle est dans une pose moins naturelle et révèle plus d’assurance. Au verso du cliché, une main à l’écriture différente a noté une date, assortie d’un point d’interrogation.

1882 ?

La troisième photo, signée Albert Londe, le photographe de la Salpêtrière, la montre devenue adulte, coiffée d’un chignon serré, portant une robe noire sévère. Son oeil droit grand ouvert paraît éteint tandis que le gauche est « simplement fermé ». Au-dessous, on peut lire en lettres capitales :

BLEPHAROSPASME HYSTERIQUE

Léontine L.

Cette découverte va bouleverser la vie de Do, qui a depuis toujours craint la démence. En entreprenant des recherches dans les archives de la Salpêtrière, elle s’efforcera de pénétrer le mystère de ce mot scientifique, dont elle ignore tout. Avec elle, le lecteur pénètre dans ce monde de l’hystérie où officient Charcot, Damaye et Gilles de la Tourette, médecins attachés à percer les secrets de cette affection proprement féminine. Pierre Briquet, dans son Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie, n’écrit-il pas : « Toute femme est faite pour sentir, et sentir, c’est presque de l’hystérie » ?

On suit le long cheminement de Léontine, victime dans un premier temps d’une aphonie, à la Salpêtrière. On la voit être d’abord soignée par hypnotisme, souffrir d’une coxalgie hystérique puis, victime d’une attaque, garder son oeil gauche fermé. Entrée en complète empathie avec Léontine, Do souffre avec elle dans les locaux glacés de l’hôpital. Elle l’imagine nue, piquée sur tout le corps avec une épingle ; elle la voit alors qu’on lui palpe l’ovaire et qu’elle entre en crise convulsive ; elle subit en même temps qu’elle ses attaques hystériques hebdomadaires ; elle s’étonne enfin que Léontine la couturière soit contrainte, sans recevoir de salaire, de coudre camisoles et alèses : le travail fait partie de la thérapie. Entrée en septembre 1887 à la Salpêtrière, Léontine L. en sort en décembre 1888 et Do perd la trace de la Petite Moi.

Mais l’enquête de la narratrice ne s’arrête pas là. Persuadée que Charcot a dû faire une leçon sur Léontine L., elle va être amenée à s’interroger sur le sommeil hypnotique et le cas de celles qu’on appelait des « dormeuses ». Ce sera la porte ouverte à une découverte capitale, qui fera remonter Do aux origines de la fuite de son père et au mal-être de sa soeur Marie.

Entremêlant habilement le parcours de la supposée aïeule de la narratrice Do et le destin de celle-ci, Angélique Villeneuve propose avec ce roman une passionnante interrogation sur la nature féminine et sur la folie, tapie en tout un chacun. A travers Léontine l’hystérique, la grand-mère Marthe, « une créature songeuse », la mère Louise, éternellement triste, la soeur Marie, qui mourra dans un immonde capharnaüm, et la sauvage narratrice, l’auteur nous propose quelques beaux portraits de femmes, sensibles et douloureuses. Et elle nous dit aussi que, pour la femme, atteindre le grand paradis est souvent un chemin aride, sinon sans issue.

 

  Charcot 2

  Une leçon sur l'hystérie par Jean-Martin Charcot, André Brouillet

 

 

 

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commentaires

V
Merci Catheau, de nous offrir l'envie de sortir de nos chemins de lecture habituels,<br /> De plus,cette période-là, les débuts de cette spécialité médicale avec les méthodes suivies sont tout à fait passionnantes (mais souvent terribles pour les patients)<br /> A bientôt,<br /> Valdy<br /> PS : Il y a tant à lire chez vous ... je vais méthodiquement "éplucher" les pistes de lecture -et la poésie bien-sûr- et la philo, c'est où ?
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C
<br /> <br /> Merci, Valdy, de vos commentaires encourageants. Je participe à un petit club de philo avec trois amies mais je n'en ai pas fait encore de compte-rendu. Cela viendra peut-être...<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Merci catheau pour ce joli billet sur mon roman!<br /> à bientôt peut-être<br /> angélique<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Merci, Angélique, de votre passage ici. Votre roman m'a passionnée et j'aurais aimé parlé davantage de ces très belles pages qui décrivent Do s'immergeant dans la nature. Amicalement.<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> Impressionnante histoire,je pense que sa lecture doit être très prenante.<br /> Belle journée.<br /> Thès.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> C'est un livre très surprenant avec, en outre, de très belles pages, sur la nature. Amicalement.<br /> <br /> <br /> <br />

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