Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.
Le 7 janvier 2010, cela fera cinq ans que Georges Piroué s’est éteint discrètement comme il avait vécu. Ayant eu l’occasion de le rencontrer au cours de dîners avec sa femme et lui dans leur jolie maison de la rue de la Cure à Dampierre-sur-Loire (c’était un fin cuisinier!), et de bénéficier de ses conseils quand je travaillais sur Pierre Jean Jouve qu’il avait bien connu, je voudrais évoquer cet écrivain à l’ « écriture classique toute faite de nuances ».
Georges Piroué est né en 1920 à La Chaux-de-Fonds, dans le Jura suisse, au sein d’une famille de souche française. Son père, graveur de montres et homme austère, a alors quarante ans et sa mère trente-huit. Il est le troisième enfant de la famille. Dans son autobiographie, Tu reçus la naissance (1991), il raconte l’éveil de sa sensibilité humaine, littéraire, érotique, dans un milieu familial protestant mais bienveillant et chaleureux, auquel il rend hommage par petites touches aiguës. Il y rapporte sa découverte de Baudelaire, le poète qui lui fit partager quelque chose de nouveau, « une qualité essentielle qui pourrait s’appeler non le sens de l’univers que je souhaitais recevoir de lui, mais le sens de la langue qu’il m’a à son insu et à mon insu inculqué ».
Après une licence et un doctorat ès lettres à l’université de Neuchâtel, il s’installe à Paris en 1950, guidé de loin par Henri Guillemin, et travaille comme directeur littéraire aux Editions Denoël (qui publieront la majorité de ses écrits). Il y créera un département des auteurs d’Italie du Sud et de la Sicile et deviendra le principal traducteur en français de Pirandello, dont il montre, dans la préface à la traduction de ses Nouvelles pour une année (Tome IV), « la lézarde béante par où s’engouffre le souffle de l’au-delà. Toutes les défenses [y] sont balayées, les abris abattus ; tous les bandeaux sont arrachés des yeux et les masques pareillement des visages ».
Georges Piroué a écrit avec régularité jusqu’à sa mort une œuvre riche et diverse. Après la publication de deux recueils de poèmes (Nature sans rivage et Chansons à dire), il s’oriente vers la nouvelle et le roman de facture classique, dont San Rocco et ses fêtes (1976), sorte de chronique de Français moyens en vacances dans une ville imaginaire au sud de Naples. Ecrite avec justesse et minutie par un moraliste sensible, « elle vaut par le détail irremplaçable, la formule moqueuse et par une sorte de gaieté à cheval sur deux mondes ».
De ses nouvelles, genre dans lequel il a excellé, on pourra retenir Feux et Lieux (1979), suite de tableaux « qui nous enseignent que l’homme, contrairement à l’expression consacrée, n’est pas sans feu ni lieu ». Fait de souvenirs émus ou amers, le recueil, évocation de l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, les Pays de la Loire en même temps que des âges de la vie, « possède d’exceptionnelles qualités de narration feutrée, subtile, de lyrisme contenu et savoureux ». Dans L’Herbe tendre (1992), une entorse, un suçon, une petite fille qui voyage dans un bus, sont autant de prétextes à de brèves histoires, nostalgiques et fragiles, que l’auteur laisse entendre en virtuose, à la manière des préludes de Bach.
Essayiste reconnu (Hugo, Pirandello, Cesar Pavese), il a écrit A sa seule gloire (1981), une biographie romancée de Bach, supposée écrite par un fils ingrat. On peut aussi s’attarder sur Proust et la musique du devenir (1960). En effet, contrairement à d’autres critiques qui tentent d’expliquer un auteur en l’enfermant dans un aspect bien délimité, Georges Piroué, dissociant création romanesque et création musicale, montre avec pertinence que la musique n’explique pas l’œuvre de Proust mais « permet de s’approcher d’elle dans ses formes propres et de la contempler en tant que comportement du génie ». (Manuel de Diéguez).
Et son amour des écrivains, non ceux qu’il lut pour son travail de lecteur pour Denoël, mais bien ceux qu’il découvrit dès sa petite enfance, il nous le restitue dans son très bel ouvrage, Mémoires d’un lecteur heureux (1997). « C’est là, dans le mystère tant charnel qu’intellectuel de ses préférences, dans les fidélités et les infidélités d’une mémoire aussi exacte que déformante que l’essayiste est allé chercher l’incertaine connaissance de soi. » De Thoreau à Peter Handke, en passant par Leopardi, Dostoïevski et son cher Dickens, il semble que sa passion de lire soit celle d’un lecteur européen et universel, celle d’un « douteur fervent » comme il se définit à la fin de son introduction, celui qui s’est fait « une religion de l’irréalité narrative ». Et « comme manger entretient la vie du corps, lire entretient celle de l’esprit. Par l’une comme par l’autre de ces activités l’homme s’étoffe, prend consistance, devient peu à peu ce qu’il sera. » Ainsi, avec cet ouvrage, un « homme-livre nous donne le meilleur de lui-même. » (Jean-Michel Olivier).
En 1997, Georges Piroué a donné à la Bibliothèque municipale de Lyon les 251 lettres en sa possession, reçues de Louis Calaferte. A cette occasion, Mme G. Calaferte a elle-même confié les 209 lettres de G. Piroué adressées à Calaferte. Cette double donation constitue une correspondance croisée qui retrace avec précision le calendrier éditorial d’une partie de l’œuvre de L. Calaferte, ainsi que les liens d’amitié qui se développèrent entre les deux hommes.
Georges Piroué a été couronné de nombreux prix, parmi les quels le Prix Femina-Vacaresco, le Prix international Charles Veillon, le Prix Valéry Larbaud, le Prix de la Fondation Schiller et le Prix du canton de Neuchâtel pour l’ensemble de son œuvre.
A sa retraite, Georges Piroué se fixa avec son épouse en Anjou, à Dampierre-sur-Loire. Beaucoup se souviennent que Mme Piroué entretenait avec amour les jardins de ses voisins et qu’on pouvait rencontrer chaque samedi, jour du marché à Saumur, attablé au café qui fait l’angle de la place Bilange et de la rue Saint-Jean, un grand écrivain affable mais secret.
Bibliographie | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Le 06 octobre 2009 | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||