Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 avril 2010 2 13 /04 /avril /2010 14:12

Ru Kim Thuy

 

Ru est un livre rare, un de ceux qui vous accompagnent longtemps. A travers le kaléidoscope de ses souvenirs, l'auteur, d'origine vietnamienne, et devenue canadienne par l'exil, nous fait pénétrer dans la douleur indicible du déracinement. Dans cet ouvrage, pourtant, nulle sensiblerie, aucune complaisance dans le chagrin ou le malheur, et c'est ce qui lui confère toute sa force.

Dédiées simplement « Aux gens du pays », les pages écrites « à sauts et à gambades », comme aurait dit Montaigne, selon les caprices de la mémoire, ressuscitent le pays natal, englouti dans la tourmente de la guerre.

Par bribes, on apprend l'histoire de cette famille d'origine chinoise par l'arrière-grand-père maternel, marié à une Vietnamienne. Quatre de ses enfants avaient choisi d'être vietnamiens, les quatre autres chinois. Une famille déjà divisée comme le pays: les proaméricains au sud, les communistes au nord. Une famille “projetée” dans le présent par l'intrusion des dix inspecteurs communistes dans sa maison et avec qui elle est contrainte de cohabiter de part et d'autre d'un mur de brique. Etrange compagnonnage que la narratrice s'efforce d'expliquer: étaient-ils des ennemis ou des victimes, ces jeunes qui “avaient marché dans la jungle depuis l'âge de douze ans [...], passé des journées entières dans des étangs sous des nénuphars, vu les corps de camarades sacrifiés pour empêcher le glissement des canons [et qui avaient] oublié le visage de [leurs] parents” ?

L'ouvrage de Kim Thúy, c'est une galerie de personnages que la mémoire de la narratrice ressuscite avec sensibilité et émotion. Il y a son grand-père paternel, toujours couché sur un “énorme lit de jour en ébène monté sur des pattes sculptées” et qui avait eu un AVC juste avant sa naissance. La soeur Cinq de son père, célibataire, s'occupait de lui et lui préparait son plat favori, du riz au porc rôti. Devenue bouddhiste, sa tante fit don à sa nièce des quatre bols bleus et blancs, au rebord couvert d'un anneau d'argent, qui avaient servi à le nourrir pendant des dizaines d'années.

Il y a sa grand-mère, mère de dix enfants, celle qui portait le ao dài pour “redessiner son corps avec une gaine au trente crochets” afin de “respecter la coupe cintrée de cette robe hypocritement pudique et trompeusement candide”. A l'âge de quarante ans, dans son salon de Saigon, “elle portait à elle seule l'aura d'une époque de beauté et de luxe extrême”, recevant les marchands et maniant la loupe à diamants pour repérer les inclusions. Quand elle eut tout perdu, elle s'habilla “avec le long kimono gris porté par les fidèles” de Bouddha mais demeura “magistralement belle”. Entre le risque de perdre ses deux plus jeunes enfants en mer ou de retrouver son fils “déchiqueté dans un champ de mines en faisant son service miitaire au Cambodge”, elle fit le premier choix, maîtrisant sa peur en s'adonnant à la prière.

Il y a oncle Deux, le frère de sa mère, qui faisait le pont entre les deux camps culturels et politiques. Député et chef de l'opposition, il était ce “jeune mâle” qui faisait valser les femmes de ministres. Avec sa famille, et surtout sa fille Sao Mai, dont la narratrice était l'ombre, il vivait dans “une aura de fête, de décadence et de fièvre”, parlant de Proust, évoquant les chaises du Luxembourg et les “jambes interminables des danseuses de cancan”, souvenir de ses années d'étudiant à Paris. C'est ce même fascinant oncle Chung qui dénonça ses deux fils, alors qu'ils partaient dans “l'autobus des fugitifs” en destination d'un boat people pour lequel la mère de la narratrice avait envoyé de l'argent. Avait-il craint de les perdre en mer ou avait-il eu peur des représailles? A son enterrement, ils furent nombreux pourtant à pleurer celui qui “n'avait pas vieilli avant de mourir”.

