Franchise postale (Photo Anne Gayan)
Après Détournement de Mémoire, c’est avec Franchise Postale, joué vendredi 09 décembre à la salle Beaurepaire à Saumur, que le Pierrot lunaire qu’est Pierre Richard continue à égrener ses souvenirs. Dans ce one-man show, sous le prétexte de répondre à quelques lettres d’admirateurs un peu fêlés, il nous livre sa philosophie de la vie, toute en humour et en décalage.
Le décor est simplissime : quelques praticables, sur lesquels sont posés des paquets de lettres ficelés et un petit transistor, se détachent sur un fond de ciel bleu, parsemé de légers nuages – qui se transformera en fond sous-marin à l’occasion. Des lettres froissées, à jardin, jonchent le sol. L’ensemble est éclairé à cour par un rideau rouge.
Pendant plus d’une heure, la silhouette élastique et légère du comédien vêtu de gris, sur un tee-shirt décoré de taches de couleurs, déambulera sur la scène. Une agilité physique qui n’a d’égal que l’adresse avec laquelle il joue avec les mots. Son fidèle scénariste et metteur en scène, Christophr Duthuron, lui a en effet concocté un texte qui lui permet d’exercer sa verve burlesque.
Qu’il nous conte ses mésaventures de soixante-huitard attardé (il avait trente-trois ans), rue Soufflot, qu’il nous relate sa rencontre dans un restaurant italien avec un Aznavour dont il teintera l’élégante écharpe de sauce bolognaise, qu’il nous rappelle la malencontreuse coupe de champagne renversée sur la grande Madeleine Renaud au cours d’une de ces soirées mondaines qu’il abhorre, il demeure inénarrable.
Les souvenirs de sa longue carrière de comédien lui procurent aussi l’occasion de moquer les méthodes psychologisantes des professeurs de théâtre, tentant de lui enseigner comment bien dire La Cigale et la Fourmi. La mise en scène au TNP, par un certain Hermantier, de Jules César est la porte ouverte au désopilant tableau d’un spectacle raté, avec acteurs qui font défaut, comédien expert en chuintements, cercueil qui s’ouvre révélant son sable, parchemin impossible à ouvrir…
Le rideau rouge est encore prétexte à rappeler avec mélancolie les grands anciens, tel Georges Brassens qui proposa à Pierre Richard de faire la première partie de son spectacle. Par la suite, ce dernier et Victor Lanoux allèrent souvent dans les coulisses supporter Georges du regard. Quant au mime Marceau, qui ne fut pas épargné par les maux de dents, il est le héros d’une rencontre ratée entre les deux artistes.
Qu’à cela ne tienne, la mélancolie n’est pas le fort de Pierre Richard et il sait la tenir à distance. Il n’aura de cesse durant tout le spectacle d’empêcher son saxophoniste (Olivier Defays) de lui jouer des airs jazzy, pleins de spleen. Il ira jusqu’à emboucher une longue corne de montagne pour éviter de l’entendre.
A soixante-seize printemps, le comédien demeure ce grand enfant, toujours à côté de la plaque, toujours enthousiasmé par le moindre bon mot, toujours poète. Baudelaire n’est pas loin : l’albatros, plusieurs fois invoqué, n’est-ce pas un peu Pierre Richard, empêtré dans ses ailes de géant ? Mais rien n’entame sa bonne humeur foncière, sa manière de pratiquer l’humour à propos de tout. Au lieu de respecter une « minute de silence » quand les gens disparaissent, il prône quant à lui la « minute de bordel ». Et de nous faire sourire avec cette pauvre dame, victime d’un accident d’auto… tamponneuse.
Si le texte de Christophe Duthuron se laisse parfois aller à la facilité, si parfois les bons mots sont ceux de l’Almanach Vermot, on ne pourra que remercier Pierre Richard de sa « franchise » décalée et salvatrice. Et qu’applaudir aussi à sa symphonie en – do – mmagée, qu’il joue avec un mirliton d’enfant.