Vénus Vericordia, Huile sur toile, Rossetti, Art Gallery and Museum, Bournemourh
Elle tient la pomme dans sa main pour toi,
Dans son cœur pourtant elle irait presque la reprendre,
Elle a un air songeur, ses yeux en quête
De ce qu’ils peuvent voir dans ton esprit.
Peut-être : « Regarde, il est en paix », dit-elle ;
« Hélas ! La pomme pour ses lèvres : le trait
Qui suit sa brève douceur en son cœur,
L’errance perpétuelle de ses pas ! »
Un instant son regard est suspendu et timide ;
Mais si elle donne le fruit qui contient son charme,
Ces yeux s’enflammeront comme pour son garçon phrygien.
Puis sa gorge d’oiseau tendue prédit le malheur,
Et ses mers lointaines gémissent comme un unique coquillage,
Et son bosquet luit des feux de Troie embrasée par l’amour. »
On sait que Rossetti réalisa quatre versions de ce portrait (huile, aquarelle…), dont cette huile est la plus célèbre (1864-1868). Elle représente la déesse de l’Amour, Aphrodite chez les Grecs, et Vénus chez les Romains. Le titre, Vénus Verticordia, est une des nombreuses épiclèses de la déesse, connue sous les noms d’Anadyomène, Amathusie, Cypris, Cythérée, Erycine, ou encore Acidale. L’adjectif latin "verticordia" signifie « qui change les cœurs ».
Cette toile est représentative du syncrétisme exprimé par le peintre dans nombre de ses tableaux. Il associe clairement la tradition païenne aux racines chrétiennes. Vénus (sous les traits d’Alexa Wilding, un des modèles favoris du peintre) est en effet représentée nue, en buste, portant une pomme dans la main gauche et une flèche dans la main droite. Si le fruit évoque bien évidemment Eve et le péché originel, il évoque aussi le jugement de Pâris. Invité par Aphrodite, Athéna et Héra à remettre « la pomme de discorde » à la plus belle déesse de l’Olympe, le fils de Priam et d’Hécube choisit Aphrodite, qui lui permit d’enlever Hélène, la femme de Ménélas. On sait que cet amour fut à l’origine de la guerre de Troie. Par ailleurs, la flèche est l’attribut de Cupidon, dieu de l’Amour, fils de Mars et de Vénus, habile au maniement de l’arc dès son plus jeune âge. Les papillons jaunes, disposés dans l’orbe de l’auréole, sur la flèche et la pomme, symbolisent la métamorphose vers l’amour le plus pur mais, sans doute, aussi l’inconstance de la femme.
On raconte que la plupart des amis du peintre n’aimèrent pas le tableau, trouvant pour certains que la chevelure ressemblait à une vilaine perruque. Selon Waugh, le biographe de Rossetti, Valpy, un de ses principaux acheteurs, refusa de l’acheter à cause de la nudité du personnage.
Le tableau séduit particulièrement par le travail sur les roses et le chèvrefeuille, dans l’éclat rouge de leur floraison. Rossetti aurait dépensé des fortunes pour se procurer les fleurs, exigeant à chaque fois les plus épanouies.
Ruskin, quant à lui, fut choqué par la sensualité de la toile mais sa pudibonderie l’empêcha de la dénoncer précisément. Il préféra critiquer la vulgarité des fleurs. Mais, ainsi que le dit alors Graham Robertson dans une lettre à un ami : « S’il fallait écouter les ragots que l’on colporte sur les fleurs, le jardinage deviendrait tout simplement impossible ! »
Toujours est-il que les nuances de rouge et de rose de la bouche fermement ourlée, de l'aréole des seins et des doigts, les dégradés d'orange et de jaune de la pomme, de l'auréole et des papillons, l'éclatant blond vénitien de la chevelure, l'éclat laiteux de la peau, confèrent à cette Vénus émergeant d'une conque de fleurs une aura sensuelle, dont on ne s'étonnera pas qu'elle ait pu choquer les Anglais du siècle victorien.
Portrait du modèle Alexa Wilding (1866), Rossetti
Sources :
http://www.theearthlyparadise.com
Dante Gabriel Rossetti, Ash Russel