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22 septembre 2009 2 22 /09 /septembre /2009 10:19

Kawabata-copie-1.jpg

Pays de neige
raconte l'histoire de Shimamura, un spécialiste de l'art chorégraphique, qui habite Tokyô et qui vient  par trois fois séjourner dans une région montagneuse. Il y noue une relation avec une geisha du nom de Komako mais il est troublé par une autre jeune femme, Yôko. Entre elles deux existe une relation mystérieuse autour d'un jeune homme malade, Yukio.
La fin de ce roman du premier Nobel japonais a fait couler beaucoup d'encre avec cette phrase magnifique mais énigmatique: "Il [Shimamura] fit un pas pour se reprendre, et, à l'instant qu'il se penchait en arrière, la Voie lactée, dans une sorte de rugissement formidable, se coula en lui." Cécile Sakai, dans son étude critique, Kawabata, Le Clair-Obscur, nous en donne quelques clés.

Un explicit ouvert.

Des conclusions ouvertes.

* A la différence des incipit, assez peu étudiés, les fins des récits de Kawabata sont souvent cités pour leur inachèvement, soit que ces récits entrent officiellement dans la catégorie des « romans incomplets » (mikan shôsetsu) s’interrompant brusquement, soit que leurs conclusions soient manifestement ouvertes. Précisément, l’ouverture consiste en l’impossibilité d’assigner un destin futur aux personnages, l’intrigue ne se dénouant pas. Kawabata écrit lui-même : « Parmi mes romans et mes essais, on compte énormément de textes interrompus dès le début, ou plus exactement il vaut mieux dire qu’il est exceptionnel que je puisse publier un texte achevé. » C’est le cas de Nuée d’oiseaux blancs, Kyôto, Le Lac, Tristesse et beauté, etc. Pays de neige appartient aux textes à conclusion ouverte ou problématique.

« Une histoire sans fin ».

* Certes, le mode de publication périodique (feuilletons, livraisons mensuelles) explique partiellement ces interruptions et ouvertures. Cependant, la caractéristique apparaît comme plus fondamentalement structurelle chez Kawabata. Il s’en explique ainsi : «  […] les récits inachevés ne sont pas seulement dus à ma manière qui est de suivre le cours de mes associations d’idées, et si bien sûr ils proviennent de ma paresse, il faut dire que lorsque je commence à écrire, je suis au terme d’un renoncement complet. Je veux dire par là que j’abandonne complètement l’idée d’écrire quelque chose de bien. Dans la mesure où l’on publie essentiellement des nouvelles dans les revues mensuelles, tout écrivain est peu ou prou sujet à cette mauvaise habitude. »

* Kawabata joue ici la modestie et le paradoxe. En effet, que signifie « écrire quelque chose de bien » ? « Bien » signifie-t-il le récit achevé, le roman de facture classique ? En fait, le paradoxe chez l’auteur est que les intrigues peuvent être linéaires, obéissant à une progression composée en principe d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion, mais que justement cette conclusion n’arrive pas. Les indices qui y mèneraient laissent la place à plusieurs possibilités. Or, si le manque d’une véritable conclusion n’est pas perçu comme un défaut, c’est parce que le pacte de lecture n’est pas celui d’une « histoire » au sens traditionnel, mais celui d’une « histoire sans fin », dont le dénouement est laissé à l’imagination du lecteur.

Au lecteur d’achever l’histoire.

* On sait que Pays de neige a connu plusieurs conclusions, comme si l’auteur ne pouvait se satisfaire des différentes versions ; mais ce sont des conclusions ouvertes qui n’assignent aucun futur aux personnages. Kawabata s’en explique dans la postface de l’édition en 1948, chez Sôgensha : « […] la version de Pays de neige publiée en 1937 était en réalité incomplète. C’est un roman que l’on pourrait couper n’importe où, mais le début et la fin ne s’accordent pas, et j’avais en tête la scène de l’incendie à partir du milieu de la publication, aussi étais-je ennuyé que cela reste inachevé. […] Comme c’est une suite que j’ai donnée dix ans après, il y a un certain nombre d’incohérences. Peut-être aurait-il mieux valu que je n’ajoute rien. […]"  Et la fin, dite définitive, de « l’incendie dans les montagnes », est tout aussi incertaine que les autres. L’étape de la conclusion est essentielle chez Kawabata : elle sert très précisément à finir un texte en laissant au lecteur la latitude d’achever l’histoire. C’est le mode optimal de ce type particulier de conclusion que l’écrivain cherche à élaborer au travers de ses multiples versions.

