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6 décembre 2012 4 06 /12 /décembre /2012 22:02

 Cendrars par modigliani

Blaise Cendrars, Modigliani, 1913

 

J’ai vu mardi dernier l’extraordinaire exposition que le musée de La Piscine à Roubaix consacre à Chagall. L’ensemble de plus de 200 œuvres qui y est exposé couvre la vie de l’artiste et tous les champs d’expression auxquels il s’est essayé. On y découvre en effet peintures et dessins, sculptures et céramiques, costumes et collages et les études pour le plafond de l’Opéra que lui commanda Malraux. Intitulée Marc Chagall, L’Epaisseur des rêves, cette rétrospective témoigne de l’importance de la forme et du volume chez l’artiste, l’inventeur du « pays d’apesanteur » ainsi que le qualifia Aragon.

En 1913, Blaise Cendrars consacre à son ami Marc Chagall son quatrième Poème élastique. Nés la même année, en 1887, les deux artistes nouèrent une amitié entre 1912 et 1914. « Les peintres et les poètes, c’était du pareil au même », on vivait tous mélangés », raconte Cendrars. Vivant ensemble la bohème parisienne à la Ruche de Montparnasse, ils étaient liés par l’usage commun du russe mais surtout par un même goût pour la modernité urbaine et les formes artistiques nouvelles.

Le poète est vraiment fasciné par le monde onirique et fantaisiste du peintre. Ses images verbales, ses mots en liberté, seront un écho à la structure des tableaux de Chagall : ne titrera-t-il pas d’ailleurs certaines des toiles de cette époque ? En 1922, à son retour de Russie après la Révolution russe, l’atelier de Chagall aura été vidé et ses œuvres d’avant-guerre revendues. Soupçonnant Cendrars d’y avoir contribué, il rompra avec lui.

Toujours est-il que demeure ce poème. Un texte qui témoigne avec force de leur amitié et de la relation fusionnelle qui peut exister entre les mots et les formes et les couleurs.


 Chagall_Marc_06_autoportrait_max.jpg

      Autoportrait au col blanc, Marc Chagall, 1914

 

 

Marc Chagall

 

Il dort

Il est éveillé

Tout à coup, il peint

Il prend une église et peint avec une église

Il prend une vache et peint avec une vache

Avec une sardine

Avec des têtes, des mains, des couteaux

Il peint avec un nerf de bœuf

Il peint avec toutes les sales passions d’une petite ville juive

Avec toute la sexualité exacerbée de la province russe

Pour la France

Sans sensualité

Il peint avec ses cuisses

Il a les yeux au cul

Et c’est tout à coup votre portrait

C’est toi lecteur

C’est moi

C’est lui

C’est sa fiancée

C’est l’épicier du coin

La vachère

La sage-femme

Il y a des baquets de sang

On y lave les nouveaux-nés

Des ciels de folie

Bouches de modernité

La Tour en tire-bouchon

Des mains

Le Christ

Le Christ c’est lui

Il a passé son enfance sur la croix

Il se suicide tous les jours

Tout à coup, il ne peint plus

Il était éveillé

Il dort maintenant

Il s’étrangle avec sa cravate

Chagall est étonné de vivre encore

 

In Dix-neuf poèmes élastiques

 

 

Autoportrait-a-la-pendule.JPG

      Autoportrait à la pendule, Marc Chagall, 1947

(Photo ex-libris.over-blog.com, mardi 27 novembre 2012)

 

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème libre

 


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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 22:33

 

 Anna_de_Noailles---Philip-Alexis-de-Laszlo-Laszlo.jpg

      Portrait d'Anna de Noailles par Philip-Alexis de Laszlô

 

Je voudrais faire avec une pâte de fleurs

De vers de langoureuse et glissante couleur,

Où la rose d’été, l’œillet et le troène

Répandraient leur arôme et leur douce migraine ;

 

Des vers plus odorants qu’un parterre en juin

Où l’on marche en posant sur son cœur une main,

Où, las de la lumière et des herbes trop belles,

On soupire en rêvant sous de larges ombrelles ;