Il y a sa fille Sao Mai qui était “sa princesse”, qu'il embrassait sur le nez quand elle avait fini de jouer Au clair de la lune au piano. Vénérée comme une prima donna, elle possédait ainsi une grande force intérieure, que lui enviait sa cousine germaine, qu'elle protégeait en classe et qui fut toujours sa confidente. Puis elle fut contrainte de vendre du ““café”, fait à partir de vieux pain carbonisé moulu, sur le trottoir en face de chez elle”. Par la suite, elle devint une “grande femme d'affaires”, dont les pâtisseries sont célèbres dans tout le Vietnam.

Il y a belle-tante Deux, sa mère, “une femme d'affaires “au regard vif et à la langue tranchante”, celle qui ne pouvait, malgré elle, cesser d'aimer son fils joueur, et de croire à ses mensonges.

Il y a la pauvre tante Sept, la sixième enfant de sa grand-mère maternelle, dont les hurlement hystériques déclenchaient la folie dans la maison familiale. Elle échangeait son collier d'or de vingt-quatre carats contre un morceau de goyave ou “s'adonn[ait] au sexe en échange d'une flatterie”. Elle portait une cicatrice au bas du ventre, dont elle ignorait tout. Hébergée au couvent des Oiseaux pendant le temps de sa grossesse, elle n'avait jamais su “pourquoi elle grossissait ni pourquoi, au réveil d'un sommeil profond, elle avait maigri”. Elle était comme le fils adoptif de tante Quatre qui faisait des fugues comme elle et “sillonnait les rues à la vitesse de la lumière”, et dont elle ne sut jamais qu'il était son propre enfant. Un jour, en dépit des recherches, on ne l'avait pas retrouvé et il n'avait laissé “pour seul souvenir [qu'] une cicatrice au-dessus du pubis de sa mère”.

Souvenir encore de tante Six dont la narratrice reconnaît qu'elle a les mêmes cuisses bombées. Celle-ci lui avait offert une boîte à thé dans laquelle elle avait placé dix petits papiers comportant chacun un nom de métier, lui permettant ainsi de “rêver [son] propre rêve”; de tante Huit qui lui enseigna le plaisir éphémère “d'un instant volé”, et d'oncle Neuf qui la connaît mieux qu'elle ne se connaît elle-même; ne lui offrit-il pas son premier roman?

Ce qui est admirable dans ce livre, c'est l'hommage vibrant que l'auteur rend à ses parents, qui lui ont permis de recommencer à rêver: “Pour nous, ils ne voyaient pas les tableaux noirs qu'ils essuyaient, les toilettes d'école qu'ils frottaient, les rouleaux impériaux qu'ils livraient. Ils voyaient seulement notre avenir. Mes frères et moi, nous avons ainsi marché dans les traces de leur regard pour avancer.”

Sa mère d'abord, dont elle porte quasiment le même nom, et dont elle devait être un prolongement, projet que la guerre réduisit à néant, quand elles traversèrent il y a trente ans le golfe de Siam. Sa mère Courage, la fille d'un préfet, qui connut le travail pour la première fois à trente-quatre ans, “sans tristesse”, alors qu'avant sa préoccupation unique avait été l'éducation de ses enfants, la tenue de sa maison et les soirées mondaines. Dans sa sagesse et le bruit lointain des bombes, elle avait su les préparer à la chute en leur enseignant à “s'agenouiller comme les domestiques”. A travers toutes les vicissitudes, elle a continué à vouloir à toute force un avenir pour eux, elle a su leur donner “des outils” pour qu'ils puissent recommencer à s'enraciner et à rêver. C'est cette femme d'une autorité “de la plus grande instance” et d'un amour sans failles, dont sa fille dit qu'elle “ a commencé à vivre, à se laisser emporter, à se réinventer à cinquante-cinq ans”.

Son père, quant à lui, est le dépositaire d'une sagesse qui tient peut-être au fait que son propre père avait été enlevé par une faction de voyous et qu'il avait “appris à vivre loin de ses parents, à quitter des lieux, à aimer le temps présent, à ne pas s'attacher au passé”. Une serpillière à la main ou assis dans une limousine, “il inspirait toujours le plus grand, le plus beau bonheur”. L'héritage de son père, c'est “ce sentiment permanent d'assouvissemnt”, dont elle lui est reconnaissante. Et dans ce livre où l'on perçoit la profondeur du culte des ancêtres, “qu'ils aient été joueurs, nuls ou violents”, où l'on apprend que l'on porte les ancêtres non dans son coeur mais au-dessus de sa tête, la narratrice nous dit qu'elle n'a touché la tête de son père qu'une seule fois, celle où il lui avait donné l'ordre de s' “appuyer sur lui pour sauter par-dessus la rampe du bateau”.