Une première image problématique : sa victime et/ou son châtiment ; un holocauste ou le poids de son châtiment.

* La première image qui pose problème est celle de la double métaphore réunie par la conjonction disjonctive « ou » (ka). Il y a là une contradiction apparente qui surprend- on ne peut étreindre à la fois l’objet de son action et l’action dont on fait l’objet-, et qui inscrit cette figure parmi les alliances de mots (appelées aussi attelages). La réflexion doit se porter impérativement sur le statut exact du ka employé ici : indicateur d’une alternative exclusive, ou inclusive ? Pour répondre à cette interrogation, il faut faire appel à la logique temporelle : Komako doit être châtiée parce qu’elle a fait une victime, Yôko. Autrement dit, c’est un ka inclusif (ou/et) qui est employé ici, unissant avec audace des termes hétérogènes. L’image, dont l’ambiguïté est clarifiée, est aussi un commentaire du destin de Komako.

Des interprétations contradictoires.

* Plusieurs études s’attachent à décrypter la fin de ce roman mais leurs interprétations sont contradictoires. Ainsi, Kawasaki Toshihiko pose qu’à la toute fin du livre, Komako et Yôko se réunissent en une figure unique, en sorte que les derniers cris (« Elle va devenir folle ! Folle ! Folle ! entendit-il encore, après le cri de Komako », traduction de Fujimori Bunkichi et Armel Guerne) concernent autant Komako que Yôko. Kawasaki critique ainsi la traduction de Seidensticker, qui fait de ces cris des qualificatifs de Yôko. La traduction de Cécile Sakai rejoint celle du traducteur américain. Selon eux, d’un point de vue contextuel, dans la relation de proximité entre ces cris et le mot qui suit immédiatement, c’est bien Komako qui affirme, par ses paroles, la folie de Yôko- ce qui n’interdit pas l’hypothèse psychologique, selon laquelle Komako serait, elle aussi, en proie à la folie.

* Ainsi, il ne faudrait pas faire une disjonction entre le personnage de Komako- caché aux yeux de Shimamura- et sa voix ou ses cris- qu’il interprète comme signes de la folie. « Elle va devenir folle ! Folle ! Folle ! » entendit-il encore, après le cri de Komako. On peut se rappeler ce qu’avait dit Komako à Shimamura : « Si elle pouvait tomber entre les mains de quelqu’un comme vous, peut-être qu’elle ne finirait pas folle. Ce fardeau, vous ne voulez pas m’en soulager les épaules ? » (p. 528). Il semblerait donc que la folie de Yôko était latente, voire prévisible, et que Komako a pressenti que son amour à elle pour Shimamura serait la cause de cette folie. C’est ainsi qu’à un moment, elle a souhaité la remettre entre les mains de son amant. Yôko devient ainsi la victime de Komako et sa folie (ou sa mort peut-être) est le châtiment de celle qui n’a pas su renoncer à Shimamura. La souffrance extrême de Komako est due à ce qu’elle a toujours appréhendé cet épilogue tragique, malgré sa volonté de l’en empêcher. Mais cela se serait fait au détriment de son amour à elle.

* On ne saura donc jamais quelle est l’origine de cette relation intime entre les deux femmes, qui semblent par ailleurs toutes deux s’être disputées Yukio, le fils de la maîtresse de musique. L’explicit- censé expliquer l’intrigue- ne fait que la rendre plus hermétique encore !

Une seconde image problématique : la Voie lactée.

* La seconde et ultime image problématique et superbe est celle de la Voie lactée, dont les occurrences très nombreuses dans cet épilogue, lui confèrent cette atmosphère si particulière.

* C’est d’abord Komako qui évoque la constellation :

« Oh ! la Voie lactée… elle est splendide » s’exclama Komako, courant toujours devant lui, les yeux levés vers le ciel.

