Michelle (Gwyneth Paltrow), et Leonard (Joaquin Phoenix) sur le toit de l'immeuble
(Photo Allo-Ciné)
Hier, lundi 13 mai 2013, ARTE diffusait Two Lovers, que j'ai regardé pour la troisième fois ! Je publie de nouveau le billet que j'avais écrit il y a un an, sans en changer un iota.
Jeudi 24 mai 2012, j’ai revu Two Lovers de James Gray, qui était en lice à Cannes en 2008. C’est un film qui me fait venir à chaque fois les larmes aux yeux. C’est peu de dire que le réalisateur y renouvelle le film d’amour : il le sublime et le transcende dans le réalisme le plus banal. Et il nous prouve ainsi que sa palette est des plus étendues, lui qui s’était illustré avec brio dans le thriller noir (The Yards en 2000 et La nuit nous appartient en 2007).
L’histoire est celle de Leonard Kraditor (Joaquin Phoenix), jeune trentenaire juif new-yorkais, qui ne se remet pas de la rupture de ses fiançailles due à des raisons médicales (Sa fiancée et lui étaient tous deux porteurs d’une maladie génétique). Entre calmants et passe-temps photographique, le jeune homme, revenu dans l’appartement de ses parents (Ruth Kraditor : Isabella Rossellini, et Moni Moshonov : Reuben Kraditor), a sombré dans une dépression, ponctuée de tentatives de suicide.
C’est alors qu’il fait fortuitement la connaissance d’une nouvelle locataire de son immeuble, Michelle, interprétée par Gwyneth Paltrow (oscarisée pour Shakespeare’s in love). C’est une jeune femme blonde un peu fêlée, maîtresse malheureuse d’un homme marié, avocat dans le cabinet où elle travaille. Entre ces deux êtres souffrants naît immédiatement une complicité forte, faite de rires et de confidences. Séparés par la cour de l’immeuble (Hommage appuyé à Fenêtre sur cour), ils communiquent d’une fenêtre à l’autre, se donnant des rendez-vous pour une sortie en boîte ou une rencontre sur le toit de l’immeuble.
Michelle, inconsciente (ou consciente) du mal qu’elle fait à Leonard, lui confie ses douleurs d’amour ; le confident, éperdument amoureux d’elle, souffre en secret. Parallèlement, et contraint par la pression familiale, il a engagé une relation avec Sandra, la fille du repreneur de la teinturerie de ses parents, qui comprend la complexité de son caractère. Ainsi Sandra aime Leonard, qui aime Michelle, qui aime Ronald… On n’est pas loin du triangle racinien.
La silhouette parfois un peu pataude, parfois élégante, de Joaquin Phoenix, exprime à merveille ce mal être dont il sort par instants en faisant le clown ou en dansant comme un fou sur la piste d’une boîte de nuit. Subtil Joaquin Phoenix, dont le visage, marqué par la discrète et émouvant cicatrice d’un bec-de-lièvre, sait dire tant de choses avec un minimum d’effets. En l’évoquant, James Gray parle de lui comme son alter ego et il explique que le rôle fut écrit spécifiquement pour lui. « Joaquin a une perception très aiguë du comportement humain », explique-t-il. Et on regrettera que, paraît-il, cet acteur rare ait décidé d’arrêter le cinéma pour s’adonner à son autre passion, la musique.
La scène d’amour fiévreuse et intense sur le toit de l’immeuble saisi par le froid est, selon moi, une des plus belles scènes d’amour du cinéma. Et il n’est pas indifférent de savoir que le film fut inspiré à James Gray par une nouvelle de Dostoïevski, Nuits blanches, dans laquelle un homme développe une obsession pour une femme rencontrée dans la rue. Le texte et le film sont tous les deux le récit d’un trouble psychologique mais aussi et surtout l’étude du rapport à l’amour. Ici, les deux femmes, Michelle et Sandra, incarnent les deux postulations : la première, la passion destructrice, l’autre, une forme d’amour conformiste mais rassurante.
Leonard au bord de l'eau, après l'abandon de Michelle
Structuré entre deux séquences exprimant la tentation du suicide, ce film à la mise en scène épurée, à la lumière crépusculaire, dit sans doute le passage définitif à l’âge adulte et le renoncement aux passions adolescentes. La brisure de l’abandon de Michelle, dont l’amant renonce à sa famille pour elle, sonne le glas de tous les espoirs fous de Leonard. Sans doute ne souhaite-t-il plus traîner son cœur comme il traînait derrière lui le vêtement nettoyé au début du film. Au bord de la mer, en ramassant le gant que lui a offert Sandra, il semble prêt à relever le défi d’un amour plus sage. Il remonte lentement l’escalier pour aller offrir à Sandra le brillant qu’il destinait à Michelle et il pleure. Scène ultime et complexe d’un film tout en frisons, épidermique et profond.
Sources :
Allo-Ciné : Secrets de tournage