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11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 16:20

Gilbert delaine devant chat de 

      Gilbert Delaine devant une oeuvre de Karel Appel

(Photo La Voix du Nord)

 

A l’occasion des trente ans du LAAC, le musée d’Art contemporain de Dunkerque propose une grande exposition consacrée au groupe CoBrA et intitulée CoBrA sous le regard d’un passionné. Ce passionné, c’est Gilbert Delaine, le fondateur de la collection, qui a rassemblé des œuvres de son propre fonds et d’autres, issues de musées français, belges ou néerlandais. Huit salles, à la présentation claire et harmonieuse, permettent ainsi de découvrir la richesse et l’inventivité de ce mouvement artistique européen.

L’acronyme de son nom (trouvé par le poète belge Christian Dotremont) est d’ailleurs révélateur à cet égard : Co renvoie à Copenhague, Br à Bruxelles et A à Amsterdam. Avec ce choix, les artistes rejetaient Paris comme unique capitale artistique et ce nom faisait encore référence à la combativité rebelle du serpent.

C’est le 8 novembre 1948, dans l'arrière-café du Notre-Dame Hôtel à Paris, à la faveur d’une rencontre entre Jorn, Dotremont, Noiret, Appel, Constant et Corneille que le mouvement va prendre forme en revendiquant un art expérimental et collectif. Dotremont écrit : « CoBrA est une légende que nous avons fondée à l’occasion d’une visite à Paris en 1948. » Des expositions collectives suivront, notamment l'Exposition internationale d'art expérimental, à Amsterdam en 1949 et à Liège en 1951. 

Laac Corneille Nu renversé 1972 gouache et pastel gras verNu renversé, Corneille, 1972

Les peintres, sculpteurs et poètes de ce mouvement avaient ainsi défini leurs objectifs. Il s’agissait pour eux de rompre avec les règles de l’art en oubliant l’activité intellectuelle ; de fonder un art pour tous et par tous, basé sur l’expérimentation de la liberté ; de retrouver une liberté enfantine instinctive ; de redécouvrir la spontanéité du geste et enfin de créer une œuvre s’adressant aux sens.

Utilisant la peinture à l’huile, la gouache, l’aquarelle, le dessin et la gravure, ils privilégient les sujets liés à la femme, l’enfant, l’oiseau, le bestiaire, les astres. Tout à la fois figuratives et abstraites, ces créations présentent des traits dynamiques et des couleurs extrêmement vives. C'est dans la première salle qu'est racontée la naissance du groupe après la Seconde Guerre mondiale.

Photo du groupe CoBra

Les fondateurs du groupe CoBra

(Photo ex-libris.over-blog.com)

La deuxième salle est consacrée à Asger Jorn, un artiste « en quête de la source vitale de l’être » qui puise son inspiration dans les mythes et légendes nordiques. Proche de Munch par certains aspects expressionnistes, il voisine dans cette salle avec d’autres Danois : Carl-Henning Pedersen, très onirique avec notamment son Paysage aux étoiles (1957), gris bleuté, blanc et jaune ; Henry Heerup tenté par un art plus populaire peuplé de chats, de lutins et d'oiseaux.

Ces artistes venus du Nord seront découverts par Appel, Constant (dont j’ai beaucoup aimé Tête, oiseau et main- une main étrange avec quatre doigts) et Corneille, des Hollandais qui aimeront leur spontanéité, les thèmes liés à l’enfance et l’explosion de la couleur. Ils sont présents dans la troisième salle.

La quatrième salle est celle de Karel Appel avec son Appel Circus, offert au musée par l’artiste en 1981. La ronde multicolore des dix-sept sculptures de la parade du cirque symbolise le miroir du « jeu de l’homme » et du « jeu du monde ». Appel n’avait-il pas affirmé : « Clown, je veux être comme toi. L’anti-robot ! » Au second étage, on pourra admirer les gravures qui ont inspiré ces sculptures en bois polychrome.

le cirque

Appel Circus, Karel Appel

(Photo Yanous, Le Magazine francophone du handicap)

La Jeune Peinture Belge viendra rejoindre les écrivains du groupe surréaliste révolutionnaire (Christian Dotremont et Joseph Noiret), à l’origine de CoBrA. On rencontre Louis Van Lint, Georges Collignon et Pierre Alechinsky, auxquels se joindront Raoul Ubac, Reinhoud ou Serge Wandercam. Dans leurs œuvres, ils créent des êtres fabuleux ou humoristiques. Ainsi, dans la salle 5, on peut admirer une série d’eaux-fortes d’Alechinsky représentant différents métiers : La Couturière, Le Pêcheur, Le Musicien, et d’autres encore, réalisés avec les attributs de leurs métiers. Silhouetté en quelques traits, tout en couleurs douces, Le Vénitien de Reinhoud nous fait signe gaiement avec son bicorne noir. Leur succèdent des sculptures très expressives en cuivre et laiton, dans lesquelles le mystère le dispute à la caricature : Scorpion, Femme fatalePlein de gouaille, Le Bibendum.