Outre la description d'une famille qui a su garder l'essentiel dans l'exil, on découvre en creux l'existence d'un Vietnam composé de personnages attachants et émouvants. Les femmes sont particulièrement inoubliables. Elles permettent à la narratrice d'esquisser une définition de l'amour dans l'abandon volontaire de ses enfants. Il en va ainsi de cette mère qui avait voulu lui donner sa fille, parce qu'elle ne supportait plus de “la voir courir après les touristes pour leur vendre des nappes qu'elle avait brodées”.

Elles l'invitent à la compassion quand elle évoque cette mère vietnamienne, assistant à l'exécution de son fils de six ans, petit messager qui courait dans les rizières pour aider la résistance ou transmettre un mot d'amour. Et elle constate: “Les jeunes pousses de riz continuaient à être bercées par le vent, impassibles devant la brutalité de ces amours trop grands, de ces douleurs trop sourdes pour que les larmes coulent, pour que les cris s'échappent de cette mère qui recueillait avec sa vieille natte le corps de son fils à moitié enfoncé dans la boue.”

La narratrice écrit un tombeau à “toutes ces femmes qui ont porté le Vietnam sur leur dos pendant que leur mari et leurs fils portaient les armes sur le leur”. Celles qui “ne regardaient pas le ciel”, sous leur chapeau conique, celles à qui la fatigue interdisait d'imaginer leurs fils ou leur mari mort, celles qui portent “le poids de l'histoire inaudible du Vietnam”. Ainsi cette femme disparue dans le silence de la fosse septique familiale, “derrière sa hutte, entourée de poissons-chats à la chair jaune, à la peau lisse, sans écailles, sans mémoire”. Ainsi ces vieilles femmes courbées, aux mains tremblantes, qui plaçaient “les feuilles de thé à l'intérieur des feuilles de lotus ouvertes” afin d'en recueillir le parfum.

Et que dire de l'histoire de cette jeune journalière, à “la peau trop brûlée par le solei”, à qui le jardinier du grand-père de la narratrice donnait tous les jours “une portion de riz collant, enveloppée dans une feuille de bananier”? Ils étaient tombés amoureux mais les parents du jeune homme avaient demandé au grand-père de le muter. Et il était parti, sans même lui laisser une lettre car elle ne savait pas lire...

Image sensible encore de cette jeune fille, vendeuse de porc grillé à l'entrée d'un temple bouddhiste, dont la grande beauté était occultée par un nuage de fumée et de cendre. Ses cheveux avaient pris feu et une partie de sa chemise avait brûlé, avant que la narratrice ne lui propose un travail. Elle avait décliné l'offre, incapable “de détourner son regard vers un horizon sans fumée”.

C'est en souvenir des femmes qui préparaient pour leur époux, prisonnier dans les camps de rééducation, de la viande rissolée dans de vieilles boîtes de lait Guigoz, que la narratrice elle-même confectionne maintenant ce plat afin de perpétuer ces gestes d'amour.

Et ce sont toutes ces femmes victimes qu'elle personnifie en une seule, alors qu'elle est retournée au Vietnam pendant trois ans, que les mines communistes sautent encore et qu'elle se demande qui elle pouvait être. “Un jour, une femme a été déchiquetée, entourée de fleurs de courges jaunes éparpillées, émiettées. Elle devait certainement être en route vers son marché pour les vendre. Peut-être ont-ils [les Américains] aussi trouvé le corps de son bébé sur la route. Peut-être que non. Peut-être son mari était-il mort dans la jungle. Peut-être était-ce elle, la femme qui avait perdu son amour devant la maison de mon grand-père maternel, le préfet.”

La beauté du livre réside encore dans le fait que la narratrice porte son attention sur toutes les victimes de la guerre du Vietnam, de quelque côté qu'elles soient. Evoquant l'évolution parallèle des langues du Nord et du Sud-Vietnam, elle nous dit qu'un terme avait été créé “pour désigner les enfants des nuits endiablées des GI”. Les soldats américains, qui achetaient des blocs de glace aux parents de son oncle Six, n'avaient-ils pas “besoin d'être froids pour quitter les femmes qui portaient leurs enfants sans ne plus jamais leur revenir, sans jamais avoir révélé leur nom de famille”?

