Jeudi 06 mai 2010, la compagnie Les Dramaticules jouaient à Saumur la farce tragique de Ionesco, Macbett. L’occasion de revenir sur les enjeux de cette pièce, qui fut créée en 1972, dans une mise en scène de Jacques Mauclair, au Théâtre de l’Alliance française. Geneviève Fontanel et Brigitte Fossey y interprétaient les rôles féminins.
La pièce est intéressante à plus d’un titre. D’abord, elle est la seule pièce où Ionesco entreprend un exercice de réécriture méthodique d’une pièce de Shakespeare, en l’occurrence Macbeth. L’ayant lue et relue, il croyait ne pouvoir rien en faire et il avait jeté ses notes. C’est alors qu’il a écrit sa version en vingt-cinq jours. Il l’a précisé lui-même : la pièce « parodie Shakespeare et introduit des éléments comiques ». Cependant, comme l’a montré Gérard Genette, le dramaturge français ne se moque pas de la tragédie anglaise, mais s’applique surtout à en radicaliser le pessimisme : « Macbett est un Macbeth (encore plus) excessif, un Macbeth hyperbolique, un hyper-Macbeth. » (Palimpsestes). Ionesco avait insisté sur cet aspect dans ses Notes et Contre-notes : « Revenir à l’insoutenable. Pousser tout au paroxysme, là où sont les sources du tragique. Faire un théâtre de violence : violemment comique, violemment dramatique. Le théâtre est dans l’exagération extrême des sentiments, exagération qui disloque la plate réalité quotidienne. Dislocation aussi, désarticulation du langage. »
De plus, si l’horizon de la pièce de Shakespeare demeure présent dans l’esprit du spectateur, ce dernier apprécie les libertés que Ionesco prend avec le texte d’origine, la parodie créant un climat de connivence. Il en reprend certes le thème, mais avec une distribution resserrée. En effet, Duncan, noble et généreux roi d’Ecosse chez le dramaturge anglais, devient chez Ionesco un archiduc sanguinaire qui exécute en une nuit cent-trente-sept mille ennemis vaincus. Macbett et Banco, avatars de Macbeth et Banquo, sont les deux généraux auxquels Duncan doit sa victoire sur Glamiss et Candor, doubles de Glamis et Cawdor. Macbett, à l’instigation de Lady Duncan, assassinera son roi pour s’emparer de la couronne, tout en laissant échapper Donalbain et Macol (Malcom chez Shakespeare). L'assassinat par ce dernier du tyran Macbett inaugurera un nouveau règne de violences, Ionesco noircissant ainsi le dénouement shakespearien.
Ainsi, il fait l’économie des personnages incarnant le bien, que sont Macduff et Fléance. Il amplifie le rôle de Duncan en soulignant sa lâcheté et sa corruption, il développe le couple de Judas formé par Glamiss et Candor, il fait se confondre Lady Duncan et sa suivante avec les deux sorcières, qualifiées de « vieilles jumelles ». Quant à Lady Macbeth, elle est remplacée par une Lady Duncan qui n’est plus guidée que par l’adultère.
Par ailleurs, le Macbett d’Ionesco est proche d’Ubu roi d’Alfred Jarry. « Mon Macbett, entre Shakespeare et Jarry, est assez proche d’Ubu roi », écrivait-il. N’y retrouve-t-on pas en effet le juron fameux, cher au Père Ubu, prononcé ici par Macbett, alors qu’il aperçoit la forêt qui avance et que Macol le tue « d’un coup d’épée dans le dos » ? Il s’agit bien encore de pièces qui mettent toutes deux en scène la perversion du pouvoir et l’enchaînement inéluctable de la violence sur le mode du « comique macabre d’un clown anglais ou d’une danse de morts ».
La compagnie des Dramaticules est dirigée par Jérémie Le Louët. Il oriente sa recherche théâtrale sur la musicalité de l’acteur, le décalage et les variations de cadence, le tempo, la dynamique, le phrasé. Lors de l’été 2006, la compagnie a joué ce Macbett au Théâtre du Balcon, dans le cadre du Festival d’Avignon. Au printemps 2008, la pièce avait été représentée cent fois. La troupe s’est emparée avec fièvre de ce « Macbeth cauchemardé par Ionesco ». Dans un décor fait de praticables rouges, où dominent sur un abat-jour les insignes du pouvoir, les sept comédiens, censés jouer trente-trois rôles, ne ménagent pas leur peine et proposent une interprétation convaincante de la pièce.
Le jeune metteur en scène explique ainsi son travail : « La mise en scène soumet aux acteurs plusieurs problématiques. Comment être dans l’extrémité des sentiments en évitant l’écueil de la parodie ? Comment rendre compte du grotesque et du sublime sans glisser vers le burlesque et la caricature ? Comment contourner le jeu psychologique et la sensiblerie sans être dans un jeu distancié ? »
Les comédiens répondent à ces questions difficiles en jouant le texte allegro, « à toute allure ». Scandés par la musique d’Ivan le Terrible de Prokofiev, les tirades ressassées, les dialogues répétés sont murmurés, proférés, assénés, hurlés, parfois avec une intensité excessive qui n'était peut-être pas nécessaire. Il n’en demeure pas moins que l’enthousiasme des acteurs est tempéré par un travail sur les déplacements et la gestuelle extrêmement précis, concourant à créer une interprétation claire et lisible de la pièce.
Si l’on peut regretter une obscurité trop prégnante sur scène à certains moments, on reconnaîtra que cette jeune troupe se fait l’écho, haut et fort, de la phrase de la scène 5 de l’acte V de Macbeth : « C’est la fable, racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne veut rien dire. »
Sources :
http://sites.google.com/site/dramaticules/macbett2
http://www.arcadi.fr/artistesetoeuvres/texte.php?id=276
http://www.erudit.org/revue/etudlitt/2007/v38/n2-3/016344ar.html (Article de Véronique Lochert : « Macbeth/ Macbett : répétition tragique et répétition comique, de Shakespeare à Ionesco. »
Mardi 11 mai 2010