« Est Mitteleuropéen tout homme que la division de notre continent blesse, touche, gêne, inquiète et oppresse. » (Le rêve de Mitteleuropa, György Konrad).
Cette expression, Mitteleuropa, a été popularisée par le Praguois, Milan Kundera, mais le terme lui-même ne se laisse pas traduire aisément : « Europe centrale », « Europe du milieu » ou encore « Europe médiane ».
Le concept recouvre des écrivains de langue allemande mais la littérature allemande ne s'arrête pas aux grands noms de Thomas Mann ou de Hermann Hesse et aux frontières de l'Allemagne. Elle est aussi suisse (avec Gottfried Keller et plus près de nous Robert Walser), autrichienne et, pourrait-on dire européenne avec Rilke et Kafka, nés à Prague ou Canetti, né en Bulgarie. La rencontre des cultures allemande, juive et slave, dont l'empire austro-hongrois, la Cacanie de Musil, fut en son temps le creuset, a produit un nombre impressionnant d'auteurs de premier plan parmi lesquels Schnitzler, Zweig, Roth, Perutz et bien sûr Kafka et Musil. Le rôle de Vienne fut essentiel dans cette littérature.
Voici donc une liste non exhaustive d'auteurs de langue allemande et d' écrivains que l'on peut rattacher à la notion de Mitteleuropa et quelques résumés d'œuvres.
Peter Altenberg (1899-1919).
Esquisses et nouvelles esquisses viennoises. Traduction : M. Couffon. Actes Sud.
Ingeborg Bachmann (1926-1973).
Malina (1971). Traduction : Philippe Jaccottet. Le Seuil.
Une femme entre amant et mari. Mais ces deux être existent-ils vraiment ? Une descente aux enfers dans l'énigme de la passion féminine par l'un des grands auteurs autrichiens contemporains qui fut la compagne de Max Frisch.
Thomas Bernhard (1931-1989).
Perturbation (1967). Traduction : G.Fritsch-Estrangin. Gallimard.
Le narrateur adolescent accompagne son père, médecin dans les Alpes autrichiennes, dans ses visites aux malades. Maladie, folie, solitude et suicide sont les thèmes habituels de l'œuvre de Thomas Bernhard ;
Hermann Broch.
La mort de Virgile. (1945). Traduction : Albert Kohn. Gallimard.
La dernière journée de Virgile. Ce roman de la conscience, dans lequel le poète mourant médite sur sa vie et son œuvre, rappelle, dans son projet comme dans sa construction, l'Ulysse de James Joyce. Ecrivain juif autrichien, émigré aux USA en 1938 et mort en 1951.
Les Somnambules. Traduction : P. Flachet et Kohn. Gallimard/ L'Imaginaire.
Elias Canetti.
Auto-da-fé (1935). Traduction: Paule Arhex. Gallimard.
La folle histoire du professeur Kien, sinologue de renom, de sa bibliothèque de 2500 volumes et de Thérèse, l'ancienne gouvernante devenue sa femme. On pense à Kafka et à Musil. Le chef-d'œuvre du prix Nobel de littérature 1981.
Heimito von Doderer.
Les Chutes de Slunj (1963). Traduction : A. Kohn et P. Deshusses. Rivages.
Une famille d'industriels anglais dans l'Autriche du début du siècle. Le dernier roman de l'auteur des Démons, Les Fenêtres éclairées et d'Un crime que tout le monde commet.
Franz Grillparzer.
Le Musicien des rues . traduction : J. Lajarije, Editions Jacqueline Chambon.
Hermann Hesse.
Le Jeu des perles de verre (1943). Traduction : J. Martin. Calmann-Lévy.
Un idéal de connaissance et de spiritualité imaginé en 2200. Selon Frédérick Tristan, l'ouvrage le plus complet de cet écrivain, qui résume toute la connaissance. Le dernier roman de l'auteur du Loup des steppes, Siddharta, Peter Camenzind, L'ornière, Enfance d'un magicien
Franz Kafka.
Le procès (1925). Traduction B. Lortholary. G.F.
L'histoire de Joseph K. arrêté un matin, accusé sans connaître sa faute. Dans le monde de Kafka, nul n'est censé ignorer la loi mais nul ne peut non plus la connaître. Cette œuvre inachevée devenue célèbre en France après la guerre a été tantôt interprétée comme un roman de l'absurde, tantôt comme une dénonciation du totalitarisme. Cauchemar et humour mêlés, la représentation d'un monde où l'homme est coupable sans jamais pouvoir se justifier. A lire aussi Le Château et La Métamorphose.
Eduard von Keyserling (1855-1918).