 

Des vers qui soient pareils à nos premiers jardins,

Quand, remuant le sable et les cailloux, soudain

Le paon traînait le beau feuillage de sa queue

Près de la mauve molle et des bourraches bleues ;

 

Des vers toujours gluants de sucre et de liqueurs,

Comme le doux gosier des plus suaves fleurs,

Comme la patte aiguë et mince de l’abeille

Enduite de miel fin et de poudre vermeille,

 

Et comme le fruit chaud du tendre framboisier

Qu’étant petite enfant, mon âme, vous baisiez,

Car vous aimiez déjà les choses de la vie,

Le matin odorant, la pelouse ravie,

 

Les rosiers emplis d’ombre et d’insectes légers,

L’inexprimable odeur du divin oranger,

Avec le cœur penchant et le fervent malaise

De Sainte Catherine et de Sainte Thérèse…

 

Les Jardins, III, in Les Eblouissements, Anna de Noailles

 

 

Je feuillette souvent la vieille édition  jaune que je possède des Eblouissements d’Anna de Noailles, datée de 1928. Sur la page de garde, ma grand-mère a indiqué que ce recueil lui fut offert par mon père en 1941, alors qu’elle était réfugiée à Nantes. Je sais que mon aïeule aimait beaucoup les vers de celle qui posa pour van Dongen, Jacques-Emile Blanche ou Jean-Louis Forain.

Parlant de cette œuvre, Proust disait qu’elle recèle « un charme, un talisman qui tient aux doigts de l’ouvrier ». Dans ce poème justement, « Je voudrais faire avec une pâte de fleurs », qui est un dialogue avec elle-même (« vous baisiez », « vous aimiez »), la poétesse y livre son art poétique. On l’y retrouve tout entière, avec son amour fou de la nature et déjà cette inquiétude profonde qui ne cessera de la ronger, présente dans les deux derniers vers et l’emploi des points de suspension.  Elle y explique comment elle voudrait écrire des vers, telle une cuisinière poète qui utiliserait une rare « pâte de fleurs ».

Le poème est « enchanteur »- terme employé encore par Proust- par cette atmosphère début de siècle, où l’on imagine des femmes évanescentes et dolentes en proie à une rêverie vague (v .8), sous des « ombrelles », tandis que des paons délicats et élégants font la roue.

Anna de Noailles sollicite ici toutes les sensations de manière à ce qu’elles se muent en sentiments, ainsi que l’avait bien vu l’abbé Mugnier dans son Journal. La vue est présente avec les « mauves molles » et « les bourraches bleues », la « poudre vermeille » du cœur des fleurs ; le toucher est suggéré par la main posée sur le coeur, « la patte aiguë et mince de l’abeille », le baiser au « fruit chaud du tendre  framboisier » donné par la narratrice enfant, les « insectes légers » ; le goût est signifié à travers les aspects « gluants de sucre et de liqueurs » du pistil des fleurs ; l’odorat, le sens le plus sollicité, l’est grâce à l’évocation de « l’arôme de la rose d’été (reprise par « les rosiers »), l’œillet et le troène », le lexique des senteurs étant par ailleurs très présent (« répandraient », « arôme », « odorant » (deux occurrences) et le terme « odeur ») ; l’ouïe l’est enfin par la connotation du bruit des cailloux et celui du bourdonnement de « l’abeille ». C’est de toute cette matière merveilleuse et sensuelle que la poétesse voudrait confectionner ses « vers », le terme étant repris dans l’anaphore des deuxième, troisième et quatrième quatrains.

On perçoit l’ivresse exaltée que procure la beauté de ce jardin grâce à l’emploi des superlatifs et des termes mélioratifs : ici la migraine devient « douce », les vers sont « plus odorants qu’un parterre en juin », les herbes sont « trop belles », les ombrelles sont « larges », le gosier des fleurs est « doux », les fleurs sont « les plus suaves », la pelouse est « ravie », l’odeur de l’oranger est « inexprimable » et l’arbuste est lui-même qualifié de « divin ».

