François de Chabannes instruisant Marie de Montpensier.
C’est au contact d’Henriette d’Angleterre, Madame, dont elle fut la confidente, que Marie-Madeleine Pioche de Lavergne, comtesse de La Fayette, se découvre la tentation d’écrire. Sur les conseils du grammairien Ménage, abbé et homme de lettres, à qui elle doit son apprentissage en écriture, elle entreprend la rédaction d’une nouvelle, qui suit celle de La Comtesse de Tende, et dont le dessein était simple : « Montrer les ravages que peut faire l'amour dans l’existence d’une femme, quel danger il constitue pour son bonheur ». Avec La Princesse de Clèves, ces trois textes aborderont une thématique commune, celle de la faute commise par une femme mariée.
Publiée anonymement en 1662, la nouvelle, intitulée La Princesse de Monpensier (orthographe de l’époque), recueillit un vif succès. En effet, sous l’identité de la princesse de Montpensier, les contemporains découvrirent sans peine, non son homonyme la Grande Mademoiselle, mais bien plutôt la malheureuse Henriette d’Angleterre elle-même. L’on sait en effet que sous les costumes du XVI° siècle, c’est la noblesse du Grand Siècle qui revit par la plume incisive de celle qu’on surnommait « le Brouillard ».
A l’heure où les romans-fleuves de Mademoiselle de Scudéry sont en train de passer de mode, Madame de La Fayette met en scène le thème de la fatalité de l’amour condamné par la société ou non partagé, dans le cadre de la cour des Valois, toute faite de raffinement et de vilenie. « Pendant que la guerre civile déchirait la France sous le règne de Charles IX, l’amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de désordres et d’en causer beaucoup dans son empire. »
On connaît le propos que reprend Bertrand Tavernier dans le film éponyme : Marie de Mézières (Mélanie Thierry), « héritière très considérable » est promise au jeune duc du Maine (Mayenne dans le film, César Dombroy), cadet d’Henri de Lorraine, duc de Guise (Gaspard Ulliel), dit « le balafré ». C’est pourtant de ce dernier dont elle est éprise. Les Bourbon, jaloux de la puissance des Guise et que cette alliance renforcerait, rompent leur engagement et arrangent un mariage avec Philippe de Bourbon, prince de Montpensier (Grégoire Leprince-Ringuet). Marie, qui craint de côtoyer celui qu’elle aime en épousant son frère, se résout, non sans rébellion, à cette décision.
Marie de Mézières et son mari Philippe de Montpensier.
Retenu à la guerre, le jeune marié confie pendant un an sa jeune épousée au comte François de Chabannes (Lambert Wilson) qui fut son précepteur. Loin de la cour, sur les hauteurs du sévère château de Champigny, l'ancien soldat lui apprend à écrire, lui donne le goût de la poésie, lui enseigne la marche des étoiles. « Il la rendit en peu de temps une des personnes du monde la plus achevée. » Alors qu’elle lui livre son amour secret pour Henri de Guise, il lui avoue qu’il s’est épris d’elle. Puis le hasard fera que le duc d’Anjou, Henri de France, futur Henri III (Raphaël Personnaz), tombera amoureux de la princesse esseulée, tandis que se rallume la flamme de cette dernière pour Henri de Guise. Chabannes, malheureux et déçu, se fera le complice de leurs amours, allant jusqu’à sacrifier son honneur en sauvant celui d’Henri de Guise. Il sera massacré au cours de la Saint-Barthélémy. Quant à Marie de Montpensier, elle sera délaissée par l’inconstant Guise. Dans la nouvelle, elle en tombe malade et meurt. Dans le film, elle se retire du monde : « Elle ne put résister à la douleur d’avoir perdu l’estime de son mari, le cœur de son amant, et le plus parfait ami qui fut jamais. »
Dans la cour du château de Blois,
Henri de Guise, le duc d'Anjou, Marie et Philippe de Montpensier.
Pour son vingt-sixième long-métrage, le cinéphile et cinéaste, passionné d’Histoire, qu’est Bertrand Tavernier a relevé le défi d’adapter dans un film de 140 minutes ce texte d’une vingtaine de feuillets, rédigé dans sa grande majorité au style indirect. Dans une interview à Ciné Lycée, il explique qu’il préfère le terme de « lecture » à celui d’ « adaptation », d’autant plus que la majorité du film est constitué de scènes totalement originales. Avec Jean Cosmos, il a repris, par le biais d’un scénario écrit par François-Olivier Rousseau, un projet déjà existant.