Elle parle ainsi avec beaucoup de délicatesse de ces enfants “ostracisés par la profession de leur mère mais aussi de leur père”. Et quand, trente ans après la guerre, les Etats-Unis ont voulu récupérer ces enfants abîmés et leur donner une identité qui effacerait “celle qui avait été souillée”, certains ont été incapables de se l'approprier. Elle est hantée par le souvenir de cette jeune Eurasienne du Bronx qui n'aspirait qu'à une chose, retrouver son lit de cartons devant la poste de Saigon et qui répétait sans cesse qu'elle était vietnamienne. Remords de n'avoir rien pu faire pour elle, qui était retournée “dans la jungle du Bronx”.

Livre de souvenirs, mais aussi livre de reconnaissance et de gratitude envers tous les Canadiens qui accueillirent la narratrice et sa famille à Granby et leur redonnèrent le goût de vivre. Elle se souvient de Marie-France, sa première enseignante au Canada, qui veilla sur elle comme “une maman cane”; des habitants de Granby qui les “ont bercés un à un; du prêtre qui avait élevé jusqu'à leur maturité les cinq enfants de monsieur Vinh, grand chirurgien emprisonné à Saigon; de Claudette qui accepta simplement d'élever le fils de monsieur Kiet, celui qu'il “avait retrouvé sur la plage, après que son bateau s'était enroulé dans une vague trop gourmande”.

Tous ces Canadiens généreux, ces “parrains” bénévoles, elle les compare à une armée d'anges, dont faisait partie son amie Johanne, retrouvée trente ans plus tard et qui l'avait connue sourde et muette, eux qui étaient présent par dizaines “pour offrir des vêtements chauds, des jouets, des invitations, des rêves”.

Et quand la diaspora vietnamienne se retrouvait à trente personnes dans un petit appartement pendant les vacances de Noël, tous ses membres, “serrés les uns contre les autres”, avaient le même rêve, celui du “rêve américain”, dont Monsieur Girard, propriétaire d'une belle voiture, et Madame Girard, “plonde platine comme Marylin Monroe”, étaient la personnification

Peut-être que le livre de Kim Thúy est une berceuse pour la petite fille du boat people, disparue dans la mer et qu'elle aurait pu être. Les pages qui racontent le voyage vers l'ailleurs inconnu sont une subtile association de pudeur et de réalisme. Au fond du bateau de l'exil, “où le jour ne se distinguait plus de la nuit”, ils étaient ces passagers qui ne savaient pas s'ils allaient vers le ciel ou vers les profondeurs de l'eau”, et “ils étaient figés dans la peur par la peur”.

Elle n'a pas oublié le camp de réfugiés de Malaisie et la cabane sur pilotis qui s'enfonçait dans la terre glaise, dans laquelle ils vécurent “tellement collés les uns contre les autres qu' [ils] n'av[aient] jamais froid”. Et quand, à Granby, un botaniste a emmené les enfants dans les marécages afin de leur faire observer les insectes, il ignorait que les mouches avaient été leurs compagnes dans le camp de réfugiés. Là-bas, près des fosses septiques, où il fallait toujours maintenir l'équilibre afin de ne pas tomber dans les excréments, et autour des branches, elles s'agglutinaient “comme les baies d'une grappe de poivrier, ou comme des raisins de Corinthe”. Horreur des mouches et aussi des milliers de vers qui sortaient des latrines lors des pluies et métamorphosaient “le rouge de la terre glaise en un ondoyant tapis blanc”.

Cet exil a appris à la narratrice “à voyager très léger” et c'est pourquoi, désormais, elle ne se déplace jamais avec plus d'une valise. Pendant le voyage, son bien le plus précieux fut un bracelet en acrylique de prothèse, où ses parents avaient inséré des diamants. Jamais elle et ses frères n'eurent d'or sur les dents, car leur mère leur disait que “les dents et les cheveux sont les racines, ou peut-être la source originelle d'une personne”. Et elle savait aussi que les pirates thaïlandais qui les menaçaient auraient pu leur arracher les dents en or et les molaires diamantées.

Si elle sait que ses parents ne lui lègueront pas d'argent, elle est consciente qu'ils lui “ont légué la richesse de leur mémoire, qui [leur] permet de saisir la beauté d'une grappe de glycine, la fragilité d'un mot, la force de l'émerveillement”. Ils ont fait don à leurs enfants de “pieds pour marcher jusqu'à [leurs rêves], jusqu'à l'infini” et c'est suffisant.