Le sentiment d’exaltation qu’Anna de Noailles éprouve est bien transcrit par cette écriture de la richesse et de l’excès. On y sent aussi l’intense nostalgie du paradis de l’enfance avec l’évocation des « premiers jardins », éden inoublié de la « petite enfant », et qui la modelèrent. On devine encore la précocité d’une « âme » sensible à la beauté du monde : « Car vous aimiez déjà les choses de la vie ». Pleine d’élan,  ne baisait-elle pas « déjà »le fruit du framboisier ?

Sans doute aimé-je aussi beaucoup ce poème panthéiste car il se clôt sur l’évocation de deux grandes saintes qui ont connu le mariage mystique : sainte Catherine d'Alexandrie (ma patronne !) et sainte Thérèse d’Avila, laissant subtilement entendre que l’extase est toujours liée au corps, à la sensation. Et dans la fin de ce poème, la comtesse de Noailles, noyée dans des effluves odoriférants, à la limite de la pâmoison et de l’asphyxie, « le cœur penchant », dans un « fervent malaise », m’apparaît bien comme une mystique, en épousailles avec la nature.

 

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Suzâme : un poème « coup de cœur »

 

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25 octobre 2012 4 25 /10 /octobre /2012 08:37

 le grenier du peintre

      Le grenier du peintre, XIX° siècle

 

 

La pluie pleure dans les seaux

Les tomettes se fendillent

Les matelas crachent leurs plumes

Les vieux papiers pâlissent

Se racornit le cuir des malles

Le cœur des noix noircit

Et les pommes pourrissent

Têtue l’araigne tisse sa toile

Le ver va dans les poutres profondes

La poussière a poudré l’épiderme des choses

 

Non

Ne pas le nier

Le temps est un ogre

Au grenier

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Un soir bleu : de la cave au grenier

 

 

 

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27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 07:00

 

 tete-de-bouddha-qing.jpg

 

Tête de Bouddha Qing

 

 

Un lourd objet de bronze creux

en forme de masque aux yeux clos

s’élève lentement et seul

très haut dans le désert sonore.

 

Jusqu’à cet astre vert, à cette Face

qui se tait depuis dix mille ans,

sans effort je m’envole,

sans crainte je m’approche.

Je frappe de mon doigt replié

sur le front dur sur les paupières bombées,

le son m’épouvante et me comble :

loin dans la nuit limpide

mon âme éternelle retentit.

 

Rayonne, obscurité, sourire, solitude !

Je n’irai pas violer le secret

je reste du côté du Visage

puisque je parle et lui ressemble.

Cependant tout autour la splendeur c’est le vide,

Brillants cristaux nocturnes de l’été.

 

Ce poème est le dernier du recueil de Jean Tardieu, Le fleuve caché, Poésies 1938-1961. Une manière de clôture dans une dernière partie qui s’intitule « Histoires obscures », et dont deux poèmes ont un titre en forme de question (« Est-ce une bête ? », « Etait-ce le soleil ? »)

L’atmosphère créée ici est au « carrefour des cauchemars », titre d’un autre poème. Le poète évoque un masque, qu’il compare à un astre vert. Cette figure mystérieuse s’élève « très haut » comme dans un rêve où le poète se meut avec une aisance, dont la fluidité est rendue par le verbe s’envoler et l’anaphore de la préposition « sans » (« sans effort je m’envole/ sans crainte je m’approche. » )

C’est une sorte d’idole, un bouddha peut-être, avec ses « yeux clos »  et ses « paupières bombées », dont le « bronze creux » retentit dans la nuit sidérale : n’y aurait-il rien derrière ? Une sorte de Sphinx mutique « qui se tait depuis dix mille ans », qui provoque angoisse et plaisir mêlés : « le son m’épouvante et me comble ».

On sera en effet sensible à l’emploi de cet oxymore qu’est la « nuit limpide » ou bien encore à l’accumulation des termes antithétiques, « Rayonne » et « obscurité », « sourire » et « solitude », se succédant dans une allitération et enfin la qualification des cristaux à la fois « brillants » et « nocturnes ».