La Voie lactée… En la regardant lui aussi, Shimamura eu l’impression d’y nager, tant sa phosphorescence lui parut proche, comme si elle l’eût aspiré jusque-là. Le poète Bashô en voyage, était-ce sous l’impression de cette immensité resplendissante, éblouissante, qu’il l’avait décrite comme une arche de paix sur la mer déchaînée ? Car c’était juste au-dessus de lui qu’elle inclinait sa voûte, enserrant la terre nocturne de son étreinte pure, indéchiffrable, sans émoi. Image pure et proche d’une volupté terrible, sous laquelle Shimamura, un bref instant, se représenta sa propre silhouette découpée en une ombre aussi multiple qu’il y avait d’étoiles, aussi innombrablement multipliées qu’il y avait là-haut de particules d’argent dans la lumière laiteuse et jusque dans le reflet miroitant des nuages, dont chaque gouttelette infime et rayonnante de lumière se confondait avec son infinité, tant le ciel était clair, d’une limpidité et d’une transparence inimaginables. Cette écharpe sans fin, ce voile infiniment subtil, subtilement tissé dans l’infini, Shimamura ne pouvait en détacher son regard. » (p. 546).

Dans ce passage, tous les thèmes du roman sont évoqués : nature, poésie, lumière, déchaînement des passions, mystère, nuit, pureté, volupté, blancheur, tissage, miroir… sous le regard du héros fasciné par la beauté de la constellation.

* Plus loin, est souligné son « rideau lumineux », puis il interroge la jeune femme sur son scintillement :

«  A-t-elle cet éclat chaque nuit ?

- La Voie lactée ? Elle est splendide, n’est-ce pas ? Non, d’ordinaire, elle ne brille pas avec une telle intensité. Toutes les nuits ne sont pas aussi claires.

Cette arche étincelante qui plongeait dans la direction de leur course semblait baigner dans son scintillement la tête de Komako. » (p. 548).

Et plus loin :

« […] Il fallait admettre pourtant que le scintillement fourmillant de la Voie lactée ne mettait aucune ombre sur le sol, et sa lumière fantomatique donnait au visage de Komako l’aspect d’un masque antique, sous lequel transparaît sensiblement un élément de féminité. » (p. 548).

La Voie lactée contribue à conférer à la scène de l’incendie une atmosphère inquiétante et mystérieuse. Elle crée une dramatisation qui met en relief l’aspect tragique de l’événement, le visage de Komako se métamorphosant en masque antique, semblable à celui de l’héroïne tragique qu’elle est en train de devenir. Elle en exalte aussi la féminité.

* « Levant à nouveau son regard, Shimamura, sous la voûte immense de lumière, ressentit à nouveau cette étreinte du ciel étincelant qui se serrait sur la terre.

Telle une aurore infinie, la Voie lactée l’inondait tout entier avant d’aller se perdre aux derniers confins du monde. Et cette froide sérénité courut en lui comme un frisson, comme une onde voluptueuse, qui le laissa tout ensemble étonné et émerveillé. » (p. 548).

Ce passage préfigure l’image finale, dans laquelle Shimamura va être pénétré et envahi par la constellation. On ressent ici cette union du Ciel et de la Terre, dans laquelle Shimamura se sent immergé comme dans le grand Tout. Ce sentiment de calme et de volupté va lui permettre d’affronter la vision finale des deux femmes que leur amour pour lui a détruites.

* Tout au long de la course la Voie lactée est présente :

« […] Shimamura vit la dentelure des sommets déchirer le voile somptueux de la Voie lactée, dont il retrouva le pur scintillement au plus haut de la voûte ne plein ciel, abandonnant les monts à leurs lourdes ténèbres. » (p. 548).

* Au plus fort de l’incendie, Shimamura regarde encore la constellation dont la beauté indifférente contraste avec l’horreur de l’incendie, en même temps qu’elle se confond avec le feu :

« En levées en hauteur, les étincelles et les flammes ramenèrent le regard de Shimamura au sein de la Voie lactée, un moment offusquée par la fumée, qui n’en sembla que plus ruisselante et plus profonde, plus magnifiquement lumineuse et voûtée de l’autre côté où les gouttes illuminées du jet des pompes, quand il manquait l’objectif et se volatilisait dans l’espace, semblaient se confondre avec elle. » (p. 551).