Ecrivain allemand impressionniste. Son œuvre pessimiste est fréquemment centrée sur les pays baltes de culture germanique.
Alfred Kubin.
L'Autre Côté (1909). Traduction: R. Valençay. NEO.
L'empire austro-hongrois en désagrégation. Entre expressionnisme et surréalisme, l'anti-utopie d'un Autrichien avant tout célèbre par ses dessins et ses tableaux.
Milan Kundera. (1929)
Ecrivain tchèque naturalisé français. Il s'impose par la lucidité et l'humour de ses romans (La Plaisanterie, La valse aux adieux, Le Livre du rire et de l'oubli) et de ses nouvelles (Risibles Amours).
Thomas Mann.
La Montagne magique (1924). Traduction : Maurice Betz. Fayard.
Hans Castorp, venu rendre visite pour trois semaines à un cousin dans un sanatorium de Davos, se laisse séduire par la magie des lieux, la maladie et la mort. Il ne quittera Davos que pour les champs de bataille de la guerre de 1914 sur laquelle se clôt symboliquement ce roman de la durée, de la fin d'un monde et de la mort. Le chef- d'œuvre d'un des plus grands écrivains de ce siècle, auteur entre autres de Docteur Faustus, Mort à Venise, Chez le prophète, Les enfants de Wotan, Les Buddenbrook.
Heinrich Mann.
Professeur Unrat (1905). Traduction : C. Wolff. Grasset.
Un petit professeur de province amoureux d'une danseuse de cabaret. Le cinéma a immortalisé sous le titre L'Ange bleu (avec Marlène Dietrich) ce roman du frère de Thomas Mann.
Klaus Mann.
Mephisto par le fils de Thomas Mann, auteur aussi du Tournant.
Sandor Marai (1900- 1989)..
Un immense écrivain hongrois dont l'œuvre fut interdite en Hongrie jusqu'en 1990 et que l'on redécouvre avec des œuvres superbes. Un témoin d'un monde finissant qui observe avec nostalgie une Europe mythique en train de s'éteindre.
Les Braises. Livre de poche.
1940. Au fond de la puszta magyare, la dramatique confrontation de deux hommes autrefois amis. Livre de l'amitié perdue et des amours impossibles, où les sentiments les plus violents couvent sous les cendres du passé.
Et aussi L'héritage d'Esther, Divorce à Buda, Les Confessions d'un bourgeois, La Conversation de Bolzano, Les révoltés, Mémoires de Hongrie.
C.S Mahrendorff.
Et ils troublèrent le sommeil du monde. Fayard, 1999.
Vienne à la fin du XIX° siècle. La villes semble s'étourdir dans une ultime valse avant de sombrer dans la décadence avec la Première Guerre Mondiale et la fin des Habsbourg. Un médecin, l'un des premiers neurologues, le docteur Heydinger, habitué des cafés littéraires de la capitale autrichienne, voit un jour se présenter à son cabinet un certain John Livingstone, mystérieux Anglais, cocaïnomane. Ce dernier est venu enquêter sur les agissements obscurs d'une société secrète antisémite et qui veut tuer Gustav Mahler...A lire aussi La Valse des anges déchus.
Robert Musil.
L'Homme sans qualités (1930-32-43). Traduction : Philippe Jacottet. P.S
Dans l'Autriche-Hongrie d'avant 1914, la « Cacanie », Ulrich, l'homme « sans qualités particulières », tente de construire sa vie par expériences successives, destinées à épuiser tout le champ du possible. Une peinture des milieux d'aristocrates, de grands bourgeois et d'intellectuels autrichiens qui est aussi une critique de notre temps. L'un des trois ou quatre grands livres du XX°siècle.
Les Désarrois de l'élève Törless. Depuis quatre ans, Töerless vit au collège de X... la petite ville est située loin de la capitale, perdue dans les campagnes arides, presque inhabitées, de la vaste monarchie austro- hongroise...
Léo Perutz.
Le Marquis de Bolibar (1930). Traduction : O. Niox- Château. Albin- Michel.
Entre le réel et l'imaginaire, en Espagne pendant les guerres de l'Empire, le roman fantastique d'un Borges autrichien.
Gregor von Rezzori. (1914-1998).
Sur mes traces, Mémoires. Traduction : Jacques Lajarrige, Pierre Deshusses. Editions du Rocher.
Un caractère et un destin qui coïncide avec le siècle. Comme Zweig et Musil, le regard qu'il porte sur l'Europe dont il a vécu tous les grands bouleversements le hausse au rang de témoin de notre siècle.
Alire aussi L'Hermine souillée.
Rainer-Maria Rilke.