La profondeur du mystère- sans doute celui de l’existence- est remarquablement rendue par les termes qui renvoient à l’ouïe : le désert est « sonore », « le son » du doigt sur le masque effraie et provoque comme un écho de l’âme : « mon âme éternelle retentit ». L’interrogation humaine, exprimée par le frappement du doigt sur le masque, provoque une sorte de résonance qui se propage dans le temps infini (« dix mille ans ») et l’espace intersidéral, signifié par « le vide » et les « brillants cristaux nocturnes » que sont les étoiles.

Le poète fait le choix de demeurer sans réponse, de demeurer dans l’incertitude et du côté des hommes. L’emploi du futur indique sa résolution de ne pas  pénétrer le mystère de ce masque mutique : « je n’irai pas violer le secret ». Il n’ira pas derrière le masque.

J’aime l’opposition qu’il fait entre le secret silencieux et l’homme qui parle, tous deux différenciés par la majuscule : il y a la « Face » indifférente et il y a le « Visage », celui qui est vis-à vis. La première demeure silencieuse, le second est animé dans une réciprocité. : « je parle et lui ressemble ».

Tout le paradoxe de l’existence humaine se trouve enfin dans les deux derniers vers, qui débutent par une restriction (« Cependant »). Ils disent admirablement la beauté mais aussi la vanité, la vacuité d’un monde, où se mêlent lumière et ténèbres.

Ce très beau poème est exemplaire de ce « chant secret mais non triste » de Jean Tardieu, qui se heurte à « des lèvres scellées ». Il est en outre révélateur de ce « silence plein », de ce « sens étouffé », les « deux pôles de son œuvre », selon Mme Emilie Noulet.

 

Pour le Jeudi des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Hauteclaire : secret, mystère

 

 

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20 septembre 2012 4 20 /09 /septembre /2012 14:11

 

 le-baiser

Le Baiser, Gustav Klimt (1907-1908)

 

Quelque chose qui semble toujours nous attendre quelque

Part et reste toujours caché ce cri étrange solitaire d’avant

Le monde comme d’un grand oiseau dans le gris du matin

Ce quelque part cet incertain qui est une solitude éternelle

Un manteau qui flotte autour du corps et dont on voudrait

Se défaire à chaque instant Toute rencontre est une énigme

Est un miroir qui nous défait et nous fait ressembler à cela

Ces mains enfouies dans la farine du soir quand l’heure est

Bleue quand il est temps d’écarter doucement les dentelles

De la nuit ou de l’aube ou de quelque début de toute rencontre

Nous prend la main dans le sac des yeux et nous transporte

Jusqu’à cet inconnu en nous cet obscur comme une étreinte

Qui se prépare mais nous ne savons pas ce qui nous lie à ça

Cet étonnement cette goutte d’ombre qui noue les cils de l’

Un à l’autre celle qui semble saoule et qu’on va reconnaître

 

On connaît le musicologue et mélomane Alain Duault mais sait-on bien qu’il est aussi poète et qu’il a reçu le Grand Prix de Poésie de l’Académie Française en 2002 pour son recueil, Où vont nos nuits perdues ? Je l’avais rencontré aux Journées du Livre et du Vin 2011 et avais alors découvert son œuvre poétique.

Dans le troisième tome de sa trilogie poétique, Ce qui reste après l’oubli, inaugurée par Une hache pour la mer gelée (« Tout livre doit être une hache pour la mer gelée qui est nous », écrit Kafka), il reprend la forme versifiée et géométrique en carré et sans ponctuation qui lui est particulière. Dans cette succession de quinzains, il ressasse souvenirs, images et mots de son kaléidoscope intime, dans un phrasé lancinant qui hypnotise le lecteur.

Le texte que j’ai choisi ici est le quatrième de la septième partie du recueil, « Cet obscur qui est en nous » (ses titres sont de petits bijoux !). Il y est question d’un « quelque chose » à quoi on tend mais qui nous demeure celé et que la rencontre (deux occurrences du mot) viendra révéler comme une épiphanie.