Pour promouvoir le mouvement, les Editions CoBrA avaient été créées et l’on découvrira dans une vitrine Les Poupées de Dixmude de Pierre Alechinsky, ou L’Aventure dévorante de Joseph Noiret, œuvres illustrées par Pol Bury.

je-ne-fais.JPG(Photo ex-libris.over-blog.com)

La salle 6 montre la grande variété créative de Pierre Alechinsky, le plus jeune membre du groupe mais sûrement l’un des plus actifs. S’il considère Jorn comme son maître, l’artiste belge subira ensuite l’influence du Chinois Walasse Ting. Celui-ci l’invita à peindre « le papier posé au sol, le bol d’encre dans une main, le pinceau dans l’autre et le corps tout entier en action. » Après avoir été séduit par l’acrylique, il combinera cette technique à la calligraphie, trouvant ainsi une continuité entre dessin et peinture. Merveilleuse salle que celle où les ondulations de son Serpent voisinent avec son gigantesque Mur d’oiseaux et son célèbre Génie du lieu. Les bordures rouges qui encadrent cette dernière toile deviendront d’ailleurs la signature de l’artiste.

mur d'oiseaux 1950Mur d'oiseaux, Pierre Alechinsky, 1950

(Photo ex-libris.over-blog.com)

Dans la septième salle, éclate l’ « Internationale des artistes expérimentaux d’avant-garde ». Jean-Michel Atlan et Jacques Doucet y représentent la France, l’un inspiré par l’Orient et le mysticisme, l’autre marqué par Paul Klee et Juan Miro. L’Anglais Stephen Gilbert nous surprend avec la couleur de ses attaques de mouches, son Oiseau captif, ses araignées voraces. L’Islandais Svavar Gudnason nous transporte vers son île natale avec les formes élevées et vivantes de sa Peur de mort. Quant au sculpteur américain d’origine japonaise, Shinkichi Tajiri, il montre comment on fait de l’art vivant avec des matériaux de récupération (Genou blessé, Plante carnivore).

Pour clore cette magnifique rétrospective, on déambule dans la dernière salle, dédiée à CoBrA et à la poésie. Juan Miro nous y accueille par cette phrase : « Je ne fais aucune différence entre peinture et poésie. » (Cobra n°5). Toute bleue et grise, la toile intitulée Dentelles de foudre, d’Asger Jorn et de Christian Dotremont, est la peinture inaugurale de cette forme de peinture-mots qui fera florès. Un mode d’alliance entre deux artistes que Dotremont explique ainsi : « Le poète écrit, le peintre peint, dans un même temps, sur un même temps, sur un même plan, en un rythme commun, les mots organisant les formes, les formes organisant les mots. »  Œuvres à quatre mains qui deviendront des peintures-mots, des dessins-mots, des encres-mots, des logogrammes-dessins.

alechinsky-Linolog2 linogravure

Linolog II, linogravure de Pierre Alechinsky et logogramme marginal de Christian Dotremont

(Photo Site de la Gravure et de l'Image imprimée)

En 1960, Dotremont invente donc les logogrammes, des « dessins de mots, des peintures de langage ». En regard du texte poétique, on voit les lettres dynamisées, métamorphosées dans un ensemble où les deux sortes de signes entrent en résonance. Ainsi, j’ai admiré le beau poème d’amour,  J’écris à Gloria (encre de Chine sur papier marouflé sur toile ) ou encore les trois magnifiques Vers sept heures du matin pour ainsi dire, Un lapon à Rovaniemi, la première fois m’avait conduit à l’autobus ou Vous vous voyagez beaucoup. La calligraphie s’y déploie, s’y élève, s’y envole en signes noirs, délicats, élégants, élancés. « Si je me perds dans les bois, c’est pour gagner la forêt… » affirment Dotremont et Atlan dans Les Transformes : tout comme la lettre devient peinture en se perdant dans le tableau.

Cette rétrospective très bien scénographiée m’a donc donné l’occasion de découvrir ce mouvement artistique méconnu. Dans ce musée de bord de mer, où les œuvres ont toujours un œil sur l’océan, ces artistes du Nord de l’Europe m’ont ouvert le regard.

 si-je-me.JPG

(Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Sources :

CoBrA Sous le regard d’un passionné, 20 octobre 2012-03 mars 2013, Guide de la Ville de Dunkerque

 

 

 

 

 

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commentaires

G
superbe page !!!
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C
<br /> Merci, Girlspirit, d'être passée entre mes pages. A bientôt.<br /> <br /> <br />
V
Merci Catheau pour la découverte de ce bras de courant ;-).
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C
<br /> Un mouvement dont j'ignorais tout, découvert au bord de la mer de ma ville natale. Bonne année de mes lointains australiens, délicate Valdy.<br /> <br /> <br />
F
ces tableaux font penser plutôt à de jolis tags tous réunis
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C
<br /> Pourquoi pas ? Mais je n'aime guère les tags, une peinture urbaine qui, selon moi, n'embellit pas les villes.<br /> <br /> <br />
C
Sans doute une bien belle exposition, en effet, et vous nous en donnez, comme toujours, un compte-rendu précis et éclairé.<br /> J'ai été frappée par la citation de Miro : "Je ne fais aucune différence entre peinture et poésie"...
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C
<br /> Je connaissais les calligrammes ; là, j'ai découvert les logogrammes, entre calligraphie et peinture.<br /> <br /> <br />

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