Autoportrait de l'artiste.
« Je ne sais pas alors dans quelle aventure je me lance », écrit Fanny Tonnelier-Gannat dans l’Avant-propos de la biographie de son beau-père Raoul Tonnelier, Une vie d’artiste, publiée en juin 2009 aux Editions Opéra. En effet, les recherches dans les fonds d’archives de Paris, Nantes, Nancy, dans les grandes bibliothèques parisiennes et dans ses nombreux documents personnels, vont occuper quatre années de la vie de l’auteur.
Encouragée par son mari, orphelin à sept ans, et qui n’a guère connu son père, animée du désir de transmettre à ses enfants le souvenir de leur grand-père inconnu dont les toiles tapissent la maison familiale, elle s’est lancée dans une enquête qui fait revivre un artiste peintre de la première moitié du siècle, un « rapin », ainsi que l’on appelait autrefois un élève-peintre ou un artiste bohême.
L’ouvrage nous permet donc de découvrir le creuset d’artiste que fut Nancy, ville natale de Raoul Tonnelier (1884-1953), à la fin du XIX° siècle, avec les grands noms de Gallé et de Majorelle dont il fut l’ami. Son apprentissage à Paris nous fait pénétrer dans l’Académie Julian et nous renseigne sur la façon dont fonctionnaient les écoles de peinture de l’époque. Sa rencontre avec le diplomate Philippe Berthelot, « grand commis de l’Etat », l’introduit dans les milieux de la haute bourgeoisie parisienne dont il deviendra l'un des portraitistes attitrés. Nous faisons la connaissance de ce patriote, réformé pour cause de maladie, qui crée avec son ami Gustave Alaux, La Légende de France, « une épopée patriotique », dont le support est la lanterne magique. Avec le concours des artistes de la Comédie-Française, ce spectacle voyagera en Suisse, en Amérique et en Italie. Nous suivons le peintre au cours de ses pérégrinations en Corse, au Maroc, et même dans une Russie en proie à la révolution bolchevik. Nous apprenons comment il devint un antiquaire connu, spécialiste des lustres de Venise, et, à la fin de sa vie, un amoureux de la nature, qui entreprit de remettre en état la belle propriété de Saint-François sur les bords de la Loire qu’habitent aujourd’hui l’auteur et son mari.
C’est une personnalité attachante dont Fanny Tonnelier nous brosse le portrait. On le voit organiser des fêtes à Montmartre en compagnie de Poulbot le peintre des gamins de la Butte, Pauline Carton la fantaisiste comédienne, T’Stertevens l’écrivain. On l’imagine dans les rues de Rome en compagnie de Camille Mallarmé à la recherche d’ « antiques » pour son magasin. On rencontre un homme attentif au sort d’autrui et dont la maison angevine sera un asile pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Mais c’est bien sûr le peintre qui retient l’attention. Si, résolument classique et figuratif, il ne fut pas sensible aux courants d’avant-garde, il essaiera cependant de nouvelles techniques et sera très marqué par le peintre marseillais Monticelli (1824-1886), un grand coloriste passionné par l’opéra et la comédie italienne. Monticelli sera son maître. Il en héritera son goût de la couleur particulièrement sensible dans ses tableaux de fleurs et dans ses vues de Corse. Quant à son art du portrait, c’est déjà dans ses premiers tableaux qu’il éclate (Portrait de la mère de l’artiste, en 1905, par exemple), puis dans ses tableaux qui représentent les femmes de la haute bourgeoisie parisienne. Celui de Madame Berthelot (exposé à Nancy et au Salon des Artistes français à Paris en 1913) est révélateur d’un peintre qui a su saisir le mystère de la féminité de ses modèles, dans des œuvres qui « rappele[nt] les portraits des dames de la Renaissance ».
Aussi l’intérêt de la biographie de Raoul Tonnelier est-il double. Car si Fanny Tonnelier fait revivre son beau-père en lui restituant ce qui fit son originalité et sa personnalité, elle nous invite de surcroît à une traversée documentée de la première moitié du XX°siècle, et ce n’est pas là son moindre mérite.
Rappelons qu’il existe un site consacré à Raoul Tonnelier (www.raoul-tonnelier.fr) et qu’une exposition de ses œuvres aura lieu à la Mairie du VI° arrondissement de Paris, de décembre 2010 à janvier 2011.
Le 1er octobre 2009