Dans l’expression de cette découverte qui s’opérera à la faveur d’un isolement existentiel (« ce cri étrange solitaire », « une solitude éternelle »), on notera l’indétermination du lexique : des substantifs tels « Quelque chose », « quelque part », « incertain » ; des verbes comme « semble » (deux occurrences ) ou « flotte » ; des adjectifs indéfinis ( « quelque « ) ou pronoms démonstratifs (« ça »). On y parle d’ignorance : ce lieu indéterminé est « toujours caché » ; « nous ne savons pas » pourquoi nous sommes attirés par lui. Cette chose mystérieuse adviendra peut-être grâce à la rencontre, quoique celle-ci demeure toujours « une énigme ». On notera les adjectifs employés nominalement : « cet inconnu », « cet obscur », que vient renforcer la métaphore de la « goutte d’ombre ». Mystère et secret que conforte encore l’adjectif démonstratif très largement usité  ici, dans un emploi complexe, qui affirme l'ostentation de ce qui est caché.

En même temps, se fait jour une tonalité affirmative, qui dit avec violence que le voile peut se déchirer : l’adverbe de temps « toujours » est employé au premier vers d’un poème qui s’achève sur l’idée d’une reconnaissance réciproque (« de l’/Un à l’autre ») et dans celle d’une certitude avouée, exprimée par le futur immédiat : « celle qu’on va reconnaître ».

Mais ce dévoilement apparaît ambigu : ce « quelque chose » n’est-il pas « toujours caché » (vers 2) ? La « goutte d’ombre » découverte l’est, quant à elle, dans un vertige (« saoule »).  Elle est encore attache puisqu’elle « noue les cils » et s’opère dans un lien (« lie »).

J’aime beaucoup aussi les images de ce poème. Si les référents en sont classiques, tels  l’oiseau ou le miroir, le poète les renouvelle à sa manière. Par le moyen des sonorités (« [gr]and oiseau dans le [gr]is du matin », vers 3), par l’emploi ambigu des verbes : le miroir détruit et reconstruit autre chose ( « un miroir qui nous défait et nous fait ressembler à cela », vers 7), par le jeu avec les expressions toutes faites : « Nous prend la main dans le sac des yeux… » (vers 11).

On sera enfin sensible aux sensations. Si l’ouïe est sollicitée avec le cri de l’oiseau, le toucher l’est aussi avec ce manteau qui « flotte autour du corps », « les mains enfouies dans la farine du soir » (vers 8), la main que l’on « nous prend » (vers 11), les « dentelles de la nuit » (vers 9) que l’on écarte, et « cet obscur comme une étreinte » (vers 12) qui renvoie au corps-à-corps amoureux. Quant à la vue, elle est évoquée avec "le gris du matin", le "bleu" de l'heure et "la goutte d'ombre", obscurité rehaussée par le substantif "obscur".

Alain Duault explique qu’il écrit de la poésie car il n’a pas écrit de la musique. Une revanche lyrique et musicale dont ce poème est la plus parfaite expression.

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Hauteclaire : le secret, le mystère

 

 


 

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13 septembre 2012 4 13 /09 /septembre /2012 18:03

 Jet-d-eau.JPG

      Le jet d'eau dans le bassin de Rou

(Photo ex-libris.over-blog.com, 02 juin 2012)

 

 

Le jet d’eau dans le soir d’avril

Discrètement bruit à peine

Comme pour mieux conter sa peine

A nos jeunes cœurs puérils.

 

Le jet d’eau, que chuchote-t-il

Dans ce lent parfum de verveine

A faire hésiter, ô sereine !

Une larme au bord de vos cils ?

 

Vieille chanson qui jase et pleure

Au gré capricieux de l’heure

Selon qu’elle passe, rêvant

A des amours que l’on oublie,

Ou sanglote, mélancolie

Eparse aux tristesses du vent.