* La dernière phrase du roman est consacrée à la constellation (p. 553). Shimamura veut s’approcher des deux femmes mais il est repoussé par la foule et chancelle. « Il fit un pas pour se reprendre, et, à l’instant qu’il se penchait en arrière, la Voie lactée, dans une sorte de rugissement formidable, se coula en lui. »

La nature de l’image est assez claire : c’est une magnifique métonymie qui, provoquée par le regard, relie le ciel à l’homme, le dehors au dedans, dans une sorte de cosmologie qui hisse une histoire humaine au niveau des mythes. Il n’en demeure pas moins que cette phrase constitue un décrochage par rapport à la narration, puisque les personnages sont abandonnés, tels quels, dans l’extrême incertitude de leur destinée : la vie ou la mort pour Yôko, la raison ou la folie pour Komako, la rupture ou la poursuite de la liaison pour Shimamura. La force de l’image finale masque ces questions en suspens.

* Dans L’Adolescent, en date du 18 septembre 1918, on peut lire :

« Ah !… je ne pense qu’à m’abandonner au destin qui m’est réservé. (N’est-ce pas le cas de Shimamura ?)

Que la nuit étoilée est belle.

La Voie lactée a envahi le ciel nocturne.

De la fenêtre de ma chambre obscure où j’ai éteint la lumière, j’essaie de reconnaître les étoiles scintillantes.

Le temps passe

Je perçois nettement

Le bruit du temps qui passe.

C’est bien ce bruit-là,

C’est bien ce bruit-là. (Tayama Kataï)

* Il est intéressant de voir que déjà, tout jeune, Kawabata est fasciné par le ciel étoilé et par la Voie lactée, image qu’il réutilise pour le dénouement de Pays de neige. Il y associe, par le biais d’un poème de Tayama Kataï, l’idée du temps qui fuit, dont il entend le bruit. Ici, on est dans la notion de « sensation nouvelle » ou de synesthésie, avec cette correspondance entre la vue (la Voie lactée), l’ouïe et le sentiment de la fuite du temps, grâce au spectacle immense du ciel étoilé. Tous ces éléments associés contribuent à créer un sentiment de profondeur, présent aussi dans la fin du roman.

L’incendie.

* Il n’est que l’un des signes extérieurs de la catastrophe (au sens tragique). Cette scène finale matérialise la détresse des deux femmes qui s’étaient prises au jeu au point de se détruire, l’une moralement, l’autre physiquement, sous le regard de Shimamura ébloui et titubant dans la neige. Chacun y verra la signification symbolique qu'il veut bien lui donner: feu destructeur ou feu purificateur.

* Pour suggérer l’intensité des sentiments dans des situations extrêmes, le cinéma a souvent recours à la musique, tout en projetant une image extérieure, apparemment étrangère au drame. Kawabata utilise ce procédé dans cette scène finale puisque le regard de Shimamura titubant est attiré par les vertes rangées de poireaux, ensevelies sous la neige dans le champ voisin. Tout en courant vers l’incendie, Komako vient de lui dire qu’il doit partir : « Et elle se jeta si fort dans ses bras, qu’il en recula d’un pas ou deux. Sur le bord de la route, derrière lui, en contrebas, il distingua un rang de poireaux au-dessus de la neige. » (p. 547). Ces poireaux ont déjà été évoqués à la page 456, quand ils ne sont pas encore ensevelis sous la neige.

* Enfin, l'on sait que l'auteur avait été très affecté par l'atrocité de la guerre qui s'est terminée par la défaite du Japon et par son cortège de drames humains innombrables. Il dit en substance en 1945: « Je n'écrirai plus que des poèmes voués aux morts (élégies). » On voit dès lors se multiplier le thème de la mort dans ses œuvres. « La mort est si près de nous », dit Fumiko, dans Nuée d'oiseaux blancs. L'incendie final dans Pays de neige est un symbole qui marque cette transformation de l'art de Kawabata: commencée en 1940 et poursuivie jusqu'en 1947, cette scène ultime extériorise sous une forme significative un drame intérieur, au moment précis où ce drame vient d'être vécu dans le sens le plus intime.