Dans ce récit qui se déroule entre 1567 et 1571, pendant les guerres de religion et le règne de Charles IX, Bertrand Tavernier a été sensible à des échos très contemporains, comme l’aspiration d’une jeune fille à vivre son propre destin, ou encore le fanatisme religieux. Il a donc été saisi par « la métamorphose » de cette jeune fille noble, « non préparé[e] aux événements qui vont s’imposer à elle […] tout comme par la répercussion de ce changement sur son entourage ». Et d’une manière subtile, il parvient à expliquer l’attitude du comte de Chabannes qui, étant passé des huguenots aux catholiques, finit par abandonner le métier de la guerre. Soucieux de retrouver au plus près l’esprit de l’époque, le cinéaste cherche à comprendre ce que fut ce temps et à en « absorber » l’essence même. En revenant sans cesse aux particularités de cette langue du dix-septième, il s’est ainsi efforcé d’en percer les mystères pour en donner à l’image le ton le plus juste.
Le regard de Madame de La Fayette débusque en effet les noirceurs de l’âme humaine et la violence de ces sociétés apparemment si policées et Bertrand Tavernier ne les occulte nullement. Ainsi le film commence par une scène terrible où l’on voit le comte de Chabannes tuer une femme enceinte, dont la maison abrite des huguenots, cet acte étant considéré à l’époque comme gravissime, tout comme la destruction d’un four à pain ou d’une charrue. En même temps que la famille et la maisonnée, le spectateur assiste aussi à la mise en scène de la nuit de noces de Marie de Mézières et de Philippe
de Montpensier. Tandis que les deux pères, le marquis de Mézières et le duc de Montpensier (Philippe Magnan et Michel Vuillermoz), jouent aux échecs, une suivante vient leur présenter le drap taché de sang, preuve que le mariage a été consommé. Telle est la peinture de cette société rigide qui se méfie de la passion, aliène la femme et ne sert que l’homme.
Marie de Montpensier partant pour le château de Champigny, résidence de son époux.
Le film est par ailleurs mené à bride abattue par un metteur en scène amateur de scènes équestres et celles-ci sont particulièrement réussies. Pour les passages où l'on guerroie, Bertrand Tavernier s’est attaché à repérer des terrains accidentés, les plus à mêmes de suggérer l’effort. Il s'en explique ainsi : « J’ai appris que la mise en scène de cinéma, c’était la dramatisation du rapport entre le temps et l’espace. » « Quand on voit Gaspard Ulliel (Henri de Guise) affronter deux ou trois adversaires successifs dans le même plan, cela nous donne une idée de l’effort qu’il doit fournir », poursuit-il. Les scènes de batailles ont été réalisées « à l’ancienne », dans l’espace de deux jours, sans effets spéciaux, en utilisant le brouillard, les mouvements du terrain, la fumée. Bertrand Tavernier s’est contenté d’une rivière, de beaucoup d’arbustes, et d’un terrain vallonné, qui encombraient le cadre et le dispensaient de disposer d’un trop grand nombre de figurants.
Il a encore souhaité, dit-il, retrouver « les séquences des vieux westerns », dans lesquelles les cavaliers bavardent de concert. Il a donc utilisé le Steadicamer sur une moto ou une petite voiture électrique, obtenant ainsi des plans-séquences où les personnages évoluent librement dans le cadre. Le choix des acteurs a d’ailleurs été conditionné par le fait de savoir monter à cheval. C’était le cas de Lambert Wilson et de Raphaël Personnaz ; tous les autres en ont fait le difficile apprentissage ! Quant à Mélanie Thierry, toute vêtue de vert, elle est impériale en amazone, lorsqu’elle galope sans désemparer jusqu’au château de Champigny, au moment où son mari l’éloigne de la cour.
Marie de Montpensier chevauchant vers le château de Champigny quand son mari l'éloigne de la cour.
Le choix du Cinémascope a contraint le metteur en scène à se rapprocher des acteurs, à créer plus d’intimité et à mettre en valeur les décors imaginés par Guy-Claude François, les couleurs, les matières et les somptueux costumes créés par Caroline de Vivaise. On admirera le tuffeau des châteaux du Plessis-Bourré et de Blois et les infinis paysages vallonnés d’Auvergne, remarquablement éclairés par le directeur de la photographie Bruno de Keyzer. Mais en même temps, le film ne sent pas la reconstitution historique à tout prix. Ainsi, nul n’y porte la fameuse fraise, présente pourtant sur de nombreux portraits des grands de l’époque. Tavernier a fait le choix du naturel et du mouvement, qui conviennent particulièrement bien à l’extrême jeunesse de ses personnages, et que soutient une très belle musique de Philippe Sarde.
Henri de France, duc d'Anjou, et futur Henri III.