Le dévidage de  l'écheveau des souvenirs de la narratrice lui permet enfin d'esquisser son autoportrait. On apprend ainsi, comme en passant, que son fils Henri est autiste et que “grâce à lui, chaque étincelle de joie est une bénédiction” pour elle. A son fils Pascal elle raconte des anecdotes afin de conserver “un pan d'histoire qui ne trouvera jamais sa place sur les bancs de l'école”. Ce sont ses deux enfants qui lui ont fait abandonner l'idée de mourir. Ils l'ont obligée “à vivre, à être éblouie par l'ombre de leurs cils, à être émue par un flocon de neige, à être renversée par une larme sur leur joue”.

Quant à sa propre identité, elle a compris qu'en réalisant le rêve américain, elle n'avait plus le droit de se proclamer vietnamienne, ayant “perdu leur fragilité, leur incertitude, leurs peurs”. Elle a dû réapprendre sa langue maternelle, abandonnée très jeune. Ce sentiment irrémédiable de la perte a influencé, dit-elle, sa manière d'aimer les hommes, et elle ne désire surtout pas se les approprier. “Ainsi, je leur suis une parmi d'autres, sans rôle à jouer, sans exister.”

Si un Vietnamien peut la reconnaître comme une compatriote aux cicatrices de ses vaccins, et constater avec elle leur “état hybride: moitié ci, moitié ça, rien du tout et tout en même temps”, elle a conscience que beaucoup de ce qu'elle fut s'est évanouie avec les trente années passées aux Etats-Unis. “Quand je m'assois dans ce lounge enfumé, j'oublie que je fais partie des Asiatiques qui ne possèdent pas l'enzyme déshydrogénase pour métaboliser l'alcool, j'oublie que je suis née marquée d'une tache bleue sur les fesses, comme les Inuits, comme mes fils, comme tous ceux de sang oriental. J'oublie cette tache mongoloïde qui révèle ma mémoire génétique parce qu'elle s'est estompée pendant les premières années de l'enfance, alors que ma mémoire émotive, elle, se perd, se dissout, s'embrouille avec le recul.”

Et pourtant, de l'évocation de monsieur An, qui survécut dans les camps car il apprit à y distinguer les différents bleus du ciel, à Anh Phi, le jeune adolescent, qui récupéra avec courage les taels d'or nécessaires à la fuite de sa famille en bateau, en passant par la description du “triangle d'or” sensuel que le vent révèle sous le ao dài, c'est bien tout son pays martyrisé que Kim Thúy ressuscite dans ce livre d'une centaine de pages. Grâce à une rare économie de moyens et un lyrisme maîtrisé, le lecteur l'accompagne vers son pays natal, devenu, par la magie de l'écriture, un écoulement de larmes en même temps qu' une berceuse.

 

 

Lundi 12 avril 2010

Partager cet article
Repost0

commentaires

1
BONJOUR, j’ai cherché dans plus de 50 pages un bon résumé de ce magnifique livre. Mon but a été d’avoir l’analyse des personnages et des évènements importants dans un seul site. Quand j’ai trouvé ce site, j’ai été vraiment contente est choquée par le travail que vous avez fait. Ceci est un des meilleurs résumés que j’ai vus. Merci avec un grand M !
Répondre
C
Merci pour votre commentaire amical. Le Vietnam est entré dans ma famille avec une de mes belles-filles et ce livre m'a émue infiniment.
S
guzel paylasim
Répondre
C
Je ne partage vraiment que les spectacles ou livres que j'ai aimés. A bientôt.
A
Merci Catherine. Votre grand résumé me donne Tres envie de le lire.
Répondre
C
C'est un livre qui m'a beaucoup marquée. J'avais vu son auteur à La Grande Librairie et j'avais admiré sa capacité de résilience.
W
<br /> Merci pour ces très biens faits analyse et résumé.<br /> <br /> <br />
Répondre
C
<br /> <br /> C'est un livre que j'ai découvert à La Grande Librairie et j'avais beaucoup aimé la simplicité avec laquelle l'auteur en parlait. La résilience y est à l'oeuvre. Merci, William, de votre<br /> passage chez moi.<br /> <br /> <br /> <br />

Présentation

  • : Ex-libris
  • : Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.
  • Contact

ex-libris

 ex-libris

 

Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

Recherche