 

"Premiers Vers" in La Bohème et mon Coeur, Francis Carco

 

 

Cette petite suite de vers croisés (et de deux vers suivis) octosyllabiques parut dans La Bohème et mon Coeur, un recueil de poèmes, édité en 1912. On y observe déjà chez Francis Carco cette "brume de mélancolie, que nul rayon de joie ne parvenait à percer", ainsi que l'a écrit Roland Dorgelès.

Peu de temps après, en 1913, le créateur de l'Ecole Fantaisiste allait aimer Katherine Mansfield, d'une passion qui marquerait sa vie. Ce poème semble préfiguer cet "amour voué au désastre".

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Voilier : Sonore

 

 

 

      Richter joue Jeux d'eau de Maurice Ravel

 

 



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12 juillet 2012 4 12 /07 /juillet /2012 16:58

 Juillet-2012-692.JPG

      Le Jour et la Nuit ou Adolescence (1900-1903), Antoine Bourdelle,

Buste inspiré par le marquis Henri de Bideran

(Photo ex-libris.over-blog.com, samedi 07 juillet 2012)

 

 

Henri

A la face rêveuse

A la beauté radieuse

Tendues vers l'avenir

Sens-tu sur ton épaule

Cette main vieillissante

Cette bouche édentée

Qui souffle dans ton cou


Henri

Adolescent marmoréen

Au spleen saturnien

Pressentirais-tu donc

Qu'un jour

Le Jour sera la Nuit

 

Samedi 07 juillet 2012, au matin,

au musée Bourdelle à Paris

 

 

 

 

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12 avril 2012 4 12 /04 /avril /2012 18:08


peau-d-ane-.jpg 

Catherine Deneuve dans le film Peau d'Âne de Jacques Demy

(Photo Cristina Garcia et Jacques Demy)

 

Un jour lointain je revêtirai ma robe

Couleurs du Temps

 

Je n’aurai plus de méchantes idées

Noires

Cesseront mes vilaines peurs

Bleues

Mes nuits ne seront plus appelées

Blanches

Il ne me sera plus donné de me fâcher tout

Rouge

Je ne me ferai plus de cheveux

Blancs

Je ne rirai plus

Jaune

 

Un jour lointain

 

Sonnera l’heure

Bleue

J’aurai soudain la main

Verte

Je serai doucement

Grise

Je verrai la vie en

Rose

 

Un jour lointain je revêtirai ma robe

Couleurs du Temps

 

Pour les Jeudis en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème : crayons de couleur

 

 

 

 

Blog en pause

 


 

 

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5 avril 2012 4 05 /04 /avril /2012 21:30

dylanthomas.jpg

 

J’ai rêvé ma genèse dans la sueur du sommeil,

 défonçant

La coquille enroulée, puissant

Comme un muscle moteur au perçage, traversant

La vision et le nerf aussi épais qu’une poutre.

 

Des membres taillés à la mesure du ver, chassé

De la chair chiffonnée, passé

A tous les laminoirs dans l’herbe, métal

De soleils dans la nuit de l’homme en fusion.

 

Héritier des veines brûlantes gardiennes de la goutte

 d’amour

Avec cette créature précieuse dans mes os j’ai fait le tour

Du globe qui m’a échu en héritage en croisière

En première à travers l’homme dans l’embrayage de la

 nuit.

 

J’ai rêvé ma genèse et suis de nouveau mort, shrapnel

Enfoncé en plein cœur, trou

Dans la plaie recousue et le vent coagulé, la mort

Muselant la bouche gazée.

 

Vif dans ma seconde mort j’ai marqué les collines,

 moisson

De ciguës et de brins, rouillant

Mon sang sur les morts durcis, cherchant

A m’arracher de force à l’herbe.

 

Et la vigueur s’est propagée dans ma naissance, seconde

Aurore du squelette et puis

Rhabillage de l’âme nue. La race humaine

A giclé comme un crachat de la douleur resoufferte.

 

J’ai rêvé ma genèse dans la sueur de la mort, tombé

Deux fois dans la mer nourricière, usé

Dans la saumure d’Adam jusqu’à ce que, vision

D’un homme à la vigueur nouvelle, je cherche le soleil.

