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24 avril 2009 5 24 /04 /avril /2009 07:18

                                                                                                                                                                         

La première fois que j'ai rencontré Fatou Diome, c'était à l'émission de Mireille Dumas, Vie privée, Vie publique, et j'ai été fascinée par l'intelligence et la sensibilité avec lesquelles elle parlait des rapports Nord-Sud et de l'immigration. J'ai tout de suite eu envie de lire son roman, Le ventre de l'Atlantique, paru en août 2003, et je n'ai pas été déçue. J'ai en effet découvert un écrivain sincère et vrai. Ne dit-elle pas elle-même : « J'écris vraiment parce que je le ressens comme ça et ça peut donner des choses inattendues, qu'une certaine politesse sociale ou une certaine langue de bois aurait pu interdire. »


A mi-chemin entre la fiction et l'autobiographie, elle y raconte les relations essentiellement téléphoniques qu'entretient, Salie, l'héroïne,  « dont le nom très beau signifie « dignité » », étudiante à Strasbourg, originaire de l'île de Niodior, au large du Sénégal, avec son demi-frère Madické, qui rêve d'être footballeur dans un grand club européen et de rencontrer son idole, Paolo Maldini, du Milan AC. A travers cette relation qui passe aussi par le petit écran, la sœur regardant les grands matchs de football en France, et le frère les suivant grâce à l'écran de « l'homme de Barbès », un immigré qui est revenu au pays, c'est toute l'ambiguïté du rapport Nord-Sud, la fascination du mirage français, qui sont évoquées avec réalisme et ironie. Fatou Diome écrit à ce propos : « Pour être objectif, il faut être capable de prendre de la distance, sinon on ne peut pas être critique vis-à-vis de ce qui se passe en Afrique [...] Je suis obligée de prendre l'ironie et l'humour pour relativiser les choses. »


Dans une prose riche et imagée qui fait souvent penser au style des contes africains, Fatou Diome décrit d'une manière originale la vie de ceux qui sont restés au Sénégal et les quelques destins des uns qui sont partis « pour des raisons économiques » et des autres qui l'ont fait « pour des raisons plus vivables », le leitmotiv du roman étant : « Chaque miette de vie doit servir à conquérir la dignité ». Elle évoque avec une grande sensibilité les deux personnages essentiels de son existence: d'abord, sa grand-mère qui l' « allaita sans date butoir » alors qu'elle était une enfant illégitime et « qui n'a jamais cessé de tisser le fil qui [la] relie à la vie ». Ensuite, l'instituteur, Monsieur Ndétaré, dont elle força en cachette la porte de l'école et dont elle dit avec émotion : « Parce que je ne cessais de le harceler, il m'a tout donné : la lettre, le chiffre, la clé du monde. »


Autour de ces deux personnages-phares gravite toute une société africaine: des hommes, victimes du mirage français, comme Moussa, ou des femmes, victimes du poids des coutumes ancestrales et de l'obscurantisme, comme Sankèle ou Gnarelle. Sans concession, l'auteur fait le tableau de la « colonisation mentale » qui a succédé à la colonisation historique, des ravages du tourisme sexuel, de l'illusion du slogan « Blacks, Blancs, Beurs », mais aussi des méfaits de la polygamie, du danger des « faux dévots en train d'envahir le pays » et des « déferlantes de progéniture », obstacle à l'émancipation féminine.


Ni pamphlet ni thèse, ce roman propose encore de très belles pages où l'on respire l'Afrique : le rituel du thé, les conversations sous l'arbre à palabres tandis que les femmes « transforment les grains de riz en rubis », les soirs de danses nocturnes au Dingaré, la place du village et le rythme du djembé, les « rites » du marabout Peul pour faire revenir un mari vers sa seconde épouse, et la légende où deux amoureux, Sédar et Soutoura sont transformés en dauphins. « Atlantique, emporte-moi, ton ventre amer me sera plus doux que mon lit ! ».


Mais ce roman est peut-être et surtout une quête identitaire. Comment se situer lorsqu'on est une femme entre deux mondes, une « Francenabé » et que l'on vit la solitude de l'exil ? « Chez moi ? Chez l'Autre ? Etre hybride, l'Afrique et l'Europe se demandent, perplexes, quel bout de moi leur appartient. » Il est cependant une certitude, c'est que, pour Fatou Diome, l'instruction fut la porte ouverte vers la liberté et l'émancipation : « Enracinée partout, exilée tout le temps, je suis chez moi là où l'Afrique et l'Europe perdent leur orgueil et se contentent de s'additionner : sur une page, pleine de l'alliage qu'elle m'ont légué. »


Et n'est-ce pas le sens de la dédicace dans laquelle l'auteur s'adresse à sa grand-mère, qu'elle imagine « enfin reposée, prenant le thé avec Mahomet et Simone de Beauvoir » ?

                                                                                   

                                                                                                                                                                                             Août 2003.

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