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2 septembre 2009 3 02 /09 /septembre /2009 21:29

                                                                                                       grimbert_1.jpg 

Avec Un Secret, paru en 2004, le psychanalyste et écrivain Philippe Grimbert racontait l'histoire d'un petit garçon, vivant dans l'intimité secrète d'un frère qu'il n'a pas, mais dont il découvre qu'il a réellement existé par la révélation d'un secret de famille. Ce thème du duo ou du double est modulé de nouveau dans son dernier roman, La mauvaise rencontre, dans une perspective psychanalyste, plus clairement avouée.

Loup, le narrateur, et Mando sont amis depuis leur plus petite enfance. Ils ont tout partagé, les jeux au Parc, les lectures fantastiques, les promenades au Père-Lachaise, les séances de spiritisme et les premiers émois amoureux. Entre eux un pacte: « le premier de nous deux qui passe de l'autre côté se débrouille pour faire signe à celui qui reste. » Pour le narrateur, Mando est sa force et son juge, celui qui jauge ses faiblesses, celui qui possède le courage qui lui fait défaut.

Au fil du temps, le narrateur va s'éloigner progressivement de son ami pour suivre l'enseignement d'un grand psychanalyste, le Professeur, dont il devient le disciple. Les manquements à son ami lui procurent un intense sentiment de culpabilité qu'il ne parvient pas à s'expliquer, jusqu'au jour où Mando l'appelle au secours car il est en train de basculer de l'autre côté, celui de la folie et de la mort.

Alors qu'il croyait que Mando était sa béquille et son guide, il comprend, lors de cet ultime appel, qu'il n'en était rien et que c'est lui, Loup, qui avait permis à son ami, atteint d'une psychose invisible, de survivre. Il fait alors sienne l'explication du Professeur: « On ne devient pas psychotique, on l'est! » La manifestation des symptômes se fait à l'occasion de ce qu'il appelle « la mauvaise rencontre », la psychose étant explicitée par cette image: « Tous les tabourets n'ont pas quatre pieds, il y en a qui tiennent debout avec trois. Mais alors il n'est plus question qu'il en manque un, sinon ça va très mal! » Loup se rend compte qu'il a été le « bouclier contre [la] folie » de Mando, folie qui exigeait une amitié pure et sans tache. Quand Loup fait défaut à son ami, ce dernier n'a plus aucun garde-fou contre son mal et sombre. La dernière phrase du journal de Mando l'atteint en plein cœur: « Loup passe tout son temps ailleurs, trois rendez-vous manqués, lui dire adieu.»

Tenté de poursuivre le journal de son ami qui s'est jeté par la fenêtre de l'hôpital, Loup y renonce in extremis et se demande alors quel est celui qui a fait la mauvaise rencontre. En effet, convaincu que « l'amitié vraie: [c'est] être l'autre absolument », Loup a la tentation de coucher sur le papier ce que Mando aurait pu écrire; il échappe à cette envie mortifère dans un ultime sursaut de survie, car dans le miroir qu'il ne veut plus regarder, il y a le visage de Mando « vers qui [il] a failli basculer. » Une autre main prendra la plume, celle de l'écrivain qui raconte cette histoire... laquelle est peut-être la sienne!

Cet ouvrage qui se lit d'une traite est une passionnante réflexion sur une amitié que la révélation tardive de la maladie métamorphose en une terrible expérience de douleur et de culpabilité. Avec l'analyse lucide du spécialiste et la sensibilité de l'écrivain, Philippe Grimbert nous dit comment une vie peut se construire sur le mensonge et qu'on ne connaît jamais l'autre, fût-il son ami le plus proche.

                                                                                                                                                                                                   Le 31 août.

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