Les carnets de Malte Laurids Brigge (1910). Traduction : Maurice Betz. P.S
« C'est donc ici que les gens viennent pour vivre ? Je serais plutôt tenté de croire que l'on meurt ici. » Malte Laurids Brigge n'est autre que Rilke lui-même à qui la découverte de Paris a inspiré ce journal où le spectacle de la ville fait surgir les souvenirs et les rêves entremêlés à la pensée de la mort et aux douleurs de la création. A lire aussi Lettres à un jeune poète et Journaux de jeunesse.
Josef Roth.
La marche de Radetzky (1932). Traduction : Blanche Gidon. P.S.
Rythmé par le leitmotiv d'une marche militaire symbolique et dérisoire, le roman de la décadence et de la fin de l'empire austro- hongrois à travers le destin exemplaire de la famille von Trotta. Ce que Broch appelait « l'Apocalypse joyeuse » a inspiré à Roth, écrivain juif autrichien, mort à Paris en 1939 dans la misère, son plus beau roman. Et aussi Zipper et son père, Le Roman des Cent- Jours, La Crypte des capucins.
Arthur Schnitzler.
Vienne au crépuscule (1924). Traduction : R. Dumont. Stock.
Le dilettantisme d'un groupe d'intellectuels et d'esthètes dans une atmosphère nonchalante de cafés viennois du début du siècle. Une anatomie de la culture et de la décadence par un auteur inspiré par Freud. A lire aussi Mademoiselle Else, La Ronde, Les dernières cartes.
Adalbert Stifter.
L'Homme sans postérité (1845). Traduction : G. A Goldschmitt. Phébus.
Angoisse et culpabilité. Le roman d'un écrivain catholique autrichien qui mit fin à ses jours en se tranchant la gorge. Et aussi Brigitta, L'Arrière- Saison, Les deux sœurs, Tourmaline (nouvelles).
Robert Walser.
L'Homme à tout faire (1908). Traduction : J. Launay. L'Age d'homme.
Sur les bords du lac de Zürich, au début du XX°siècle, l'histoire de l'employé Joseph Marti qui croyait avoir trouvé une maison et une famille chez un ingénieur, inventeur sans succès et ruiné. Robert Walser, qu'admiraient Musil et Hermann Hesse, est mort en 1958, après avoir passé 30 ans dans un asile psychiatrique.
Franz Wedekind (1864-1918).
Le Coup de foudre. Traduction : M. Barillier. L'Age d'homme.
Un recueil de nouvelles de l'écrivain expressionniste auteur de Lulu. Une description du désir qui rappelle souvent Schnitzler.
Franz Werfel (1890-1945).
Cella ou les vainqueurs. Traduction : Robert Dumont. Stock.
Ecrit en 1938, juste avant la mort de l'auteur et publié en 1955, ce roman évoque, à travers l'histoire de la famille Bodenheim, la période qui a précédé l'Anschluss. A lire également Les 40 jours de Musa Dagh, LePassé ressuscité.
Lajos Zilahy.
Le Siècle écarlate. Mercure de France / Bibliothèque étrangère.
C'est la vie des jumeaux Dukay, nés le jour où s'ouvre le Congrès de Vienne, que nous conte Le Siècle écarlate. Comme c'est souvent la coutume dans les familles nobles de l'empire austro- hongrois. L'aîné, Flexi, charmant, poli, docile, sera élevé à Vienne, ainsi qu'il convient à l'héritier du nom et de la fortune, tandis que Dali, le cadet, est expédié à Budapest. Tête brûlée, bagarreur, Dali va connaître un destin tumultueux, traînant tous les cœurs après lui. Une flamboyante fresque de l'histoire européen.
Stefan Zweig.
La Confusion des sentiments (1927). Traduction : A. Hella et O. Bournacque. Stock.
L'étrange relation d'un maître et de son disciple. Les ambiguïtés de l'amitié et du désir par un auteur qui devait fuir le nazisme et se suicider au Brésil en 1942. A lire aussi Le Joueur d'échecs, La Peur, Amok, La femme et le paysage, Nuit fantastique, Vingt- quatre heures de la vie d'une femme, La pitié dangereuse, Le monde d'hier, mémoires d'un Européen, Journaux 1912- 1940.
NB : Les indications de traduction et d'édition sont données à titre indicatif. Beaucoup de ces œuvres sont parues en collections de poche.
Ouvrages sur l'empire austro-hongrois :
Milo Dor, Mitteleuropa, mythe ou réalité.
François Fejto, Requiem pour un empire défunt.
Jacques Le Rider, La Mitteleuropa.
Claudio Magris, Danube.