Les interprétations mythologiques.

* Peuvent-elles nous éclairer sur cette fin énigmatique ? N’est-il pas intéressant de savoir qu’une légende grecque fait référence à la trace laissée par un incendie qui subsiste dans le Ciel et qui constitue la Voie lactée ? Cet incendie fut provoqué par Phaéton qui, un jour, emprunta le chariot de feu de son père Hélios afin de prouver à tous ses origines divines. Il mit ainsi le feu sur la Terre ainsi qu’à la voûte céleste. Zeus, courroucé, le précipita dans l’Eridan après l’avoir foudroyé. Cycnos, demi-frère de Phaéton, supplia Zeus de lui pardonner. Zeus plaça alors Cycnos dans la Voie lactée comme symbole de l’amitié fidèle. Voie lactée, incendie, châtiment, amitié  ou amour fidèle (des deux femmes ?), autant d’éléments que l’on retrouve dans l’explicit du roman.

* Dans la symbolique du monde chinois, la Voie lactée, appelée Tianhe, est un fleuve céleste. Selon un récit très ancien, les étoiles Aquilae (Altaïr) et Lyrae (Vega) sont parfois représentées comme amants, pour lesquels la rencontre n’est permise qu’une fois l’an le septième jour du septième mois. Ce jour s’appelle Tanabata en japonais. De cette tradition orientale, je retiendrai le thème des deux amants et celui de la rencontre, caractéristiques du roman.
Rappelons aussi que le suicide fait partie de la tradition japonaise. Ainsi, le shinjû ("preuve suprême de fidélité") est un double suicide par amour. Il fut interdit en 1722.

Ce ne sont certes que des connotations légendaires, mais il semble qu’elles peuvent contribuer d’une manière poétique à la compréhension de cet épilogue.

La Voie vers l’Eveil ?

* Quatre principes, à la fois complémentaires et synergiques, forment le fondement de la

tradition bouddhique. Après avoir atteint l’état de parfait éveil, le Bouddha Shakyamuni a commencé son cycle d’enseignement par le sermon donné dans le Parc des Gazelles à Sarnath, près de Bénarès. Ce premier tour de roue du Dharma porte sur les Quatre Nobles vérités : la souffrance, les causes de la souffrance, la cessation de la souffrance, le chemin pour y parvenir.

* Ne peut-on interpréter cette fin comme étant le commencement de l’Eveil pour Shimamura ? Pendant tout le récit, son indifférence, sa froideur ont interpellé le lecteur mais sont peut-être pour lui une étape vers la cessation de la souffrance (comme pour Komako et Yôko) et l'incendie embrase l'entrepôt des cocons, lieu propre à la métamorphose s'il en est! L’immobilité de Yôko ne lui apparaît pas comme celle de la mort mais plutôt comme « un état de métamorphose, un stade de transition, une forme de vie physique » (p. 552). Dogen Zenji, Maître zen du XIIIème siècle écrit : « Apprendre la Voie bouddhique, c’est s’apprendre soi-même. » L’aventure amoureuse vécue par Shimamura n’a-t-elle pas été une initiation vers cette forme de connaissance de soi ? La possibilité de faire cesser la souffrance implique le retour à notre vraie nature, la dissolution de la crispation égocentrique. Cette invasion de la Voie lactée en lui-même ne peut-elle être comprise comme un oubli de soi-même pour une fusion dans le grand Tout? La Voie lactée indiquerait ainsi à Shimamura la Voie de l’Eveil. Elle symboliserait le retour à la solitude de l’individu dans l’immanence de la nature.

                                                                                                                                Juillet 2009

Bibliographie:
Les pages renvoient à l'édition suivante: Kawabata Yasunari, Romans et Nouvelles, La Pochothèque, Albin Michel, 1999.
Kawabata, Le Clair-Obscur, Cécile Sakai, PUF 2001 (un ouvrage de référence pour comprendre le Nobel japonais).

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