 

Dix-huit poèmes, in Ce monde est mon partage et celui du démon, Dylan Thomas,

Traduit de l’anglais par Patrick Reumaux, Points

 

Je ne suis pas certaine de tout comprendre dans ce poème du Gallois Dylan Thomas (1914-1953). J’en aime cependant la fulgurance des images et la force qui en émane. J’y vois la puissance d’un esprit halluciné parti en quête de ses origines, dans une transe poétique, cosmique et tellurique.

Les thèmes de la coquille et de la nuit, de la mer nourricière, la métaphore du ver, la forme du globe renvoient pour moi à cette vie intra-utérine- voyage et croisière dans un monde clos- dont le poète est issu. Les verbes de mouvement (« arracher », « a giclé »), le champ lexical de la douleur et de la mort (« sang », « douleur », « sueur ») évoquent l’épreuve de la naissance, qui fait accéder le poète à l’humble état d’homme (« crachat ») en quête de l’astre solaire. Quant au champ lexical de la nature, très insistant, il relie l'être au monde dans lequel il naît.

Il y a dans ce texte une énergie vitale admirable, expression des pouvoirs de l’imaginaire, qui m’émeut et me fascine tout à la fois. Marque sans doute de ce poète génial, qui mourut d’une « insulte au cerveau », diagnostic inconnu, selon Fitzgibbon le biographe du poète.

 

Pour les Jeudis en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Mireille : imaginaire

 

 

 

 

 

 

 

 

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15 mars 2012 4 15 /03 /mars /2012 08:00

 

 Seon-la-sirene-1896-Musee-d-art-moderne-St-etienne.jpg

La sirène, Alexandre Séon (1896),

Musée d'Art Moderne de Saint-Etienne

 

 

Qui portait la sandale aux couleurs d’océan,

Echouée sur le sable parmi les bois flottés,

Déposée par la mer l’écume et les courants ?

 

Etait-ce la naïade au couchant dessinée,

Dont les gestes ailés remodèlent les vagues,

Et qui les pieds légers sur la grève dansait ?

 

Etait-ce la pêcheuse dont le grand filet drague

Crevettes et couteaux dans la flaque endormie,

Où sont les crabes nains et les verts cheveux d’algues ?

 

Etait-ce le marin souhaitant l’accalmie,

Aux embruns déchaînés, sur le pont ruisselant,

Qui frissonne et ne sait s’il reverra sa mie ?

 

Etait-ce la sirène amoureuse d’un homme

Qui endura la mort et les mille tourments

Afin d’être une femme et de croquer la pomme ?

 

Je ne saurai jamais qui portait la sandale

Abandonnée au sel et aux flots incléments,

Dérisoire épave d’un naufrage fatal,

 

Qui vogue sur les eaux et flotte dans le temps.

 

 

Pour la proposition de Noune d'écrire un poème à forme fixe inspiré par une photo, j’ai choisi cette semaine d’écrire un texte en terza rima. Cette forme codifiée fut importée d’Italie (Dante la pratiqua) en France au XVI° siècle. On la retrouve sous la plume de Jodelle, Baïf ou Desportes. Délaissée par la suite, elle reparaît au XIX° siècle avec Théophile Gautier (http://www.unjourunpoeme.fr/poeme/terza-rima) et Leconte de Lisle ( http://flormed.e-monsite.com/pages/f-fixes-3/terza-rima/), ou encore Hérédia .

Ecrit souvent en alexandrins, ce poème n’est pas limité dans sa longueur et c’est la disposition de ses rimes qui en fait l’intérêt. Le premier vers rime avec le troisième, le second avec le quatrième et le sixième, le cinquième avec le septième et le neuvième, et ainsi de suite. Toutes les rimes sont donc répétées trois fois, sauf la première et la dernière et les rimes plates en sont absentes. On a par ailleurs coutume de séparer les tercets de la terza rima par des blancs et d’isoler le dernier vers.

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Nounedeb : sur la photo d’une sandale bleue sur une plage, pour un sonnet, un rondeau, un haïku ou tout autre forme fixe.

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Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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