C’est l'enthousiasme de ces jeunes acteurs que le cinéaste a privilégié dans le film. Lors du tournage du duel à Blois entre Philippe de Montpensier et Henri de Guise, le cadreur Chris Squires a suivi au plus près les duellistes : « Il n’y a pas de marque au sol, rien de figé, je privilégie ainsi le mouvement, les pulsions des acteurs », commente le cinéaste. Et si La princesse de Montpensier peut être qualifiée par certains de « film de cape et d’épée », cela n’ a rien à voir avec Le Bossu et autre Capitan, films qui n’avaient jamais véritablement comblé le jeune spectateur passionné qu’était Bertrand Tavernier.
Dans ce long-métrage, le cinéaste filme donc avec flamme l’ardeur et le désir. Si Mélanie Thierry joue un peu trop souvent de ses moues boudeuses, elle n’en est pas moins crédible dans ce personnage de jeune femme écartelée entre devoir vertueux et passion, esquisse en quelque sorte de ce que sera la princesse de Clèves. Gaspard Ulliel campe un « balafré » plein de fougue, dont l’ambition cherche à se placer d’abord auprès de Marguerite de Valois, soeur du roi, puis auprès de Marie de Clèves qu’il épousera. Mais c’est surtout Raphaël Personnaz qui emporte l’adhésion, en jouant un futur Henri III aux yeux charbonneux, qui ne supporte pas de se voir supplanté par un rival dans le cœur de Marie de Montpensier. Il confère ici beaucoup d’épaisseur à un personnage historique trop souvent caricaturé en mignon. Seul parmi cette nouvelle génération, Grégoire Leprince-Ringuet ne parvient pas à donner sa force tragique au mari mal-aimé, qu’il interprète sans guère d'âme ni de conviction. Dans le même rôle ingrat, Jean Marais (dans La Princesse de Clèves de Jean Delannoy) était plus convaincant et parvenait à toucher .
"Je suis si persusadée que l'amour est une chose incommode,
que j'ai de la joie que votre père et moi-même en ayons été exempts",
confie la marquise de Mézières à sa fille en lui conseillant de se marier.
En ce qui concerne les comédiens confirmés, l’acteur du Français qu’est Michel Vuillermoz ne déçoit pas en duc de Montpensier alors que Philippe Magnan, dans le rôle du marquis de Mézières, frôle le ridicule, surtout dans la scène où il somme sa fille d’épouser Philippe de Montpensier en lui faisant violence. (Dans cette même scène, on sera sensible au fait que la marquise de Mézières (Florence Thomassin) donne à sa fille une définition de ses relations avec son mari que Madame de La Fayette elle-même avait faite sienne : « Je suis si persuadées que l’amour est une chose incommode, que j’ai de la joie que mes amis et moi en soyons exempts », disait l’écrivain de sa relation avec la Rochefoucauld.) On regrettera encore le choix d’une Catherine de Médicis grasse et vulgaire, dont le jeu force le trait.
Marie de Montpensier et François de Chabannes.
Mais celui qui remporte la palme, c’est bien évidemment Lambert Wilson qui, après son rôle « habité » du frère Christian de Chergé dans Des hommes et des dieux, endosse de nouveau un rôle à la mesure de son immense talent. Tout en retenue, il interprète avec sobriété et émotion le rôle du comte de Chabannes, fin lettré et homme de science, image d’une tolérance impossible en ces temps de guerres de religion, et que l’amour vient foudroyer alors qu’il croyait que son âge l'en avait délivré. La lettre, adressée par lui à Marie de Montpensier et que Philippe de Montpensier trouve sur son cadavre au lendemain de la Saint-Barthélémy, ne peut que faire penser à la lettre que lit Cyrano à Roxane au moment où il va mourir. Et le film s’achève sur le recueillement silencieux de Marie sur la dalle de sa sépulture dans une petite église d’Auvergne. Et si le personnage-clé de ce film, c’était lui…
Marie de Montpensier avec à la main la lettre tachée du sang de François de Chabannes.
Selon moi, il est peut-être le porte-parole le plus fidèle du dessein littéraire de Madame de Lafayette, cette pionnière de l'écriture féminine et féministe, qui aspirait à ce que « sous la pudeur aristocratique, s’exprime le désir de se faire le juste écho d’une société d’honnêtes gens occupés avec passion à ne pas être dupes des apparences ».
Portrait de Madame de La Fayette
Sources :
L’Express.fr, « Bertrand Tavernier raconte le tournage de La Princesse de Montpensier. »
http://www.cinelycee.fr/dossiers/interviews/interview-de-bertrand-tavernier-423.
Dictionnaire des Littératures de Langue française, article « La Fayette », J-P de Beaumarchais, Daniel Couty, Alain Rey, Bordas, 1987.
A voir aussi :
Sur la 5, Collection Empreintes, Bertrand Tavernier, cinéaste de toutes les batailles, Film documentaire de N.T. Binh.
Vendredi 05 novembre 2010, 20h 35.
Dimanche 07 novembre 2010, 07h 50.